- il y a 4 mois
Mardi 2 septembre 2025, retrouvez Émilie Meridjen (Associée, Sekri Valentin Zerrouk - SVZ), Alexandre Lucidarme (Docteur en droit, Universités de Lille et de Salamanque) et Béatrice Duquerroy (Membre Bureau national de la CNCJ) dans LEX INSIDE, une émission présentée par Arnaud Dumourier.
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00:00Générique
00:30Bonjour, bienvenue dans Lexi Inside, l'émission qui donne du sens à l'actualité juridique.
00:36Du droit, du droit et rien que du droit.
00:39Au programme de ce numéro, on va parler des risques liés à l'intelligence artificielle dans les pratiques RH.
00:45Avec Émilie Merigen, associée chez Sécrit Valentin Zerouk.
00:50On parlera ensuite de la fraude fiscale et du droit pénal.
00:54Avec Alexandre Lucidarme, docteur en droit des universités de Lille et Salamanque.
01:00Et enfin, dans la dernière partie, on parlera de la nouvelle procédure de saisie des rémunérations.
01:05Avec Béatrice Duquerroy, membre du bureau national de la CNCJ.
01:11Voilà pour les titres Lexi Inside, c'est parti !
01:23On commence tout de suite ce Lexi Inside, on va parler des risques liés à l'intelligence artificielle dans les pratiques RH.
01:32Avec mon invité Émilie Merigen, avocat associé chez Sécrit Valentin Zerouk.
01:38Émilie, bonjour.
01:39Bonjour Arnaud.
01:39L'intelligence artificielle s'impose dans les ressources humaines, mais son usage soulève de sérieuses questions.
01:47Bi-algorithmiques, décisions automatisées, atteinte au droit des salariés.
01:51Quels sont les risques concrets et comment les prévenir ? On va voir tout ça ensemble.
01:55On va commencer d'abord par poser les bases.
01:58Quels sont les principaux risques juridiques pour les entreprises qui utilisent l'IA dans leur pratique RH ?
02:05Alors, principalement, ils sont de trois ordres.
02:07On a d'abord des risques de sanctions financières si les dispositifs d'IA ne sont pas conformes à l'IA Act,
02:13qui est le nouveau règlement européen qui régit l'intelligence artificielle dans les entreprises.
02:18Ils sont ensuite liés à l'introduction de l'IA, parce qu'on va en reparler.
02:21Si le comité d'entreprise doit être consulté, mais qu'il ne l'est pas,
02:25il y a un risque contentieux de suspension de l'introduction d'un nouveau projet d'IA.
02:30Et puis, il y a sans doute en germe des risques prud'homo, qu'on ne voit pas encore vraiment apparaître,
02:35mais lié aux pratiques RH, aux contrats, à la rémunération variable des salariés
02:41qui pourraient avoir des réclamations apportées devant les prud'hommes.
02:44Alors, on voit qu'il y a plusieurs types de risques.
02:46Face à ces risques, comment les entreprises doivent se préparer ?
02:50Alors, déjà, mon premier conseil, c'est de considérer l'IA comme un sujet RH.
02:56Aujourd'hui, c'est essentiellement considéré comme un sujet tech,
02:59un sujet de compétitivité par rapport aux concurrents, mais pas tellement comme un sujet RH.
03:03Donc, l'entrée dans le champ de la direction des ressources humaines est essentielle.
03:08À partir de là, moi, je recommande de procéder en trois temps.
03:11D'abord, de cartographier tous les endroits dans la relation de travail
03:14où l'IA peut avoir un impact sur le contrat, sur la relation de travail avec les salariés.
03:20Dans un second temps, de mettre en place des dispositifs RH et juridiques
03:24qui viennent encadrer ces aménagements, ces évolutions.
03:28Et puis, et sans doute surtout, dans un troisième temps, de communiquer.
03:31Il faut évidemment former les salariés, mais il faut aussi faire preuve de pédagogie,
03:35les accompagner dans le changement, car tout changement suscite de la réserve de la part des salariés.
03:41Bien sûr.
03:42Communiquer, ça veut dire de manière large à l'ensemble des salariés,
03:45d'avoir une communication officielle qui explique comment on utilise l'IA, c'est ça ?
03:50Oui, bien sûr. Le rôle du CSE est important à ce niveau-là,
03:54mais aussi la communication au sein des équipes, la communication au sein de la direction,
03:59avoir véritablement une prise de position par rapport à ça
04:02et pas faire seulement comme la plupart des entreprises aujourd'hui.
04:05C'est-à-dire, ça fait partie de notre quotidien, mais personne n'en parle véritablement.
04:08Alors, l'un des leviers, justement, c'est la charte éthique sur l'IA.
04:12Est-ce que c'est important d'avoir une charte éthique sur l'IA ?
04:16Alors, pour moi, c'est essentiel pour plusieurs raisons.
04:20C'est essentiel parce que c'est un dispositif, ce sont des dispositifs qui sont nouveaux,
04:23qui sont facteurs de risque, certains visibles, mais d'autres moins.
04:28Ça soulève des questions également d'ordre éthique, comme vous le disiez.
04:32Et donc, poser les règles du jeu est, à mon sens, un engagement important de la part des entreprises
04:38en termes de communication interne, mais aussi externe.
04:40Et puis, c'est aussi un acte de loyauté, c'est-à-dire d'être transparent dans ce qu'on attend des salariés,
04:46l'indiquer clairement dans une charte, et puis prévoir également les sanctions
04:49qui sont encourues si les salariés ne respectent pas les règles qui sont posées.
04:53Alors, du coup, les salariés, quand on édicte une telle charte,
04:56les salariés sont tenus des règles qui sont dans cette charte ?
04:59Tout à fait. Alors, juridiquement, ça a la valeur d'un règlement intérieur.
05:03D'accord.
05:03Donc, c'est opposable aux salariés, à condition d'avoir respecté la procédure, évidemment.
05:06Alors, l'IA, avec les risques qu'on a évoqués, ça peut être source de contentieux.
05:11Concrètement, aujourd'hui, est-ce qu'il y a déjà des contentieux ?
05:14Et quel type de contentieux, s'il n'y en a pas, on peut imaginer ?
05:17Alors, on a vu très récemment deux décisions qui ont porté sur la suspension
05:22de l'introduction de projets d'intelligence artificielle dans des entreprises
05:26du fait de l'absence de consultation du CSE.
05:30Et là, on a deux tribunaux judiciaires de région parisienne
05:34qui se sont prononcés pour suspendre, c'est-à-dire que le projet était déjà en place
05:37et le tribunal judiciaire a dit, on met ça de côté jusqu'à ce que vous ayez dûment consulté le CSE.
05:42Donc ça, c'est le premier risque de contentieux qu'on a déjà vu.
05:46Il existe peut-être des contentieux prud'homo.
05:49Alors, en ma qualité d'avocat et de conseiller prud'homale,
05:52pour l'instant, je n'ai pas vu de réclamation qui porte de près ou de loin sur l'IA,
05:57mais je les vois venir.
05:58C'est-à-dire que, clairement, l'intelligence artificielle peut modifier une fiche de poste,
06:03donc l'appréciation de la qualité du travail d'un salarié,
06:05puisque si une partie de son travail est faite par l'IA, comment on va apprécier son travail ?
06:09Le licenciement pour insuffisance professionnelle qui en découle sera-t-il justifié ?
06:12Ça peut modifier la rémunération variable des salariés, en termes de productivité,
06:18s'il y a fait une partie du travail, comment on apprécie les conditions, les objectifs, etc.
06:23Ça peut aussi avoir un impact sur la santé mentale,
06:26et on sait que c'est un sujet, on en a déjà parlé ici.
06:29Donc, pour moi, les sources de contentieux sont en germe,
06:32même si je ne les ai pas encore observées véritablement.
06:34Alors, vous l'avez rappelé, le rôle des instances représentatives sont fondamentaux,
06:40le rôle est fondamental, quel rôle concrètement joue le CSE dans l'introduction des systèmes d'IA,
06:45et quelles sont les obligations de consultation, vous l'avez rappelé, avec la jurisprudence ?
06:49Alors, j'ai essayé de comptabiliser, il y a au moins 8 ou 9 articles du Code du travail
06:53qui justifient la consultation du CSE lors de l'introduction d'un dispositif d'IA,
06:58à supposer que ce soit une véritable nouveauté,
07:01et pas simplement la mise à jour d'un dispositif antérieur.
07:03Donc, il est à peu près clair qu'un dispositif d'IA majeur doit être soumis à la consultation.
07:10La consultation, c'est véritablement un partage d'informations en toute transparence,
07:14avec des délais à respecter pour que le comité d'entreprise, je l'appelle encore comme ça,
07:18puisse se faire une idée et poser des questions,
07:21et il doit rendre un avis, qui peut être négatif,
07:23ça n'empêche pas la mise en place du projet,
07:26mais en tout cas, l'avis doit être préalable au déploiement de l'outil.
07:30Alors, on a vu qu'il y a de nombreux risques, qu'il faut aussi consulter le CSE.
07:36Comment concrètement construire une approche responsable sur cette question de l'utilisation de l'IA ?
07:41Comment concrètement encadrer l'usage de ces systèmes ?
07:46On a parlé de la charte, mais est-ce qu'il y a d'autres bonnes pratiques à avoir en tête ?
07:49Alors, il y a d'autres bonnes pratiques, et s'inspirer notamment de réflexions qui ont eu lieu
07:55à des niveaux sectoriels, je pense au secteur bancaire européen,
07:58Syntec, qui a fait un manifeste extrêmement intéressant sur l'utilisation éthique, justement, de l'IA.
08:05C'est-à-dire, à mon sens, ne pas rester le nez dans le guidon et se poser la question
08:09de manière très procédurale de qu'est-ce qu'on doit faire au pied de la lettre,
08:13mais prendre un peu de hauteur par rapport à ces innovations
08:16qui vont venir bouleverser plus largement les équilibres au travail,
08:20et voir quelles sont les conséquences qu'on doit en tirer de manière responsable en tant qu'employeur.
08:25Ça me paraît être de bons conseils.
08:27Alors, vous l'avez dit, la formation, c'est indispensable.
08:29Ça veut dire qu'il faut créer des ateliers régulièrement aussi,
08:33parce qu'on sait que c'est une technologie qui bouge sans arrêt.
08:38Donc, il faut aussi mettre à jour les formations ?
08:40Oui, complètement.
08:42Et alors, ça, c'est ma casquette avocat.
08:43Juridiquement, l'employeur a une obligation d'adaptation des salariés à leur emploi.
08:47Donc, dès l'heure que les méthodes de travail évoluent,
08:49l'employeur doit adapter les salariés à ces évolutions.
08:52Il n'est pas question de laisser sur le carreau des personnes qui ne seraient pas familières,
08:57pas à l'aise avec l'IA.
08:58On doit les accompagner, donc effectivement, faire évoluer nos pratiques de formation,
09:02mettre en place des webinars, des accompagnements sur mesure,
09:05pour embarquer tout le monde et donner une égale idée de chance à l'ensemble des collaborateurs
09:10de monter cette marche de l'intelligence artificielle.
09:12Pour conclure, véritablement, quelles sont les sanctions qu'encourent les employeurs
09:18qui, je dirais, seraient négligents par rapport à l'intelligence artificielle ?
09:23Alors, la sanction dont j'ai déjà parlé, c'est la suspension de ce projet,
09:27c'est-à-dire ne pas être en capacité de le déployer tant qu'on n'aura pas satisfait
09:31à nos obligations de consultation.
09:32Après, pour le reste, ce sont des sanctions qui sont plus conjoncturelles
09:35en fonction de l'impact que ça a sur le contrat de travail.
09:38Je reprends cet exemple du licenciement pour insuffisance professionnelle.
09:42Si on reproche à un collaborateur, par exemple, de mal avoir utilisé l'intelligence artificielle
09:46alors même qu'il n'a pas été formé, le risque, ce sera que le licenciement
09:49sera sans cause réelle ni sérieuse pour défaut d'adaptation du salarié à l'emploi, par exemple.
09:54Donc, attention, on encourage les employeurs à se saisir de cette question.
10:00On va conclure là-dessus.
10:01Merci, Émilie, Mary Jane.
10:02Merci.
10:02Je rappelle que vous êtes associée au sein de Sécrit, Valentin Zerouk.
10:05Tout de suite, l'émission continue.
10:08On va parler de fraude fiscale et de droit pénal.
10:21On poursuit ce Lex Inside.
10:23On va parler de la thèse fraude fiscale et droit pénal,
10:26méthode pour une meilleure articulation des répressions,
10:29une thèse d'Alexandre Lucidarmes, maître de conférences aux universités de Lille et Salamanque.
10:37Alexandre Lucidarmes, bonjour.
10:39Bonjour Arnaud, je vous remercie beaucoup de me recevoir.
10:41Alors, on va parler de votre thèse fraude fiscale et droit pénal,
10:44donc méthode pour une meilleure articulation des répressions,
10:47publiée aux éditions Marre et Martin.
10:50Dans cette thèse, vous êtes intéressé au rapport entre la fraude fiscale et le droit pénal,
10:57tout en proposant une méthode innovante pour mieux articuler les différentes formes de répression.
11:04Avant de rentrer dans le vif du sujet, abordons d'abord votre démarche.
11:09Qu'est-ce qui vous a motivé à choisir ce sujet de thèse ?
11:13Alors, le choix d'étudier ce sujet dans le cadre de mon doctorat résulte de l'observation d'un paradoxe.
11:22En effet, au travers de mes lectures, j'ai pu constater que, depuis une cinquantaine d'années,
11:27les pouvoirs publics présentent la fraude fiscale comme constituant une préoccupation publique prioritaire.
11:35Et cela s'entend aisément lorsque l'on a à l'esprit le fait que la fraude fiscale
11:39ait notamment pour effet de restreindre les capacités de l'État à répondre aux besoins des Français
11:48en matière de justice, de sécurité ou encore d'éducation.
11:52Donc, on a face à nous un véritable fléau social.
11:56Et par ailleurs, que constate-t-on ?
11:58Eh bien, que paradoxalement, ce fléau n'est que très peu sanctionné par les tribunaux pénaux.
12:04Comment vous l'expliquez ?
12:05Justement, dans le cadre de mon travail de thèse, j'ai cherché à comprendre ce paradoxe,
12:11puis j'ai mené une réflexion visant à y mettre fin.
12:14D'accord.
12:15Donc, vous affirmez dans cette thèse que le droit pénal est nécessaire dans la lutte contre la fraude fiscale.
12:21Pourquoi, selon vous, ce recours est-il indispensable ?
12:25Alors, je crois que le recours au droit pénal est indispensable en matière fiscale
12:28pour signifier à l'ensemble des contribuables que la fraude fiscale ne constitue pas un comportement anodin.
12:34Autrement dit, le droit pénal est indispensable pour mettre en lumière la gravité que recèle la fraude fiscale.
12:40Pour le dire encore autrement, je crois que le droit pénal est indispensable en matière de lutte contre la fraude fiscale,
12:46car il a vocation, dans ce domaine, à être l'utile complément de la répression administrative,
12:51car dans un système répressif équilibré et cohérent,
12:55on devrait permettre que les fraudes de gravité minimes et moyennes soient sanctionnées sur le plan fiscal, administratif,
13:03alors que les fraudes présentant une particulière gravité devraient, elles, faire l'objet de sanctions pénales.
13:08Alors, si ce droit pénal est important, c'est peut-être aussi parce que les autres formes de répression montrent leurs limites.
13:16Est-ce que vous pouvez nous éclairer sur ce point ?
13:18Alors, pour répondre à cette question, permettez-moi plutôt de rappeler les avantages
13:23que présente la répression pénale par rapport aux autres formes de répression.
13:27Alors, tout d'abord, le droit pénal, c'est le droit le plus protecteur.
13:31C'est le champ de la répression dans lequel les justiciables bénéficient des garanties procédurales les plus fortes.
13:39Par ailleurs, le recours au droit pénal, mobiliser le droit pénal,
13:43permet de mettre en œuvre les procédés énergiques que procure la procédure pénale,
13:48comme par exemple la géolocalisation,
13:52et ces procédés facilitent la découverte de faits infractionnels
13:56qui sont potentiellement inaccessibles aux agents du fisc,
13:58parce que ces agents bénéficient d'un pouvoir coercitif plus limité.
14:03Est-ce que ça veut dire que l'effet dissuasif du droit pénal
14:08est plus fort que les sanctions fiscales classiques ?
14:12C'est un impact plus important ?
14:14Alors, précisément, oui, c'est l'un des atouts également du droit pénal,
14:17parce qu'il permet d'aboutir à des condamnations ouvertement intimidantes,
14:22parfois même stigmatisantes, qui peuvent s'avérer nécessaires.
14:25Mais le pouvoir dissuasif du droit pénal, j'ose encore y croire aujourd'hui,
14:31mais il ne peut être véritablement dissuasif que si l'on mobilise ce droit avec parcimonie.
14:36Or, lorsqu'on sort du champ fiscal, du domaine fiscal,
14:40on s'aperçoit que telle n'est pas la tendance actuelle.
14:43On a plutôt tendance à avoir une surmobilisation, un surarmement du droit pénal,
14:48et cette surmobilisation, finalement, nuit à l'efficacité même du droit pénal.
14:51Alors, au-delà de ce que vous venez d'expliquer, vous critiquez l'admission du cumul des répressions.
14:57Dans votre thèse, ça signifie quoi, concrètement ?
15:01Alors, en France, un contribuable peut, pour un même manquement fiscal, être sanctionné doublement.
15:08Il peut se voir infliger des sanctions fiscales par l'administration,
15:12et cumulativement, des sanctions pénales par l'autorité judiciaire.
15:16Ce cumul des répressions est permis par le législateur, il est admis par la jurisprudence,
15:24et alors qu'il s'opère en violation d'un principe fondamental de la procédure pénale,
15:29en l'occurrence la règle nebis in idem, selon laquelle nul ne peut être poursuivi deux fois,
15:34nebis, pour un même fait in idem.
15:37Dans ma thèse, je démontre donc qu'il y a une mise à l'écart de cette règle fondamentale en matière fiscale,
15:41et cette mise à l'écart est regrettable, parce que cette règle de procédure pénale, la règle nebis in idem,
15:47vise non seulement à garantir la stabilité des décisions de justice en évitant de fâcheuses contrariétés de décision,
15:54mais elle permet également d'épargner les justiciables du risque d'acharnement judiciaire
15:58qu'ils pourraient potentiellement subir de la part de la puissance publique.
16:01Alors, vous indiquez que, pour vous, ce cumul, c'est une erreur de politique criminelle. Pourquoi ?
16:07Alors, d'après moi, le cumul des répressions, il est admis en France,
16:11parce que l'on pense que les répressions administratives et pénales sont naturellement complémentaires.
16:19Dans le cadre de mon travail de thèse, je prouve précisément le contraire.
16:23Je démontre plus exactement que, tout d'abord, que cette complémentarité n'est ni spontanée ni naturelle,
16:30et que, pour l'obtenir, il est nécessaire de séparer les champs d'intervention respectifs
16:34de chacun des réseaux de sanctions.
16:37Maintenant, pourquoi c'est également une mauvaise idée de cumuler les répressions ?
16:41Quand on s'intéresse aux conséquences pratiques engendrées par ce cumul des répressions,
16:45que constate-t-on ?
16:46Ce cumul des répressions permet notamment de mettre en œuvre une répression potentiellement incohérente
16:53et imprévisible pour les justiciables concernés par elle.
16:57Pourquoi c'est incohérent ?
16:59Parce que, parfois, on a une double répression pour des manquements de moyenne gravité.
17:06Et le juge pénal va sanctionner, alors que le juge fiscal va dire qu'il n'y a pas d'infraction.
17:12Donc, il peut y avoir des incohérences dans la répression.
17:15Mais au-delà des incohérences constatées, ce cumul des répressions aboutit en pratique
17:19non seulement à une instrumentalisation, mais aussi à une marginalisation du droit pénal en matière fiscale.
17:25Et cette marginalisation du droit pénal se traduit par une invisibilisation de la délinquance fiscale.
17:32Et cette invisibilisation de la délinquance fiscale, elle-même,
17:35entretient une certaine forme de tolérance de la fraude fiscale en France.
17:40Alors, comment vous voyez l'évolution des rapports entre le droit pénal et la fraude fiscale ?
17:46Alors, précisément, je plaide dans ma thèse pour la prévision d'une interdiction législative
17:52des cumuls de répression en matière fiscale.
17:56Et je démontre qu'interdire les cumuls de répression permet précisément de mettre en œuvre
18:02une répression à la fois plus prévisible pour les justiciens, mais également plus cohérente,
18:06dans le sens où la répression, lorsque le cumul des répressions est interdit,
18:10serait davantage en adéquation avec la gravité des manquements constatés.
18:15Est-ce que vous pensez, aujourd'hui, il y a une pénalisation importante,
18:20par exemple menée par le garde des Sceaux,
18:23est-ce que vous pensez que les politiques vont aller un peu dans votre sens ?
18:29Alors, en 2018, il y a eu une réforme très importante de la répression
18:33mise en œuvre en matière fiscale avec le déverrouillement partiel du verrou de Bercy.
18:38Et c'est une première réforme qui va dans le bon sens, d'après moi,
18:41mais elle n'est pas suffisante parce que, dans bien des cas encore aujourd'hui,
18:46le système pénal est dépendant de l'administration fiscale.
18:50Et tant que le système pénal n'aura pas retrouvé ou trouvé la même autonomie
18:56que celle dont il dispose en droit commun,
18:58les défauts du système actuel persisteront, selon moi.
19:02Et vous pensez que quelqu'un va se saisir de cette question ?
19:06Peut-être que votre émission permettra à un député de s'intéresser plus en détail à ma thèse
19:13et peut-être qu'effectivement mon travail sera repris dans les années à venir,
19:15je le souhaite évidemment, mais je ne peux pas me prononcer sur cette question.
19:18On va conclure là-dessus. Merci Alexandre Lucidarn.
19:21Je rappelle que vous êtes docteur en droit aux universités de Lille et de Salamanque.
19:27Tout de suite, on enchaîne.
19:28On va parler de la nouvelle procédure de saisie des rémunérations.
19:31On poursuit ce Lex Inside, on va parler de la nouvelle procédure de saisie des rémunérations
19:47avec mon invité Béatrice Ducarrois, membre du Bureau national de la Chambre nationale
19:52des commissaires de justice.
19:54Béatrice Ducarrois, bonjour.
19:56Bonjour.
19:57Alors on va parler de la nouvelle procédure de saisie des rémunérations.
20:00Pour commencer, pouvez-vous nous présenter cette nouvelle procédure ?
20:05Alors c'est une réforme qui est issue de la loi du 20 novembre de 2023
20:11et de son décret d'application.
20:13Elle est entrée en vigueur le 1er juillet 2025.
20:17Donc ça y est, c'est parti.
20:19Cette procédure est désormais confiée au commissaire de justice.
20:24Pour bien comprendre le changement de cette procédure,
20:28je vais peut-être vous parler de l'ancienne procédure.
20:31Donc l'ancienne procédure, il fallait un titre exécutoire
20:35et ensuite vous deviez déposer une requête devant le juge de l'exécution
20:41pour qu'il convoque le débiteur
20:44qui était amené à concilier devant le juge et à trouver un accord.
20:53À défaut d'accord, la saisie était prononcée.
20:55Donc il fallait aller deux fois devant le juge
20:59et avec les longs délais que l'on connaît aujourd'hui de la justice française.
21:04Donc pour améliorer un petit peu cette procédure,
21:10elle a été transférée au commissaire de justice entièrement.
21:13Il faut toujours un titre exécutoire,
21:15mais ensuite c'est le commissaire de justice
21:20qui initie cette procédure par un commandement de payer au débiteur
21:25et il propose en fait au débiteur de négocier un accord.
21:31Là encore, il est possible de trouver un accord avec le débiteur.
21:35Si aucun accord n'est trouvé, la saisie est ensuite engagée.
21:41Donc c'est vraiment le principal changement de cette procédure.
21:45Elle est transférée donc désormais entièrement au commissaire de justice.
21:49D'accord.
21:50Alors on comprend bien que le commissaire de justice
21:53est un acteur clé de cette nouvelle procédure.
21:56Concrètement, quel est son rôle ?
21:58Alors donc son rôle, il va être double.
22:02Donc il y a d'abord un commissaire de justice
22:05qui représente le créancier, qui est le mandataire du créancier
22:09et qui va donc initier cette procédure
22:12et en assurer le suivi jusqu'à la saisie des salaires.
22:21Ensuite, ce dossier est transféré à un commissaire de justice
22:24qu'on va appeler un commissaire de justice répartiteur.
22:27D'accord.
22:27Et ce commissaire de justice, lui, va être chargé
22:31des relations avec l'employeur,
22:35d'encaisser les sommes saisies
22:38et de les reverser, les répartir entre les différents créanciers
22:42puisque quelquefois il peut y avoir plusieurs saisies prononcées
22:46et donc il faut répartir les fonds entre les différents créanciers.
22:51Pour bien comprendre, vous pouvez expliquer
22:53quelques cas de saisie de rémunération concrètement ?
22:56Dans quel cas on se retrouve dans ce type de procédure ?
23:00Alors donc, la saisie des rémunérations,
23:04c'est une voie d'exécution.
23:06On se retrouve dans ce genre de procédure
23:08lorsqu'il y a un défaut de paiement
23:10et qui est constaté par un juge
23:16ou alors aussi on peut engager une procédure
23:20de saisie des rémunérations
23:22sur la base d'un bail authentique.
23:24D'accord.
23:25Donc on se retrouve dans cette situation
23:27en cas d'impayé de n'importe quelle créance.
23:31Ça peut être une créance de loyer,
23:33une créance bancaire, une créance commerciale.
23:37Donc on peut se retrouver dans différentes situations
23:40dans cette procédure.
23:41D'accord.
23:42On a parlé, on a vu cette nouvelle procédure,
23:45mais est-ce que c'est encadré dans des délais ?
23:47Ah oui, oui, bien entendu.
23:49Il y a différents délais.
23:51La procédure commence par un commandement.
23:53Elle laisse un mois au débiteur pour réagir,
23:56donc pour trouver cet accord.
23:58Si cet accord n'a pas été trouvé,
24:00le commissaire de justice a trois mois
24:02pour engager la procédure de saisie.
24:06Donc forcément, il y a des délais
24:07tout au long de cette procédure.
24:09Mais vous n'avez plus les délais de justice,
24:12c'est-à-dire qu'on sait très bien
24:14qu'en France, la justice est quand même
24:15très très encombrée.
24:17Donc ça va permettre de concentrer
24:22maintenant le juge
24:24sur des affaires essentielles et plus importantes.
24:29Pour vous, c'est une bonne réforme ?
24:31Oui, oui, bien entendu.
24:33C'est une réforme d'abord
24:34qui a été entièrement modernisée.
24:38C'est une procédure,
24:39c'est la première fois d'ailleurs
24:40qu'on voit ça dans un texte,
24:41totalement dématérialisée.
24:45Par exemple, la saisie peut être signifiée
24:48électroniquement à l'employeur
24:51s'il a consenti à ce mode de communication.
24:55Donc c'est vraiment une procédure
24:57entièrement dématérialisée
24:59et on le voit tout au long
25:00du décret d'application.
25:02Et ça, c'est assez novateur ?
25:03Oui, c'est assez novateur.
25:05Jusqu'à présent, dans aucun texte,
25:07on voyait, en tout cas dans aucun texte
25:10concernant les voies d'exécution,
25:12on avait vu une procédure dématérialisée
25:15du début jusqu'à la fin de cette manière.
25:17Est-ce que ça rend le travail
25:19du commissaire de justice plus facile ?
25:22Alors, en fait, le commissaire de justice,
25:26oui, d'une certaine manière,
25:28mais son rôle reste important
25:30dans cette procédure.
25:32Il doit veiller au droit des créanciers,
25:34mais aussi des débiteurs.
25:35D'ailleurs, il faut le rappeler,
25:37le débiteur pourra toujours contester
25:39cette procédure, enfin cette saisie,
25:42devant le juge de l'exécution.
25:44Il y a toujours un contrôle
25:46à postériori du juge de l'exécution.
25:48Et cette importance, c'est une garantie ?
25:50Oui, c'est une garantie.
25:51C'est une procédure qui se veut équilibrée,
25:54qui la reste, puisqu'elle l'était avant,
25:57donc qui reste équilibrée
25:58et qui protège aussi bien
26:00les droits des créanciers
26:01que des débiteurs.
26:03Donc il y a un maintien de l'équilibre.
26:05Et ensuite, aussi, vis-à-vis des débiteurs,
26:08il a été maintenu,
26:09donc lors de la saisie,
26:12un reste à vivre sur le salaire.
26:15Donc on ne peut pas prélever
26:16la totalité du salaire.
26:18Donc il n'y a qu'une quotité
26:20qui est saisissable.
26:21Pour finir,
26:22est-ce qu'il y a des bonnes pratiques
26:23à avoir en tête
26:24pour mener à bien ce type de procédure ?
26:30Donc du coup,
26:31à être titulaire d'un titre exécutoire,
26:35on a beaucoup dit dans les médias
26:36que cette procédure se passait de juge,
26:41ce n'est pas le cas.
26:42C'est bien de le rappeler.
26:43Voilà, c'est bien de le rappeler.
26:45Sauf si vous avez un bail authentique.
26:47Là, il s'est considéré
26:48comme un titre exécutoire,
26:50mais sinon,
26:51vous avez toujours, effectivement,
26:53vous avez besoin d'un jugement
26:54pour engager cette procédure.
26:58Vous pouvez me rappeler votre question ?
27:00Juste, l'idée, c'était de savoir
27:03si cette procédure
27:05pouvait apporter
27:07de nouvelles perspectives.
27:09Oui, cette procédure
27:10va être plus rapide
27:11et l'intérêt des créanciers,
27:13c'est de ne pas attendre
27:14trop longtemps
27:15quand on a un impayé.
27:17Donc voilà,
27:18puisque effectivement,
27:19il va déjà falloir
27:20un certain délai
27:20pour obtenir un jugement.
27:22Donc dès qu'on a ce jugement,
27:24on va avoir un commissaire de justice
27:25qui, lui, va pouvoir, en fait,
27:27choisir entre les différentes
27:29voies d'exécution
27:30qui sont à sa portée,
27:31un régime national, d'ailleurs,
27:34des saisies des rémunérations
27:35a été créé
27:36et tenu par la Chambre nationale,
27:38c'est ce que prévoit ce décret,
27:40et qui va centraliser
27:41toutes les procédures
27:42de saisie des rémunérations.
27:44Donc le commissaire de justice
27:47va pouvoir choisir
27:48entre les différentes procédures,
27:50il aura une meilleure lisibilité,
27:52de meilleures informations
27:53pour pouvoir, justement,
27:55choisir la bonne procédure
27:57à engager
27:57pour recouvrer la créance
28:00du créancier.
28:01Donc, en résumé,
28:02c'est une bonne réforme.
28:04C'est une bonne réforme.
28:04On va conclure là-dessus.
28:06Merci Béatrice Duquerroy.
28:07Merci, Gernot.
28:08Je rappelle que vous êtes membre
28:08du Bureau national
28:10de la Chambre nationale
28:11des commissaires de justice.
28:12Merci.
28:13C'est la fin de cette émission.
28:15Merci de nous avoir suivis.
28:17Restez curieux et informés.
28:18À très bientôt
28:19sur Be Smart for Change.
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