00:00L'upcycling est une tendance forte dans le mode et le design.
00:15On va essayer de comprendre tous les enjeux et quelles sont les questions juridiques qui se posent avec mon invité Agathe Zajdela, avocate au sein de DTMV.
00:26Agathe, bonjour.
00:27Bonjour Arnaud.
00:28Alors on va parler en détail de l'upcycling, mais pour bien comprendre, de quoi s'agit-il ?
00:34Alors l'upcycling, comme son nom l'indique, littéralement c'est le recyclage par le haut.
00:40Il y a une définition qui a été retenue un peu officielle, qui est le fait de transformer un produit, un composant ou un déchet pour lui donner une seconde vie.
00:50Et donc un exemple, c'est si on applique ça au domaine de la mode, sachant que ça peut être un peu dans tous les secteurs, une robe qui serait déchirée, la découper et en faire une jupe.
01:01Dans quel contexte aujourd'hui ça se développe ?
01:03Alors il faut savoir que c'est une pratique qui est quand même assez ancienne, qui est évidemment protectrice de l'environnement.
01:09Et elle fait d'autant plus sens aujourd'hui que dans la loi AGEC de 2021, elle a mis en place une interdiction de détruire les invendus.
01:19En fait, les grandes marques, notamment de mode, ont beaucoup d'invendus.
01:24Par le passé, ces invendus étaient détruits et aujourd'hui c'est interdit.
01:28Et donc ça légitime d'autant plus la réutilisation, le réemploi de ces ressources pour leur donner une nouvelle vie.
01:35Et donc intervient dans ce cadre cette tendance de l'upcycling.
01:39Donc il y a la loi AGEC et j'imagine que des plateformes bien connues qui favorisent justement la réutilisation et la diffusion,
01:46la commercialisation de ces produits favorisent aussi tout cela ?
01:50Oui, évidemment. Alors après, il y a tout un tas d'intermédiaires qui se sont aussi spécialisés dans la mise en relation de ces ressources
01:56qui doivent être réemployées, qui ne peuvent pas être détruites.
01:59Et de marques, notamment dans le domaine de la mode, qui ont besoin de textiles et qui cherchent à avoir une démarche éco-responsable.
02:06Donc il y a effectivement cette nouvelle activité d'intermédiaire qui s'est développée.
02:10Sur le principe, transformer un produit et le revendre, est-ce que c'est légal ?
02:14Alors sur le principe, c'est complètement légal.
02:17Après, la question va dépendre de comment on le fait et notamment au regard des droits de propriété intellectuelle,
02:23en fait du titulaire de la marque, de l'enseigne qui a mis initialement le produit sur le marché.
02:29Donc si on se contente d'utiliser un produit qui a déjà été vendu pour ce qu'il est en temps que simple matière première,
02:35on le découpe, on le détruit, on le réemploie d'une autre manière complètement différente, il n'y a pas de problème.
02:41Là où il y a un sujet, c'est si, et malheureusement il y a beaucoup de marques qui s'immiscent dans cette tendance,
02:47on réutilise la marque parce que c'est une marque qui est réputée, qui a du prestige, une marque de luxe,
02:53et on la réutilise pour revendre un produit qui n'a pas été autorisé par le titulaire de la marque,
02:59parce qu'il a été altéré ou modifié sans son consentement.
03:02Dans ce cadre-là, on va se placer sur le terrain de la contrefaçon de marque,
03:06puisque le titulaire d'une marque met sur le marché un produit,
03:10après il ne peut plus s'interdire la revente, c'est ce qu'on appelle l'épuisement du droit.
03:17En revanche, il peut s'y opposer, et c'est légitime, si le produit est modifié ou altéré,
03:21et qu'il est malgré tout vendu sous sa marque,
03:23puisqu'on va associer des pratiques qu'il n'a absolument pas validées,
03:26et qui peuvent être antagonistes à ses valeurs, à son image, etc.
03:29C'est d'autant plus vrai pour les marques de luxe,
03:32qui sont particulièrement attentives à leur image de prestige et du contexte de la commercialisation.
03:38Donc acheter, par exemple, en seconde main, légalement, un vêtement,
03:43je parle du domaine de la mode, mais ça peut être valable aussi pour d'autres secteurs,
03:47acheter un vêtement d'une grande marque, le modifier pour le revendre,
03:53ça, ça pose problème s'il est revendu sous la marque.
03:55D'accord. Du moment que la marque n'apparaît pas,
03:58on peut revendre, il n'y a pas de risque de contrefaçon ?
04:01C'est quoi le curseur ?
04:02Voilà, donc il y a la marque.
04:04Si la marque apparaît, c'est un problème.
04:06Même si elle n'apparaît pas sur le produit lui-même,
04:09ça reste un problème si elle apparaît dans la communication.
04:11Par exemple, on va dire, j'utilise des tissus pour mes vêtements
04:15qui sont issus de telle grande marque, de tel stock dormant,
04:18de tels invendus, ou de tel vêtement de seconde main de telle grande marque.
04:21Donc même si ce n'est pas sur le produit, mais dans la communication,
04:23ça pose un problème.
04:24Mais c'est aussi un problème sur le terrain du droit d'auteur, potentiellement.
04:28C'est-à-dire que si on réutilise tel quel un produit qui est protégé,
04:33donc une création qui est protégée par le droit d'auteur,
04:36que ce soit parce qu'il y a une combinaison de caractéristiques originales,
04:39on a un vêtement complet et on va réutiliser ce vêtement complet
04:42sur lequel on va ajouter des choses, par exemple.
04:45Ou alors il y a un motif original, par exemple un carré de soie,
04:48il peut y avoir un motif qui est original et on va le réutiliser tel quel
04:50pour la poser sur un autre produit. Dans ce cadre-là, on va être aussi
04:54sur le terrain de la contrefaçon du droit d'auteur.
04:56Donc le curseur, c'est en gros ne pas s'immiscer dans le sillage
05:01du propriétaire, de la personne qui a mis sur le marché le produit à l'origine.
05:06L'idée, c'est de s'abstraire de l'origine du produit
05:09et de ne l'utiliser que comme une simple ressource textile
05:13pour créer ses propres produits et les vendre auprès du public.
05:17Et ne pas essayer de capter la notoriété de la marque, le savoir-faire, etc.
05:21Et ce, même si on essaye de mettre des disclaimers, par exemple,
05:25pour dire « attention, moi je le vends avec ma marque,
05:28ce n'est pas des produits de telle marque, ça ne suffit absolument pas. »
05:32En gros, le curseur, on va dire que ça va être la loyauté.
05:34Si on raisonne de manière un peu globale, c'est-à-dire que dès lors qu'on essaye
05:37de capter le prestige associé à une marque, d'une manière ou d'une autre,
05:42même si on met des disclaimers, même si on ajoute sa propre marque,
05:45même si on communique sur le caractère seconde main,
05:48ça ne va pas suffire, a priori, pour considérer que l'activité est légale.
05:53C'est quoi les sanctions possibles en cas de contrefaçon ?
05:57Alors, la contrefaçon, c'est un délit qui est à la fois pénal et civil.
06:02Alors, au pénal, là, on n'est pas tellement dans le cas de figure
06:05où on va agir au pénal, parce que le pénal, c'est plutôt,
06:07il y a une retenue douanière, il y a une grosse saisie,
06:10il y a une perquisition de contrefaçons qu'on appelle serviles,
06:12qui vont être identiques avec la marque, le modèle.
06:15Donc là, on ne se place pas tellement dans ce cas de figure,
06:17même si théoriquement, c'est possible.
06:19Ça va être plutôt une action au civil.
06:21Et donc, ce qu'on risque, c'est une interdiction de commercialisation
06:23et des dommages d'intérêt.
06:25Qui peuvent être importants ?
06:26Voilà. En fait, les dommages d'intérêt, c'est vraiment du cas par cas.
06:29Ça va dépendre de l'étendue de la commercialisation,
06:32de la présentation du public qui a pu être touché.
06:35Ça dépend du préjudice.
06:36Exactement.
06:36Et aussi, surtout, quand on porte atteinte à une marque de luxe,
06:40ça va être les conditions aussi.
06:42Par exemple, il s'agit de commercialiser dans un contexte
06:45qui est particulièrement dévalorisant.
06:47Ça va aussi ajouter au préjudice.
06:49Est-ce qu'il y a déjà des actions qui ont été intentées sur ce fondement ?
06:54Alors, tout à fait. Et notamment, en tout cas, à ma connaissance, il y en a une qui date d'avril dernier,
06:59donc qui est assez récente, qui a été engagée par Hermès contre une société qui vendait des vestes en jeans
07:05sur lesquelles elle a posé des carrés de soie, de seconde main, de différentes marques de luxe, notamment Hermès.
07:13Et en fait, elle capitalisait sur le nom des différentes marques de luxe qui étaient sur les carrés pour vendre ses produits.
07:20Alors, elle avait sa propre marque.
07:21Elle créait ses propres produits, mais elle a posé dessus des carrés.
07:24Donc, il y avait à la fois un changement, une modification du carré, donc du droit d'auteur,
07:30une altération des droits d'auteur, et à la fois une appropriation aussi des marques en question.
07:36Et donc, ça a été considéré comme de la contrefaçon de marques, de droits d'auteur.
07:40Et à noter que dans cette affaire-là, la personne avait invoqué, pour essayer d'exclure sa responsabilité,
07:47le droit à la protection de l'environnement, qui est une liberté fondamentale.
07:51Et une liberté fondamentale peut parfois légitimer une atteinte.
07:56Ça n'a pas été retenu ?
07:58Non, parce que là, il y avait deux libertés fondamentales.
08:01Le droit à la protection de l'environnement, d'un côté.
08:03L'autre, la propriété privée, puisque la propriété intellectuelle, c'est du droit de la propriété.
08:07Et le contrôle de proportionnalité n'a pas permis de considérer que l'atteinte était légitime,
08:12ni nécessaire, puisque les carrés pouvaient être parfaitement réutilisés tels qu'elles.
08:16Ils n'avaient pas besoin d'être modifiés, puisque la marque n'avait pas non plus besoin d'être utilisée.
08:19Donc, le tribunal n'a pas été dupe et a bien vu qu'il s'agissait simplement de tirer profit de la notoriété,
08:27et non d'une vraie démarche dans un souci écologique.
08:31On va conclure là-dessus.
08:32Merci, Agathe Zahdela.
08:34Je rappelle que vous êtes avocate chez DTMV.
08:36Merci.
08:37Tout de suite, on va aborder un autre sujet, la protection de l'environnement par le droit pénal.
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