00:00Dans un monde où l'information circule vite, on a besoin de protéger ses secrets, mais que recouvre la notion de secret des affaires ?
00:20On en parle tout de suite avec mon invité, Olivier de Maison Rouge, avocat chez Lexquerd.
00:26Olivier de Maison Rouge, bonjour.
00:28Bonjour Ado.
00:28Alors on va essayer de voir ensemble ce qu'est le secret des affaires.
00:33C'est un enjeu stratégique pour les entreprises.
00:36Alors tout d'abord, avant de rentrer dans le vif du sujet, qu'est-ce que le secret des affaires ?
00:42Alors si j'en donne la définition juridique, puisque nous sommes sur un plateau qui ne parle que de droit, il faut donner la définition.
00:48Alors il y a plusieurs définitions, puisqu'il y a celle qui est issue de la directive du 8 juin 2016, qui a été adoptée par le Parlement et la Commission européenne.
00:56Et puis on va retenir finalement la définition qui aujourd'hui se trouve dans le Code de commerce, depuis la loi du 30 juillet 2018.
01:03C'est l'article L151.1 du Code de commerce.
01:06C'est trois conditions cumulatives.
01:08Premièrement, une information qui n'est pas connue, alors je vais dire déjà du grand public, mais surtout du secteur économique concerné, c'est-à-dire le secteur concurrentiel.
01:18De telle sorte que ses rivaux, ses concurrents, ses adversaires, éventuellement sur le plan économique, ne connaissent pas ces informations stratégiques.
01:26Deuxièmement, et c'est une condition cumulative, qui a une valeur commerciale, parce que secrète précisément.
01:33Donc finalement, c'est presque une double condition en une.
01:35Et puis troisièmement, qui fasse l'objet de mesures de protection raisonnable.
01:39Donc que l'entreprise soit en capacité de protéger ses propres informations.
01:44Alors on vient de voir les conditions pour bénéficier du secret des affaires.
01:49En quoi ça se distingue de la propriété intellectuelle ?
01:52Alors, c'est un petit peu hybride.
01:55Si l'on fait l'exercice des textes, comme parfois en droit, il faut aller trouver la substantifique moelle, et donc l'origine, dans le traité ADPIC,
02:04c'est-à-dire l'accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce, qui est une annexe du traité de Marrakech de l'OMC de 1994.
02:11Et là, on trouve les trade secrets, qui va être traduit en français par les renseignements économiques non divulgués.
02:16La directive européenne, elle, va traiter des informations économiques non divulguées, de la protection des savoir-faire.
02:24Et en droit français, on va parler du secret des affaires.
02:26Tout ça pour dire que ça ne s'inscrit pas dans la propriété intellectuelle, mais c'en est issu directement.
02:32Et à l'inverse de la propriété intellectuelle, il n'y a pas de titre de propriété, puisqu'une information ne fait pas l'objet d'un droit de propriété.
02:39En revanche, et c'est là où c'est intéressant, et ça peut être cumulatif ou alternatif avec la propriété intellectuelle,
02:45c'est que le secret des affaires va nous permettre de protéger en amont tout ce qui relève de la recherche, de l'innovation,
02:53en matière numérique, avant le droit des logiciels, en matière de brevets, en matière éventuellement, le cas échéant, de droit d'auteur, de développement.
03:00Donc tout ça, c'est le côté cumulatif, et puis c'est le côté aussi alternatif, dans la mesure où on va pouvoir finalement tenir confidentiel des informations technologiques,
03:13de telle sorte qu'elles ne soient pas divulguées, et là c'est tout l'inverse de la propriété intellectuelle, c'est qu'il n'y a pas de divulgation.
03:19Alors on vient de voir les liens et les différences avec la propriété intellectuelle.
03:23Est-ce que ça protège les savoir-faire techniques, par exemple le secret des affaires, pour bien comprendre ?
03:27Alors très précisément, finalement, le savoir-faire a été défini au détour de certains textes, et surtout de certaines jurisprudences en droit français,
03:36et en réalité, c'était quelque chose d'un peu gazeux, ça va du tour de main de l'artisan à des connaissances technologiques précises,
03:45et donc de fait, le secret des affaires a vocation à protéger précisément les savoir-faire, sous toutes leurs formes,
03:51ça peut être des méthodologies commerciales, ça peut être des taux de marge, ça peut être autant d'informations et de connaissances stratégiques,
03:58précisément, le législateur a voulu intégrer cette protection.
04:04J'en veux pour preuve, encore une fois, la directive du 8 juin 2016 s'appelle
04:08« Protection des informations économiques non divulguées et des savoir-faire ».
04:13Est-ce qu'il y a des outils qui permettent de bénéficier de cette protection ?
04:18Alors, in fine, c'est le juge qui va déterminer s'il s'agit ou non de secret des affaires.
04:24Donc, en réalité, c'est une fois qu'on est face à un juge, qu'on se fait attaquer par un concurrent,
04:28on dit « tu m'as volé ma recette », on va se défendre en disant « mais non, ça, ça m'appartient, c'est mon propre secret ».
04:34Voilà comment les choses se déroulent.
04:35Mais ça signifie surtout qu'auparavant, en amont, il faut être en capacité d'avoir identifié ses propres informations sensibles,
04:43ses propres informations qu'on va tenir confidentielles, et donc s'assurer qu'elles répondent aux trois critères énoncés par l'article L151.1 du Code de commerce,
04:54sans quoi le juge va écarter la qualification du secret des affaires, on a déjà de la jurisprudence là-dessus,
04:59et donc l'entreprise doit, en interne, s'assurer, quelque part, d'une identification de ses informations stratégiques.
05:07Ça veut dire qu'il faut faire un audit, c'est ça ?
05:09Un audit en amont, de telle sorte à pouvoir savoir quels sont ses avantages concurrentiels.
05:15Tout ne peut pas être protégé par le secret des affaires, il faut savoir justement, j'allais dire, séparer le bon grain de livret,
05:21et protéger ce qu'il doit être nécessaire.
05:23Alors, une fois qu'on a audité ces informations, qu'on sait quelles sont les informations confidentielles,
05:28ça veut dire aussi qu'il faut sensibiliser ses salariés pour ne pas divulguer ces informations ?
05:35C'est le mot juste, sensibiliser, c'est faire offre de pédagogie.
05:39C'est pas seulement dire, ça c'est secret, vous n'y avez pas le droit,
05:42et de toute manière c'est la diffusion rétreinte et vous n'avez pas le droit d'en connaître, c'est un peu facile,
05:48c'est surtout de faire comprendre aux équipes, aux personnels, aux collaborateurs,
05:52que l'on détient des avantages concurrentiels,
05:56qui nous permettent d'avoir finalement des parts de marché, un chiffre d'affaires substantiel,
06:01un taux de marge aussi, également, et donc finalement d'associer les équipes
06:05à cette nécessité de protéger ces informations essentielles.
06:09Finalement, c'est aussi la défense de l'outil de travail,
06:12et donc les équipes, les collaborateurs doivent y être associés.
06:15Alors, on a vu le cadre juridique du secret des affaires,
06:18mais qu'est-ce qui se passe en cas de violation du secret des affaires ?
06:21Quelles sont les sanctions, les recours possibles ?
06:23Alors, c'est un objet civil.
06:27Il y a eu débat au moment de l'adoption de la loi,
06:29j'en étais le rapporteur auprès de Bercy, de la directive lors de la transposition du texte,
06:34il y avait une voie pénale qui s'offrait,
06:37que l'Europe avait laissée à discrétion des États membres lors de la transposition,
06:41ou bien la loi civile.
06:42Et la protection civile d'abord.
06:45Eh bien, la loi française n'a retenu que la protection civile du secret des affaires.
06:49Pourquoi ?
06:50Parce que le pénal pouvait effrayer le législateur,
06:56et plus généralement les syndicats, les ONG, les associations de presse ou autres,
07:01qui estimaient que c'était un bâton un peu trop ferme, un peu trop fort, un peu trop robuste,
07:07et qui permettait, le cas échéant, de taper un adversaire qui ne serait pas un adversaire économique.
07:13Donc on a voulu circonscrire finalement le champ des sanctions, vraiment au monde économique.
07:18C'est la raison pour laquelle on est parti sur la voie civile,
07:21mais ça n'est pas une responsabilité de droit commun,
07:23c'est une responsabilité spécifique, prévue par le Code de commerce,
07:28et simplement trois atteintes sont susceptibles d'être sanctionnées par le juge.
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