Mardi 9 septembre 2025, retrouvez Sophie Houguenague (CPI, Fondatrice du Cabinet HOUGUENAGUE) dans LEX INSIDE, une émission présentée par Arnaud Dumourier.
00:00Alors le dépôt d'une marque est un acte stratégique pour les entreprises, mais il soulève parfois des questions inattendues.
00:18Peut-on déposer une injure comme marque ? On en parle tout de suite avec mon invitée Sophie Ouggenag, CPI fondatrice du cabinet Ouggenag.
00:27Sophie, bonjour.
00:28Bonjour Arnaud.
00:30Alors le choix d'une marque provoquante peut être stratégique, mais pourquoi certains déposants misent-ils sur des injures ou des termes choquants ?
00:38Oui, alors c'est vrai que la démarche peut paraître assez surprenante, mais on voit passer des dépôts effectivement contenant des injures parfois.
00:45L'idée effectivement c'est de jouer sur la provocation et ça, ça peut faire sens quand on est dans certains domaines, par exemple dans le domaine de la mode,
00:51où on va volontairement miser sur des injures pour rendre les produits plus attractifs, se démarquer des concurrents.
00:59Et donc j'ai fait quelques recherches, j'ai relevé par exemple 50 dépôts de marques sur le mot Beach, B-I-T-C-H,
01:06ou encore pour des produits cigarettes électroniques, une demande de marque Madame Connace.
01:11Donc ça peut être ce cas très volontaire, ça peut être également des erreurs de traduction.
01:17J'ai relevé un dépôt de marques Conn, C-O-2-N-E, pour des appareils de purification de l'eau.
01:25Voilà, on peut penser que l'opérateur chinois n'avait pas forcément conscience de la signification de cette marque sur le marché.
01:31Et puis on peut retrouver aussi des volontés dans le domaine artistique.
01:35Par exemple, on connaît tous les marques Les Enfoirés, où on a vraiment un objectif caritatif noble derrière,
01:40et pourtant c'est bien une injure.
01:43Et enfin, on a des motivations politiques également.
01:46On a récemment vu un slogan, Russian Warship, Go Fuck Yourself,
01:50donc littéralement, navire de guerre russe va te faire foutre,
01:54que l'administration ukrainienne a tenté de déposer au niveau de l'Union Européenne,
01:58pour soutenir son mouvement.
02:00À chaque fois, l'objectif, c'est de se créer un monopole,
02:02c'est pour ça qu'on dépose des marques, pour être le seul à pouvoir utiliser la marque.
02:05Alors, on a vu les motivations.
02:08Les marques contenant des injures ou des termes grossiers,
02:11est-ce qu'elles sont acceptées ? Quelles sont les limites ?
02:13Alors, elles ne sont pas toujours acceptées.
02:15En fait, quand on dépose une demande de marque,
02:17la marque va suivre un chemin, une procédure d'examen,
02:20et les examinateurs vont vérifier que des conditions de validité sont bien remplies.
02:25L'idée, c'est qu'on va attribuer un monopole à quelqu'un,
02:28donc il faut effectivement vérifier que ces critères sont satisfaits.
02:31Donc, on a un premier critère, par exemple, qui est la condition de distinctivité,
02:34c'est-à-dire, est-ce que la marque est susceptible d'être perçue par le public comme une marque,
02:39c'est-à-dire comme identifiant une origine commerciale ?
02:41Et on peut voir, donc, dans ce slogan, par exemple, que je viens de citer,
02:44le slogan ukrainien, qui a été refusé,
02:46parce que ça a été plutôt vu comme un slogan politique, en réalité,
02:50et qu'on ne pouvait pas désigner des produits avec ce signe.
02:54On a un autre critère qui est très important,
02:56c'est la conformité à l'ordre public et aux bonnes mœurs,
02:58et là, l'Office va, par exemple, refuser une marque trop choquante ou trop offensante.
03:03Alors, justement, je vais rebondir sur l'ordre public et les bonnes mœurs,
03:07qui sont des notions parfois évolutives.
03:09Comment on apprécie concrètement l'ordre public et les bonnes mœurs ?
03:12Oui, alors, c'est intéressant.
03:14L'idée, ce n'est pas simplement de se demander si la marque est trop vulgaire
03:17ou un petit peu trop choquante.
03:19C'est vraiment une appréciation très étayée.
03:22J'ai un exemple.
03:24Il y a quelques temps, en 2015,
03:26une société de distribution audiovisuelle
03:29a tenté de déposer « Fuck you, Goethe »,
03:31Goethe comme l'écrivain,
03:32pour des produits et services,
03:34suite à la diffusion de sa comédie allemande
03:36qui a fait grand bruit en Allemagne,
03:37qui a super bien marché.
03:39Et donc, cette marque a été refusée
03:41parce qu'on a considéré qu'elle était trop offensante,
03:44en fait, pour Goethe,
03:45à titre posthume.
03:46Donc, il y a eu plusieurs recours.
03:48Le dossier est monté jusqu'à la Cour de justice de l'Union européenne,
03:51qui a rappelé qu'on devait effectivement vérifier un petit peu
03:54cette norme morale acceptée par la société.
03:58Et en l'espèce, la Cour de justice a rappelé
04:01que la comédie allemande avait été diffusée
04:05sans aucune controverse dans la population.
04:07En gros, ça n'avait pas beaucoup choqué.
04:10Et que même l'Institut Goethe
04:11se servait de cette comédie comme référence pédagogique.
04:15Et donc, la marque a pu être acceptée.
04:17Alors, une fois que la marque est acceptée,
04:19est-ce qu'il y a des moyens de contestation
04:23de l'enregistrement de cette marque ?
04:24Oui, tout à fait.
04:25Quand une marque passe à travers les mailles du filet
04:28de l'examen d'office,
04:30il est toujours possible pour toute personne,
04:33en fait, de venir contester ce dépôt,
04:35s'ils l'estiment juste.
04:38Et parce qu'en fait, on appelle ça des motifs absolus de refus.
04:41Donc, n'importe qui, vous et moi,
04:43pouvons aller attaquer une marque injurieuse.
04:45Et comment c'est apprécié ?
04:47Alors, c'est apprécié.
04:50C'est-à-dire qu'en fait, à chaque fois,
04:52on va soit se référer à la critère de distinctivité.
04:55Est-ce que la marque est susceptible de constituer une marque ?
04:57Ou est-ce qu'on va regarder si la marque est trop choquante
05:00ou trop offensante ?
05:02Alors, on va aller un peu plus loin.
05:04Est-ce que l'interdiction d'une marque par un office
05:08est une interdiction d'usage ?
05:10Eh bien, non.
05:11Il ne faut pas confondre les deux.
05:12En fait, l'enregistrement auprès d'un office,
05:15l'enregistrement d'une marque, c'est la question de savoir
05:18est-ce que vous avez un monopole sur le signe ?
05:20En revanche, un refus de l'office ne veut pas dire
05:23que vous devez cesser l'usage de votre signe.
05:26Donc, il ne faut pas confondre les deux.
05:28On a plein de marques sur le même,
05:30plein de noms de produits plutôt qui ne sont pas enregistrés
05:32et qui sont tout à fait en usage sur le marché.
05:34En revanche, il faut quand même rester vigilant
05:36quand on utilise des termes injurieux
05:39parce qu'on peut être sanctionné pour le simple usage
05:42en l'absence de dépôt sur d'autres fondements
05:44comme la diffamation, le dénigrement
05:47ou l'incitation à la violence par exemple.
05:48D'accord.
05:48Donc, peut-être pas se lancer dans des collections de t-shirts
05:51avec des insultes.
05:52Voilà, avec prudence en tout cas.
05:55Vous parlez de prudence.
05:56Est-ce qu'il y a des conseils pratiques à donner
05:59pour des personnes qui souhaiteraient déposer
06:02des marques qui contiennent des injures ou des termes grossiers ?
06:05Oui, alors tout à fait.
06:05Moi, j'aurais tendance à vous dire
06:07d'aller consulter un professionnel, un CPI ou un avocat
06:10pour qu'il vous éclaire en fait sur les risques
06:13de refus de votre marque et les risques d'annulation.
06:16Parce qu'en fait, une annulation de marque,
06:18ce n'est pas sans conséquence,
06:19surtout si vous avez un petit peu construit
06:21votre business sur cette marque
06:22et que vous avez passé des opérations dessus.
06:24Par exemple, si vous avez donné des licences
06:26à des tiers sur votre marque
06:29et qu'elle est annulée,
06:30les licenciés qui vous ont réglé
06:32et payé des royalties depuis plusieurs années
06:35risquent de ne pas être très contents
06:36et d'engager votre responsabilité.
06:39Qu'est-ce que...
06:39Alors, vous êtes praticien.
06:42Quel regard vous avez sur, justement,
06:45cette pratique de dépôt d'injures
06:47ou de termes grossiers ?
06:48Est-ce que c'est quelque chose
06:49qui revient régulièrement
06:51ou c'est anecdotique ?
06:53Alors, ça reste quand même assez anecdotique.
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