00:00Le droit de se taire est un droit fondamental en droit pénal, mais qu'en est-il dans les procédures de sanction de l'AMF ?
00:17On en parle tout de suite avec mon invité, Philippe Glazer, associé chez Taylor Wessing.
00:22Philippe Glazer, bonjour.
00:24Bonjour Arnaud.
00:24Alors la première question que j'ai envie de vous poser pour démarrer, c'est qu'est-ce que le droit de se taire ?
00:30Le droit de se taire, c'est un droit fondamental reconnu par la Déclaration des droits de l'homme, qui est le droit de ne pas s'auto-incriminer, tout simplement.
00:37On le connaît bien devant le juge pénal, puisque dès la garde à vue, l'instruction ou devant la juridiction répressive, on a le droit de se taire.
00:45Et ces droits sont toujours notifiés par les officiers de police, judiciaires ou par les magistrats.
00:49Et bien depuis peu de temps, finalement, devant les autorités administratives, l'ACNIL, à présent l'AMF, on reconnaît aussi ce droit, qui est un droit fondamental, parce qu'il peut aboutir, lorsqu'il n'est pas respecté, à des sanctions.
01:03Et il est normal, sur le plan processuel, que celui qui est poursuivi, sur le plan de manquement à la réglementation financière, qu'il ne s'auto-incrimine pas.
01:13Donc c'est un droit fondamental.
01:15Un droit fondamental, dites-vous. Qu'est-ce que les décisions récentes apportent à ce droit fondamental ?
01:23Alors, on a été assez gâtés en 2025, cette année, puisque, après avoir statué dans des conditions assez similaires pour une autre autorité administrative, l'ACNIL,
01:34le Conseil constitutionnel, dans le cadre de QPC, de questions prioritaires de constitutionnalité, a considéré que le droit et la protection, et donc le droit de se taire,
01:45devaient être aussi accordés à ceux qui faisaient l'objet de poursuites devant la commission des sanctions.
01:51C'était quoi le raisonnement, pour bien comprendre ?
01:52Le raisonnement, il y a eu deux décisions importantes. Une de mars dernier, qui est venue préciser les choses dans le cadre d'une enquête,
01:58où là, on ne sait pas encore, en théorie, si on va être poursuivi dans la commission des sanctions, et donc si on va être sanctionné sur le plan financier,
02:06ou faire l'objet d'interdiction de l'exercice d'une activité.
02:09Et là, le Conseil constitutionnel a considéré que, dès lors qu'il n'y avait pas de risque de poursuite acquis,
02:16ce droit de se taire n'existait pas, et ne devait donc pas être notifié à la personne concernée par l'enquête.
02:21Et ça a été le cas pour des visites domiciliaires.
02:24En revanche, quand les choses avancent, et que le Collège décide de saisir la commission des sanctions,
02:29et que donc la personne va devoir s'expliquer devant celle-ci,
02:33et bien là, le Conseil constitutionnel, il y a de cela trois mois, le 26 septembre dernier,
02:38est venu figer les choses et dire qu'il y a cette obligation, ce que ne prévoyait pas le code malétaire financier,
02:44de notifier à la personne qui est entendue, aussi bien devant le rapporteur que devant la commission des sanctions,
02:49qui a le droit de se taire, donc de ne pas s'auto-incriminer.
02:52Mais, ça n'existe pas pour les enquêtes.
02:54Alors, pourquoi justement, ça n'existe pas pour les enquêtes, ce droit de se taire ?
02:58Pour ce qui me concerne, ça me surprend un peu, mais il faut être patient.
03:02Il faut être patient, je pense que les choses vont évoluer.
03:05On considère, et c'est ce que dit le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 mars le dernier,
03:10qui concernait une enquête où une visite domiciliaire avait été réalisée,
03:15considère que cette procédure d'enquête a un seul objectif,
03:20de collecter pour les agents de l'AMF des éléments, des informations, des documents.
03:25Il n'y a donc pas, à ce stade-là, prétendument, de volonté de poursuivre l'un ou l'autre,
03:30et donc il n'y a pas de raison de notifier les droits particuliers.
03:33C'est juste prendre des documents ?
03:35C'est prendre des documents, mais c'est intéressant cette décision, si on la lit avec attention,
03:39parce qu'elle vient exiger tout de même des agents de l'AMF
03:42que s'ils viennent à interroger à l'occasion de la visite une personne,
03:47il faut respecter le principe de loyauté,
03:49c'est-à-dire ne pas profiter de cette visite,
03:51qui est autorisée par le juge des libertés et des détentions,
03:55pour obtenir des aveux ou des déclarations qui pourraient auto-incriminer la personne interrogée.
04:01Donc, même si le Conseil constitutionnel ne le dit pas expressément,
04:04on peut penser qu'il y aura une évolution dans l'avenir,
04:07même au niveau de l'enquête,
04:08où peut-être qu'un jour, le droit de se taire sera acquis.
04:11Il faut attendre une prochaine QPC ou une décision ?
04:14Il faut attendre, il faut faire confiance aux avocats
04:16qui sont pleins d'imagination pour retrouver les vices des procédures,
04:20et on peut penser, en effet, qu'en fonction des conditions de l'enquête,
04:26certains tenteront, devant la commission des sanctions, d'obtenir une nullité.
04:30Il faut vivre une enquête de l'AMF, ce n'est pas simple.
04:33Les enquêteurs font leur travail, veillent au respect de la réglementation,
04:37à ce que ceux qui ont manipulé les cours, par exemple, soient sanctionnés.
04:42Mais c'est très intrusif.
04:43Mais c'est très intrusif, et c'est, pardon de le dire,
04:45pour l'avoir vécu, assez violent.
04:47Il y a de la pression, il y a de la pression,
04:49et on prépare nos clients aux enquêtes, aux auditions.
04:51Alors, on va s'intéresser aux recours en cas de non-respect du droit de se taire.
04:55Quels sont ces recours ?
04:57Ces recours, je l'ai indiqué en début d'entretien, c'est quand même un droit fondamental.
05:02On le reconnaît à tout justiciable lorsqu'il est en garde à vue,
05:05devant un juge d'instruction ou un magistrat du siège.
05:08C'est le droit de se taire, et c'est donc fondamental pour ne pas s'auto-incriminer.
05:12Donc, bien évidemment, lorsque l'on considère que ce droit n'est pas acquis,
05:18on peut en demander la nullité.
05:19Ne nous faisons pas d'illusions, alors même que le Code monétaire et financier
05:22n'a pas encore été modifié à la suite de la QPC.
05:25L'AMF, depuis début de 2024, a pris les devants,
05:28et maintenant, lorsque les poursuites sont engagées,
05:30c'est-à-dire une notification de grief est adressée à une entité ou à une personne physique,
05:35eh bien, il lui est rappelé automatiquement qu'elle a le droit de se taire.
05:38Donc, ce droit est effectif ?
05:39Il est effectif.
05:40Pas pour les enquêtes, et c'est peut-être là,
05:42en fonction des conditions du déroulé de l'enquête,
05:44qu'on pourra espérer que les avocats fassent preuve d'imagination
05:48et soulèvent éventuellement une nullité de l'ensemble de la procédure.
05:50D'accord. Alors, certains plaident pour un alignement complet sur le droit pénal.
05:56Est-ce qu'il faut aligner les procédures de l'AMF sur les procédures de droit pénal ?
06:02Ça va dépendre.
06:02Si vous interrogez un avocat, ce que je suis, je vais vous dire oui.
06:06Je pense que c'est d'autant plus important,
06:09puisque même au niveau de l'enquête,
06:10alors même que ce droit n'est pas encore reconnu,
06:12et je l'ai indiqué, il y a quand même une certaine violence,
06:15une confrontation avec les enquêteurs de l'AMF.
06:18Quand je parle de violence, elle n'est bien sûr pas...
06:20C'est une violence morale.
06:22Mais c'est moral, c'est assez impressionnant, c'est comme le garde à vue, il faut le vivre.
06:25Il faut le vivre.
06:26Et donc, je pense que là où déjà on a accordé quand même,
06:30et heureusement, le droit à la personne entendue lors d'une enquête,
06:33d'être assistée d'un avocat, il faut aussi cela.
06:35Et d'autant plus qu'il y a une proposition de loi un peu malmenée,
06:40en ce sens que le calendrier parlementaire n'est pas concentré sur celle-ci,
06:43de loi contre la fraude financière.
06:47Qu'est-ce qu'elle prévoit ?
06:48Eh bien, elle prévoit vraiment un élargissement des moyens de l'AMF,
06:52qui pourra, comme en matière pénale par exemple, utiliser de fausses identités
06:58pour obtenir des éléments, pour pouvoir, si j'ose dire, un peu s'infiltrer dans les dossiers, notamment.
07:05Donc, il y a quand même des pouvoirs accrus qui sont envisagés pour l'AMF.
07:08Ça ne me heurte pas, puisque l'AMF est là pour garantir la stabilité du marché et les droits des investisseurs.
07:14Par contre, il faut des garanties.
07:15Mais il faut des garanties. Ça me semble évident.
07:17Quelles garanties, au-delà de ce que vous avez dit ?
07:19Je crois que l'assistant de l'avocat, le droit de se taire, sont, en mon sens, suffisantes.
07:25Parce que l'avocat, c'est son rôle. Il est là pour préparer, assister son client,
07:28et pouvoir lui dire « vous pouvez répondre ou pas ».
07:31Et je terminerai sur ce point qui me semble extrêmement important,
07:33c'est que l'entrave qui est sanctionnée pénalement, mais aussi financièrement dans le cadre d'amendes
07:39qui sont prononcées par la Commission des sanctions,
07:41c'est un droit qui fait que, lorsque vous refusez de répondre à certaines questions des enquêteurs,
07:45on peut considérer que c'est une entrave à l'enquête.
07:47Et ça, moi, en tant qu'avocat, ça me heurte, parce que donner des informations, oui,
07:51mais on sait la limite, elle est ténue entre donner des informations et prendre le risque de s'auto-incriminer.
07:57Donc, les droits fondamentaux, c'est la présence de l'avocat, elle est acquise, et le droit de se taire.
08:00– Donc, vous attendez quand même des évolutions pour ces garanties en suivant ?
08:04– Oui, je pense qu'elles viendront à un moment ou à un autre,
08:07ça fait quand même moins de deux ans même que les autorités administratives sont contraintes au respect,
08:14lorsque des sanctions sont envisagées, de la notification de ce droit de se taire.
08:19Je pense qu'en matière d'enquête, pour cette phase-là, ce droit va être aussi reconnu à terme, j'en suis convaincu.
08:24– On va conclure là-dessus, merci Philippe Glazer,
08:26je rappelle que vous êtes associé au sein du cabinet Taylor Vessing.
08:29– Merci Arnaud.
08:30– Tout de suite, on continue avec un sujet qui fait débat, l'encadrement des loyers.
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