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Mercredi 10 décembre 2025, retrouvez Fred-érick Amiel (Directeur Droit de la concurrence, Groupe Suez) et Joseph Vogel (Associé Fondateur, Vogel & Vogel) dans LEX INSIDE, une émission présentée par Arnaud Dumourier.
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00:00On poursuit ce Lexi Inside, on va passer au cas pratique et on va s'intéresser à une visite inopinée dans une entreprise numérique.
00:19Comment ça se passe ? Quels sont les droits et obligations de l'entreprise ? On en parle tout de suite et je vais commencer avec vous, Joseph.
00:27Il y a une visite inopinée, les enquêteurs débarquent, comment ça se passe ?
00:36On va essayer de faire en sorte que ça se passe le mieux possible. Je prends l'exemple de l'enquête lourde, visite inopinée en cas d'enquête lourde.
00:45Les enquêteurs arrivent dans l'entreprise aux alentours de 9h. Si la visite a lieu au domicile d'un salarié, ça a lieu plus tôt, ça peut commencer à 6h du matin,
00:55parce qu'il faut être sûr que le salarié soit présent. Naturellement, 6h ou 7h du matin au domicile, là, c'est vraiment très perturbant.
01:04Mais ça peut arriver et ça peut arriver d'autant plus maintenant avec le télétravail.
01:07Il y a eu maintenant un certain nombre d'enquêtes lourdes au domicile des salariés parce qu'ils sont en télétravail et les gens perquisitionnés ont protesté,
01:17mais leurs protestations n'ont pas été acceptées par la jurisprudence. On a considéré que dès lors qu'il y avait télétravail, il fallait bien que les enquêteurs puissent aller au lieu du télétravail.
01:26D'accord. Donc du coup, c'est plus fréquent ?
01:28Oui, c'est depuis le Covid, ça s'est développé. Alors avant, comme le disait Frédéric, c'était surtout au domicile privé des dirigeants.
01:38Maintenant, ça peut être auprès de responsables commerciaux parce qu'ils travaillent chez eux à la maison.
01:43D'accord.
01:44Alors, prenons le cas le plus fréquent dans l'entreprise, donc vers 9h du matin. Donc là, il faut que l'entreprise ait mis en place une organisation pour recevoir les enquêteurs.
01:54Donc il faut qu'à l'accueil, les personnes de l'accueil aient des fiches pour savoir qui prévenir. Donc en général, on dit qu'il faut prévenir les juristes, directeurs juridiques,
02:03puis si le directeur juridique n'est pas disponible, tous les juristes présents ou à défaut le directeur financier, par exemple, pour quelqu'un qui puisse recevoir les enquêteurs.
02:13Il faut vérifier leur carte professionnelle. Il faut recevoir la notification de l'ordonnance pour pouvoir après en prendre connaissance et l'analyser tout au long de la journée.
02:24Et puis, il faut accueillir les enquêteurs le plus vite possible, prévenir les avocats. Donc là, les juristes doivent prévenir les avocats.
02:31Il faut faire attention. Une erreur parfois qui est faite, c'est de laisser un message sur un portable.
02:37Pourquoi c'est une erreur ?
02:38Parce que l'avocat, il ne prend pas connaissance de tous ces messages sur son portable immédiatement.
02:43Nous, ça nous est arrivé dans une répétition où l'entreprise avait laissé simplement un message sur un portable et l'avocat, il en a eu connaissance une heure ou deux heures après.
02:53Donc là, il faut rappeler l'avocat jusqu'à temps de l'avoir ?
02:55Il faut donner comme instruction de toujours parler à un avocat personnellement. Et lorsqu'on appelle le cabinet, demander à parler à un avocat, même si celui qui est sur la liste n'est pas présent, on en prend un autre.
03:09Donc il faut à tout prix faire cela pour que l'avocat puisse venir, ou les avocats, le plus vite possible dans l'entreprise.
03:15Ensuite, il faut installer les enquêteurs dans une salle, dans une salle sans documentation, dans une salle vide.
03:23Il faut organiser une deuxième salle avec un quartier général, où il y aura d'autres avocats, plus des juristes, pour analyser l'évolution de l'enquête au fur et à mesure,
03:33et voir qu'est-ce qu'ils cherchent, et commencer à faire un diagnostic, est-ce que c'est grave ou est-ce que c'est pas grave, pour pouvoir prendre les mesures qui s'imposent.
03:45Et comme je l'avais dit, en fin de journée, il faut prendre des décisions sur les recours qu'on va faire, sur une éventuelle clémence, sur des audits forensiques à organiser.
03:55Voilà un peu le déroulement. Alors il faut également que chaque enquêteur soit toujours accompagné par un juriste ou un avocat.
04:03Il ne faut jamais laisser les enquêteurs seuls avec des salariés, parce que ça peut donner lieu à des auditions informelles très très dangereuses.
04:12D'accord. Et là, le rôle du directeur juridique de cette entreprise numérique, c'est quoi ?
04:18C'est un rôle assez classique, il n'y a pas vraiment de différence à ceci près que, généralement, dans les entreprises numériques,
04:25il n'y a pas tellement de documents papiers, voire aucun document papier.
04:29D'ailleurs, ça fait l'objet d'une réflexion de la part de la Commission européenne, aujourd'hui, qui se pose la question de savoir
04:34est-ce que ça vaut toujours la peine d'aller dans les locaux ou pas, parce que ça engage des frais relativement importants
04:42et ça mobilise énormément de leurs collaborateurs et de leurs collaboratrices.
04:46Donc, ce rôle-là de... Moi, je considère que le directeur, directrice juridique de concurrence, c'est un chef d'orchestre.
04:53Pourquoi c'est un chef d'orchestre ?
04:55Parce qu'il doit penser à tout. Il doit penser à appeler les avocats, il doit penser à organiser l'accueil,
05:02il doit penser à trouver la salle, à appeler l'informatique, à les nourrir, etc.
05:09Donc, en fait, de manière assez reptilienne, il doit penser à tout en 15 minutes.
05:16– Et c'est facile d'orchestrer tout ça ?
05:18– Moi, j'ai une fiche. Moi, je vous dis, j'ai une petite fiche.
05:21– Vous avez une fiche pratique avec toute la checklist à respecter ?
05:24– Exactement. Qu'est-ce que je dois faire ? Qui je dois appeler ?
05:28Alors, on a déjà des salles pré-louées en cas de perquisition.
05:35Donc, chez Suez, on sait que s'il y a une perquisition, les gens qui vont perquisitionner
05:41seront logés là, que les gens de Suez seront logés à tel endroit, pas à proximité.
05:48Surtout pas à proximité. Et comme disait Maître Vogel, suivre en permanence, avoir en permanence
05:55quelqu'un à proximité, si ce n'est à côté des enquêteurs ou des enquêtrises.
06:01Moi, je l'ai vu, lorsque j'étais du côté de l'autorité, des gens qui étaient des enquêteurs simples
06:06et qui ont découvert des choses alors que s'il y avait eu probablement un avocat ou un juriste
06:11ou une juriste, ça ne serait pas passé comme ça.
06:13– D'accord.
06:14– Ils font aussi des auditions informellement alors que ça ne devrait pas être le cas.
06:18Donc, oui, oui, c'est essentiel. Donc, ce rôle de chef d'orchestre est absolument important
06:24de la part du juriste et du directeur juridique puisque c'est sa responsabilité.
06:29Et donc, voilà notre rôle. Et les choses principales se font dans la demi-heure,
06:35dans l'heure qui suit leur arrivée.
06:38– Donc, il faut faire attention tout de suite, être vigilant, être réactif.
06:41– Voilà. Il faut avoir les bons réflexes, savoir qui appeler, comment appeler,
06:45qui prévenir, prévenir évidemment sa hiérarchie qui, elle, après, gérera ça de son côté
06:51en collaboration avec vous, évidemment, puisque c'est vous qui ramenez les informations
06:54d'en bas. Mais, voilà. Donc, ce rôle-là est absolument, à mon sens,
07:03est absolument crucial et la collaboration avec l'avocat est essentielle.
07:10– Avec l'avocat est fondamental.
07:11– Joseph, on est dans une entreprise du numérique,
07:14donc les informations sont sur support numérique, ordinateur, téléphone.
07:19Est-ce qu'on peut protéger les informations sensibles ?
07:22– Alors, il y a deux types de protections possibles.
07:26D'abord, le secret professionnel avocat-client.
07:30Donc ça, ça implique de signaler aux enquêteurs qu'il y a des correspondances avocat-client.
07:35Et dans ce cas-là, aujourd'hui, que ce soit la DGCCRF ou l'autorité,
07:39on va mettre tout ça sur un CD fermé provisoire.
07:41et ils vont vous donner rendez-vous trois, quatre semaines après
07:45pour ouvrir le CD fermé provisoire
07:47et regarder ce qui est confidentiel avocat-client ou pas.
07:51Mais ça implique un travail très important au cours de ces trois, quatre semaines
07:54et un travail avec un forensique,
07:56parce qu'il faut identifier toutes les correspondances avocat-client
07:58que l'on estime devant être protégés.
08:01Et il faut justifier, correspondance par correspondance,
08:03pourquoi ça relève du secret.
08:04– D'accord. Donc c'est long à faire.
08:06– C'est très long. Et si on ne le fait pas,
08:09ce n'est pas reçu, y compris par les juges.
08:11Les juges exigent que, c'est un peu disproportionné aussi,
08:16et asymétrique, parce que l'autorité va tout saisir,
08:19et vous, il faut que vous, pièce par pièce,
08:21vous justifiez pourquoi ça ne doit pas être saisi.
08:24Et il y a un désaccord fondamental actuellement
08:27entre les entreprises et l'autorité de la concurrence,
08:30puisque l'autorité, comme on l'a dit tout à l'heure,
08:32considère que seuls les documents avocat-client
08:36en vue de la défense de l'entreprise,
08:38donc après enquête ou après procès,
08:41sont couverts et uniquement en plus dans les dossiers de concurrence.
08:45– D'accord.
08:46– Donc… – C'est très restrictif.
08:47– C'est très restrictif.
08:48Donc vous avez un désaccord de principe.
08:51Et donc, et lors de l'ouverture des scellés,
08:53ce que nous considérons aussi un peu anormal,
08:55c'est que vous avez en face de vous
08:5710 rapporteurs par équipe de deux
08:59qui vont regarder les correspondances avocat-client
09:02et qui vont dire, oui, ça c'est confidentiel,
09:04ça c'est pas confidentiel.
09:05Entre deux équipes, la même correspondance,
09:08parce qu'il y a des doublons en informatique,
09:10peut être considéré comme confidentiel par les uns
09:12et pas par les autres,
09:14et vous n'avez pas votre mot à dire,
09:16c'est-à-dire que si vous commencez à dire
09:17ça, ça devrait être confidentiel,
09:19ils vous disent en mettre, ça, ça sera devant le juge.
09:22– Donc le dernier mot revient à l'autorité.
09:24– Voilà.
09:25Et on a un désaccord fondamental sur le fait
09:28que nous estimons que les conseils que nous donnons
09:32devraient ne pas être saisies
09:34et que nous estimons que la jurisprudence
09:36de la Cour de justice de l'Union de 2022-2024
09:39et de la Cour européenne des droits de l'homme
09:41disent que toute l'activité de l'avocat
09:43est confidentielle, y compris la consultation.
09:46Ce n'est pas l'avis des rapporteurs de l'autorité.
09:48Donc là, on a un débat de principe
09:50que l'on pose devant les premiers présidents
09:52et devant la Chambre criminelle à la Cour de cassation.
09:56Je pense que le seul moyen de mettre fin
09:58à ces divergences,
10:00c'est qu'un premier président pose une question préjudicielle
10:04à la Cour de justice pour dire
10:06est-ce que c'est limité à la fiscalité ?
10:08Nous ne le pensons pas du tout.
10:10Ou est-ce que ça s'applique aux affaires de concurrence ?
10:12– D'accord.
10:12On va conclure l'émission là-dessus.
10:15Merci à tous les deux d'avoir participé
10:17à ce Lex Inside, le grand débat.
10:19Merci de votre fidélité.
10:22Restez curieux et informés.
10:24À très bientôt sur Bsmart4Change.
10:25– Sous-titrage ST' 501 –
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