Mercredi 10 décembre 2025, retrouvez Fred-érick Amiel (Directeur Droit de la concurrence, Groupe Suez) et Joseph Vogel (Associé Fondateur, Vogel & Vogel) dans LEX INSIDE, une émission présentée par Arnaud Dumourier.
00:00On rentre tout de suite dans le vif du sujet avec notre grand angle sur les visites inopinées en matière de concurrence.
00:19Et pour commencer, on va s'intéresser aux définitions, c'est bien de replacer les choses dans leur contexte
00:24et bien comprendre ce que sont les visites inopinées.
00:27Je vais commencer avec vous, Maître Vogel.
00:30Qu'est-ce qu'une visite inopinée en matière de concurrence ?
00:34Les visites inopinées, c'est une faculté qu'ont les autorités de concurrence
00:40pour mener à bien, de la façon la plus efficace possible, leurs enquêtes.
00:45Elles ont des pouvoirs d'enquête et les visites inopinées font partie de ces pouvoirs d'enquête.
00:50Ça peut intervenir au niveau européen ou au niveau français.
00:53Au niveau européen, les autorités de concurrence, donc la Commission européenne,
00:59a le droit de faire des demandes d'informations, des auditions et des inspections.
01:05Donc là, les visites inopinées font partie de leur pouvoir d'inspection.
01:10Et c'est régi par le règlement 1-2003 qui prévoit des facultés d'inspection,
01:16soit dans les entreprises, soit dans d'autres lieux, y compris le domicile des dirigeants.
01:21Au niveau français, comme dans tous les États membres, c'est régi par la directive ECN+,
01:29qui prévoit un cadre commun minimal aux enquêtes.
01:34Et ce cadre commun prévoit de la même façon des demandes d'informations,
01:39des auditions et des visites au sein des entreprises.
01:44En France, nous avons deux types d'enquêtes, ce qu'on appelle les enquêtes simples,
01:48qui sont prévues à l'article L450-3 du Code de commerce,
01:53où il peut y avoir des visites inopinées.
01:55En général, dans le cas des enquêtes simples, les visites, on prévient à l'avance,
02:00mais elles peuvent être inopinées.
02:01Et dans ce cas, en cas d'enquête simple, les droits des enquêteurs sont assez limités,
02:07enfin relativement limités dans le cas des visites inopinées.
02:10Ils ont quoi comme pouvoir ?
02:11Alors, ils ont le droit de venir dans l'entreprise, de demander à rencontrer des responsables,
02:17de leur poser des questions et de faire des auditions.
02:20Donc, sur procès verbal, ils vont noter les réponses des personnes interrogées,
02:26ils vont demander des documents, mais ils n'ont aucun droit de fouille,
02:30ce n'est pas inquisitoire.
02:32Donc, ils ont simplement le droit de poser des questions et de demander des documents ciblés.
02:36Donc, c'est des visites inopinées, mais avec des effets relativement limités.
02:42En revanche, en cas d'enquête lourde, article L450-4 du Code de commerce...
02:46Là, les enquêteurs ont plus de pouvoir ?
02:48Oui, là, ils ont des vrais pouvoirs de perquisition.
02:50Ils ont le droit de saisir les disques durs, les téléphones, les boîtes mail.
02:55Ils ont le droit de poser des scellés.
02:57Donc, c'est vraiment... Ils sont accompagnés d'officiers de police judiciaire.
03:00Donc, ce sont des gendarmes ou des policiers armés en uniforme.
03:03Donc, là, c'est beaucoup plus sérieux.
03:05Donc, là, c'est une visite qui est toujours inopinée en matière d'enquête lourde,
03:09mais autorisée par un juge, le JLD.
03:12Est-ce que vous avez des exemples pour expliquer un peu ce type d'enquête lourde ?
03:17C'est quel cas ?
03:19Alors, les enquêtes lourdes, il faut que les enquêteurs disposent d'indices.
03:25Alors, ce ne sont pas des présomptions, ce sont des indices graves et concordants.
03:31C'est simplement des indices, mais des indices qui font penser qu'il y a une pratique anticoncurrentielle à découvrir dans une entreprise ou plusieurs entreprises.
03:41Donc, s'ils ont ces indices, ils vont présenter une requête au JLD qui va les autoriser, malheureusement, assez facilement,
03:49sur la base de simples indices, à effectuer ces opérations de visite et saisie.
03:54C'est comme ça que ça se passe.
03:56Alors, il se peut que leurs indices résultent d'une clémence.
04:01Donc, là, ils veulent corroborer ce que le demandeur de clémence leur a dit.
04:04Ou que les indices soient liés, peut-être, à un signalement.
04:08Ou même, s'ils veulent regarder une émission de télévision et que, lors de l'émission,
04:13ils pensent que l'émission pourrait révéler une pratique anticoncurrentielle,
04:18ils vont demander à enquêter, à faire une enquête lourde.
04:21D'accord. Alors, je vais me tourner vers vous, Frédéric, pour aborder un peu le point de vue de l'entreprise.
04:26Maintenant qu'on a ces définitions en tête, quels sont les enjeux pour une entreprise
04:31en matière de gouvernance et de réputation ?
04:34Parce qu'on a vu, ces enquêtes peuvent être très lourdes et avoir des conséquences importantes pour l'entreprise.
04:39Alors, pour une entreprise, c'est tout de suite communiquer en interne,
04:43à la fois aux membres du COMEX, donc le directeur général, évidemment la directrice ou le directeur juridique,
04:49pour les informer de ce qui se passe, communiquer en interne par la voie de mail
04:54pour leur indiquer qu'effectivement il y a en cours une perquisition
04:58et qu'ils doivent collaborer entièrement avec les membres, soit de l'autorité,
05:02soit de la Commission européenne, soit de la DGCCRF, qu'il ne faut s'opposer à rien.
05:06S'il y a des scellés, ne surtout pas casser les scellés, il faut faire extrêmement attention à cela.
05:11Le groupe Suez, malheureusement, et je peux en parler parce que c'est le public,
05:16a en 2008 eu un incident qui lui a coûté quelques millions d'euros.
05:20C'était quoi ?
05:20En fait, il y avait eu un scellé et un collaborateur n'avait pas vu qu'il y avait ce scellé,
05:25a essayé d'ouvrir la porte.
05:27Quand il a senti qu'il y a une résistance, il s'est arrêté,
05:29mais les membres de la Commission européenne essaient d'estimer qu'il y a eu une infraction par rapport à cela.
05:33Et on a été sanctionné, d'abord il y a eu un procès verbal, on a essayé de contester,
05:40et on est allé même devant les juridictions européennes, mais sans effet.
05:44Et puis, prendre des dispositions en interne.
05:47Quel type de dispositions ?
05:48Tout simplement demander aux services, par exemple de nettoyage,
05:51de ne pas rentrer dans les lieux, ou ne pas intervenir dans les lieux
05:54où se passent les perquisitions, où il y a des scellés.
05:58Informer les collaboratrices et les collaborateurs qui sont concernés
06:02de ne pas ouvrir leurs portes de bureau,
06:04de ne pas s'opposer à la saisine de leur téléphone,
06:06à la saisine de leurs ordinateurs,
06:08et de collaborer de manière pleine et entière.
06:11Et voilà, c'est ce genre de choses que l'on dit assez rapidement,
06:16et ne pas communiquer en externe,
06:18ne pas révéler aux clients, aux fournisseurs, à leurs amis,
06:22qu'il y a une perquisition qui est en cours,
06:24ou qu'il y a une perquisition qui a eu lieu.
06:26Puisque, comme on le sait, en tout cas certaines personnes le savent,
06:29les noms des entreprises qui sont perquisitionnées
06:33ne sont jamais révélés par les autorités de concurrence concernées,
06:37et simplement, il peut être dit qu'un secteur,
06:40des entreprises d'un secteur concerné,
06:42font l'objet d'une perquisition.
06:44Donc c'est anonymisé.
06:46D'accord.
06:47Après, il y a deux écoles.
06:48Soit on décide de communiquer de manière proactive,
06:53et dire que notre entreprise fait l'objet actuellement d'une perquisition,
06:57soit on décide de ne pas communiquer en externe,
07:00et pour garder la confidentialité la plus forte sur la procédure qui est en cours.
07:08Qu'est-ce qui fait qu'on va décider de communiquer ou pas ?
07:11La confidentialité.
07:12Tout simplement, est-ce qu'une entreprise a intérêt ou pas
07:15à révéler qu'elle fait l'objet d'une perquisition ?
07:18Ça, c'est une décision qui est prise par le management.
07:20Moi, à titre personnel, je suis de ceux qui pensent qu'il ne faut pas communiquer,
07:23puisque c'est confidentiel, et qu'on n'a rien à gagner à dire
07:27qu'on fait l'objet d'une perquisition de la part soit de la Commission européenne,
07:32soit de l'autorité française de la concurrence,
07:33soit d'une autorité étrangère de l'Union européenne,
07:36soit de la part de la DGCCRF.
07:39Mais si jamais une information fuite,
07:41Maître Vogel parlait d'une émission de télévision
07:43qui révèle un certain nombre d'éléments,
07:46là, on est peut-être obligé de communiquer ?
07:47Non, je ne pense pas.
07:49Après, c'est une décision stratégique
07:52qui est prise par les membres du COMEX,
07:54par le directeur ou la directrice générale,
07:56la directrice juridique ou le directeur juridique,
07:59par les membres de la communication.
08:01Je ne suis pas certain, même s'il y a eu une émission de télévision,
08:04alors je vois très bien à quoi vous faites référence,
08:06c'était sur les palaces parisiens,
08:08où effectivement, il y avait eu une émission qui était passée sur M6,
08:11qui révélait qu'effectivement, il y avait eu un cartel sur les prix.
08:14Et c'était suite à cela,
08:15je peux en parler, parce que j'étais à l'autorité à ce moment-là,
08:17qu'il y avait une saisine de l'autorité sur le sujet,
08:20suite à une volonté de la part du rapporteur général de l'époque.
08:25Mais voilà, moi je pense qu'à partir du moment
08:27où les noms des entreprises ne sont pas révélés,
08:29alors après, il peut y avoir des suspicions
08:31que telle ou telle entreprise fait partie des heureux élus
08:35qui fait l'objet d'une perquisition dans ces locaux,
08:38mais une nouvelle fois, je pense qu'on n'a rien à gagner,
08:40nous, entreprise, à communiquer sur la perquisition.
08:44Donc la vigilance est de mise.
08:46Oui, exactement.
08:47Je suis assez d'accord avec ça,
08:48parce qu'il n'est pas évident qu'il y ait forcément un communiqué de l'autorité
08:52en cas de perquisition.
08:54Nous, on a fait une étude statistique,
08:56finalement, ça n'intervient que dans 25% des cas.
08:59Donc, il n'y a pas de communiqué.
09:00Et s'il y a un communiqué, c'est vrai, comme l'a dit Frédéric,
09:03il est assez général, il dit une enquête est en cours dans tel secteur.
09:07Alors, il est possible que si les journalistes regardent toutes les entreprises
09:10faisant partie du secteur, ils appellent l'entreprise.
09:12Et dans ce cas-là, ce qu'on recommande, nous, c'est une communication passive,
09:15c'est-à-dire uniquement si on est interrogé.
09:18Et elle reste très générale.
09:19Oui, il y a une enquête en cours dans ce secteur.
09:21Nous collaborons à l'enquête, mais pas plus.
09:23Surtout pas, comme a dit Frédéric, pas de communication active.
09:25On va conclure cette première partie là-dessus.
09:29Tout de suite, place au débat pour poursuivre les échanges
09:32sur ces visitines opinées en matière de concurrence.
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