00:00Un fournisseur peut-il encore conseiller des prix de revente à ses distributeurs aujourd'hui sans être en risque ?
00:17On en parle tout de suite avec mon invité Joseph Vogel, avocat associé au sein du cabinet Vogel & Vogel.
00:23Joseph Vogel, bonjour.
00:24Bonjour Arnaud.
00:25Pour commencer Joseph Vogel, en principe, un fournisseur est libre de communiquer ses prix de revente à ses distributeurs,
00:35des prix conseillers de revente, voire même des prix maximum imposés.
00:40Or, vous faites valoir dans différents articles que cette pratique a priori licite peut néanmoins être requalifiée en prix fixe ou minimum imposés
00:51qui sont interdits par le droit de la concurrence.
00:53Pourquoi ?
00:55Alors, vous avez tout à fait raison Arnaud.
00:57Donc, un fournisseur aujourd'hui peut conseiller des prix de revente à ses distributeurs.
01:02Bon, c'est normal puisqu'il connaît le marché, il connaît ses produits, il souhaite un positionnement prix.
01:07Donc, c'est tout à fait normal qu'il conseille des prix.
01:10Même chose, il peut imposer des prix maximum.
01:12Là aussi, c'est normal.
01:13Il souhaite que ses produits ne soient pas revendus trop cher et que les consommateurs payent le juste prix, le prix de marché.
01:18Donc, les prix conseillers et les prix maximum de revente sont normalement tout à fait licites.
01:24Le problème vient du fait que l'autorité de la concurrence a tendance à requalifier très facilement,
01:32trop facilement à notre goût, ses prix conseillers ou ses prix maximum en prix fixe ou minimum imposé.
01:40Donc, le problème vient de la requalification d'un comportement licite en un comportement illicite en une entente verticale de prix imposé.
01:50Donc, vous semblez dire, si je comprends bien, que cette requalification est anormale et excessive.
01:55Comment vous expliquez cette requalification par l'autorité ?
01:59Alors, je pense qu'il y a d'abord un problème de dérive probatoire.
02:04C'est-à-dire que l'autorité de la concurrence a tendance à trouver très facilement des preuves de prix imposé.
02:13On peut raisonner en preuves directes ou en preuves indirectes,
02:17mais elles considèrent par exemple comme preuves directes d'une infraction de prix minimum imposé,
02:23même de simples consultations d'un juriste d'entreprise à ses clients internes,
02:30alertant sur un risque éventuel potentiel.
02:33Et elle va dire que cette consultation, alertant sur un risque, c'est la preuve de l'infraction.
02:39Oui, ça va très très loin.
02:41Comment elle justifie cette interprétation ?
02:43Je pense qu'il y a vraiment une volonté des autorités de lutter contre les prix imposés.
02:49Il faut savoir qu'en Europe, je crois que 76% des affaires de restrictions verticales sont des affaires de prix imposé.
02:56Et lorsque vous recevez une notification de grief pour prix imposé, vous êtes condamné dans 88% des cas.
03:04Oui, donc il y a une volonté de lutter contre l'inflation.
03:08Mais je pense que c'est vraiment une mauvaise idée parce qu'on confond un comportement licite,
03:15les prix recommandés, les prix maximum, et on en fait trop facilement un prix minimum imposé.
03:21Et c'est également une autre dérive probatoire, réside dans un mode de preuve par cherry picking.
03:29C'est-à-dire qu'on va saisir par exemple 2 millions de fichiers, de déclarations, d'emails.
03:37Et sur ces 2 millions, on va en sélectionner une dizaine ou une vingtaine pour dire,
03:43« Oh mais ça, ça ressemble à un indice de prix imposé, en interprétant peut-être un peu à charge. »
03:50Et les 1,999,980 autres pièces ou déclarations qui sont soit neutres ou qui disent qu'il n'y a pas de prix imposé,
04:00on les oublie.
04:01Avec ce mode de preuve, on peut condamner n'importe qui pour n'importe quoi.
04:05Je trouve que ça va trop loin.
04:06Ça laisse moins de liberté aux fournisseurs pour déterminer les prix ?
04:11Oui, parce qu'ils se disent « Est-ce que je peux encore conseiller des prix ? »
04:14Parce que même, ce n'est pas de ma faute, mais de simples dérapages occasionnels de gens que je ne connais même pas
04:23peuvent conduire à une condamnation pour prix imposé.
04:27Donc ils hésitent à utiliser les prix conseillés au prix maximum, bien que ça soit très utile.
04:34Donc en fait, on restreint leur capacité d'orientation des prix sur le marché.
04:39Mais économiquement, je trouve que ça va trop loin.
04:41Alors au-delà de cette pratique de requalification de l'autorité que vous critiquez,
04:46vous critiquez également le test d'invitation et d'acceptation de l'autorité.
04:52C'est un test qui est à savoir sur les indices d'un double test d'invitation à pratiquer des prix
05:01et d'acceptation par les distributeurs.
05:04Pourquoi vous critiquez ce test ?
05:05Alors, je trouve que le test précédent qui était utilisé par l'autorité était beaucoup plus clair.
05:11C'était un triple test pour dire qu'il y a un prix minimum imposé.
05:15On disait qu'il faut que le fournisseur ait évoqué les prix avec ses clients et ses revendeurs.
05:21Bon, prix conseillé, ok, ce n'est pas interdit.
05:24Il fallait ensuite que ces prix aient été appliqués par un très grand nombre de distributeurs.
05:30Ce n'était pas interdit non plus.
05:32Mais il fallait surtout un élément de contrainte, c'est-à-dire qu'il fallait que le fournisseur intervienne auprès de ses distributeurs
05:39pour les forcer à appliquer les prix soi-disant conseillés.
05:44Donc on avait trois conditions qui étaient très claires.
05:48Aujourd'hui, on n'a plus que deux conditions et elles sont très floues.
05:51Donc l'invitation à pratiquer des prix et l'acceptation.
05:56Et on se contente d'un dit très subjectif.
06:00On va se contenter de dire que le distributeur pensait que c'était des prix imposés.
06:06D'accord.
06:06Mais c'est trop subjectif.
06:07C'est trop flou pour vous.
06:08Oui.
06:09Alors, est-ce que cette pratique, elle est conforme au droit européen ?
06:12Alors, nous, nous pensons qu'elle ne l'est pas.
06:14Pourquoi ?
06:14Alors, parce qu'en droit européen, pour qu'il y ait prix minimum imposé, d'après le règlement restriction verticale, qui est vraiment la bible en droit européen,
06:23il faut une contrainte du fournisseur sur le distributeur, c'est marqué dans le règlement,
06:29et il faut également une simple surveillance des prix, ne suffit pas.
06:34Alors que dans la dernière décision de l'autorité, qui est l'affaire du matériel électrique,
06:38il est écrit noir sur blanc que pour eux, il n'est pas nécessaire pour qu'il y ait prix imposé,
06:43qu'il y ait une contrainte, ni même une surveillance des prix.
06:46Donc, là, on va beaucoup plus loin que le droit européen, ce qui n'est pas permis.
06:50D'accord.
06:51On va essayer de se projeter.
06:52Quelles sont les perspectives, selon vous ? Est-ce qu'il peut y avoir des améliorations ?
06:56Oui.
06:56Alors, l'autorité peut toujours améliorer sa pratique, et je pense que ce qui peut conduire à cette amélioration,
07:03c'est notamment la Cour d'appel de Paris, puisque la Cour d'appel de Paris, déjà, avait rappelé l'autorité,
07:08la concurrence à l'ordre dans une affaire Apple, il y a quelques années.
07:13En disant, dans l'affaire Apple, vous avez condamné Apple pour prix imposé, alors que les conditions ne sont pas là.
07:18Donc, la décision avait été réformée entièrement sur ce point.
07:23Et dans l'affaire du matériel électrique, il y a un appel en cours devant la Cour d'appel de Paris.
07:28Donc, j'espère qu'on reviendra à une chose plus raisonnable.
07:31Au-delà de la jurisprudence de la Cour d'appel, est-ce qu'il peut y avoir d'autres améliorations qu'on peut attendre de l'autorité, peut-être, la pratique de l'autorité ?
07:40Oui, alors peut-être sous l'empire du droit européen, peut-être que l'influence du droit européen peut également nous aider,
07:47et sous l'influence aussi des articles des économistes et des juristes qui écrivent et qui disent que l'autorité, par sa requalification, va trop loin.
07:57Tout cela peut aider à changer la pratique décisionnelle de l'autorité.
08:00Pour terminer, vous êtes plutôt optimiste quant à la solution ?
08:03Toujours optimiste.
08:05Je suis très confiant dans la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris.
08:09Je pense qu'on va aller vers une amélioration.
08:11On va attendre alors la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris.
08:15Je vous remercie Joseph Vaugell.
08:17Je rappelle que vous êtes associé, fondateur du cabinet Vaugell & Vaugell.
08:21Merci.
08:21Tout de suite, on va changer de registre.
08:23On va parler fiscalité successorale avec l'éventuelle réforme du pacte d'Utreil.
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