00:00Benoît Peloual nous rejoint à 15h44. Bonjour Benoît.
00:03Bonjour Guillaume.
00:04Directeur de l'investissement pour Natixis Wealth Management.
00:06Vous allez, Benoît, rendre votre verdict et le prononcer dans un instant.
00:10Cet instant, ce moment qu'on va vivre, ce verdict, est-ce que vous l'assumez ?
00:14Tout à fait Guillaume.
00:15On vous écoute.
00:16Eh bien écoutez, ce verdict, c'est que j'estime que les marchés ont de bonnes raisons de s'inquiéter
00:21pour le traditionnel rallye de fin d'année.
00:23Oh ! Oh non !
00:26Vous n'êtes pas de ceux qui pensent que le repli actuel des marchés, au contraire, ouvre la voie à un rallye de fin d'année ?
00:31C'est un peu tôt. Il faudrait un repli probablement un peu plus important pour ce type de configuration.
00:36Mais c'est vrai qu'il y a des vrais signes de nervosité parce qu'on est quand même, l'année est déjà très largement avancée.
00:43On est un peu dans la dernière ligne droite avant la fin de l'année, même s'il reste encore un peu de temps.
00:47Mais on est dans une année où on a déjà des gains assez significatifs réalisés sur les marchés actions.
00:51Et surtout, c'est déjà la troisième année consécutive de gains à deux chiffres sur les marchés actions.
00:56Donc, de ce fait-là, la tentation des prises de bénéfices est déjà relativement importante.
01:01Mais surtout, on voit qu'il y a des vrais signes tangibles de nervosité.
01:05Déjà, si on regarde cette année 2025, que ce soit la volatilité implicite ou la volatilité réalisée,
01:12dans les deux cas, elle est assez significativement remontée.
01:14Le VIX moyen, donc cette volatilité implicite, il est autour de 17 en 2025.
01:18On était plutôt à 14 les années précédentes.
01:21Et la volatilité historique, on le constate, on a eu plus de volatilité depuis le début de l'année,
01:25ce qui fait que cette très bonne performance, elle est de moins bonne qualité.
01:30C'est-à-dire qu'il a fallu prendre plus de risques pour générer cette très bonne performance.
01:35Et puis, dans les mouvements de marché, 2025 se caractérise par une année avec plus de nervosité
01:40puisqu'on a le record du nombre de mouvements en variation quotidienne sur des titres qu'on qualifie d'inhabituels.
01:48Deux ou trois écarts-types sur une seule et même séance.
01:50Et même en taille de capitalisation, on n'a jamais eu autant de mouvements journaliers
01:54qui dépassaient les 100 milliards de dollars sur certains titres.
01:56Donc, il y a vraiment des signes tangibles de nervosité à l'approche de la fin de l'année.
01:59De la nervosité, mais est-ce que le marché ne recule pas sur des peurs plus que sur des réalités ?
02:03Il craint une bulle IA et une déception de la Fed.
02:06Pour l'heure, aucun des deux n'est avéré ni un accident dans l'IA, ni la fin des baisses de taux de la Fed.
02:11On craint tout ça, mais ça n'a pas encore été avéré, ça ne s'est pas matérialisé.
02:15Est-ce que du coup, cette baisse des marchés, cette correction, ne se fait pas un peu dans le vide malgré tout ?
02:19Plus sur des effets psychologiques que sur de la réalité ?
02:21C'est vrai que la question se pose, notamment sur...
02:24Il n'y a pas une raison exclusive, bien évidemment, au contexte qu'on traverse aujourd'hui,
02:29mais un empilement de raisons.
02:30Et effectivement, les deux qui ressortent principalement, c'est cette inquiétude sur cette baisse de taux
02:35attendue pour le meeting de décembre pour la Fed et les questions autour de cette problématique de bulle
02:41et de valorisation de la tech.
02:42Si on regarde ces deux raisons, pourquoi c'est si important et pourquoi il y a autant de nervosité ?
02:46Parce que c'est tout simplement les deux piliers sur lesquels les marchés ont monté ces deux dernières années.
02:49C'est les anticipations de baisse de taux et donc de politique monétaire plus accommodante
02:52et l'enthousiasme autour de la tech et de l'intelligence artificielle.
02:56C'est vrai qu'il y a du psychologique du côté, surtout, de la réserve fédérale américaine
03:00parce qu'en réalité, en un mois, on a eu un effondrement des probabilités de baisse de taux
03:06d'après les marchés, alors qu'il n'y a pas eu de statistiques macroéconomiques publiées entre-temps
03:11puisqu'on était en plein shutdown.
03:12En fait, ce qui a généré ça...
03:13Il y a un mois, le marché probabilisé à 98% de baisse de taux en décembre.
03:17Et aujourd'hui, on est à 40%.
03:19Et surtout, ça s'est fait sans statistiques majeures.
03:23Qu'est-ce qui s'est passé ?
03:23C'est que tout simplement, on a les déclarations des membres de la Fed
03:27qui prennent régulièrement la parole lors des conférences.
03:29Et en fait, on s'aperçoit qu'en dehors de ceux qui sont un peu, je dirais,
03:32acquis à la cause des baisses de taux, dont on le sait,
03:35qui sont peut-être même entachés d'un peu de collusion politique avec l'administration Trump,
03:40les autres membres de la Fed n'ont pas été nombreux à se mouiller,
03:43à se battre pour militer pour une baisse des taux.
03:45Et donc, c'est surtout cet effet, et c'est là où il y a une dimension psychologique
03:48qui a été importante dans les dernières semaines,
03:50qui a fait fortement baisser ses probabilités de baisse de taux.
03:53Parce que du côté des statistiques,
03:55alors il y a quand même du tangible avec l'inflation,
03:57parce qu'on n'a pas eu beaucoup de statistiques,
03:58mais le dernier chiffre de l'inflation,
04:00l'inflation est toujours au-dessus de l'objectif,
04:02mais surtout la trajectoire n'est pas très bonne.
04:04On s'aperçoit qu'on a effectivement un impact des droits de douane,
04:07les produits sensibles aux droits de douane,
04:09comme les vêtements, l'ameublement, les jouets pour enfants,
04:12il y a quand même une pression inflationniste.
04:14Et ça suffit peut-être pour maintenir cette inflation un peu plus persistante,
04:18mais surtout, ça fait qu'elle s'éloigne en termes de trajectoire de l'objectif.
04:22Alors que du côté de l'emploi,
04:24il n'y a pas eu de statistiques qui montrent une amélioration,
04:25mais il n'y a pas eu de dégradation non plus
04:27qui exigerait que la FED soit obligée d'intervenir.
04:29Alors, on parlait de bulles de l'IA éventuelles.
04:33Bon, elle a aussi légitimement le droit
04:36de se dégonfler tranquillement, progressivement,
04:39pas forcément d'exploser totalement.
04:42Il n'y a pas eu, pour l'instant, d'événements de nature
04:44à créer une telle rupture que tout ça vole en éclats ?
04:47Non, absolument pas.
04:48Et pour l'instant, on est dans une phase
04:50où on diminue le risque des portefeuilles
04:52à l'approche de la fin de l'année
04:54et d'une année qui est plutôt bonne.
04:56Et c'est là où il faut être vigilant
04:57et c'est là où il y a potentiellement un risque
05:00sur ce traditionnel rallye de fin d'année.
05:02C'est qu'il y a quand même matière à revisiter
05:04un petit peu l'investment case autour
05:05de la technologie aux Etats-Unis.
05:08Il y a matière à discuter cette situation de bulle.
05:11Déjà, si on regarde,
05:12il faut bien avoir en tête que
05:13la grande force de la technologie
05:15qui justifie ces niveaux de valorisation,
05:17c'est la dimension très qualité du secteur,
05:19c'est-à-dire la visibilité sur les revenus,
05:21une très grande qualité en termes de génération de cash flow.
05:24Mais si vous regardez le rallye depuis fin avril,
05:26ce n'est pas du tout un rallye en faveur de la qualité.
05:28Il y a eu mieux en termes de performance
05:30que les 7 magnifiques.
05:31Il y a toute la technologie non profitable.
05:33Ces sociétés qui ne génèrent aucun profit
05:34ont fait mieux que les 7 magnifiques.
05:37Ce qu'on appelle le S&P high beta,
05:39c'est-à-dire les valeurs du S&P au beta le plus élevé,
05:41c'est-à-dire plus risquées que la moyenne,
05:43très largement surperformées.
05:44En fait, ce rallye est caractérisé
05:46par un appétit assez féroce pour le risque.
05:49Donc ça, ça montre bien
05:50qu'il y a cette dimension qualité
05:51qui n'a pas été l'élément majeur
05:53dans la construction de ce rallye.
05:55Et surtout, et c'est là où il y aurait matière
05:57à avoir effectivement,
05:59à valider les commentaires
06:00autour d'une correction plus importante,
06:02c'est que cette dimension qualité de la tech
06:04commence à être un peu discutée.
06:07Cette visibilité sur les profits,
06:09on va voir là NVIDIA ce qui va être publié,
06:11mais quand on fait de tels investissements
06:12d'infrastructures et dont on sait
06:15qu'il va falloir générer des montagnes
06:17de chiffres d'affaires à l'avenir
06:18pour pouvoir les rentabiliser,
06:20on commence à avoir quelques doutes justement
06:22sur cette génération de profits à l'avenir.
06:24On commence à avoir un peu moins de visibilité là-dessus.
06:26Et l'autre élément, l'autre grande force de la tech,
06:30c'était que le secteur de la tech
06:31auto-finançait tous ses investissements
06:33et était un secteur avec peu d'intensité capitalistique.
06:37Les investissements qui sont réalisés
06:38dans les data centers
06:38augmentent significativement
06:40l'intensité capitalistique
06:41et commencent à être faits
06:42à coups de dettes et plus auto-financées.
06:44Ça dégrade la perception du secteur.
06:46On l'a vu cette semaine encore,
06:47les émissions d'Amazon,
06:49Alphabet depuis le début de l'automne,
06:51il y a eu Meta également, Oracle.
06:52C'est vrai, mais ça peut aussi être
06:54tout simplement de la gestion du capital.
06:55Ce n'est pas forcément le signe
06:56qu'il manque d'argent.
06:57Ça peut être aussi une saine gestion du capital.
06:59Quand on lève de la dette, par exemple,
07:01les intérêts d'emprunts sont déductibles fiscalement.
07:04Il y a là-dessus une forme d'optimisation du capital
07:05de la part de ces gens de la tech.
07:06Donc, est-ce qu'il faut forcément y voir le signe
07:08qu'ils n'ont peut-être pas les moyens de leurs ambitions ?
07:10Non, c'est peut-être juste de la gestion.
07:12C'est ça.
07:12Et c'est pour ça que nous, on reste assez convaincus
07:14que ce n'est pas forcément le risque d'éclatement d'une bulle
07:18et qui se transforme en une forme de crise
07:20et une répétition de ce qu'on a vu
07:21au début des années 2000,
07:23mais plus une correction qui peut apparaître
07:25assez significative,
07:26qui peut en tout cas être un peu plus significative,
07:28simplement, parce qu'on va revenir
07:29sur un scénario un peu plus normal
07:31en termes de perspective de croissance,
07:34prendre en compte ces investissements
07:35qui peuvent apparaître un peu déraisonnables
07:38et les faire revenir un peu à la réalité.
07:40Et c'est pour ça que, si effectivement,
07:42on voit cette correction se matérialiser,
07:43en tout cas être un peu plus significative,
07:45c'est quelque chose qui constituera vraisemblablement
07:47une opportunité pour remettre un peu de risque
07:49dans les portefeuilles.
07:49Donc pour vous, même si les marchés ont commencé déjà
07:51à baisser depuis plusieurs séances,
07:53ça doit continuer ?
07:53De quelle ampleur ça doit continuer
07:55pour arriver, on va dire, au juste prix
07:57ou à quelque chose d'un peu moins bulle-esque ?
07:58Bien évidemment, si on exclut l'hypothèse
08:01un peu catastrophe d'un vrai éclatement de la bulle
08:04et du retour de crainte importante de récession
08:06à cause de ça, vu le caractère macro
08:08de la tech dans l'économie américaine,
08:10on peut encore perdre assez facilement 10%
08:13sur les niveaux actuels.
08:14S&P 500 qui repasserait justement
08:17sous les 6000 points,
08:17c'est tout à fait envisageable,
08:19sans avoir un scénario extrêmement agressif.
08:22Il suffit que la Fed ne soit pas en capacité
08:24de délivrer les baisses de taux attendues
08:25ou en tout cas qu'elle matérialise un scénario
08:27plus progressif de ce point de vue-là
08:29et que l'économie américaine
08:30ralentisse de façon tangible
08:32et vienne simplement s'acheminer
08:33sur ce qui est attendu dans le consensus économiste,
08:35c'est-à-dire en dessous des 2%
08:36pour l'année 2025.
08:38Et puis alors, ça ajoute à tout ça un volcan
08:39qu'on n'avait pas forcément vu.
08:41On le pensait comme une île
08:42au milieu des marchés.
08:42C'est Alain Pitos qui emploie cette image.
08:44Le Japon, considéré comme une île paisible
08:47au milieu des marchés,
08:48on se rend compte que cette île est volcanique
08:50et elle est en train d'envoyer
08:51des signaux d'éruption.
08:52Les taux obligataires japonais
08:53sont aujourd'hui là,
08:53aujourd'hui même sur des taux de 17 ans.
08:55Est-ce que c'est un risque aussi
08:56pour les marchés occidentaux,
08:57ce qui se passe au Japon ?
08:58Alors oui, à notre sens,
09:00ça n'a rien de paisible justement
09:01pour les marchés financiers.
09:02Au contraire, c'est quelque chose
09:03qu'il faut surveiller avec grande attention.
09:05On s'est beaucoup focalisé
09:06sur la dimension politique
09:07autour de la Fed
09:08et le risque d'ingérence politique.
09:10On a au Japon un exemple typique
09:13où on assume quasiment un accord
09:16entre la politique fiscale
09:18et la politique monétaire.
09:19Et c'est là où effectivement
09:20ça peut sembler assez dangereux
09:22parce qu'on peut tout à fait vivre un instant
09:24comme on l'a vécu aux Etats-Unis.
09:26C'est-à-dire que tout simplement,
09:28on met en doute la volonté,
09:30la détermination de la Banque centrale du Japon
09:32à lutter contre l'inflation.
09:33On lui prête l'intention
09:34de plutôt vouloir financer le gouvernement
09:35qui veut beaucoup dépenser.
09:37Et donc on a un risque de perte de confiance
09:39si ça se matérialise
09:40sur les actifs japonais.
09:41Le problème, c'est que comme les Etats-Unis,
09:43peut-être dans une moindre ampleur,
09:44mais le rôle que joue l'économie japonaise
09:47et notamment les actifs financiers japonais
09:49dans l'ensemble des marchés financiers mondiaux
09:51pourrait faire des vagues relativement importantes.
09:53On se souvient de ce qui s'était passé
09:55de façon un peu semblable
09:57avec le mini-budget de l'East Trust
09:59il y a maintenant deux ans.
10:01Donc oui, c'est quelque chose
10:02à surveiller avec beaucoup d'attention.
10:03Le Japon, ce sont des volcans,
10:05il ne faut pas l'oublier,
10:05des volcans aussi au milieu des marchés.
10:07Merci beaucoup de nous avoir accompagnés aujourd'hui.
10:09Benoît Pelloisle pour Natixi,
10:10Sous-titrage Société Radio-Canada