Ce jeudi 4 décembre, Jean-Joseph Boillot, chercheur associé à l'Iris et spécialiste de l'Inde, était l'invité d'Annalisa Cappellini dans Le monde qui bouge - L'Interview, de l'émission Good Morning Business, présentée par Erwan Morice. Il s'est exprimé sur la visite officielle de deux jours de Vladimir Poutine en Inde pour discuter d'affaires, en particulier dans les domaines de l'énergie et de la défense. Retrouvez l'émission du lundi au vendredi et réécoutez la en podcast.
00:00Et alors qu'Emmanuel Macron est en Chine, le Premier ministre indien Narendra Modi reçoit lui Vladimir Poutine pour une visite officielle de deux jours,
00:08l'occasion de parler business, notamment énergie et défense.
00:12Nous sommes en ligne pour en parler avec Jean-Joseph Boileau.
00:14Bonjour, merci d'avoir répondu à l'appel de BFM Business RMC Live ce matin, chercheur associé à Iris, spécialiste de l'Inde.
00:22Avec moi pour vous interroger, Annalisa Capellini.
00:24D'abord, Jean-Joseph Boileau, cette visite, elle ressemble quand même un petit peu à une réponse cinglante aux Européens,
00:30surtout au moment où, je le disais, Emmanuel Macron est en Chine pour essayer de faire en sorte que Pékin pèse sur Moscou pour mettre fin à la guerre en Ukraine.
00:38L'Inde avance à visage découvert, ça ressemble à une prise de position quand même assez claire de continuer à entretenir comme ça le dialogue avec Moscou.
00:47Ah oui, c'est une visite impressionnante, surtout que la confirmation de la venue de Poutine à New Delhi pour le 23e sommet des deux pays a été décidée il y a quelques jours.
01:04Et d'ailleurs, juste dans la foulée, c'était annoncé dans la foulée de la rencontre avec les émissaires américains.
01:11Donc c'est à la fois une réponse cinglante aux Européens, mais aussi assez largement aux Américains.
01:17Jean-Joseph Boileau, on a l'impression que l'Inde essaye vraiment de jouer les équilibristes en ce moment,
01:23donc de garder la relation avec la Russie sans froisser les Américains, en même temps de reprendre un petit peu à discuter avec la Chine.
01:31Est-ce que cette posture de non-alignement est tenable dans un monde qui devient de plus en plus polarisé entre les différents camps ?
01:38– Ah oui, tout à fait. Alors, le concept est plutôt ce qu'on appelle le multi-alignement.
01:45Multi-alignement. Plutôt que le non-alignement, cette fois-ci, on essaie d'être copain-copain avec tout le monde.
01:51Et donc, le multi-alignement, c'est la stratégie désormais de la plupart des pays émergents du Sud-Global,
01:59même si on a tendance à voir qu'avec les BRICS, c'est un alignement sur une sorte de triumvirat anti-occidental.
02:10Non, en réalité, on a vraiment aujourd'hui, on le voit avec l'Arabie saoudite aussi d'ailleurs,
02:16une stratégie de multi-alignement qui repose sur un constat très simple,
02:22c'est qu'il n'y a plus véritablement de camp Est-Ouest, etc.
02:28Et que chacun va essayer de tirer ses marrons du feu en jouant sur,
02:33eh bien, tu as besoin de moi, il faut que tu m'offres quelque chose.
02:37Donc, Poutine a besoin de l'Inde, c'est ça que quand même cette visite montre.
02:40Poutine a besoin de l'Inde, et en même temps, l'Inde ne veut pas dépendre des États-Unis,
02:45et donc elle le fait à jeu d'équilibriste.
02:48– Mais la guerre a largement renforcé les liens commerciaux entre les deux pays,
02:52l'Inde et la Russie, ça a ressoudé le bloc, là, Jean-Joseph Boileau.
02:56L'Inde, d'ailleurs, on peut voir avec le pétrole, par exemple, elle est devenue complètement accro.
03:01Elle est passée de 2% d'importation de pétrole russe en 2021 à 33% aujourd'hui.
03:07Donc, la guerre a vraiment propulsé ces échanges commerciaux.
03:11– Oui, alors, on est dans le monde indien, dans un monde qu'on appelle d'opportuniste.
03:20Opportuniste. Alors, ça veut dire quoi ?
03:22Ça veut dire que, effectivement, dès lors que le déclenchement de la guerre
03:27s'est traduit par des sanctions contre la Russie,
03:31ces exportations de pétrole et de gaz,
03:33l'Inde, qui a des entrepreneurs assez exceptionnels, ça c'est évident,
03:38le pays n'est pas dans une excellente forme et il a un fonds d'entrepreneurs exceptionnels,
03:43ont réussi un taux de force qui, en l'espace de deux ans,
03:46de pouvoir raffiner, puisqu'il s'agit d'un raffinage,
03:51de pouvoir raffiner des millions de tonnes de pétrole russe
03:53et surtout de les réexporter vers le reste du monde
03:56et en particulier vers les États-Unis.
03:59Donc, c'est vrai que ça a été un élément clé.
04:03Et ça ne veut pas dire qu'à l'avenir, ça va continuer.
04:06L'Inde vient d'annoncer qu'elle allait diminuer à peu près de 50%
04:09ses importations de pétrole russe pour faire plaisir aux États-Unis, entre guillemets.
04:14Bon, 50% de quelque chose qui avait plus que quadruplé,
04:18ça veut dire qu'il va rester quand même pas mal de pétrole.
04:20Oui, vous avez raison, il y a un resserrement des liens entre la Russie et l'Inde.
04:26Ça ne veut pas dire que c'est quelque chose qui est durable pour l'avenir.
04:29C'est quelque chose de peut-être momentané qui correspond à la conjoncture,
04:34à l'opportunité du temps.
04:38Et Jean-Joseph Boileau, on sait que ces relations entre l'Inde et la Russie
04:42se font, vous l'avez dit, sur le pétrole,
04:44mais qu'un autre pilier de cette relation, ce sont les armements.
04:48Une grande partie de l'armée indienne est constituée en fait d'équipements russes.
04:52Jusqu'où ils peuvent aller dans la compénétration de leurs armées ?
04:58Alors, c'est une question extrêmement intéressante
04:59parce qu'elle teste ce concept de multi-alignement.
05:05En réalité, si vous regardez l'évolution des achats d'armement de l'Inde,
05:10donc l'Inde est le premier importateur mondial d'armement,
05:13de très loin désormais.
05:14Vous avez en fait depuis quelques années
05:18un véritable redéploiement de ces importations d'armement.
05:25Le poids de la Russie n'a cessé en réalité de décliner.
05:29C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je pense
05:31le président Poutine lui-même a décidé de venir
05:34parce qu'il commençait à y avoir dans la relation entre l'Inde et la Russie
05:40pour l'armement, il y avait du gaz dans l'eau.
05:46Pourquoi ?
05:47Parce que la France est rentrée sur le marché.
05:50Les Rafales, mais bien au-delà des Rafales, les Scorpene, etc.
05:52Et la France, en quelques années, est devenue le deuxième,
05:55troisième fournisseur d'armement.
05:58Alors, il y a des raisons qui tiennent au fait que la Russie
06:00n'est pas capable d'approvisionner les Indiens,
06:05mais il y a surtout la volonté des Indiens
06:07de ne pas dépendre précisément d'un seul fournisseur.
06:10Vous voyez, ils ont raison de chercher à mettre les œufs dans différents paniers.
06:15Attention, les États-Unis aussi sont là.
06:18Et il est tout à fait probable que dans la négociation commerciale
06:21qui est en train de se jouer, qui est en cours entre les États-Unis et l'Inde,
06:27il y a sur la table, l'Inde offre non seulement la réduction
06:31des importations de pétrole russe,
06:34mais il y a aussi des achats d'armements américains
06:37qui, très probablement, vont être confirmés.
06:42Israël est également devenu le troisième fournisseur de l'Inde.
06:46Donc, il y a, si vous regardez la panoplie des fournisseurs d'armement de l'Inde,
06:50un multi, précisément, approvisionnement.
06:53Merci beaucoup Jean-Joseph Boileau pour ce décryptage avec nous en direct ce matin.
06:57Chercheur associé à l'Iri, spécialiste de l'Inde.
Écris le tout premier commentaire