00:00On débute ce Lexi Inside par l'affaire du Némagon, ce scandale sanitaire.
00:17Au centre de ce scandale, le Némagon, un pesticide qui a contaminé des millions de travailleurs,
00:24des milliers de travailleurs au Nicaragua, qui travaillaient dans des plantations de bananes.
00:31Ces travailleurs ont obtenu des décisions de justice au Nicaragua.
00:37Ils ont réussi à faire condamner trois multinationales de la chimie qui commercialisaient ce Némagon.
00:44Mais aujourd'hui, cette décision n'a toujours pas été exécutée.
00:48Pourtant, elles ont été condamnées à 805 millions de dollars.
00:52Et également, ces 1245 victimes qui réclament d'être indemnisées devant les tribunaux français.
01:01On en parle tout de suite avec mon invité, Raphaël Kaminski, qui représente les victimes du Némagon en France.
01:07Raphaël Kaminski, bonjour.
01:09Bonjour Arnaud.
01:10On va revenir sur ce scandale sanitaire qui dure depuis des décennies.
01:15Pouvez-vous revenir sur ce contexte pour bien présenter l'affaire ?
01:19Oui, bien sûr.
01:20Alors, vous avez parlé du Némagon, en fait, c'est le DBCP, le nom générique, le Dibrochloropropane,
01:25qui est un produit chimique qui a été utilisé depuis les années 50 dans les plantations de bananes un peu partout dans le monde.
01:31Sauf que depuis les années 60, à peu près 70, il a été interdit partout dans le monde, dans tous les pays développés,
01:37notamment aux Etats-Unis, suite à des rapports dramatiques qui avaient été révélés par les autorités
01:42et par les entreprises multinationales qui le produisaient et le commercialisaient,
01:46démontrant que ce produit provoquait des cancers, provoquait des difficultés respiratoires, des problèmes de foie et surtout des problèmes d'infertilité.
01:55Donc de nombreuses pathologies.
01:56Il a été interdit aux Etats-Unis dans un premier temps, il y a eu des rapports du Sénat, de l'OMS,
02:02mais ces multinationales ont continué à le produire et à le commercialiser en Asie
02:06et principalement en Amérique centrale et notamment au Nicaragua,
02:10où nos 1245 clients ont été exposés et contaminés par ce produit.
02:14Donc les victimes ont commencé à s'organiser à peu près dans les années 90.
02:19Comment ça s'est construit un peu, cette défense des victimes ? Comment elles se sont organisées ?
02:24Exactement. C'est à partir de cette période-là que les personnes ont commencé à se rassembler sous forme d'associations.
02:29Il y a eu des personnes qui se sont chargées de les assister,
02:32puisqu'on parle de personnes qui sont souvent très pauvres, parfois analfabètes, illettrées,
02:37et donc incapables de se défendre ou de se représenter en justice.
02:40Donc il y a des associations qui ont été montées
02:42et il y a surtout cette loi qui a été adoptée au Nicaragua,
02:45la loi 364, qui a été adoptée en 2001
02:48et qui offrait un forum pour ces agriculteurs nicaragoyens pour se défendre.
02:57Et je me permets de préciser un point important,
02:59c'est que cette loi a été adoptée en 2001 à la suite de décisions américaines
03:02qui reconnaissaient l'incompétence des décisions des juridictions américaines
03:07sur le fondement du forum non-convenience,
03:09qui est un concept de droit qui dit qu'il vaut mieux aller voir ailleurs,
03:12dans un endroit qui serait plus adapté, en l'occurrence au Nicaragua.
03:16D'accord.
03:16Alors ensuite, les victimes n'obtenant pas réparation,
03:21elles ont eu quand même des jugements au Nicaragua,
03:24donc je l'ai dit en introduction, 805 millions de dollars,
03:27c'est conséquent, mais ces sommes ne sont jamais arrivées aux victimes.
03:31Donc pourquoi ces victimes ont choisi de faire une procédure d'exécuature en France
03:36pour faire exécuter ces jugements ?
03:38C'est vrai que cette situation pourrait paraître un peu incongrue,
03:41mais il y a eu pas seulement une décision,
03:44mais il y a eu six décisions rendues par les différentes juridictions
03:47entre 2006 et 2013 au Nicaragua,
03:49de la première instance appel, puis Cour suprême du Nicaragua.
03:53Et effectivement, face au refus d'exécution des juridictions américaines
03:56et des multinationales américaines,
03:58les plaignants ont décidé de se tourner vers la France.
04:00Pourquoi la France ?
04:01Parce que le droit nicaragoyen est très proche du droit français,
04:05c'est un droit civil de la même famille,
04:08et surtout parce que la France est une porte d'entrée vers l'Europe,
04:10où ces multinationales disposent d'un certain nombre de biens,
04:13biens qui ont d'ailleurs été saisis pour certains,
04:15il y a eu une saisie qui a été faite assez retentissante en 2019
04:18contre une usine d'une de ces sociétés en Allemagne,
04:22et l'obtention de l'exécuature en France
04:24permettra l'exécution de cette décision,
04:26de ces décisions partout en Europe.
04:28Donc c'est une porte d'entrée vers l'Europe
04:30pour permettre l'exécution de ces décisions.
04:32Alors l'introduction de la procédure d'exécuature a eu lieu en 2022,
04:38le TGI de Paris a rejeté cette demande,
04:41pourquoi il a rejeté cette demande ?
04:43Alors l'introduction en 2018, décision en 2022,
04:45effectivement c'était une longue procédure,
04:47et le tribunal judiciaire de Paris a rejeté,
04:50a refusé l'exécuature,
04:52considérant, ça peut paraître là aussi un peu incongru,
04:55que les juridictions nicaragoyennes n'étaient pas compétentes.
04:57Donc c'est assez étonnant comme décision,
05:01et c'est ce qu'on a beaucoup critiqué devant la cour d'appel,
05:03mais on y viendra.
05:04C'est quoi le fondement ?
05:05Alors le fondement, c'était de dire qu'en fait,
05:07l'article 7 de la loi 364 nicaragoyenne,
05:11prévoyait un système d'opt-out,
05:13donc en réalité les sociétés défendraient ce multinational américain,
05:16avait la possibilité de refuser d'aller devant les juridictions nicaragoyennes,
05:20dès lors qu'elles se soumettaient inconditionnellement aux juridictions américaines.
05:24Pour nous, c'est une erreur de droit,
05:27puisque le tribunal judiciaire n'avait pas à rentrer dans les détails de cette loi nicaragoyenne,
05:32ce n'est pas une révision qui doit être faite dans le cadre d'une exécuature,
05:35mais simplement un contrôle de la compétence indirecte,
05:38qui consiste en deux critères très simples,
05:40est-ce qu'il y a une compétence exclusive des juridictions françaises ?
05:42Il n'y en avait clairement pas là.
05:44Et est-ce qu'il y a un lien caractérisé avec les juridictions qui ont rendu la décision ?
05:48Et on ne peut pas dire le contraire, il y en avait clairement un en l'espèce.
05:51Donc les victimes ont décidé de faire appel.
05:54Qu'est-ce que vous avez soulevé comme moyen en appel pour essayer justement d'avoir gain de cause pour les victimes ?
06:00Alors, je viens de vous les exposer sur la question de la compétence.
06:03On a rappelé qu'en réalité il y a trois conditions très simples à l'exécuature,
06:06et que malgré tous les efforts qu'on fait et que feront et qu'on continue à faire les défendresses,
06:13c'était finalement un dossier relativement simple et qu'on demandait simplement à la Cour d'appel
06:15d'appliquer les critères de l'arrêt Simic, de l'arrêt Cornelicienne,
06:20qui sont les décisions majeures en termes d'exécuature devant les juridictions françaises.
06:24Donc le délibéré sera en février prochain.
06:27Qu'est-ce que vous attendez de la décision de la Cour d'appel ?
06:31Eh bien, on attend une affirmation de la décision du tribunal judiciaire
06:33et on attend enfin la reconnaissance de ces décisions nicaraguayennes
06:37après plus de 20 ans d'attente à la suite de ces décisions qui condamnent,
06:43vous l'avez rappelé, à 805 millions de dollars.
06:45Avec intérêt, aujourd'hui on a plus de 2 milliards.
06:47Donc on parle de sommes considérables et on parle de milliers de personnes
06:51dont la vie est en jeu, puisque ces personnes meurent les unes après les autres
06:56avec le temps qui passe.
06:58En raison de l'exposition à ces médicaments et en raison du temps qui passe
07:01et de ce temps qui a été gagné au gré de ces procédures
07:05et de ces arguments de procédures soulevés par les défendresses.
07:08Si jamais vous n'obtenez pas de gain de cause
07:12ou si on va dire que vous avez un résultat partiel,
07:16simplement d'une certaine somme qui ne satisfait pas les victimes,
07:21est-ce que vous imaginez de faire un pourvoi en cassation ?
07:24Alors je pense que si on a gain de cause, on ne fera pas de pourvoi
07:26parce que je crois qu'on a vraiment des clients qui attendent le résultat
07:30de cette décision favorable aussi comme une question de principe au-delà du montant.
07:36En revanche, si on perd, oui bien sûr on ira en cassation.
07:38Malheureusement, je crains que même si on gagne,
07:40il y aura un pourvoi en cassation des parties adverses
07:43et donc que le combat va encore continuer quelques années.
07:45Quelques années, ça veut dire qu'on peut se projeter à 5-10 ans ?
07:48C'est quoi la durée sur ce type de procès ?
07:51Un pourvoi en cassation aujourd'hui, on peut espérer qu'entre un an, un an et demi,
07:56on aura une décision de la Cour de cassation.
07:59Maintenant, s'il y avait une cassation et un renvoi,
08:01on pourrait repartir sur deux ans de procédure devant la Cour d'appel.
08:03Donc c'est potentiellement entre, on va dire, un et quatre ans de procédure encore à venir.
08:08Pour finir, vous êtes confiant ?
08:10Je suis très confiant.
08:12Je suis très heureux du travail qui a été fait par mes équipes sur ce dossier.
08:15Les équipes de Ténipi qui ont travaillé d'arrache-pied jour et nuit
08:19pour pouvoir défendre ces dossiers, c'est des dossiers hors normes
08:22qui nécessitent un travail considérable pour des clients qui parlent espagnol,
08:26qui produisent des pièces en espagnol,
08:28et face à des adversaires redoutables et très bien préparés et très bien représentés.
08:31On va suivre tout ça avec intérêt.
08:33Merci de nous avoir présenté l'affaire du Némagon.
08:36Je rappelle que vous êtes avocat associé chez Téniépic
08:39et que vous représentez les victimes du Némagon.
08:41Merci Raphaël.
08:42Merci Arnaud.
08:43Tout de suite, on change de décor.
08:45On va parler de TikTok Shop et des enjeux juridiques soulevés par cette plateforme.
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