00:00La Commission européenne a sanctionné les marques de luxe Gucci, Chloé et Louévé d'une amende record de 157 millions d'euros pour avoir imposé des prix de revente à leurs revendeurs indépendants.
00:26On va décrypter cette actualité avec mon invité, Sarah Pommard, associée chez Nomos, également docteur en droit de la concurrence.
00:35Sarah Pommard, bonjour.
00:37Bonjour Arnaud.
00:38Alors on va décrypter ensemble cette décision, mais pour bien comprendre, qu'est-ce qui était reproché à ces marques de luxe connues pour leur élégance et qui cette fois sont sanctionnées pour des pratiques anticoncurrentielles ?
00:53Alors, comme vous l'avez dit, le 14 octobre dernier, la Commission européenne a infligé des amendes aux trois marques Gucci, Chloé et Louévé pour avoir imposé leur prix de revente à leurs détaillants,
01:09en violation des règles du droit de l'Union européenne, du droit de la concurrence plus précisément.
01:15Ce qui a été reproché concrètement, et la Commission a relevé dans son communiqué de presse, on attend que les décisions soient intégralement publiées,
01:26et que du côté des marques, il y avait une obligation faite par chacune des marques assez détaillants de ne pas s'écarter des prix recommandés par la marque,
01:41dans les prix de revente par les détaillants aux consommateurs, des taux de remise maximaux indiqués par les marques,
01:48des périodes de soldes déterminés par les marques, et parfois, temporairement, il y avait, selon la Commission, une interdiction faite par les marques aux détaillants de proposer des remises aux consommateurs.
02:02Et toujours du côté des marques, ce qu'a relevé la Commission européenne, est que pour faire respecter cette politique de prix imposé,
02:15les marques surveillaient les prix des détaillants et les relançaient dès qu'il y avait un écart par un détaillant par rapport au prix.
02:24D'accord, donc à chaque fois, il y avait une relance sur les prix.
02:27Exactement, et c'est un point très important, on va le voir, dans la grille d'analyse relative aux prix de revente imposés.
02:34Donc ça, c'est du côté des marques, mais aussi, pour qualifier l'infraction, la Commission a relevé que, du côté des distributeurs,
02:42ils s'y pliaient, généralement, à la politique de prix imposé, soit d'emblée, soit après y avoir été invité par les marques,
02:51et selon la Commission, tout cela a causé notamment une atteinte à la concurrence,
02:57notamment la concurrence entre les détaillants et entre les détaillants et les marques elles-mêmes,
03:03qui ont leur propre circuit de vente intégré, en ayant harmonisé les prix.
03:09D'accord, donc il y avait une vraie organisation de cette pratique de prix imposé, c'est ça ?
03:13Exactement, ce qui est quand même important à préciser, Arnon, est que c'est une pratique qui reste verticale.
03:19La Commission a dit très clairement qu'il n'y a pas d'entente entre les marques, on n'est pas dans l'horizontale,
03:25on est vraiment dans des pratiques indépendantes les unes des autres entre les marques et leurs détaillants.
03:30Alors, on a vu maintenant le contexte, les faits, on va s'intéresser maintenant aux conséquences.
03:36Quelles sont les implications de cette décision, notamment pour les fournisseurs ?
03:40Ça, c'est un point très important, parce qu'en termes d'implication, en effet, de ce qu'on a aujourd'hui des trois décisions,
03:50c'est qu'il y aurait une implication générale et une autre plus pratico-pratique.
03:56D'accord, au point de vue général ?
03:57Voilà, d'un point de vue général, d'abord tous secteurs confondus.
04:01On peut noter, clairement, dans le communiqué de presse de la Commission,
04:04que, malgré, en dépit de toute la littérature économique,
04:09qui montre que les pratiques de prix imposés peuvent avoir des effets favorables
04:13sur la concurrence dans certaines situations,
04:16et que, par ailleurs, on a eu une décision très importante de la Cour de justice en 2023,
04:21l'arrêt Superbank, qui a dit que les pratiques de prix imposés
04:24devraient être appréciées de manière plus circonstanciée,
04:29en prenant en compte le contexte, avant leur qualification de restriction par objet.
04:35Malgré tout cela, on voit quand même, dans cette décision,
04:37une volonté vraiment affirmée d'avoir une approche rigide et stricte
04:43concernant ces pratiques-là, et le secteur du luxe n'y échappe pas,
04:47parce que la Commission l'a dit très clairement dans son communiqué
04:50que ces pratiques ne seront pas tolérées, quoi qu'on achète.
04:56Donc, elle est très vigilante sur ces pratiques.
04:57Exactement. Donc, une fois qu'on a dit ça, quelle est la conséquence pratique ?
05:02La conséquence pratique, c'est qu'il faut avoir en tête la grille d'analyse,
05:06aujourd'hui, des pratiques de prix de revente imposées,
05:11et donc, on tombe dans l'infraction,
05:13lorsque, soit d'une part, on a des preuves directes,
05:18qui peuvent être des documents, des échanges, des clauses de contrat,
05:22qui montrent clairement et, en principe, indéniablement,
05:26qu'il y a un accord entre un fournisseur et un distributeur
05:28sur une politique de prix de revente,
05:31ou qu'on accorde le contrôle aux fournisseurs des prix, des marges,
05:36des remises, des périodes de soldes.
05:38D'accord. Donc, les documents, là, apportent les éléments de preuve ?
05:41Absolument, direct. Si on n'a pas de telles preuves directes,
05:45il faut qu'il y ait quand même un faisceau d'indices précis et concordant
05:49qui montre que, du côté du fournisseur, déjà,
05:53il y a une invitation, en fait, aux détaillants à respecter
05:56des prix de revente ou des prix minima.
05:59Mais attention, ça, c'est un point hyper important par invitation.
06:03On n'entend pas uniquement une diffusion des prix.
06:06Il faut qu'il y ait une police de prix faite, exercée par le fournisseur,
06:12comme des menaces, des représailles, des sanctions,
06:15si jamais le distributeur s'écart.
06:17Et malheureusement...
06:17Donc, il y a des indications, en fait, un peu directives, c'est ça ?
06:22Exactement, l'élément de contrainte.
06:24Et malheureusement, en France, ce standard de preuve,
06:28qui est déjà assez bas, est dégradé par l'autorité de la conquérance,
06:31qui fait l'impasse de la démonstration de la police de prix,
06:35malgré la censure dont elle a fait l'objet par la Cour d'appel,
06:38notamment dans l'affaire Appel en 2022.
06:41Et du côté du distributeur, il faut démontrer qu'il y a un acquiescement,
06:45quand même, de la part du distributeur,
06:47qui peut être évidemment explicite, mais aussi tacite,
06:49comme un suivi assez important des prix indiqués par le fournisseur.
06:58Bon, on vient de voir que tout ça, c'est un peu contraignant pour les fournisseurs.
07:01Est-ce que, malgré tout, il leur reste une marge de manœuvre pour déterminer les prix de revente ?
07:08Il faudrait absolument rappeler que, oui, malgré cette approche rigide,
07:14qui est quand même, pour effet pervers, de tomber dans une pratique
07:24qui est excessive en termes de précaution de certains fournisseurs.
07:30On a tendance à oublier que le droit de la concurrence offre des possibilités
07:34qui peuvent être vraiment des vrais leviers de compétitivité
07:37pour les entreprises, dont les fournisseurs.
07:41Donc, il faudrait vraiment les utiliser.
07:44On peut citer, par exemple, comme possibilité,
07:47d'abord le droit du fournisseur de communiquer des prix recommandés,
07:51dès lors qu'il précise que le détaillant reste,
07:56ou le grossiste reste libre de déterminer ses prix.
08:01Ça peut être aussi même imposé.
08:03Le fournisseur peut même imposer des prix maximum de revente
08:07dans certaines conditions à ses détaillants.
08:10C'est quoi les conditions, rapidement ?
08:12Alors, en fait, pour le prix maximum,
08:14il ne faut pas qu'on tombe dans le prix fixe imposé.
08:18Par exemple, un exemple très concret,
08:21un fournisseur ne va pas...
08:23Il ne faut pas qu'il dise, par exemple, à son détaillant,
08:26je t'embauche les coûts promotionnels que tu supportes,
08:29mais à condition que tu respectes le prix maximum,
08:32qui devient du coup un prix fixe imposé.
08:34Donc, il y a un cadre.
08:35Il y a une repartie derrière.
08:37Absolument.
08:38Un fournisseur peut tout à fait aussi surveiller
08:41et faire des relevés de prix
08:43et surveiller, faire de la veille concurrentielle
08:46les prix pratiqués par son réseau de distribution.
08:48D'ailleurs, dans l'e-commerce, ça se développe beaucoup
08:50en ayant recours à des logiciels.
08:54Il peut même demander, dans certains cas,
08:56des informations directement aux distributeurs
08:58sur les prix pratiqués
09:00et les campagnes promotionnelles passées.
09:03On va conclure là-dessus.
09:05Oui.
09:06Merci, Sarah Poma.
09:07Je rappelle que vous êtes avocate associée chez Nomos,
09:10également docteur en droit de la concurrence.
09:12Merci, Arnaud.
09:13Tout de suite, on change de registre.
09:14On va s'intéresser aux directions juridiques
09:17et leurs besoins en matière de ressources humaines.
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