00:00La Cour de cassation a rendu le premier arrêt le 5 novembre dernier en matière d'action de groupe concernant une discrimination syndicale.
00:21Pour décrypter cette décision, j'ai le plaisir de recevoir Julien Onis, Off-Consul chez Capstan Avocat.
00:28Julien Onis, bonjour.
00:29Bonjour Arnaud.
00:30Avant de revenir sur cette décision, on va prendre un peu de recul et s'intéresser à la loi concernant l'action de groupe et à son évolution.
00:41Est-ce que vous pouvez nous rappeler le cadre juridique de l'action de groupe en matière de droit du travail ?
00:47Bien sûr. L'action de groupe, la définition est assez simple.
00:50C'est une action qui concerne plus d'une personne et deux personnes qui sont concernées par un manquement commun,
00:58en l'occurrence en droit du travail, un manquement de l'employeur.
01:01C'est une exception à la règle sur laquelle on ne plaide pas par procureur puisqu'on va confier à un tiers le fait d'agir en justice.
01:08C'est une class action à l'américaine, voilà, en synthèse.
01:12Jusqu'à présent, c'était la loi de 2016, donc en droit du travail qui était venue légiférer en la matière, en matière de discrimination et de RGPD.
01:20Le cadre était limité.
01:23On a connu une évolution puisque le 30 avril 2025, le législateur est venu élargir le champ de l'action de groupe et donc en faciliter le recours
01:35puisque jusqu'à présent, il n'y avait eu que cinq actions de groupe depuis 2016.
01:39Donc en fait, il y avait très peu d'actions de groupe et le dispositif ne servait pas réellement.
01:46Exactement. Ce pourquoi il y en avait très peu et ce que la loi d'avril 2025 tente quand même d'endiguer,
01:53c'est d'une part parce qu'il y avait un problème de périmètre, enfin un problème, pas un problème,
01:57mais en tout cas le périmètre était limité à deux domaines, donc le RGPD et la discrimination.
02:03C'est élargi par la loi d'avril 2025 qui vient considérer qu'on peut aller sur tous les champs.
02:08Le problème de financement, la loi de 2025 vient donner des moyens pour l'action de groupe.
02:13Vous aviez un problème de, enfin pas un problème, mais en tout cas la loi vient aujourd'hui fixer une sanction civile
02:20pour, entre guillemets, inciter quand même les employeurs à se mettre dans le cadre
02:26et elle vient repréciser les modalités, donc à savoir l'action en cessation d'un manquement et l'action d'indemnisation.
02:35Donc on a un cadre rénové avec probablement des conséquences sur l'élargissement des actions.
02:40Et pour vous, il y aura un développement des actions de groupe en matière de droit du travail ?
02:45À mon sens, oui. Notamment, parce que je pense que ça ne vous a pas échappé,
02:49mais on a l'entrée en vigueur de la loi sur la transparence des rémunérations.
02:53Donc l'élargissement des domaines de l'action de groupe associé typiquement à ce genre de sujet,
02:58à mon avis, devrait conduire à une multiplication des actions de groupe.
03:02Alors on va revenir sur la décision du 5 novembre dernier.
03:07Donc c'est la première décision, la première action de groupe en matière de discrimination syndicale.
03:13Que dit précisément cette décision ?
03:16Alors effectivement, c'est la première.
03:17Je l'ai dit, il y a eu cinq actions de groupe, si je ne me trompe pas, dans les stats.
03:20Donc c'est une action qui était portée par la CGT contre Safran sur la discrimination syndicale.
03:25Pour comprendre ce que dit la décision, il faut avoir en tête ce que disait la loi.
03:28Alors, en gros, la loi de 2016, c'est une loi de procédure.
03:31En théorie, elle devrait considérer des faits antérieurs,
03:34concerner des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi.
03:36Ce n'est pas ce qui avait été décidé.
03:38Ce qui avait été décidé, c'est que les préjudices indénisables
03:42étaient ceux qui étaient nés après l'entrée en vigueur de la loi.
03:45Donc après le 20 novembre 2016.
03:47Là où le débat s'est cristallisé, puisqu'on parle de discrimination,
03:50la discrimination s'est plutôt étendue sur une période,
03:53c'est-à-dire quels faits peuvent être pris en considération pour apprécier ce préjudice.
03:57Et le tribunal judiciaire déboute la CGT,
04:01considérant que les éléments qu'elle apporte après l'entrée en vigueur de la loi
04:04ne sont pas suffisants pour apporter une discrimination.
04:06La Cour d'appel confirme.
04:08Et là, la CGT fait un pourvoi en cassation avec une QPC.
04:11Et je trouve que là, il y a une particularité,
04:13puisque le Conseil constitutionnel considère que le fait qu'on limite
04:17les préjudices indemnisables à la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi
04:22n'est pas anticonstitutionnel, pour différentes raisons, je ne vais pas les évoquer ici.
04:26Et la Cour de cassation s'affranchit un peu de ça, à mon sens,
04:30appliquant sa jurisprudence classique, je dirais, sur le régime probatoire,
04:34et vient dire qu'on vient regarder les faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi,
04:39quand bien même on indemnise des préjudices postérieurs.
04:42Pourquoi, selon vous, il y a une lecture différente de la Cour de cassation
04:46par rapport au juge du fond ? Vous avez une explication ?
04:49Alors, la Cour de cassation, en fait, pour moi, elle reste assez cohérente,
04:53je dirais, vis-à-vis de ce qu'elle fait quand nous avons un contentieux
04:55de discrimination strictement individuelle.
04:58À savoir qu'elle dit qu'on doit prendre en considération
05:02l'ensemble des faits sur une période.
05:05Si elle venait se dire le contraire dans le cadre de cette position-là,
05:08de l'arrêt sur l'action de groupe, à mon sens, elle se déjugeait un peu.
05:12Elle serait en contradiction par rapport à...
05:13Donc, en fait, elle applique quasiment...
05:16C'est vrai que moi, je trouve que la portée qu'on donne à ce taré,
05:18elle est peut-être un peu grossie à la loupe,
05:20parce qu'in fine, sur le régime probatoire,
05:23elle confirme d'ailleurs qu'on applique le même,
05:25c'est-à-dire en deux temps, que celui des actions individuelles.
05:28D'accord.
05:29Quelles sont les conséquences pour les salariés
05:31qui sont victimes de discrimination collective ?
05:34Je pense que c'est toujours plus simple
05:37lorsque vous avez la possibilité d'apporter plus d'éléments.
05:40Donc, je dirais que pour eux, dans une approche, en tout cas théorique,
05:44c'est plus facile.
05:45Si vous avez la possibilité d'apporter cinq pièces versus une,
05:49en théorie, vous facilitez la possibilité de justifier une discrimination,
05:54en tout cas d'éléments laissant présumés.
05:56Et pour côté employeur, comment on peut avoir une lecture de cet arrêt, justement ?
06:01À l'inverse, on peut se dire qu'effectivement, côté employeur,
06:05ça va leur mettre un peu plus, je dirais, la pression,
06:07puisqu'il va y avoir plus d'éléments à analyser,
06:09dans la mesure où, effectivement, on va avoir 50 versus 10 avant.
06:12Donc, côté employeur, il va y avoir plus de travail à faire.
06:16Maintenant, d'un point de vue indemnitaire et strictement indemnitaire,
06:18et si je mets de côté la loi de 2025,
06:21elle ne remet pas en cause la Cour de cassation,
06:23le fait que les préjudices indemnisables sont ceux qui sont postérieurs
06:26à l'entrée en vigueur de 2016.
06:27Il n'y a pas un grand bouleversement, selon vous ?
06:30Au regard de, en tout cas, la loi de 2016, je considère que, pas tant,
06:34l'atterrissage, à mon avis, il est important, il faut le prendre en considération,
06:37mais quand on met tout bout à bout, mon point de vue, pas tant.
06:40En revanche, les futurs sujets, c'est la loi du 31 avril 2025,
06:44qui, à mon sens, va donner lieu à pas mal de débats jurisprudentiels.
06:48– De quel ordre ?
06:50– Sur le périmètre des préjudices, sur la question du financement,
06:53de vérifier que le financement n'est pas fait de manière un peu hasardeuse,
06:58le fait de se dire, est-ce que le groupe constitué est pertinent ?
07:03Pour moi, dans la loi du 31 avril 2005, il y a pas mal de zones d'ombre qui vont, de fait…
07:07– Ça, ce sera la jurisprudence de donner, justement…
07:11– Comme toujours.
07:12– On va attendre la jurisprudence sur ce sujet.
07:15Est-ce que le juge, il va avoir d'autant plus de pouvoir d'appréciation avec cet arrêt ?
07:21– On lui donne plus de pièces.
07:23Donc, de fait, il va en avoir plus.
07:25Maintenant, c'est pas un pouvoir qui est illimité,
07:27et c'est là où les employeurs vont avoir un rôle très important
07:29dans bien venir rappeler quelle pièce je prends en considération.
07:33Est-ce que ces pièces sont relatives à des faits qui se sont poursuivis
07:37après l'entrée en vigueur de la loi ou pas ?
07:39Est-ce qu'ils sont suffisants versus la discrimination
07:41qu'on tente de venir mettre en évidence ?
07:43Est-ce qu'ils sont pertinents, suffisants ?
07:45Voilà, donc il y a un gros travail qui va peser sur les employeurs
07:48et sur leurs conseils pour venir vraiment combattre
07:52toutes ces pièces qui vont être ajoutées dans le débat.
07:55– Pour terminer, peut-être, est-ce qu'il y a des bonnes pratiques
07:57en la matière à recommander aux entreprises
08:00pour éviter de se retrouver au contentieux ?
08:02– Alors, effectivement, c'est-à-dire que dans la vie du quotidien,
08:06c'est de s'assurer que tous les mécanismes mis en place
08:09sont justifiés par un élément objectif.
08:13– C'est un point important, parce qu'en matière de discrimination,
08:15c'est l'objet du litige.
08:17– Et ensuite, d'un point de vue contentieux,
08:19c'est de se battre absolument sur chacune des pièces
08:24et sur la justification de cet élément objectif,
08:27puisque si vous ne le faites pas, le juge ne le fera pas pour vous.
08:29– Donc, c'est à nous de le faire.
08:30– On va conclure là-dessus.
08:32Merci, Julien Onis.
08:34Je rappelle que vous êtes Avocat of Consul chez Capstan Avocat.
08:37– Merci à vous.
08:37– Tout de suite, on va parler d'un autre sujet.
08:40On va parler intelligence artificielle et droit d'auteur.
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