- il y a 2 jours
Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde, était l'invité de François Sorel dans Tech & Co, la quotidienne, spéciale "La Nuit de l'IA", ce mardi 18 novembre. Il s'est penché sur le bouleversement de l’information médiatique par l’IA, sur BFM Business. Retrouvez l'émission du lundi au jeudi et réécoutez-la en podcast.
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00:00La nuit de l'intelligence artificielle sur BFM Business.
00:06Voilà, très belle soirée sur BFM Business, la nuit de l'IA ce soir.
00:10Nous sommes en direct sur BFM Business à la radio, à la télé.
00:12Très heureux de vous faire découvrir les avancées de l'intelligence artificielle
00:16dans certains domaines, après la santé, après les transports.
00:19Place maintenant un secteur qui nous est cher, nous journalistes,
00:23celui des médias et plus particulièrement celui de la presse écrite.
00:26Louis Dreyfus nous a rejoint sur ce plateau.
00:28Bonsoir.
00:28Vous êtes président du directoire du groupe Le Monde, qu'on ne présente plus.
00:32Vous êtes à la tête du Monde depuis 2010.
00:36Mais vous êtes un homme de presse.
00:37Vous avez travaillé à la Provence, Libération, le Nouvel Obs, les Arocs aussi.
00:43Et ce qui est intéressant, c'est que vous avez vécu toutes ces révolutions technologiques.
00:46J'ai envie de dire, de par votre jeune âge, vous avez connu aussi l'arrivée d'Internet, finalement.
00:51Et maintenant, de l'intelligence artificielle qui inonde, évidemment, le secteur des médias et les rédactions.
00:58Est-ce que vous sentez que ce monde est en train de changer ?
01:03Le monde des médias change aujourd'hui avec l'intelligence artificielle ?
01:06Je pense que chacun des secteurs d'activité que vous voyez ce soir est percuté par l'intelligence artificielle
01:12et que les médias ne font pas exception.
01:13En revanche, de cette trajectoire dans la presse écrite ou dans les médias qui est la mienne,
01:20moi j'en ai tiré quelques enseignements.
01:22D'abord, c'est qu'il est primordial d'être moteur quand une révolution de ce type arrive.
01:29Rester au bord du quai et laisser passer le train.
01:34Vous essayez de retenir le passé pour prendre le train le plus tard possible, c'est pas bon ?
01:37C'est suicidaire.
01:38C'est suicidaire.
01:39Donc, avec Jérôme Féné-Gleuilleau, le directeur du Monde, on a choisi très tôt d'être proactif
01:44et d'essayer d'avoir un rôle moteur dans cette révolution, avec nos moyens,
01:49mais pour autant de ne pas être inactif.
01:51Et puis, une deuxième chose que je garde en tête à tout moment,
01:56et comme vous l'avez dit, j'ai eu l'occasion de faire pas mal de journaux ou de médias,
02:00c'est que ce qui prime et ce qui réussit, quelle que soit la révolution,
02:05c'est de rester attentif à l'investissement qu'on fait dans les contenus,
02:10dans le journalisme et dans les journalistes.
02:13Donc, tout le pari qu'on fait, c'est d'arriver à embrasser cette révolution
02:17sans reculer sur nos standards, notre rigueur et notre envie de faire plus de journalisme
02:23et encore mieux du journalisme pour une audience plus large.
02:26C'est comme ça qu'on l'aborde.
02:27– Alors, avant de parler de vos accords avec OpenAI ou Perplexity,
02:33un mot sur, on va dire, tous ces assistants d'IA qui inondent, en fait, notre quotidien.
02:39Je parle de Chagipitin, il y a aussi Mistral, il y en a plein d'autres,
02:42il y a JimiNi du côté de chez Google.
02:44Est-ce que vos journalistes l'utilisent au quotidien ?
02:46Ils vous le disent ? Est-ce que vous les autorisez ?
02:49Jusqu'à quelles, on va dire, frontières, ils peuvent l'utiliser ?
02:54Est-ce que vous avez des règles ?
02:56Ou est-ce que finalement, à partir du moment où vous êtes satisfait du travail d'un journaliste,
03:00qu'il l'ait fait avec un outil d'IA ou par son jus de crâne, c'est pareil ?
03:05– Non, ce n'est pas pareil, évidemment.
03:07La première chose qu'on a faite, c'est qu'on a travaillé avec nos sociétés de rédacteurs
03:11et avec le comité d'éthique et de déontologie du journal pour édicter une charte
03:16pour dire ce qui est possible de faire avec de l'IA et ce qui est interdit.
03:19En gros, on ne défend pas des images, on n'invente pas des images,
03:23on n'invente pas des photos par de l'IA.
03:24Plus globalement, on ne produit pas un texte, on ne publie pas un texte
03:28qui serait uniquement fait par de l'IA.
03:32En revanche, l'IA peut être un assistant, mais chaque fois que l'IA est utilisée,
03:36il faut que les lecteurs le sachent.
03:38Il y a une question qui est primordiale, de respect,
03:42et tout simplement d'allération de confiance qui va avec notre modèle économique.
03:45Trois quarts de nos revenus viennent des achats de journaux ou d'abonnements numériques.
03:53Donc, il est primordial pour moi que le lecteur s'achète à tout moment
03:56s'il achète un contenu exclusif ou s'il achète un contenu produit par un robot
04:00qui, a priori, n'a pas beaucoup de valeur.
04:02Donc, on a commencé par édicter une charte.
04:07Aujourd'hui, on a sondé les usages.
04:09En gros, vous avez un tiers des journalistes qui sont plutôt précurseurs
04:16ou early adopteurs, un tiers qui regardent et un tiers qui reconnaît qu'ils sont réticents.
04:23Dans la charte et dans ce qu'on a formulé et garanti aux journalistes aussi,
04:28c'est qu'à aucun moment, l'utilisation de l'IA ne servirait à détruire de l'emploi.
04:35Ils peuvent nous aider, nous assister à faire du journalisme,
04:37nous aider à créer plus de contenu, mais en aucun cas remplacer les fonctions directionnelles.
04:42Et parmi les craintes, je pense que vous allez voir apparaître toute la nuit,
04:46il y a une question d'emploi.
04:48C'est-à-dire qu'il y a quand même, dans cette révolution qui s'apparente très souvent
04:53à de la science-fiction, quand on voit ce que ça peut devenir,
04:56c'est est-ce qu'on va encore avoir une place dans le monde du travail
04:59une fois que l'IA aura pris toute son ampleur.
05:02Donc ça, on garantit que personne ne perdra son emploi à cause de l'IA
05:06et ça nous aide. Et puis, dernière chose, et vous l'évoquiez,
05:09les accords qu'on conclut garantissent à la fois la pérennité de notre modèle,
05:15mais aussi une redistribution pour les journalistes.
05:17Et ça, effectivement, ils en trouvent très vite des contreparties positives.
05:23C'est-à-dire qu'aujourd'hui, finalement, l'IA générative devient concurrent du monde.
05:27On voit qu'il y a des contenus qu'on trouve sur le web
05:30qui ne sont pas forcément de très bonne qualité,
05:33mais qui sont générés par l'IA et des articles qui sont générés par l'IA.
05:37Il y a des interviews, plein de contenus qui, parfois, peuvent raconter des choses fausses aussi.
05:43Est-ce que, finalement, c'est quelque chose que vous surveillez aussi,
05:48plus qu'auparavant ?
05:49– Moi, je ne le vois pas comme ça.
05:53D'abord, je pense que ce que vous dites est exact pour des contenus gratuits,
05:57pour de la presse gratuite, pour des médias, des radios,
05:59peut-être des chaînes de télévision qui sont gratuites.
06:02Pour des journaux ou des médias qui sont payants,
06:05dont le modèle repose sur le fait qu'il y ait des contenus exclusifs
06:10produits par des signatures de la rédaction,
06:13l'IA ne peut pas être un concurrent,
06:15puisqu'il y a une part d'originalité, d'exclusivité, de talent…
06:19– L'info premium que vous proposez ne peut pas être générée par l'IA.
06:21– Et d'humanité.
06:22– Et donc ça, on fait très attention, au contraire,
06:26à continuer à investir dans les rédactions.
06:27Vous savez, la rédaction du Monde, moi, je suis arrivé,
06:29vous le disiez, en décembre 2010,
06:32avec 310 journalistes en CDI,
06:34aujourd'hui, on est 560.
06:36Donc, on a doublé la taille.
06:38Donc, quand on s'engage sur la garantie de l'emploi
06:40ou sur des investissements dans le journalisme,
06:4115 ans plus tard, on est assez crédible en interne.
06:44En revanche, l'IA, c'est aussi une plateforme de distribution.
06:47Vous parliez de ces générations qui adoptent massivement l'IA.
06:52Je ne sais pas si vous avez des ados autour de vous,
06:55mais c'est bluffant de les voir réviser, travailler.
07:00Moi, j'ai deux ados et je les vois s'emparer très facilement de l'IA.
07:04Donc, pour nous, l'IA doit être aussi une plateforme de distribution.
07:07Et pour ça, on a besoin d'être référencés sur ces plateformes.
07:10Donc, d'avoir des accords pour que, que ce soit ChatGPT ou Perplexity,
07:15puissent utiliser le monde, mais aussi référencer le monde
07:19et nous aiguiller une nouvelle audience.
07:21Ça, c'est pour nous quelque chose qui est porteur d'une nouvelle audience,
07:25donc de développement, mais aussi de revenus.
07:28Alors, ce qui est intéressant, c'est que, justement,
07:30vous fournissez énormément de contenu premium,
07:34c'est-à-dire du contenu qui est vérifié
07:35avec des enquêtes, de l'investigation, des interviews.
07:40Et c'est intéressant de voir que OpenAI,
07:43qui est quand même le géant de l'IA générative,
07:45se soit intéressé à votre contenu
07:48et vous ayez passé un accord.
07:50Racontez-nous un peu comment ça s'est passé
07:51et comment vous avez pu sceller ce partenariat avec OpenAI.
07:54La chose a été assez simple.
07:59Sam Altman, le fondateur d'OpenAI,
08:02est venu à une conférence en octobre 2023
08:03et est venu parler.
08:06À la fin de cette conférence qui se passait à Station F,
08:09l'incubateur de start-up,
08:12des questions étaient ouvertes au public.
08:14Il fallait vous présenter, vous posiez des questions.
08:16Et donc, il y avait des jeunes entrepreneurs,
08:17des jeunes étudiants.
08:18Et puis moi, j'ai levé la main en disant
08:19« Bonjour, moi, je suis le patron du monde. »
08:21Vous dites que votre modèle repose sur une distribution très large
08:24de données très rigoureuses
08:26et qui vont permettre d'accélérer la diffusion.
08:29Mais moi, mon modèle économique,
08:30il repose sur la production de contenus très rigoureux,
08:34mais aussi le fait que des lecteurs payent
08:37pour y avoir accès potentiellement.
08:38Vous êtes en train de m'annoncer la fin de mon modèle économique
08:41et donc des destructions d'emplois
08:44et une qualité d'information qui va s'effondrer.
08:48Il m'a dit « Mais moi, je suis d'accord.
08:49Je respecte évidemment ce que fait le monde.
08:51Je suis d'accord pour ouvrir une discussion. »
08:53Très vite après, on a ouvert une discussion
08:55et trois mois après, on signait un accord pluriannuel
08:58qui fait qu'on s'est mis d'accord sur l'utilisation
09:02des contenus du monde par OpenAI,
09:05ce qui était possible, ce qui était interdit.
09:07Il s'engage à le respecter.
09:08Il s'engage à rémunérer le journal
09:10et le journal s'engage à redistribuer une partie
09:13de revenus qui sont importants à la rédaction.
09:16C'est-à-dire que les journalistes en CDI,
09:18chaque année, reçoivent une cote-part
09:19de ce que nous recevons d'OpenAI.
09:20Des droits d'auteur supplémentaires, c'est ça ?
09:22Nous, on a considéré que c'était assimilable
09:25à du droit voisin, c'est-à-dire du droit d'auteur dérivé.
09:30Mais est-ce que c'est compliqué de discuter avec un...
09:33Alors, visiblement, ça s'est passé assez vite
09:35et parce que Sam Altman a cette vista, visiblement,
09:37et s'est rendu compte de la qualité de votre contenu.
09:39auparavant, il pouvait malgré tout,
09:42parce que votre contenu est payant,
09:45il scanne...
09:45En fait, rappelons qu'OpenAI scanne le web
09:48et se nourrit de toutes ces dataïques
09:49et de toutes ces données, bien évidemment.
09:52Mais vous avez pas mal de contenu qui est payant.
09:54Donc, comment font-ils pour avoir accès à ce contenu ?
09:57Les robots permettent de scroller tous les contenus.
10:00Même les payants ?
10:01Ce que vous pouvez faire, payant ou gratuit,
10:04ce que vous pouvez faire, c'est sur votre site,
10:07sur votre moteur, mettre un robot
10:09qui vous dit interdit de marcher sur cette pelouse.
10:12Est-ce que ça veut dire que le robot adverse
10:15ne marche pas sur la pelouse ?
10:16C'est ça.
10:17Non, ça veut dire que c'est interdit.
10:18Bon, l'histoire a prouvé que beaucoup de ces acteurs
10:21d'intelligence artificielle ont scrollé
10:23à peu près tous les contenus, les ont absorbés.
10:25Donc, je pense qu'il y a aussi une question de pragmatisme
10:28à partir du moment où vous savez que vos données
10:30risquent d'être utilisées.
10:31Autant maîtriser l'accès
10:33et veiller à leur valorisation.
10:35Et ça, en signant un premier accord,
10:37aujourd'hui, je crois qu'on est moins de 20 groupes
10:39dans le monde à avoir signé avec OpenAI.
10:41On a créé un standard.
10:43Nos contenus ont de la valeur.
10:45On a défini un deuxième standard.
10:48C'est important dans le marché français.
10:50Si d'autres acteurs signaient avec OpenAI,
10:53il serait légitime qu'eux aussi redistribuent
10:56une partie de ces revenus à la rédaction
10:59au titre du droit voisin.
11:00Et ça, en créant cette double jurisprudence,
11:03je pense que le monde est dans son rôle
11:05de définir des standards de marché.
11:08Autre accord avec Perplexity.
11:10Rapidement, alors Perplexity, moteur de recherche,
11:13boosté à l'IA.
11:14C'est-à-dire que là, vous tapez,
11:15je ne sais pas, n'importe quelle question sur l'actualité.
11:17Vous avez, non pas des liens, mais un résumé.
11:20Et donc là, le résumé de cette actualité
11:23peut provenir du monde parce que vous avez aussi
11:25passé un accord avec Perplexity, c'est ça ?
11:26Exactement.
11:27Et il nous apporte, au-delà des revenus supplémentaires,
11:30une fonctionnalité, c'est-à-dire que le moteur de réponse,
11:32vous allez sur le site ou sur l'application du monde,
11:35vous allez poser une question en langage courant
11:37et à partir des seuls contenus du monde,
11:40il va bâtir une synthèse de réponses.
11:42Pour nous, c'est une fonctionnalité qui devient primordiale,
11:45qui est disponible partout ailleurs,
11:47chez ces acteurs d'intelligence artificielle.
11:49Pour nous, il est important de fidéliser notre audience
11:51en la mettant à disposition de nos lecteurs,
11:53qu'ils soient abonnés ou non,
11:55sur le site et sur l'application.
11:57Merci beaucoup, Louis Dreyfus.
11:58Passionnant de voir la transformation
12:00de ce secteur de la presse écrite.
12:03Apparemment, vous êtes président du directoire du groupe Le Monde.
12:06Merci d'être passé par le plateau
12:07pour cette nuit de l'IA.
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