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  • il y a 2 jours
Jean-Luc Tavernier, inspecteur général des finances et ancien directeur général de l'Insee, était l'invité de Laure Closier dans Good Morning Business, ce lundi 8 décembre. Ils sont revenus sur les trois objectifs contradictoires que la France tente d'atteindre, sur la contrainte budgétaire à laquelle le pays fait face, et sur la résilience de la France aux chocs économiques , sur BFM Business. Retrouvez l'émission du lundi au vendredi et réécoutez la en podcast.

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Transcription
00:007h45 sur BFM Business et sur RMC Live. Notre invité ce matin c'est Jean-Luc Tavernier.
00:04Bonjour, l'ancien directeur général de l'INSEE. Vous êtes parti en juin dernier, vous avez été 13 ans à la tête de l'INSEE.
00:11Je ne sais pas si votre parole est plus libre aujourd'hui qu'avant, mais on va pouvoir parler un petit peu de politique, un petit peu de budget.
00:17Vous avez écrit une tribune dans Les Echos il y a quelques semaines sur trois objectifs totalement contradictoires que le pays tente d'atteindre,
00:23réduire le déficit public, augmenter les revenus des ménages et éviter de travailler plus.
00:28C'est clairement pas possible. Pour vous, qu'est-ce qu'il faut enlever ?
00:31Oui, bonjour. C'est une tribune que j'ai co-signée avec Jean-Marie Chpette, qui est un ancien responsable syndical,
00:36un ancien numéro 2 de la CFDT, ancien président des caisses d'assurance maladie et d'assurance IS.
00:41Et on était frappés, je crois, tous les deux, qu'il faut que le débat démocratique s'articule sur les vrais choix, les vrais sujets.
00:47Et il y a un triangle des incompatibles. Effectivement, on peut vouloir baisser le déficit.
00:52Je crois que tout le monde, maintenant, pense que c'est important de le faire.
00:55On veut vouloir augmenter les revenus parce qu'on continue à être drivés par ça.
01:00Les Français, leur première préoccupation, c'est le pouvoir d'achat,
01:03quelles que soient les prises de conscience environnementales.
01:06Et puis, on voit que le débat, cet automne, s'est articulé sur le fait que des gens de ma génération,
01:12même bien pourtant ou incapacité de travailler, doivent partir un trimestre plus tôt ou plus tard à la retraite.
01:19Et effectivement, je pense qu'on ne peut pas tout promettre.
01:21Et ce qu'on a fait sur ces trois objectifs, déficit, revenu, ne pas travailler davantage,
01:27c'est en fait laisser tomber le premier, réduction du déficit.
01:32On peut décider de réduire le déficit sans travailler plus,
01:38en acceptant qu'il y ait des hausses de prélèvement, qu'il y ait des baisses de pension.
01:42Et à ce moment-là, que les revenus cessent d'être protégés de toutes les baisses de pouvoir d'achat.
01:46Mais il faut l'assumer. Et puis, on peut essayer de tirer les choses vers le haut,
01:52en se disant, bah oui, si on veut à la fois baisser le déficit et augmenter les revenus,
01:57il faudra se résigner à travailler plus, quel que soit le peu d'envie qu'on a.
02:01Ce qu'on dit, c'est que tout est possible.
02:03Simplement, il faut que les choix soient présentés.
02:05Et il faut, ce qu'on explique à la fin de la tribune,
02:08que dans les élections générales, lorsqu'elles arrivent, les choix sont correctement posés.
02:13Et que quelqu'un dit, s'il a une baguette magique pour assurer les trois objectifs,
02:18sinon, dire lequel des trois, il abandonne, lequel des trois, il priorise.
02:22Mais après 13 ans à la tête de l'INSEE,
02:24comment vous réagissez quand vous voyez à quel point, aujourd'hui,
02:27le personnel politique n'a pas les échelles en tête ?
02:29C'est-à-dire qu'il parle de solutions macroéconomiques,
02:34avec des micro-idées.
02:36On va régler la question, on ne va pas avoir besoin de travailler plus,
02:40parce qu'on va régler la question avec l'immigration,
02:41on est obsédé par la lutte contre la fraude.
02:44Mais on ne va pas sur les gros sujets, sur les retraites, sur les dépenses sociales.
02:47On n'a pas les échelles en tête.
02:49Oui, alors ce n'est pas un sujet totalement nouveau,
02:50qu'on veut un peu nier qu'on est dans le déni,
02:54et qu'il y a des choix difficiles.
02:56Il n'y a pas de solution simple à des problèmes compliqués.
02:58On essaie d'en avoir le déni.
03:02Je crois que Terra Nova a publié quelque chose,
03:04j'ai vu tout récemment, pour dire la même chose.
03:06C'est-à-dire non, l'immigration, la lutte contre la fraude,
03:11le fait de faire payer davantage les plus riches,
03:14tout ça peut se regarder,
03:16mais ce n'est pas à l'échelle du rééquilibrage des finances publiques
03:20qui nous attend, qu'on a devant nous.
03:22Et comment on fait pour défendre la statistique ?
03:23Parce que vous défendez-vous une donnée objective,
03:26ça a été votre métier pendant des années.
03:28Aujourd'hui, sur les plateaux, régulièrement,
03:30vous êtes confronté à des gens qui vous disent
03:31« mais ce n'est pas mon ressenti ».
03:33On fait passer l'émotion avant la statistique macroéconomique
03:36en disant qu'elle ne vaut rien,
03:37parce qu'elle est tirée par des extrêmes
03:40et qu'elle ne dit rien de la situation des gens.
03:42Comment on revient à la base ?
03:44Alors, j'ai écrit quelque chose là-dessus,
03:45c'était la demande de la Fondation Jean-Georges,
03:46j'ai écrit quelque chose sur la mesure du ressenti,
03:48c'est un papier de bloc de l'INSEE,
03:50pour dire que la statistique publique aussi,
03:52elle fait du hard data,
03:53elle fait des comptes, des indicateurs, etc.
03:55mais elle mesure aussi le ressenti.
03:57Elle mesure les privations.
03:59Il y a des enquêteurs de l'INSEE,
04:00des enquêtrices qui font ce travail très bien,
04:02qui vont voir 10 000 personnes chaque année,
04:04qui leur posent des questions sur leur ressenti,
04:07leur bien-être subjectif.
04:09Sur une échelle de 0 à 10, comment vous vous sentez ?
04:11Bon, c'est 7, c'est incomparable aux autres pays,
04:14un petit peu moins bon parce qu'on est un peu à l'heure.
04:16On arrive à mesurer la frustration, en fait.
04:18On arrive à voir que ça ne se dégrade pas,
04:21on arrive à voir que les privations,
04:23il y en a qui ont augmenté avec la crise,
04:25notamment la question de chauffage à cause du prix de l'énergie,
04:30mais il y en a d'autres qui ont baissé,
04:31pratiquement personne ne dit qu'il est privé d'accès à Internet.
04:34Donc, ces choses...
04:35Alors, après, c'est vrai que, d'un point de vue médiatique,
04:38c'est beaucoup moins repris que la dernière étude d'une association
04:41qui est alarmiste et qui est...
04:44Ça, c'est quelque chose qui...
04:45L'INSEA a des concurrents, en fait.
04:47Ah ben, bien sûr, l'INSEA a des concurrents,
04:48ça, c'est pas malsain,
04:49mais ce qui est très sain,
04:51c'est qu'on soit aussi sur ce terrain de la mesure du ressenti.
04:54Mais, regardez, sur cette question de ressenti,
04:56il y a quelque chose...
04:56Parce qu'on peut toujours dire,
04:58vous, vous parlez de moyenne
05:00et vous ne renvoyez pas à mes situations individuelles.
05:03Mais en 2024,
05:04tous les retraités ont eu une augmentation
05:05de 5,3% pour la retraite de base,
05:08un petit peu moins pour la GIRCARCO.
05:10Tous, en janvier 2024.
05:13Eh ben, quand c'est la Banque de France
05:14qui interroge, qui fait une enquête auprès des gens
05:16pour savoir s'ils ont l'impression
05:17que leur pouvoir d'achat a augmenté ou baissé.
05:21Tous les Français disent, en 2024,
05:23mon pouvoir d'achat a encore baissé,
05:24alors que, d'un point de vue macroéconomique,
05:27l'INSEA disait, non, il a augmenté.
05:28Mais c'est vrai, c'est encore plus vrai
05:30des retraités qui...
05:33Alors qu'objectivement, il n'y a pas de débat.
05:35Ils ont eu cette augmentation de 5,4%.
05:37Ils disent que leur pouvoir d'achat a baissé en 2024.
05:39Mais comment on lutte contre ça ?
05:41C'est quoi la clé ?
05:43C'est de venir sur les plateaux.
05:48Merci de m'inviter.
05:51Le vrai combat, je trouve,
05:53pour l'Institut Statistique,
05:54et c'est pas propre à la France,
05:56quand j'en discutais avec mes collègues précédemment,
05:58que j'étais encore en fonction,
05:59tout le monde a le même problème.
06:02Le vrai sujet,
06:03c'est pas de produire bien et à l'heure,
06:06bon, bien sûr, il faut le faire,
06:08mais c'est de se frayer le chemin
06:10dans un marché de l'information
06:12qui est devenu foutraque.
06:14Et où, avant, c'était relativement facile.
06:17Vous aviez une presse audiovisuelle,
06:19une presse écrite,
06:20où les gens faisaient confiance.
06:22Il y a une rédaction,
06:23ils s'informaient comme ça,
06:24et si vous étiez en confiance
06:25avec ces relais d'informations,
06:28ça marchait.
06:28quand maintenant on va n'importe où
06:31sur les réseaux sociaux
06:32et on vous donne à manger
06:33ce que vous avez envie d'entendre,
06:34c'est beaucoup plus compliqué.
06:36Et donc, pour 10 personnes
06:37qui vont vous dire
06:38le pouvoir d'achat baisse,
06:39l'INSEE arrive en disant
06:40« bah non, moi, mon chiffre,
06:41c'est plus 2 ».
06:42C'est vraiment le challenge,
06:43en effet.
06:44Donc, il y a un challenge
06:45sur l'information,
06:46comment elle arrive jusqu'aux individus,
06:49et il y a aussi quand même
06:49les pressions politiques
06:50sur la statistique.
06:51On voit ça aux Etats-Unis
06:52avec Donald Trump
06:53qui, quand les chiffres du chômage
06:55ne lui correspondent pas,
06:56dit qu'ils sont faux
06:57ou qu'il licencie carrément
06:58la chef de l'INSEE de là-bas.
07:01Oui.
07:01Là, c'est encore autre chose.
07:02Le bureau flémor statistique,
07:04c'est assez compliqué,
07:04l'organisation de la statistique publique
07:05aux Etats-Unis.
07:06Ce n'est pas des choses
07:06qui sont possibles chez nous, ça ?
07:07C'est des choses qui,
07:08en tout cas moi,
07:09pendant 13 ans,
07:09c'est des choses
07:10qui ne me sont absolument
07:11jamais arrivées.
07:12Jamais, jamais, jamais.
07:13Et si elles étaient arrivées,
07:16vous l'auriez su.
07:17Ce qu'il est impossible,
07:18c'est qu'il y ait
07:18des pressions politiques
07:19sans qu'on le sache.
07:21Et après, il faut que la société
07:22dans son ensemble réagisse
07:23si ça devait arriver.
07:25Je fais le pari
07:26que ça n'arrivera pas,
07:27je pense, j'espère aussi,
07:29que ça n'arrivera pas.
07:30Ce qu'on voit dans certains pays,
07:31c'est pas tellement,
07:32d'ailleurs, une question
07:35de vouloir peser sur le chiffre
07:36que de mettre un peu
07:38des bâtons dans les roues,
07:39de refuser de publier,
07:41de demander
07:41qu'une publication
07:42soit reportée,
07:43de réduire le budget
07:44de l'Institut,
07:45statistiques, etc.
07:46Mais une bonne démocratie
07:47fonctionne bien
07:48avec une statistique fiable,
07:49c'est-à-dire que c'est nécessaire.
07:50Ça ne suffit pas
07:51de ce genre d'attribute,
07:53ça ne suffit pas
07:53pour que le fonctionnement
07:54démocratique se porte sur...
07:56Mais c'est une condition
07:57absolument nécessaire,
07:58oui, bien sûr.
07:58Il faut que les indicateurs
08:00soient là
08:01et qu'ils soient crédibles
08:02et qu'on ait la certitude
08:04qu'ils ont été produits
08:05en toute indépendance.
08:06Comment vous expliquez
08:07les chiffres que Laurent Léscu
08:09a donné ce week-end encore
08:10sur la croissance française
08:10qui est résiliente ?
08:11Il annonce 0,8 sur l'année,
08:13on s'attendait plutôt
08:14à 0,5.
08:15Qu'est-ce qui explique ça ?
08:15Oui, alors en effet,
08:16moi, je me rappelle
08:17quand on faisait encore
08:18une note de conjoncture
08:19au mois de juin à l'INSEE,
08:21on avait sur le 2e et 3e trimestre
08:22des chiffres
08:23beaucoup moins élevés
08:24que ce qui a été publié,
08:25qui est du 0,5 par trimestre,
08:27quelque chose comme ça.
08:28alors même qu'on n'était pas
08:30sur un climat d'incertitude
08:32géopolitique et politique interne,
08:35économique et budgétaire,
08:36aussi important que celui
08:37qu'on vit cet automne,
08:39depuis l'été même.
08:41Donc, il y a effectivement
08:42une résilience
08:43qui est un peu surprenante
08:44et il reste à savoir,
08:46objectivement,
08:46on ne sait pas
08:46si c'est le fait que,
08:49autour de ce débat
08:50économique et budgétaire,
08:52que peut-être on le magnifie
08:53un peu trop,
08:54qu'on en amplifie là,
08:55et que derrière,
08:56les chefs d'entreprise
08:57ont au jour le jour
08:59et ça délivre,
09:00ou alors qu'il y a eu
09:01quand même
09:02quelques facteurs particuliers,
09:03une bonne tenue de l'aéronautique
09:04en cours d'année
09:05et que peut-être
09:07il y a un contre-coup
09:09à avoir.
09:10Alors, je fais un petit zing
09:11puisque la note de conjoncture
09:12de l'INSEE de décembre
09:13est toujours très intéressante
09:15parce que c'est la première
09:17à porter sur l'année suivante.
09:18Je crois que mes collègues,
09:20les anciens collègues
09:21la publient la semaine prochaine
09:22et je serais intéressé
09:23de savoir effectivement
09:24comment ils voient
09:26le premier semestre
09:26à cet au-delà.
09:28En tout cas,
09:28ce qui est clair,
09:29c'est qu'on est protégé
09:30par l'euro
09:31parce que sans ça,
09:33on aurait eu
09:34notre moment listreuse
09:35comme l'a eu
09:37le Royaume-Uni,
09:38ça c'est assez clair.
09:39Ce qui est clair aussi,
09:40c'est que 0,5%
09:40par trimestre,
09:41il ne faut absolument pas
09:42considérer que c'est
09:42la nouvelle normalité.
09:43On est sur une décroissance
09:44potentielle qui sont hélas
09:46plus proches
09:48de 1% au mieux.
09:49Merci beaucoup
09:50Jean-Luc Tavernier.
09:51Merci à tous.
09:51Merci à tous.
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