00:00Retour de la matinale de l'économie. Dans quel camp sont nos deux économistes qui viennent de nous rejoindre ?
00:04Philippe Wächter, bonjour.
00:05Bonjour.
00:06La chef économiste chez Ostrom Asset Management, en face de vous, Wilfried Galland, directeur adjoint de Montpensier-Arbevel.
00:11On a deux équipes clairement ce matin, ceux qui sont très inquiets d'une récession à venir en France,
00:16et puis ceux qui disent de toute façon à la BCE qui nous couvrira, donc ne nous inquiétons pas.
00:20Vous êtes dans quel camp Philippe Wächter ?
00:22J'aimerais bien que la BCE nous couvre, j'en suis pas persuadé.
00:26Je ne crois pas qu'il y ait une récession, je pense qu'on est dans un truc très mou,
00:30où les entreprises vont attendre pour investir, les consommateurs ne vont pas se précipiter,
00:37et où on manque d'impulsion.
00:39On est clairement dans ce système-là, et le choc qu'on a eu hier, parce que malgré tout, c'en est un,
00:44même si quand on regarde les marchés financiers, il n'y a pas de grave.
00:48Un petit choc, quoi.
00:49On est dans une psychose un peu nouvelle, enfin, qui se prolonge, en disant, pour l'instant,
00:56rien ne se passe en France, et donc il n'y a pas de raison de se précipiter.
01:00Et je pense que s'il y a une source d'impulsion à venir, elle doit être de la BCE,
01:06mais pour l'instant, la BCE ne veut pas changer de cadre, pas de baisser les taux d'intérêt.
01:10Moi, je pense que le problème de la BCE, c'est qu'aujourd'hui, sa réduction de bilan est beaucoup trop rapide,
01:19beaucoup trop forte, ce qui fait qu'on manque de liquidité au sein de la zone euro.
01:25Ça va deux fois plus vite qu'aux États-Unis.
01:29Donc, il y a quelque chose qui ne va pas, et on a l'impression que tout le monde est en train de regarder ses propres préoccupations,
01:39d'avoir ses propres préoccupations.
01:41Je regarde ce qui se passe dans mon économie.
01:43Contrairement à ce qu'on avait avant, avant, on regardait le monde et on se calait sur le monde.
01:48On a l'impression que la BCE reste calée sur le monde, alors que les problèmes sont en Europe.
01:53L'Allemagne n'est pas en grande forme non plus, l'Italie a révisé à la baisse sa croissance,
02:00la France a une croissance médiocre, donc la BCE a un rôle à jouer,
02:04et elle doit se concentrer sur l'Europe, même si l'inflation est à 2,2% comme au mois de septembre.
02:11Wilfried ?
02:12En fait, je pense qu'on est dans un système de nœuds coulants, ce qui n'est pas très sympa d'ailleurs.
02:18C'est-à-dire qu'on n'a pas de choc brutal qui, d'un seul coup, nous mettrait immédiatement notre vie en danger,
02:23mais en fait, les taux se resserrent progressivement parce que,
02:26pour prendre une image qui est très proche de ce que vient de dire Philippe,
02:30en fait, on a une lande glissade à la fois de l'économie et des paramètres financiers français.
02:36Donc, il n'y a pas de drame, effectivement, il n'y a pas de choc financier
02:40qu'on pourrait identifier comme étant véritablement un signal d'alarme extrêmement brutal qui nous réveillerait,
02:46mais à l'inverse, on a effectivement, et quand on le regarde sur longue période,
02:50un lent décrochage et ce qui marque au sein de la zone euro,
02:55c'est qu'on a une fragmentation qui, en fait, économiquement,
02:58même si d'un point de vue des paramètres financiers, la fragmentation n'est pas gigantesque,
03:02mais la fragmentation économique est de plus en plus forte.
03:04Et donc, les autorités européennes ont de plus en plus de mal
03:08à concevoir des politiques qui puissent être des politiques du bien commun,
03:13parce que le bien commun pour l'Allemagne, le bien commun pour l'Espagne,
03:17le bien commun pour l'Italie, le bien commun pour la France est complètement différente.
03:21Aujourd'hui, en France, on a un véritable problème de décrochage économique
03:24et on a même un problème, si on veut parler de l'inflation, de déflation latente.
03:27Ce n'est pas du tout ce qu'on voit apparaître, par exemple, en Espagne ou dans d'autres pays européens.
03:32Donc, c'est vrai que la BCE a un rôle très compliqué.
03:34Et le sujet, effectivement, pour nous, c'est le décrochage,
03:37c'est le fait qu'on n'a pas aujourd'hui en France une croissance potentielle suffisante
03:41pour pouvoir supporter le niveau de dépense sociale que souhaite le pays.
03:46Et tant qu'on n'aura pas, à un moment donné, aborder les deux faces de cette équation,
03:51soit augmenter la croissance potentielle par la productivité et le niveau d'emploi,
03:54soit diminuer les dépenses sociales, on n'arrivera pas à poser les vrais problèmes.
03:58On ne pose pas les vrais problèmes.
04:00Et les marchés nous disent, à un moment donné, il va falloir vous poser les vrais problèmes,
04:03mais vous êtes environné de personnes un peu bienveillantes quand même,
04:07et très puissantes.
04:09Donc, on ne va pas aujourd'hui vous planter un couteau dans le dos,
04:12mais on resserre gentiment la corde.
04:13Ce que dit Philippe, la presse étrangère, c'est qu'elle dit
04:16qu'il n'y a aucune chance que la France réussisse, à un moment donné,
04:18à réduire son problème de finances publiques.
04:20À quel moment les autres membres de l'Union européenne
04:24peuvent s'énerver en disant
04:25« Respectez, un, ce que vous avez dit,
04:28et puis arrêtez de vous servir de nous comme béquille ? »
04:31– C'est une question éternelle.
04:33Moi, je suis d'accord avec ce que disait Wittfried.
04:36C'est-à-dire qu'on voit bien, sur la problématique des finances publiques,
04:40l'analyse qu'on peut faire depuis 30 ans,
04:43c'est que le modèle social a besoin d'une croissance
04:46bien supérieure à celle de l'économie.
04:48Et donc, la dérive qu'on voit sur la dette,
04:52quand vous regardez la dette de 1975 à 2025,
04:55c'est quasiment une ligne droite.
04:57Et ça traduit ce phénomène d'une divergence
05:00entre le modèle social, les besoins du modèle social
05:03et les capacités de l'économie.
05:05Et le problème qu'on peut souligner,
05:08c'est que la capacité à croître de l'économie
05:11a eu plutôt tendance à ralentir ces dernières années.
05:15On est plutôt sur 1% de croissance potentielle,
05:18on était plutôt à 2% auparavant,
05:20et la question n'est pas résolue.
05:24Et très clairement, en France,
05:26personne n'a envie de résoudre cette question,
05:29puisque quand on voit les discussions
05:32qu'il y avait à la fin du mandat de François Béroud,
05:36ou même pendant le début du mandat de Lecornu,
05:40on parlait simplement de fiscalité,
05:43comment résorber les déséquilibres fiscaux.
05:48On ne parlait pas du tout de dépenses.
05:49Pas de croissance, pas de croissance, etc.
05:52C'est-à-dire qu'on a le sentiment
05:53que la croissance est quelque chose qui est acquis,
05:56et qu'il faut piller cette croissance
05:58pour financer le modèle social.
06:00Ça ne marche pas tout à fait comme ça.
06:02Et à un moment donné,
06:04alors ce qui pourrait se passer, peut-être,
06:07pour que les choses bougent,
06:09c'est qu'on ait une sorte de moment listreuse,
06:11comme il y a eu en Grande-Bretagne
06:13il y a quelques courtes années,
06:15où le programme du Premier ministre d'alors,
06:17listreuse...
06:18– Oui, mais ils n'ont pas les Allemands,
06:20les Anglais.
06:20– Non, mais on est dans un cadre très différent.
06:24Mais il faudrait qu'il y ait une espèce de...
06:27– Donc là, un pic sévère sur le médiataire.
06:30– Un pic sévère, qui montre qu'on ne peut plus faire n'importe quoi.
06:34– Et ça ne pourra se faire,
06:35pour remondir sur votre question,
06:37ça ne pourra se faire que si, effectivement,
06:39on a le sentiment à un moment
06:41que nos partenaires européens et la BCE ensemble,
06:44donc les instances européennes et la BCE
06:47conjointement mettent un signal d'alarme vis-à-vis de la France
06:51en disant, là, ça suffit,
06:53vous ne pouvez plus vous cacher derrière l'euro
06:55pour continuer à soutenir un modèle qui est insoutenable.
06:59Et là, effectivement,
06:59on pourrait avoir un accident financier à l'istreuse.
07:03Aujourd'hui, ça n'est pas le cas,
07:04parce que personne ne souhaite le faire encore.
07:06Les Allemands ont leurs propres problèmes.
07:08Tous les pays d'Europe ont quand même pas mal de sujets.
07:11Le sujet allemand est un véritable sujet
07:12et Merde s'est fragilisé politiquement.
07:15Est-ce qu'il a envie aujourd'hui d'être le chef
07:17ou en tout cas de soutenir une coalition du refus ?
07:23– Mais peut-être que ce matin, on peut remercier les Allemands.
07:25C'est-à-dire que c'est peut-être à eux
07:26qu'on n'a pas de moment à l'istreuse.
07:28– Oui, oui, oui.
07:29– À la fois grâce et à cause d'eux.
07:31C'est-à-dire qu'en fait, on n'a pas ce signal d'alarme
07:34grâce aux Allemands, mais aussi à cause des Allemands,
07:35à cause de l'euro.
07:36– Est-ce que vous voulez un signal d'alarme
07:38pour faire des réformes ?
07:39– Un vrai problème politique.
07:41C'est-à-dire que, rappelez-vous, en 1982-83,
07:45quand François Mitterrand dit
07:46« Il faut qu'on reste dans l'Union européenne »
07:49et à ce moment-là, on prend les mesures.
07:52Pour l'instant, personne ne rentre dans cette logique.
07:55Tout le monde regarde ses chaussures en disant
07:57« J'ai mon problème à régler. »
07:59Le problème est l'inscription de la France
08:02dans l'Union européenne
08:03et il faut qu'on ait la capacité politique
08:06de vouloir y rester
08:08et de prendre les mesures qui vont avec.
08:10C'est ce qu'avait fait Jacques Delors
08:12en mars 1983
08:14avec la rupture
08:16et le tournant de la rigueur.
08:18– Le tournant de la rigueur.
08:20On rentre dans une logique
08:21qui doit être plutôt celle-ci aujourd'hui.
08:24– Merci beaucoup à tous les deux
08:25d'être venus ce matin
08:25dans la matinale de l'économie.
08:27– Merci.