00:00Il est 9h15, c'est l'esprit de l'info avec notre grand témoin du mercredi, Roger Paul Droit, philosophe et écrivain.
00:08Bonjour et bienvenue à vous Roger Paul.
00:10Bonjour Thomas.
00:10On a une certitude en ce moment, c'est qu'on vit dans un monde bourré d'incertitudes.
00:14La gouvernance, le budget, les guerres en Ukraine, à Gaza, tous ces sujets d'actualité ont en commun de nous plonger dans l'incertitude.
00:22Est-ce qu'on peut vivre bien face à tant d'incertitudes Roger Paul ?
00:26C'est la vraie question, d'autant que c'est une incertitude nouvelle.
00:29Je crois que si on disait, ah l'avenir est incertain, il nous réserve des surprises, on enfonce évidemment une porte ouverte.
00:36Le propre de demain, c'est d'être incertain.
00:39Mais là, il y a quelque chose qui est tout à fait nouveau.
00:42C'est que tous ces grands dossiers que vous avez énumérés, les dossiers nationaux, le budget de la Sécu, le budget de la nation, la dissolution éventuelle, les présidentielles,
00:54les grands dossiers internationaux aussi, l'Ukraine, Gaza, etc.
00:58On a l'impression que ça va être réglé.
01:01On voit que ça ne l'est pas et que des difficultés nous attendent de plus en plus.
01:06Ça s'aggrave en fait.
01:07Voilà, c'est-à-dire que c'est une incertitude qui n'est pas seulement générale, globale, normale.
01:12C'est une incertitude intensifiée et qui laisse penser que des difficultés nombreuses arrivent et que finalement, ça va être sans fin.
01:23Vous parliez de l'incertitude de demain qui est évidemment par nature liée à l'existence.
01:28Mais j'ai quand même l'impression qu'il y a quelques années, sans tomber dans cet émium, on se disait, bah oui, demain il y aura des choses difficiles,
01:35mais il y aura peut-être du mieux et un peu de lumière.
01:36Là, on ne la voit pas la lumière.
01:38C'est parce qu'on est tous devenus dépressifs ou c'est parce qu'il n'y en a vraiment pas ?
01:40C'est parce qu'il y a une prévisibilité qui était beaucoup plus grande.
01:44Il y a une incertitude des conflits, des dislocations qui se multiplient.
01:49Et je crois que le risque face à cela, c'est justement de se dégoûter.
01:53C'est-à-dire de se dire, ah, mon Dieu, c'est trop compliqué, il y a trop de choses, j'arrive plus à suivre, alors je me retire ou je me replie sur...
02:01On s'isole ?
02:02On risque effectivement de s'isoler.
02:04On vit dans des bulles, on vit dans des bulles numériques, mais on vit aussi à l'intérieur de ses propres réseaux, de ses distractions, etc.
02:13Au lieu, finalement, d'essayer comme on peut, mais de prendre en charge cela.
02:19Alors évidemment, l'incertitude, c'est très difficile.
02:22C'est dur parce qu'on a le sentiment, il y a la formule, le pire n'est pas toujours certain, et bien on a du mal à s'en convaincre en ce moment.
02:28Et je vois sur les messages qu'on reçoit de nos auditeurs aussi, les gens n'ont pas le moral.
02:33Alors, je poserai à cela, on n'est jamais à l'abri d'une bonne surprise, vous voyez.
02:37Mais surtout, je crois qu'il nous faut trouver, et c'est ça un des grands défis pour tous, pour chacun, pour la pensée en général, une manière d'avancer dans le déséquilibre.
02:49Comment on fait ?
02:50Eh bien, comment on fait ? On admet, si vous voulez, qu'au lieu d'avoir des équilibres statiques, il faut avoir des équilibres en mouvement.
02:59Et moi, j'ai un modèle, il vaut ce qu'il vaut, je n'ai pas la solution, mais je vous le propose.
03:05On prend, allez-y.
03:06Le modèle, c'est celui de la marche humaine.
03:09La marche humaine ?
03:09Oui, tout simplement, j'ai consacré deux bouquins à ça, mais c'est notre bipédie, le fait que nous marchons debout,
03:15ce que ne fait aucune autre espèce animale, en tout cas, les ours se mettent debout cinq minutes, mais ils ne vivent pas debout.
03:23Eh bien, notre manière de marcher, elle est très curieuse.
03:26Si on regarde bien, c'est du déséquilibre continué.
03:30C'est-à-dire, pour avancer un pied, vous entamez une chute, vous commencez à tomber un peu,
03:36et puis l'autre pied, tout de suite, il la rattrape, mais il faut recommencer, sinon on n'avance pas.
03:39Il faut avancer dans la vie comme ça, en fait.
03:41Et l'idée, ce serait que ce modèle, qui est notre modèle fondamental, on apprend tous à marcher,
03:46on apprend d'une certaine manière aussi à penser de la même manière,
03:49c'est-à-dire qu'on se déséquilibre quand on veut avancer.
03:53Il faut mettre en cause les préjugés qu'on a, il faut défaire, déséquilibrer nos certitudes, nos convictions,
04:02non pas pour les mettre à plat, pour tout faire tomber, dans le sens, on se casse la figure,
04:07mais pour trouver des rattrapages et avancer tout le temps.
04:10On marche sur un fil, en fait.
04:13Exactement, c'est l'idée du fil, c'est l'idée du déséquilibre instable,
04:17c'est l'idée d'avancer en sachant que finalement, il n'y aura plus, peut-être, d'immobilité, de solution définitive,
04:25mais qu'on trouve dans ce déséquilibre l'énergie pour continuer.
04:30Donc on se met en marche, vous êtes très macroniste ce matin, Roger Paul ?
04:34Écoutez, j'avais publié un livre sur la marche avant Macron.
04:41Voir un ancien président en prison, comme on l'a vu depuis hier,
04:44tout ça étant abondamment filmé, commenté, etc.
04:47C'est quelque chose de traumatisant pour une société, indépendamment de ce qu'il a fait ou pas.
04:51Je ne vous demande pas s'il est coupable, pas coupable, s'il est en prison ou pas,
04:53mais est-ce que cette image-là, ça participe des choses qui nous fragilisent en quelque sorte ?
04:59Parce qu'on se dit, ben non, un président, ça ne doit pas être en prison, on a quelques repères quand même.
05:04Traumatisant, c'est peut-être fort comme terme.
05:06Déstabilisant peut-être.
05:07Voilà, mais déstabilisant, et je crois aussi, là, qu'on est face à un de ces dossiers d'incertitude,
05:13parce que l'affaire n'est pas pliée, il va y avoir nécessairement, me semble-t-il,
05:18et je ne sais pas lesquels, mais de nombreux rebondissements judiciaires, médiatiques, nationaux, politiques, internationaux, etc.
05:26Mais ça, j'entends, mais dans la façon dont on perçoit ça, vous voyez ?
05:30Il y a, d'une certaine manière, on pourrait dire qu'il y a une disproportion entre le sort d'un individu,
05:37aussi sympathique aux uns, antipathique aux autres qu'il soit,
05:42et puis tout le bruit national, international qu'il y a autour.
05:48Malgré tout, ça n'est pas un individu comme tous les autres.
05:51Ça a été un grand chef d'État, ça a été une des figures politiques du XXe siècle.
05:58Et, alors, évidemment, nous sommes dans un pays, il ne faut pas l'oublier, qui a guillotiné son roi.
06:06Il y a aussi tout cet arrière-plan...
06:08Un pays régicide, quand même.
06:09Mais oui, bien sûr, il y a tout cet arrière-plan politique français qui est derrière,
06:13mais il y a quelque chose, effectivement, qui, là, aussi appelle de nouvelles incertitudes.
06:19Vous parliez du roi, les joyaux de la couronne.
06:22Quel regard vous portez sur, là encore, pas sur le braquage qu'a eu lieu au Louvre,
06:27mais sur la perception qu'on en a eu ?
06:29On a l'impression que, pour certains, c'était l'effondrement de la France,
06:32l'effondrement du pays, que c'est tout un symbole.
06:34Est-ce que, là encore, on ne met pas trop de choses sur ce qui est un fait divers, finalement ?
06:39Mais parce que ces faits divers cristallisent nos conflits.
06:42C'est ça, c'est-à-dire que ce qui, autrefois, pouvait, d'une certaine manière, avoir une place,
06:48devient une manière d'exacerber, d'agréger une bonne part de nos rancœurs, de nos divisions.
06:59C'est le philosophe Jean-Claude Miner qui dit le ressentiment de tous contre tous.
07:04Vous voyez, comme si, finalement, alors que nous avons évidemment des divisions et des clivages,
07:09mais on en est arrivé aujourd'hui, par moments, à l'impression que, voilà, tout le monde déteste tout le monde
07:14et que n'importe quel événement sert de prétexte à une nouvelle couche de cette rancœur.
07:25Merci beaucoup, Roger Paul-Droit. Je rappelle qu'on peut vous lire.
07:27Merci à vous.
07:28« Alice au pays des idées » chez Alba Michel.
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