00:03A 9h15, c'est l'esprit de l'info et notre grand témoin du mercredi, vous le savez maintenant, c'est Roger Pauldroit, écrivain et philosophe.
00:09Bonjour et bienvenue Roger Pauldroit.
00:11Bonjour Thomas.
00:11Alors évidemment, vous êtes comme nous, hier après-midi, vous avez écouté le discours du Premier Ministre Sébastien Lecornu.
00:17La vraie démocratie permet à celles et ceux qui ne sont pas d'accord de travailler ensemble.
00:23Sans rien rener de leur conviction, c'est ce qui se passe dans toutes les démocraties du monde
00:27et même dans tous les conseils municipaux de France.
00:31Osons, il suffit de faire un pas, c'est comme cela que l'on avance pour la France et pour les Français.
00:37Osons, c'est comme cela que l'on avance, mais on sentait bien que le Premier Ministre hier avançait et marchait sur des oeufs,
00:44que chaque mot était scruté. Est-ce que ça vous a surpris, vous déjà, Roger Pauld ?
00:49Oui et non. C'est-à-dire que ce qui m'a surpris, c'est finalement quelque chose qui a changé
00:54dans une forme de langage qui, jusqu'à présent, était terriblement méfiant, circonspect.
01:04Ce qui m'a frappé dans toutes ces dernières semaines, mais même ces derniers mois,
01:09c'est que finalement, le langage politique n'engageait plus à rien.
01:13Il s'agissait finalement de parler pour ne rien faire.
01:17Ah, pourquoi vous avez ce sentiment ?
01:20Mais parce que la démocratie, et Sébastien Lecornu l'a rappelé, évidemment, c'est la parole.
01:26La politique, c'est la parole pour convaincre, pour engager, pour proposer, pour objecter, etc.
01:34Mais, on était arrivé à un point où, alors les politiques, depuis longtemps,
01:39savent parler pour mentir, parler pour ne rien dire parfois, etc.
01:43Mais, généralement, pour proposer. Là, c'était pour ne rien faire, c'est-à-dire rester simplement au pouvoir un petit peu plus longtemps.
01:53Durer. Ne pas être censuré. Ne pas être dissous. Et c'était ça, l'objectif.
02:00En fait, c'est un objectif négatif. Éviter d'eux, c'est ça ? Ne pas tomber.
02:04Éviter d'eux, et surtout, proposer, ne pas dire les mots qui fâchent, ne pas se mettre à dos tel ou tel parti ou adversaire.
02:16Autrement dit, survivre simplement.
02:19Or, survivre, ça n'est pas agir, c'est simplement rester.
02:22Et là, c'était une parole pour ne rien faire.
02:25Et il me semble...
02:26Pardon, je vous interromps quand même.
02:27Pas complètement quand même. Il a quand même suspendu la réforme des retraites, ce qui, pour toute une partie des oppositions, est le contraire de ne rien faire.
02:34Oui, oui, mais attendez, je précise. Je précise. Jusqu'à présent, tous ces derniers mois, ces dernières semaines, c'était, de façon, finalement, assez sidérante,
02:43cette parole immobile, cette parole pour ne rien faire.
02:46Et il se pourrait que, dans ce discours, il se soit passé quelque chose, le fait de renoncer au 49-3, de proposer la suspension, qui n'est pas la suppression, d'accord,
02:55mais la suspension de la réforme des retraites, de s'engager aussi à la discussion parlementaire.
03:03Tout cela, il me semble qu'on est, en quelque sorte, sur l'arrête.
03:09On ne sait pas. Je n'ai pas de boule de cristal et je ne sais évidemment pas dans quel sens ça va basculer.
03:15Mais il se pourrait que ça remette en jeu du politique, c'est-à-dire du compromis, de la négociation, de l'action, de la parole pour transiger,
03:26et pas de la parole juste pour survivre.
03:28On avait quand même une impression particulière hier, en écoutant Sébastien Lecornu, qui a fait court, d'ailleurs, une demi-heure de discours de politique générale,
03:34c'est qu'à un mot près, la République pouvait tenir ou tomber.
03:38Alors, peut-être que j'exagère un peu, mais du fait qu'il prononce ou pas le mot suspension, ça allait changer notre vie.
03:44On en est là ou là, on est en train de s'emballer un peu ?
03:47Ça devient, en quelque sorte, obsessionnel.
03:50C'est-à-dire, c'est comme avec les gosses, avec le mot magique, tu dis merci, tu vois, ou des choses comme ça.
03:57C'est-à-dire qu'il fallait, et les socialistes avaient aussi posé des conditions même de phrases, de mots à prononcer,
04:05et il y a là quelque chose qui, certes, fait partie du jeu politique, mais finalement d'un jeu politique qui apparaît de plus en plus rétréci, réduit,
04:16et qu'il faudrait parvenir à rouvrir, mais c'est pas le chemin qu'on prend.
04:20Vous dites, le jeu politique, je vous prends au sens littéral, on a l'impression que c'était un bingo pour les socialistes.
04:24Il fallait qu'ils disent 49.3, j'utiliserai pas, toc, on coche la case.
04:28Il fallait qu'ils disent suspension de la réforme, toc, on coche la case.
04:33Mais en même temps, est-ce que c'est pas ça une démocratie qui fonctionne finalement assez bien,
04:37avec un parlement qui est, comme on le sait, divisé, éclaté, et peut-être aussi représentatif de la société ?
04:43Bien sûr, mais c'est pour ça qu'on est, me semble-t-il, à un tournant, à un moment qui peut basculer dans un sens ou un autre,
04:51on peut retomber dans les paroles vides, la crise et les impasses de tous les côtés,
04:57ou peut-être, peut-être, mais ça on le verra aussi avec la censure ou la non-censure de demain,
05:04peut-être quelque chose peut-il se réenclencher, et je ne le sais pas.
05:08Mais il faut avoir peur des mots alors, parce que pour vous, quand même, philosophe, écrivain,
05:12si on commence à avoir peur des mots, si les politiques doivent avoir peur des mots, où est-ce qu'on va ?
05:16Alors, il y a peur et peur, c'est-à-dire qu'il y a des mots, effectivement, qui fâchent,
05:20il y a des mots qui blessent, il peut y avoir des mots qui tuent,
05:24mais il y a aussi des mots qui sont comme des signalétiques, si vous voulez,
05:30et auxquels on attache toute une série de conditions, de sous-entendus, de réactions possibles,
05:43ce qui finit, effectivement, aussi, par faire que l'on avance sur des chemins minés,
05:48que l'on n'ose plus critiquer comme on a envie de le faire,
05:53ou que la parole se trouve bridée, en quelque sorte, comme un moteur est bridé.
05:57Vous n'auriez pas en train de tomber dans le « ma pauvre dame, on ne peut plus rien dire, quand même ».
06:00Non, mais on dit moins, et on dit moins fort, et on dit peut-être avec plus d'arrière-pensée.
06:08Ce qui est vrai, c'est que souvent, les ministres, quand ils sont, quelle que soit leur couleur politique,
06:12quand ils viennent en interview le matin, on a l'impression qu'ils font attention à ne pas dire le mot de trop.
06:18Bien sûr.
06:18Ils sont plus inquiets de ce qu'ils vont dire, de ce qu'ils ne vont pas dire.
06:22Ça veut dire que, depuis toujours, depuis l'Empire romain, la politique, c'est de la rhétorique, aussi.
06:28Mais là, c'est une rhétorique contrainte, minée, et finalement, balisée ou bordée de tous les côtés.
06:35Bon, quel est le mot que vous choisiriez, vous, Roger Paul-Droit, pour résumer la situation du pays, aujourd'hui ?
06:40Ah, piège.
06:42Piège.
06:42Piège, oui, parce que, j'aurais préféré un autre mot, c'est un peu triste.
06:48Je crois que nous sommes piégés par la dette financière, nous sommes piégés par l'entêtement et l'obstination du président
06:57à vouloir rester enfermé dans ses illusions.
07:01Nous sommes piégés aussi par nos propres fractures et divisions,
07:06et que, bien sûr, tout ça, il va falloir essayer de le dénouer, de le dépiéger,
07:12mais je crains qu'il ne faille à la fois beaucoup d'énergie, beaucoup de temps,
07:16et peut-être beaucoup de tribulation avant d'y parvenir.
07:19Et quel est le mot que vous auriez rêvé d'utiliser, alors, si ce n'est pas piège ?
07:23Euh, marche.
07:24Marche ?
07:25Marche.
07:25Mise en route, non pas en marche, parce que ça, ça a déjà été cramé,
07:30mais l'idée que, finalement, nous avançons,
07:35alors que, depuis tous ces mois, nous avons été terriblement, terriblement immobiles.
07:40Bon, puisqu'on parle de mots, on va laisser le dernier à celle qui, avant vous, mon cher Roger Paul,
07:45avait compris qu'on pouvait parler pour ne rien dire.
07:47« Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots »
07:53« Comme j'aimerais que tu me comprennes »
07:55« Rien que des mots, que tu m'écoutes »
07:57« Comme j'aimerais que tu me comprennes, que tu m'écoutes »
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