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  • il y a 14 heures
Une dizaine d'années après son premier voyage, le dessinateur Emmanuel Lepage livre le récit d'une nouvelle expérience en terres australes. Sur ces îles aux confins du monde, le temps est suspendu et les paysages irréels. Avec son dessin, il témoigne d'une biodiversité et d'une vie hors du commun.

Retrouvez "La terre au carré" sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre

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Transcription
00:00Musique
00:01Aujourd'hui, retour aux îles Kerguelen, racontée par
00:22Emmanuel Lepage, auteur de bande dessinée.
00:25France Inter
00:26La Terre au Carré
00:29Il faut imaginer une mer presque sans nom au sud du sud, une mer où les tempêtes semblent n'avoir aucune limite.
00:38Le 12 février 1772, après des semaines de navigation dans l'hémisphère australe,
00:43un cri retentit à bord du navire la Fortune pour signaler une terre par l'avant bâbord.
00:49C'est un moment de grâce pour un équipage épuisé, perdu dans les eaux que l'Europe ne connaît pas encore.
00:54Tous se ruent au Bastingage, Yves-Joseph de Kerguelen de Tremaret, capitaine breton, apparaît à son tour, ajuste sa perruque et saisit sa longue vue.
01:03Depuis 20 ans, il rêve de découvrir un nouveau continent austral et dans ses rochers noirs balayés par le vent, il croit voir le début de cette terre immense qu'il appelle déjà France australe.
01:13Le mauvais temps empêche tout débarquement, mais Kerguelen n'en doute pas.
01:17Ce ne peut être qu'un avant-poste d'un continent gigantesque.
01:21Il envoie son second navire, le gros ventre, tenter une approche plus au sud, puis repart seul vers la France pour annoncer sa découverte.
01:28A Versailles, Louis XV le reçoit comme un nouvel explorateur providentiel.
01:32Mais lorsqu'il revient sur place, l'illusion se dissipe.
01:36Les îles sont austères, volcaniques, perpétuellement battues par les vents.
01:40Aucune trace d'un continent, seulement 300 îles déchiquetées, seulement des manchots, des éléphants de mer et des albatros.
01:47Une courte incursion à terre le 6 janvier 1774.
01:51Suffit donc à comprendre que ce territoire n'a rien du paradis décrit au roi.
01:54L'expédition sombre même dans le scandale et Kerguelen sera finalement traduit en conseil de guerre pour mensonge, indiscipline et abus de confiance.
02:02Et pourtant, son nom survivra et sera donné aux îles.
02:06Aujourd'hui, les Kerguelen demeurent un bout du monde, un désert rocheux où le froid et la nature règnent sans partage.
02:12L'archipel est totalement inhabité.
02:14Seuls des scientifiques et des équipes techniques y séjournent pour étudier la biodiversité, les océans, le climat,
02:20et observer en temps réel la transformation rapide du monde austral.
02:22Et puis parfois, l'île reçoit la visite d'un dessinateur venu capter ce que les instruments ne mesurent pas.
02:28Et c'est cette histoire que nous allons vous raconter.
02:36Bonjour Emmanuel Lepage.
02:38Bonjour Mathieu Vidard.
02:39C'est vous le visiteur des îles Kerguelen.
02:42C'est même votre deuxième visite sur ces îles qui fait l'objet d'une nouvelle bande dessinée chez Futuropolis intitulée Danser avec le vent.
02:50Ouvrage tiré de votre voyage à bord du navire scientifique, le Marion Dufresne, et de votre expérience dans ces terres australes entre novembre 2022 et janvier 2023.
03:01Vous êtes devenu l'un des rares artistes à avoir ces journées à deux reprises au Kerguelen.
03:06Qu'est-ce que ça signifie pour vous d'être revenu dans ces terres australes 13 ans après votre premier séjour ?
03:12Il y avait à la fois un sentiment de familiarité en retournant là-bas.
03:20Je savais ce que j'allais y voir, en tout cas dans les bases, les scientifiques, le personnel technique.
03:28Mais ce deuxième voyage avait une saveur un peu particulière parce que cette fois j'allais pouvoir rester sur place.
03:33Lors du premier voyage, je n'avais passé que deux ou trois jours sur les bases, dans ce qu'on appelle une rotation.
03:38Le deuxième voyage, j'allais pouvoir arpenter ces terres sans chemin avec une équipe d'Arte d'ailleurs, puisqu'on y allait pour faire un film.
03:48Et surtout, vivre le quotidien de ces reclus volontaires.
03:51Avec également un titre de peintre officiel de la marine entre les deux, c'est ça ? Que vous avez eu en 2021 ?
03:58Oui, ça n'a pas grand-chose à voir.
04:00Mais quand même, vous êtes arrivé avec ce titre à bord.
04:02Oui, je suis peintre de la marine.
04:03Ça vous donne droit à quoi d'ailleurs, en l'occurrence ?
04:06J'ai la possibilité d'embarquer sur tous les navires de la marine nationale.
04:13Chose que je n'ai pas encore fait.
04:15Il serait temps peut-être.
04:17Mais la bande dessinée me demande beaucoup de temps.
04:19Et pour l'instant, je n'ai pas encore eu la possibilité d'embarquer.
04:22Mais ça viendra un jour.
04:24En fait, c'est une garantie de voyage à vie.
04:26Absolument.
04:26Donc là, vous étiez à bord de ce navire scientifique.
04:29Qu'est-ce que vous avez ressenti, d'ailleurs, la première fois que vous êtes arrivé dans cette région ?
04:33Qu'est-ce que vous retenez comme sentiment, comme sensation ?
04:38Le premier sentiment que j'ai eu lors de mon premier voyage en 2011, 2010 pardon,
04:45a été d'être dans le monde du bout du monde.
04:49Vous savez, autrefois, on imaginait qu'au bout du monde, il y avait les nuées,
04:53et après, il y avait les animaux fantastiques, et puis après, c'était la fin du monde.
04:56Quand vous allez dans les terres australes, vous avez un peu ce sentiment-là,
04:59puisqu'au moment où les eaux chaudes de l'océan Indien rencontrent les eaux froides de l'océan Antarctique,
05:04il y a un phénomène de brume très curieux.
05:07Tous les bruits sont assourdis.
05:09Et vous franchissez cette porte brumeuse.
05:11Et de l'autre côté, effectivement, il y a les animaux fantastiques.
05:14Il y a les manchots, les éléphants de mer, et surtout les albatros.
05:17Donc, on a quand même ce sentiment d'être ailleurs.
05:20Ça a donc donné naissance, ce premier voyage, à votre bande dessinée Voyage aux îles de la Désolation,
05:25qui est sortie en 2011.
05:27La Désolation, ça résume très très bien aussi cet univers géographique ?
05:32C'est un peu exagéré, Désolation, parce que je n'ai jamais eu vraiment ce sentiment de désolation.
05:37En fait, parce que c'est tellement beau.
05:39Effectivement, c'est austère.
05:40Mais les ciels sont absolument inouïs.
05:47Vous avez l'impression de basale, comme ça, qui sort de l'eau en fumant.
05:52Vous avez l'impression d'être à l'aube du monde.
05:55Donc, Désolation, non.
05:56Puis surtout, vous avez tellement d'animaux.
05:59C'est assez incroyable, en fait, de côtoyer d'aussi près le sauvage.
06:04Mais donc, c'est un titre que vous remettez en cause vous-même ?
06:07Oui, parce que Désolation, c'est le nom qu'on leur a donné.
06:11Enfin, que sans doute Kerguelen et les marins qui sont arrivés à ce moment-là lui donnaient.
06:16Parce que pour eux, ça l'était.
06:18Ils imaginaient voir, comme vous l'avez résumé tout à l'heure,
06:21ils imaginaient voir un univers, une sorte de paradis, un nouvel édain austral.
06:26Et puis, c'est avéré que c'était absolument inexploitable.
06:29Donc, pour eux, ça l'était.
06:30Pour nous, qui le découvrons, on a l'impression d'être à l'aube du monde.
06:34Qu'est-ce qui a déclenché le second voyage, en l'occurrence ?
06:36C'était le documentaire pour Arte ou une invitation de scientifiques ?
06:39Comment ça s'est passé ?
06:41Alors, à l'origine, c'est une proposition de Christophe Guinet,
06:44qui est le responsable des programmes éléphants de mer à Kerguelen,
06:47qui m'avait proposé de partir faire une campagne d'été,
06:51c'est-à-dire rester cinq mois sur Kerguelen avec ses équipes.
06:55Alors, partir cinq mois, c'était un peu compliqué,
06:57pour des raisons professionnelles et familiales.
06:59Vous avez beau aimer les éléphants de mer, c'était un petit peu long, quand même.
07:02Ah oui, c'était très excitant, parce que j'allais vivre le quotidien de tous ces scientifiques,
07:08que j'avais imaginé lors du premier voyage,
07:11mais n'étant resté que quelques jours, je n'avais pas vécu ce quotidien.
07:16Et quand je les voyais revenir de ces quelques mois,
07:20voire un an, un an et demi parfois,
07:22je les voyais tellement changer,
07:25enfin, je voyais dans leurs yeux, dans leur silence,
07:28qu'il s'était passé quelque chose de très très fort.
07:30Et je n'avais fait que l'évoquer dans ce premier livre-là,
07:33on me proposait vraiment de le vivre.
07:35Et donc, ça n'a pas pu se faire tout de suite.
07:39Et puis, le temps a passé jusqu'au jour où un réalisateur, François Picard,
07:43m'a proposé de venir tourner un film, de m'accompagner sur le terrain.
07:47Et là, c'était que deux mois, donc c'était beaucoup plus envisageable.
07:49Et donc, ça a aussi donné naissance à cette bande dessinée,
07:51ce qui n'était pas forcément d'ailleurs l'objectif au départ.
07:54Vous n'étiez pas parti pour dessiner sur place ?
07:57Alors, je ne dessine pas sur place.
07:58Enfin, je fais des croquis sur place, si vous voulez,
08:00mais je ne fais pas la bande dessinée sur place.
08:02Non, je ne pensais pas vraiment faire une bande dessinée documentaire.
08:06Parce que j'avais déjà fait une bande dessinée là-bas.
08:09Donc, qu'est-ce que je pouvais raconter de différent ?
08:12Donc, j'avais beaucoup de doutes.
08:14Et autant, dans le premier voyage, j'étais un dessinateur sur le bateau.
08:18Dans le deuxième voyage, bon, là, je venais avec une caméra de télévision.
08:23Donc, pour la discrétion, ce n'était pas ça.
08:24Et puis, beaucoup de gens connaissaient aussi mon livre.
08:29Donc, je craignais que cette proximité, cette intimité n'allait pas pouvoir être possible.
08:34Ce titre dansait, donc, avec le vent.
08:37Qu'est-ce qu'il veut dire exactement ?
08:40Alors, il y a deux choses.
08:41Le vent est omniprésent là-bas.
08:42En fait, tout le monde en parle.
08:44C'est ça la caractéristique de ces terres australes.
08:47C'est le vent omniprésent qui se lève très rapidement,
08:53qui peut tomber aussi très rapidement.
08:55Et qui fait que ce n'est pas possible d'avoir une vie pérenne, d'ailleurs, dans ces terres australes.
09:00Parce qu'il souffle très régulièrement.
09:03Il n'y a pas d'arbres.
09:04C'est vraiment une végétation rase.
09:07Toutes les tentatives de colonisation de ces terres australes ont été des échecs.
09:13Justement, à cause du vent.
09:14À cause du vent et de ces conditions climatiques extrêmes.
09:17Donc, le vent est omniprésent.
09:19Et puis, dans ce voyage, nous avons beaucoup dansé.
09:23Et toutes ces craintes que j'avais au début de me dire,
09:27quelle histoire je peux raconter ?
09:28Est-ce que je vais vraiment pouvoir rencontrer les gens ?
09:30Est-ce que la caméra, justement, ne va pas faire une sorte de filtre ?
09:34Tout ça, ça a été balayé.
09:35En fait, j'avais tort d'un bout à l'autre.
09:37Et ça a été, au contraire, la danse a été très présente.
09:42On danse beaucoup à Kergalen.
09:44Mais c'est aussi une métaphore, une façon de s'alléger,
09:48de sortir de cette pesanteur du monde.
09:52Et comment vous expliquez qu'on danse beaucoup à Kergalen ?
09:54Parce que ce sont des scientifiques, principalement, qui sont sur place.
09:57Comment se fait-il que la danse soit aussi un ingrédient, finalement, des séjours au Kergalen ?
10:02Effectivement, les conditions sont rudes.
10:07Mais la fête, la danse, justement, c'est un moyen de créer du lien.
10:11Et vous savez, quand vous êtes là-bas, vous n'avez pas la possibilité de partir.
10:19Vous pouvez... Le bateau, il reste très peu de temps.
10:22Il passe quatre fois par an.
10:24Donc, il faut trouver des façons de vivre ensemble.
10:28Alors, ils vivent des choses qui sont difficiles.
10:30Ce n'est pas toujours très simple de vivre avec des gens qu'on n'a pas choisis.
10:34Il y a beaucoup de promiscuité.
10:35Oui. Et donc, la fête, la danse, fait partie intégrante de ce vivre ensemble.
10:44En fait, ça crée un autre lien qui est nécessaire, tout simplement, pour la survie dans ces terres australes.
10:51Comment on dessine le vent, Emmanuel Lepage ?
10:53Ça doit être une difficulté extrême, non ?
10:56De représenter le vent dans une planche ?
10:59Décider de quelque chose, effectivement, que l'on ne voit pas, qui est là et qui n'existe que parce qu'il passe.
11:07C'est ça.
11:08Vous pouvez le dessiner par les positions des corps, évidemment, un drapeau qui va flotter au vent.
11:15Mais oui, je vous avoue que le vent, c'est parmi peut-être les choses autour desquelles je tourne, sans vraiment savoir comment le représenter.
11:23On va écouter la voix d'un de vos collègues, dessinateur Hugo Pratt, au sujet des voyages.
11:28Quel dessinateur et quel voyageur aussi ? C'était en 1999 sur France 3.
11:32Aujourd'hui, on ne fait plus de voyages. On fait des transports. On va avec un avion, on va d'un côté, on va de l'autre.
11:42Mais vite, on n'a pas le temps d'arriver à réfléchir.
11:48Alors, je crois que si vous avez en tête quelque endroit qui l'a changé, c'est difficile de le retrouver.
11:58Vous devez même aller avec un livre, un livre historique, un livre que vous aimez, et aller à la recherche de l'endroit que l'écrivain a décrit.
12:09Et vous le retrouvez. Vous le retrouvez beaucoup plus que vous ne pensez pas.
12:15Hugo Pratt, est-ce que vous avez lu beaucoup de choses, Emmanuel Lepage, avant d'aller au Kerguelen ?
12:20Je n'ai rien lu.
12:22Donc, vous n'avez aucune idée particulière de ce que vous alliez vivre ?
12:26Je ne lis pas avant de partir. Quel que soit le voyage, justement, j'ai envie d'être surpris.
12:34Je peux lire beaucoup après, mais pas avant, parce que justement, j'ai peur que ça modifie mon regard.
12:40Et j'ai besoin de me sentir sans a priori avant de partir quelque part.
12:47Je peux lire des choses éventuellement pratiques pour savoir quelle température il fait et comment il faut me couvrir.
12:53Mais j'ai peur d'être influencé par les lectures que je peux avoir.
12:58Par contre, après, je lis beaucoup. Et pendant aussi.
13:02Quand j'étais là-bas, j'ai lu quelques livres.
13:04Comment est-ce qu'on est accueilli sur place quand on arrive dans un tel endroit pour vivre une telle expérience ?
13:09Est-ce que c'est un moment particulier à vivre ?
13:11Est-ce qu'on projette des choses particulières sur l'accueil ?
13:16L'accueil à Kerguelen, sur les terres australes, ce qu'on appelle une opération portuaire, c'est un tourbillon.
13:23C'est-à-dire qu'il y a à la fois ceux qui arrivent, ceux qui partent.
13:28C'est à la fois le plaisir de rencontrer des gens différents, d'avoir de nouveaux visages.
13:35Et puis en même temps, le déchirement de quitter ceux avec qui on a passé parfois un an, un an et demi.
13:41Donc tout ça se croise en fait.
13:42Oui, tout ça se croise et de façon aussi très rapide parce qu'il n'y a pas de port à Kerguelen.
13:47Donc tout se fait en hélicoptère.
13:49Et en 30 secondes, on passe du bateau à la terre et de la terre au bateau.
13:53Donc on change l'univers extrêmement brutalement.
13:56C'est un tourbillon, on est ailleurs.
13:59Et c'est des choses qui sont vécues de façon extrêmement violente par tous les gens qui vont là-bas.
14:04C'est vraiment étrange parce qu'on est...
14:08Nous-mêmes, quand on arrive là-bas, évidemment, soudain on va rencontrer 30, 40 personnes.
14:14On est happé, émerveillé.
14:16Puis vous avez le bruit de l'hélicoptère autour, vous avez le froid.
14:18Et puis surtout, vous voyez les animaux qui sont là, tout autour de vous.
14:21Dans la base de Port-au-Français, il y a des manchots, des éléphants de mer.
14:24Et vous êtes comme ça au milieu du vivant sauvage.
14:30C'est curieux, c'est un émerveillement.
14:33On est vraiment un tourbillon.
14:35On va écouter Valérie, la chef de district de Port-au-Français,
14:38qui vous explique justement dans le documentaire qui a été tourné pour Arte,
14:41la façon dont les liens se construisent assez rapidement sur les Kerguelen.
14:45Malheureusement, on le sait, quand on arrive, on va partir un jour.
14:49Néanmoins, les amitiés se sont créées et tous sont tristes de partir.
14:54Et ceux qui restent sont tristes de les voir partir.
14:56Moi, je considère ça comme une grande famille.
14:58Alors avec des hauts et des bas, comme dans une famille, en fait,
15:01où on peut se discuter, s'accrocher.
15:03Mais ça reste fort.
15:04Ce n'est pas des liens du sang, mais c'est des liens d'amitié qui restent très, très forts.
15:07Les conditions sont très particulières, le terrain est très particulier.
15:10On part rapidement en cavale.
15:12Donc forcément, les liens se créent assez rapidement.
15:15Parce qu'on en bave.
15:16Moi, j'en ai bavé en allant en cavale.
15:17Donc je pense qu'eux tous, c'est pareil.
15:20Et ça crée de famille.
15:23Voilà Valérie, la chef de district dans le tourbillon de l'hélicoptère qu'on entend derrière.
15:27Ça veut dire quoi, chef de district d'ailleurs, sur une terre comme Kerguelen ?
15:32Le chef de district est le représentant du préfet d'Étaf sur les bases.
15:38Donc l'Étaf, c'est une administration, terres australes et antarctiques françaises,
15:43qui est située à l'île de la Réunion, à Saint-Pierre.
15:45Et donc le chef de district est le représentant de la préfète, là, pour le coup.
15:49Donc c'est le maire, finalement, du lieu, quasiment ?
15:53Oui, c'est ça.
15:53C'est un petit peu tout.
15:55C'est l'autorité, tout simplement, que vous avez là-bas.
15:58C'est des structures assez hiérarchisées, les terres australes.
16:04C'est des choses d'ailleurs qui sont parfois remises en question par les gens sur place.
16:08Parce qu'on se demande pourquoi une telle hiérarchie sur des aussi petites communautés.
16:14Emmanuel Lepage, vous êtes notre invité cet après-midi dans La Terre au Carré,
16:17Danser avec le Vent.
16:18C'est cette nouvelle bande dessinée qui sort aux éditions Futuropolis.
16:22J'ai l'impression d'avoir
16:43Déjà vécu ce moment, tout est bizarre maintenant.
16:50Je vois tes cheveux qui dansent, qu'est-ce que tu m'alligances ?
16:55Mais, mais, mais, mais, mais
17:52...
18:22Ma Cercita, c'était Miel de Montagne avec Girl Ultra sur France Inter.
18:52Mathieu Vidard
18:57La Terre au carré
19:00Avec 500 km², c'est le plus vaste glacier de France
19:04Plus grand que tous les glaciers des Alpes réunis
19:06Mais c'est aussi celui qui fond le plus vite à l'échelle de la planète
19:11L'endroit où nous sommes ici nous intéresse
19:15Parce que ça va nous permettre de combiner à la fois l'analyse des sédiments lacustres
19:19Qui vont être prélevés avec les carottages
19:21Et puis également l'analyse de ce qu'a été la position des glaciers
19:25En un peu plus de 50 ans, le glacier a perdu 25% de sa superficie
19:30La température effectivement s'élève depuis quelques décennies
19:33Et ça, ça a des effets bien sûr en termes d'accumulation de la neige
19:36Il y a moins de neige qui s'accumule, c'est plus de la pluie qui tombe que de la neige
19:39Reportage aux îles Kerguelen, c'était en 2020 sur TF1
19:43Avec le plus grand glacier de France
19:45Qui est aussi celui qui fond actuellement le plus vite au monde
19:48Emmanuel Lepage, vous qui êtes notre invité
19:50Avec cette bande dessinée dont vous êtes l'auteur
19:53Danser avec le vent chez Futuropolis
19:56Donc récit de votre second voyage aux îles Kerguelen
19:59Vous avez été le témoin des changements
20:02Ou c'est compliqué quand on est sur place seulement deux mois
20:05De pouvoir en dire quelque chose ?
20:06C'est très compliqué, c'est comme le réchauffement climatique
20:10Le fait qu'on ne le voit pas
20:13On sait que c'est là mais on ne le voit pas
20:15Et puis à mon échelle c'est très difficile
20:17Je serai allé à nouveau sur le glacier
20:20Peut-être que je m'en suis rendu compte
20:21Parce que le glacier j'y étais allé lors de mon premier voyage
20:23Mais on a besoin d'avoir des scientifiques pour nous expliquer évidemment les changements
20:28Moi je ne suis qu'un passant en fait
20:31Sur ces îles et en plus sur une période courte
20:33Par contre vous avez à l'île d'Amsterdam
20:37Un endroit où on mesure le CO2 dans l'atmosphère
20:41Et les effets de gaz à effet de serre
20:44Une station qui s'appelle Pointe-Bénédicte
20:49Qui permet de vérifier et de constater
20:55Qu'à l'échelle d'un hivernage, à un an
20:57On voit en fait l'augmentation du CO2
21:00C'est-à-dire à l'échelle d'une très très courte période
21:04Et en plus ça va en s'accélérant
21:06Donc eux ils le voient
21:08Sur leurs instruments
21:10L'évocation des pluies par exemple
21:11Qui sont plus nombreuses aussi
21:13Et qui modifient considérablement la vie des animaux aussi sur place
21:16Ça c'est quelque chose qui fait partie de ces changements sur place ?
21:21On a toujours l'impression que ces terres c'est le bout du monde
21:25Mais en fait c'est surtout des avant-postes
21:27De ce qui va se passer chez nous bientôt
21:29Et vous avez des problèmes particulièrement
21:32Au niveau des manchots par exemple
21:35Où le front polaire là où ils vont se nourrir
21:38Et à creuser en particulier qui s'éloigne
21:41Donc les manchots ont besoin d'aller beaucoup plus loin
21:43Pour pouvoir nourrir leurs poussins
21:44Et quand ils reviennent ils sont morts
21:45Donc vous avez les populations de manchots à Creuset
21:50Qui sont en forte diminution
21:51Pas encore à Kergalen
21:53Et au niveau aussi de la sécheresse
21:56Récemment en début d'année
21:58Vous avez un incendie gigantesque à l'île d'Amsterdam
22:01Qui a ravagé une bonne partie de l'île
22:03Parce qu'il n'avait pas plu
22:04Et le terrain était beaucoup trop sec
22:06Et ça c'est des phénomènes nouveaux
22:08Un incendie d'une telle ampleur
22:09Par exemple sur une île australe comme celle d'Amsterdam
22:12Qui a effectivement abrûlé quasiment la moitié du territoire
22:15On n'a même plus je crois
22:16C'est quelque chose qu'on ne voyait pas avant ?
22:19Alors ça s'était fait avant
22:20Il y en avait eu avant
22:21Mais je crois qu'il y a quand même un petit moment
22:23Certainement pas avec une telle rapidité
22:25Parce que là tout était très très sec
22:28Mais c'est assez dramatique
22:32Ce qui se passe là-bas
22:34Parce que les scientifiques
22:36Vous en recevez beaucoup
22:38Hurlent depuis des années
22:40A ce qui se passe
22:42Et on ne les écoute pas
22:44Et s'il y a un changement
22:45Que j'ai pu constater
22:46Entre mon premier et mon deuxième voyage
22:48C'est que les scientifiques
22:50Que je rencontrais en 2010
22:52Nous disaient
22:54Nous montraient
22:55Crier, essayer d'interpeller le monde
22:58Les politiques
22:59Et rien ne se passait
23:00Et je pense que
23:01Dans ce deuxième voyage
23:02Il y a eu une forme de
23:04Peut-être pas de découragement
23:05Mais de se dire
23:07Bon on ne nous entend pas
23:08Alors on va faire
23:09Et je vois beaucoup de ces jeunes gens
23:12Extrêmement engagés aussi
23:14Dans leur quotidien
23:15Lorsqu'ils rentrent
23:17Pour essayer d'avoir moins d'empreintes carbone
23:19Tout simplement
23:20D'arrêter de manger de la viande
23:22D'aller dans les écoles
23:25Enfin c'est des
23:26Je rencontre des gens
23:27Qui sont plus militants
23:29Vous avez cette discussion
23:30Avec une des chercheuses
23:31D'ailleurs sur place
23:32Qui pense déjà
23:33A son retour
23:33Je crois qu'elle habite
23:34Dans les Alpes
23:35Et qui imagine peut-être
23:37Quasiment abandonner
23:39Son travail de recherche
23:40Pour se consacrer plutôt
23:41A la terre et l'agriculture
23:42Oui c'est ça
23:43Et ça vous en avez rencontré plusieurs
23:44Qui sont presque dans cette démarche là
23:46D'arrêter la science
23:48Oui il y en a beaucoup
23:49Qui a un découragement en fait
23:52Ce sont pourtant
23:53Ce sont vraiment des têtes d'ampoule
23:55Vous savez ce sont des gens
23:56Pour aller là-bas
23:57C'est des gens
23:57Qui sont très au fait
24:00De la beauté du monde
24:03Et de sa fragilité
24:04Mais je crois qu'il y a chez eux
24:07Un vrai découragement
24:09Quand ils passent la moitié de leur temps
24:10Essayer de trouver des sous
24:11Pour leur recherche
24:12Et c'est pas possible en fait
24:14Ils sont pas là pour ça
24:16Et on leur demande souvent
24:18A quoi ça sert en fait
24:20Qu'est-ce qu'on fait
24:21En fait toujours
24:22Dans une notion productiviste
24:23De la science
24:25Alors qu'on pourrait peut-être
24:26Juste s'intéresser
24:28A la beauté du monde
24:28Et essayer de comprendre
24:29Dans le monde dans lequel on est
24:30Emmanuel Lepage
24:31Quand on est comme ça
24:32Entouré par des milliers d'animaux
24:33Donc des manchots
24:35Ou des éléphants de mer
24:36Qui sont quand même aussi
24:37Des animaux extrêmement impressionnants
24:38Quelle place on a
24:41En tant qu'humain
24:41Au milieu de cette faune
24:42On leur fait pas peur
24:45On n'est pas
24:47Perçu comme des prédateurs
24:50Donc
24:51Il y a une interaction
24:53Qui est assez étrange
24:54Parce que
24:55A la fois nous on est curieux
24:57Evidemment de voir ces animaux
24:58Qu'on ne voit que là-bas
24:59Mais eux-mêmes sont assez curieux
25:00De nous voir
25:01Et il m'arrivait
25:02Très fréquemment
25:03De dessiner au milieu d'eux
25:05Oui
25:05Ils se fait bien dessiner
25:07Ça va ?
25:08Oui alors
25:08Les manchots
25:09C'est assez amusant
25:10Parce que
25:10Même s'ils bougent
25:11Vu qu'ils se ressemblent tous
25:12S'il y en a un qui n'a plus
25:13Tout à fait la même position
25:14Je vais voir
25:15Le modèle reste bon
25:16Le modèle reste bon
25:16Mais vous voyez
25:18C'était assez fréquent
25:20Qu'ils s'approchent
25:20Vraiment très près de moi
25:22Et justement
25:23Parce qu'il y a beaucoup de vent
25:23À Kergalen
25:24J'ai des pinces en métal
25:25Pour retenir les feuilles
25:26Et sans doute
25:28Parce que ça brille un peu
25:29Ça devait les intriguer
25:30Et puis une fois
25:30Les manchots venaient tapoter
25:32Sur cette pince en métal
25:34Donc je les avais là en fait
25:35À 10 cm de mon crayon
25:37Et donc cette place
25:39Il faut garder
25:39Maintenir quand même
25:40Une sorte de distance
25:41Avec ces animaux
25:42Pour ne pas être trop intrusif
25:43Qu'est-ce qu'ils vous disent
25:44Les scientifiques là-dessus
25:45Vous avez des consignes ou pas ?
25:46On va éviter de leur foncer dessus
25:48Si vous voulez
25:48Mais vous voyez
25:50La plage de Ratmanov
25:51Qui est la plus grande colonie
25:52De manchots royaux au monde
25:53Il y a plus de 300 000 individus
25:55Sans compter les éléphants de mer
25:56Quand vous frayez un passage
25:59Parmi eux
26:01Ils s'écartent en fait
26:03Et à peine
26:04Parfois
26:04Il faut le dernier moment
26:05Pour qu'ils s'écartent
26:06Parce qu'ils sont plus intrigués
26:07Que peureux
26:08Et c'est
26:09C'est tellement rare
26:12En fait
26:12De fréquenter le sauvage
26:14Vous voyez
26:14Chez nous
26:15On est merveillé
26:15Quand on voit une biche
26:16Ou un sanglier
26:17On voit
26:19Quand on est ornithologue
26:20Les oiseaux sont loin
26:21Il faut exercer la vue
26:22Tandis que là
26:23Ils sont tout prêts
26:24Il m'est arrivé une fois
26:26De tenir
26:27Un manchot royal
26:29Dans mes mains
26:30Parce que
26:31C'est en train de faire
26:32Un prélèvement
26:34De sang
26:35Et
26:35Quand vous avez
26:36Un animal sauvage
26:38Entre vos mains
26:38C'est une émotion
26:39Absolument incroyable
26:40Et il faut imaginer
26:41Que ce sont des centaines
26:42De milliers d'animaux
26:43Ah oui
26:43C'est à perte de vue
26:45C'est à perte de vue
26:45C'est extrêmement impressionnant
26:47Et puis vous le voyez
26:47Progressivement en plus
26:49Parce que quand vous arrivez
26:50Petit à petit
26:50Vers cette plage
26:51Vous voyez quelques individus
26:52Et encore plus
26:53Et puis soudain
26:53Vous entendez le bruit
26:54Parce que c'est extrêmement bruyant
26:56Et puis soudain
26:57On est sur une sorte de petit promontoire
26:59Et ça se dégage
27:00Et ces 300 000 individus
27:02C'est inouï
27:03On va écouter
27:04Deux scientifiques
27:04Qui sont en séance
27:06D'observations d'observation
27:06De Manchaux
27:07À Pointe-de-Susanne
27:08Vous étiez auprès d'elle, Emmanuel Lepage, extrait du documentaire « Les îles Kerguelen aux confins du monde » de Cécile Clocheret qui avait été diffusée l'année dernière sur Arte.
27:18Le but c'est vraiment de compter tous les poussins.
27:21Tu verras du coup Kerguelen c'est une grande base, tu trouveras une poignée de personnes avec qui tu t'entendras très bien, tu partiras en manip, tu vivras des choses très très fortes,
27:30tu vas partager des conditions climatiques extrêmes, vous ferez des manips ensemble, vous allez vivre des moments avec des poussins, avec des animaux, ce sera génial.
27:40Et puis avec les autres personnes, ce sera un peu plus compliqué, ils n'iront pas forcément vers toi, mais toi aussi si tu veux vivre une expérience humaine riche,
27:48tu peux aller vers eux, leur proposer des manips et ça permet de briser la glace et ça c'est une belle expérience en fait.
27:53Voilà, il faut savoir briser la glace Emmanuel Lepage, dans cet environnement évidemment très particulier,
28:00parce que vivre plusieurs mois avec peu d'individus au bout du monde, évidemment c'est très particulier en soi.
28:06Est-ce que vous, vous l'avez ressenti, ce que les scientifiques vivent parfois comme tension ?
28:10Est-ce que vous, en tant qu'observateur quand même un peu extérieur, vous l'avez vécu ?
28:16Vous le dessinez assez rapidement d'ailleurs dans la bande dessinée, vous ne vous attardez pas là-dessus, mais il y a quand même un moment de tension.
28:22Oui, il y a des tensions tout simplement, parce que ce sont des gens qui ne se sont pas choisis,
28:27et puis qui sont obligés de vivre au quotidien sans avoir la possibilité de partir, parce que c'est ça la grande difficulté.
28:37Lorsque vous avez des... quand j'y étais par exemple, il y avait eu un harcèlement sur une des bases,
28:44et ce qui m'a vraiment intéressé, c'est de voir comment collectivement, ils vont réfléchir à ça,
28:51sachant qu'on ne peut pas écarter l'agresseur, puisqu'il n'y a pas de bateau.
29:00Il est là, il va rester.
29:01Et donc il vit avec sa victime au quotidien.
29:06Comment on fait ? Comment on traite ce genre de choses au bout du monde ?
29:13Et ce qui moi m'a passionné en rencontrant ces gens-là, c'est la réflexion qu'ils mènent sur ces choses qui irriguent nos sociétés,
29:23ces rapports de domination, le patriarcat, le colonialisme, le genre, les rapports hommes-femmes.
29:29Évidemment que ça va aussi dans ces terres du bout du monde.
29:33Et c'est aussi leur quotidien.
29:35Comment on fait pour le gérer ?
29:37Et collectivement, ils inventent des solutions.
29:41Par exemple, comment on dénoue un tel cas, par exemple, de harcèlement ?
29:46Alors ça, je ne sais pas comment eux, ils vont le proposer quotidiennement.
29:50Mais déjà, le fait tout simplement de parler.
29:53Comment on fait ? Déjà, d'essayer peut-être de raisonner la personne.
29:58Alors parfois, effectivement, le cas de l'agresseur en question a été résolu en écartant l'agresseur.
30:10Malheureusement, ils ont aussi renvoyé la personne qui avait été agressée.
30:14Et ça, ça avait provoqué aussi beaucoup de tensions.
30:17Donc c'est aussi la réalité de cette vie dans ces îles ?
30:21Oui, bien sûr.
30:22Et cette réalité, elle ressort aussi dans vos dessins ?
30:24En fait, quand j'étais parti là-bas la première fois en 2010, j'avais retrouvé une communauté.
30:34Et moi-même, j'ai vécu en communauté quand j'étais enfant.
30:37Et donc j'avais le sentiment de retourner finalement dans quelque chose de l'enfance.
30:41Et c'était une forme de nostalgie.
30:43Et quand je voyais ces jeunes gens et leur implication à essayer de penser des choses autrement, à leur engagement, leur militantisme parfois, qui finalement m'émerveillait aussi.
31:00Et là, j'avais l'impression d'une promesse.
31:03Le premier voyage était du nostalgie et le second était une promesse.
31:06C'est ce que vous dites effectivement sur ces deux voyages qui chacun ont fait l'objet d'une bande dessinée.
31:11La dernière, danser avec le vent.
31:12Vous êtes avec nous pour en parler.
31:14Emmanuel Lepage, ça sort chez Futuropolis.
31:36La dernière, danser avec le vent.
32:06La dernière, danser avec le vent.
32:36La dernière, danser avec le vent.
33:06La dernière, danser avec le vent.
33:36La dernière, danser avec le vent.
34:06La dernière, danser avec le vent.
34:36Les Kerguelen sont un atout précieux, une base arrière sur le continent antarctique et un jalon sur la route d'une des mers les plus fréquentées du globe.
34:437000 km² d'une terre sauvage, peuplée de manchots, d'éléphants de mer et de quelques moutons venus des Pyrénées au début du siècle pour améliorer l'ordinaire des pêcheurs de baleines.
34:53Une archive de l'Ina de 1975, vous qui publiez votre nouvelle BD chez Futuropolis danser avec le vent qui se passe justement aux îles Kerguelen.
35:02Est-ce qu'on y trouve toujours des moutons pour améliorer le quotidien ou pas ?
35:05Non, il n'y en a plus, il n'y en a plus, il n'y a plus de moutons.
35:07C'est fini.
35:07Par contre, on trouve d'autres espèces. Vous avez les rennes qui sont toujours extrêmement présents dans les terres australes.
35:15Les moutons ont été sur des îles, donc on les a cantonnées dans un espace clos et ils ne nageaient pas.
35:23On a essayé de faire la même chose avec les rennes, mais malheureusement, on a oublié que les rennes, ça savait nager.
35:27C'est vrai.
35:27Et donc, ils ont envahi la grande terre de Kerguelen et se sont reproduits. Aujourd'hui, il y en a des milliers.
35:32Considérées comme des espèces invasives sur place ?
35:35Oui, parce que le piétinement des rennes assèche les sols, particulièrement dans les zones humides.
35:42Et donc, ça modifie l'écosystème et la végétation.
35:46Il y a des chercheurs sur place qui sont spécifiquement dédiés au travail sur les espèces invasives, justement ?
35:52Oui, ce sont ce qu'on appelle les mammifères introduits.
35:56Donc, ce sont des chasseurs qui sont chargés de, comme ils disent, prélever, mais c'est-à-dire tout simplement tuer les animaux.
36:05Alors, c'est les rennes, évidemment. On a tué les mouflons, les moutons.
36:11Tout simplement parce que l'homme, en mettant son pied dans les Kerguelen, a profondément modifié tout l'écosystème.
36:17Et depuis que les terres australes sont devenues une réserve naturelle, on essaie de limiter l'impact de ces espèces invasives.
36:28Là, c'est évidemment la faune, mais c'est également le cas de la flore.
36:31À Kerguelen, vous avez les deux tiers des plantes sont exogènes.
36:37Parce que rapportées à l'occasion des différents voyages ?
36:41Oui, c'est-à-dire que les plantes exogènes, c'est souvent ce que vous ramenez sous vos chaussures.
36:47Donc, aujourd'hui, on fait très attention à ça.
36:49On a des sasses de biosécurité où on nettoie nos chaussures, on aspire les plis des vêtements.
36:56Mais c'est vrai qu'il y a les rennes, les mouffons, les moutons, c'est assez gros, donc on peut les tuer.
37:07Ce qui pose plus de problèmes, c'est les rats, les souris et les chats.
37:11Il y a une chose assez absurde.
37:16Il y avait énormément de souris et de rats qui avaient été amenés par les bateaux au fil du temps,
37:20particulièrement au XIXe siècle, avec les baleiniers et les foquiers.
37:23Et dans les années 50, on s'est dit, mais on va mettre des chats.
37:27Comme ça, les chats vont courir après les souris.
37:29Ça va être formidable.
37:29Oui, c'était Tom et Jerry.
37:30Bien sûr.
37:32Mais à Kergalen, les oiseaux, ils nichent au sol.
37:35Donc, il est beaucoup plus simple pour un chat d'aller manger les poussins ou les oeufs
37:39que d'aller courir après les souris.
37:41Et donc, il y a énormément de chats sauvages à Kergalen.
37:44Évidemment, ils n'ont pas demandé à être là.
37:46Ils ne se vivent pas, évidemment, comme des espèces nuisibles.
37:49Mais on est obligé de, si on veut préserver tout simplement la faune locale
37:56et particulièrement des animaux qui sont endogènes.
37:59Je pense à l'albatro sur l'heure, par exemple.
38:03Si on ne limite pas les chats autour de ces colonies, ces oiseaux disparaîtront.
38:08Donc, ils vivent avec vous ou ils fuient, pour le coup, les humains sur place, ces chats ?
38:13Les chats, ils sont quand même, je crois qu'eux, se méfient des humains.
38:20Il faut vraiment avoir l'œil du chasseur pour les voir.
38:23On en voit de temps en temps.
38:24Il y en a quelques-uns sur la base.
38:26Mais évidemment, c'est des choses qui sont sensibles.
38:29Ça ne se fait pas de gaieté de cœur.
38:32Mais c'est nécessaire tout simplement pour préserver la biodiversité.
38:37Emmanuel Lepage, vous avez vécu de longues heures de marche pour atteindre les cabanes.
38:42Les cabanes qui sont des lieux particuliers.
38:44D'ailleurs, on voit la visite de ces cabanes.
38:47Il y a des cuisines, évidemment, pour manger, qui sont très protégées aussi à cause des souris.
38:52C'est des lieux très particuliers dans, déjà, l'univers très particulier des Kerguelen, ces cabanes ?
38:59La vie en cabane, c'est ça que j'imaginais faire et que je voulais expérimenter.
39:07Lors du premier voyage, je n'étais resté qu'à la base de ports français.
39:11Ce sont les Kerguelen.
39:13C'est immense, c'est grand comme la Corse.
39:16Il y a toute une partie qui est inaccessible.
39:18Donc, les cabanes ne sont pas partout.
39:21Elles sont essentiellement sur des lieux d'études.
39:23Vous avez des cabanes pour les manchots, des cabanes pour les éléphants de mer, pour les otaris, les oiseaux.
39:30Ce sont des terres sans chemin et avec un terrain qui est parfois assez cabossé, assez chaotique.
39:36Ce sont des heures et des heures de marche pour aller aux cabanes.
39:40Non seulement ce sont des têtes bien faites, mais ce sont aussi des corps bien faits.
39:46Ce sont des sportifs, les scientifiques là-bas.
39:50La vie en cabane, c'est une expérience très étrange, une aventure très étrange.
39:56Parce que vous pouvez aller là-bas avec des scientifiques évidemment, mais vous allez aussi inviter les autres corps de métier à vous accompagner.
40:03Donc, vous allez passer du temps avec des militaires, des ouvriers polyvalents, des charpentiers, des cuisiniers.
40:08Et cette fois au plus près du monde sauvage.
40:12Et avec des points de vue spectaculaires.
40:15Parce que ces cabanes, évidemment, on marche pendant des heures.
40:18Attends, pourquoi il y a le générique ?
40:22Il était parti sous la voie.
40:24Attends.
40:25Donc, on reprend juste ce moment-là.
40:27Avec ces cabanes qui sont en général situées dans des endroits totalement spectaculaires.
40:33Enfin, les...
40:33Ah oui, pardon.
40:35D'accord.
40:36Donc, vous remettez un son dessous.
40:38Ça marche.
40:39Emmanuel Lepage.
40:40Ces cabanes méritent évidemment la distance et la randonnée.
40:44Mais quand on y arrive, en général, on tombe sur des endroits extraordinaires.
40:47Ils sont à proximité justement de ces colonies.
40:51Et tout simplement pour des questions d'études.
40:56Vous avez par exemple la cabane, une magnifique cabane qui est la cabane des staccades.
41:01C'est la cabane des éléphants de mer.
41:03Qui est une petite cabane octogonale.
41:05Et qui est au milieu d'une colonie d'éléphants de mer.
41:09Vous avez des sortes d'alcoves où se lovent ces éléphants de mer.
41:15On a l'impression que ce sort de golems, en fait.
41:16On a l'impression qu'on les fabriquait là, en fait.
41:19C'est un lieu absolument incroyable.
41:21Et puis vous avez la mer qui est à 100 mètres.
41:26Donc vous vous réveillez au cri des éléphants de mer, des manchots.
41:32C'est un monde suspendu où on peut passer des semaines.
41:37C'est vraiment là, vous êtes au bout du bout du monde.
41:41Comment vous repartez d'un tel voyage ?
41:44Et comment vous rentrez ensuite en France métropolitaine, après avoir vécu tout ça ?
41:49Parce que les scientifiques parlent beaucoup de ce décalage entre l'intensité de ce qui est vécu et la difficulté à le raconter une fois rentré.
41:55Oui, pour quelqu'un qui n'a pas vécu cette expérience d'isolement de vie de groupe comme ça pendant longtemps au bout du monde,
42:06c'est très difficile de comprendre ce qui se passe.
42:09Et je dirais même que les hivernants ont beaucoup de difficultés à l'expliquer.
42:16Parce que finalement, on n'a pas les mêmes repères.
42:21On va parler peut-être de comment on mange, comment on se lave.
42:24Vous voyez ce genre de choses.
42:25Mais la vérité de ce qui se passe là-bas est ailleurs.
42:32Et quand on rentre, la plupart sont perdus.
42:39Il y a assez peu d'accompagnement psychologique, malheureusement.
42:43Et on met du temps déjà à comprendre ce qui s'est passé.
42:49Un mot qui revenait très souvent dans la bouche de ces jeunes hivernants,
42:56c'était l'impression de se sentir plus vrais là-bas.
43:00Ils découvraient des choses d'eux-mêmes qu'ils n'appréhendaient pas.
43:05Ils se découvraient aux autres de façon parfois très simple et évidente.
43:10Il y avait des amitiés qui mettent peut-être 20 ans à se faire ici en métropole,
43:15qui étaient beaucoup plus rapides.
43:16Il y a une rapidité de la relation, une intensité.
43:18Et puis le fait de vivre, je vous dis, c'est très physique, les Kerguelen.
43:23Donc je pense que de faire un effort ensemble était déjà une chose.
43:26Et puis aussi la découverte de ce monde sauvage, de ce vivant sauvage.
43:31Et puis l'intensité des expériences scientifiques qu'ils font.
43:37Et vous, Emmanuel Lepage, est-ce que vous vous êtes senti plus vrai là-bas au Kerguelen qu'en France ou pas ?
43:42Métropolitaine ?
43:43Pour moi, ce voyage a été merveilleux.
43:48Vous savez, ce livre, je l'ai vendu en une phrase à mes éditeurs.
43:52Je n'ai jamais vendu un livre aussi vite.
43:54Je leur ai dit, je vais faire un livre sur la joie.
43:56Et ils m'ont dit, on signe.
43:57Ça fait du bien par les temps qui courent, effectivement.
44:01Oui, en fait, je crois que je voulais faire ça à travers ce livre.
44:04C'est-à-dire que dans ce monde terrible, où chaque jour, on a l'impression de s'enfoncer avec des politiciens obscènes,
44:15j'avais envie de montrer qu'il existait des belles personnes, des gens qui pensent.
44:20Quand j'étais là-bas, j'avais l'impression de rencontrer des adultes.
44:23Donc, vous êtes revenu dans le monde des enfants ?
44:28Pas tout à fait, parce que nous avons créé des liens entre nous qui sont extrêmement forts.
44:32Ce sont des gens que je fréquente très régulièrement.
44:35Et puis, vous me posiez la question de savoir comment j'étais rentré.
44:39En fait, je pense que je ne suis pas tout à fait rentré encore,
44:41puisque après ce voyage, j'ai fait la bande dessinée.
44:44Alors, c'est ce que je voulais vous dire, parce qu'au moins, c'est l'avantage du dessinateur,
44:47c'est qu'à le prolongement, ensuite, décroquis, il faut passer vraiment à l'album.
44:51Et là, c'est une façon de rester aussi un peu sur place pour vous ?
44:54Oui, et puis de continuer les liens, puisque au fur et à mesure de la création du livre,
44:58je continue à échanger avec ces jeunes ou moins jeunes gens.
45:03Et on établit un autre dialogue qui se fait souvent par mail.
45:12Et le lien perdure.
45:16Et c'est parfois même difficile auprès de mes proches ou d'autres amis
45:19de comprendre le lien qu'on a pu établir ensemble.
45:23Et je crois que grâce à la bande dessinée, je pense qu'ils comprennent un petit peu.
45:26Absolument. C'est une façon, en tout cas, de vivre une petite part de ce que vous avez vécu et ressenti sur place.
45:32Ça s'appelle « Danse avec le vent ».
45:34C'est cet album paru chez Futuropolis et que l'on peut mettre un petit bout de carguelaine au pied du sapin.
45:40Pourquoi pas, puisque nous sommes le 22 décembre.
45:42Merci beaucoup, Emmanuel Lepage, d'être venu nous en parler aujourd'hui.
45:47Merci à Emma Bougier également qui a réalisé ce dossier aujourd'hui.
45:51Élise Christophe à la technique et à Mazir, à Madain Guest, qui réalisait cette émission.
45:57Dans un instant, Fabrice Drouel avec « Affaires sensibles » aujourd'hui.
46:00Yoko Ono, le parcours romanesque de la célèbre artiste inconnue.
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