- il y a 14 heures
En l’espace de quelques décennies, les œuvres fondatrices de Lamarck, Schwann, Darwin, Claude Bernard et Mendel vont dessiner le cadre général d’une nouvelle science, la biologie.
Retrouvez "La terre au carré" sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre
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00:00Musique
00:00Aujourd'hui la grande aventure de la biologie racontée par
00:21Laurent Loison, historien et philosophe des sciences de la vie, directeur de recherche au CNRS.
00:27France Inter
00:28La Terre au carré
00:31Mathieu Vidal
00:34Les rapports géologiques qui existent entre la faune actuelle et la faune éteinte de l'Amérique méridionale
00:39ainsi que certains faits relatifs à la distribution des êtres organisés qui peuplent ce continent
00:44m'ont profondément frappé lors de mon voyage à bord du navire le Beagle en qualité de naturaliste.
00:50Ces faits semblent jeter quelques lumières sur l'origine des espèces, ce mystère des mystères
00:55pour employer l'expression de l'un de nos plus grands philosophes.
00:59A mon retour en Angleterre en 1837, je pensais qu'en accumulant patiemment tous les faits relatifs à ce sujet,
01:05qu'en les examinant sous toutes les faces, je pourrais peut-être arriver à élucider cette question.
01:10Après cinq années d'un travail au pignâtre, je rédigeais quelques notes, puis en 1844, je résumais ces notes sous forme d'un mémoire
01:18où j'indiquais les résultats qui me semblaient offrir quelques degrés de probabilité.
01:23Depuis cette époque, j'ai constamment poursuivi le même but.
01:26Mon œuvre est actuellement presque complète, il me faudra cependant bien des années encore pour l'achever.
01:31Et comme ma santé est loin d'être bonne, mes amis m'ont conseillé de publier le résumé qui fait l'objet de ce volume.
01:37Une autre raison m'a complètement décidé, M. Wallace, qui étudie actuellement l'histoire naturelle dans l'archipel Malais,
01:43en est arrivé à des conclusions presque identiques aux miennes sur l'origine des espèces.
01:48Je suis pleinement convaincu que les espèces ne sont pas immuables.
01:51Je suis convaincu que les espèces qui appartiennent à ce que nous appelons le même genre
01:56descendent directement de quelque autre espèce ordinairement éteinte,
01:59de même que les variétés reconnues d'une espèce, quelle qu'elle soit, descendent directement de cette espèce.
02:06Je suis convaincu enfin que la sélection naturelle a joué le rôle principal dans la modification des espèces,
02:11bien que d'autres agents y aient aussi participé.
02:15Charles Darwin, de l'origine des espèces, 1859.
02:24L'histoire a oublié le frère aîné de Darwin.
02:27C'est un français, Jean-Baptiste Lamarck.
02:31En 1809, l'année de naissance de Darwin, Lamarck pose deux lois essentielles de l'évolution.
02:38Premièrement, le milieu transforme les êtres vivants.
02:43Deuxièmement, ces transformations deviennent héréditaires.
02:48Un demi-siècle plus tard, Darwin reprendra ses idées et les mènera plus loin.
02:53Extrait de la chaîne YouTube Icari, documentaire avant Darwin.
02:58Bonjour Laurent Louaison.
02:59Bonjour.
03:00Merci d'être avec vous, avec nous, vous qui publiez l'aventure de la biologie de Darwin à Mendel, aux éditions Grasset.
03:06Pourquoi avoir choisi de vous concentrer sur les grandes figures du 19e siècle pour raconter cette saga des sciences de la vie ?
03:13Pour rendre cette saga pleinement vivante et accessible pour un public de non-spécialistes, ça c'est la première raison.
03:19Pour montrer comment les trajectoires biographiques de ces personnages ont été un moment constitutif de l'histoire de la biologie.
03:25Et aussi pour montrer que, justement, ces trajectoires biographiques, que l'on considère indépendamment les unes des autres, appartiennent à un certain moment qui est vraiment le moment fondateur de la biologie.
03:36Le moment où cette science de la vie construit son cadre général, à tel point que l'extrait que vous avez lu tout à l'heure du début de l'origine des espèces,
03:45tout est rigoureusement toujours vrai actuellement, dans le détail de ces idées formulées par Darwin au début de son ouvrage.
03:53Est-ce qu'on peut dire que c'est le moment où la vie devient une science, justement, ou pas ?
03:56C'est le moment où la vie devient un objet de science et succède à l'histoire naturelle du 18e siècle quelque chose de nouveau, qui s'appellera bientôt la biologie.
04:06Lamarck est un des premiers à formuler ce terme.
04:08Et cette biologie a vraiment une naissance explosive, à tel point qu'en quelques décennies, entre le début des années 1830 et le début des années 1860,
04:19les grands concepts de la biologie sont formés, et c'est cette aventure que j'ai voulu raconter dans cet ouvrage.
04:24Et alors, dans cette saga, on en reparlera tout à l'heure, mais qu'est-ce que représente Darwin et son origine des espèces, précisément ?
04:29C'est vraiment le point culminant ?
04:31Je ne dirais pas le point culminant, mais évidemment, c'est un moment extrêmement important.
04:35Et ce que représente Darwin, c'est l'inscription de cette question du vivant dans l'histoire, dans l'histoire de la vie, dans l'histoire de la Terre.
04:45C'est montrer finalement qu'on ne peut pas comprendre le vivant en s'en tenant strictement à la physique et à la chimie,
04:50qu'il faut réinscrire aussi cette organisation biologique dans la durée des temps géologiques.
04:56Et c'est vraiment là où l'œuvre de Darwin est fondatrice et complètement fondamentale.
05:00On y reviendra, Laurent Loison. Vous écrivez que votre livre est un antidote à la déconsidération de la biologie.
05:06Pourquoi cette science si essentielle est encore marginalisée ?
05:10Oui. Pour moi, c'est toujours un relatif étonnement, mais la scientificité de la biologie n'est pas toujours très très bien comprise.
05:18Y compris par les biologistes eux-mêmes, d'ailleurs.
05:21La biologie est déconsidérée parce qu'elle ne serait pas légale de la physique ou de la chimie,
05:26en termes de rigueur expérimentale, en termes de formalisme,
05:30en termes de capacité à atteindre des lois vraiment générales de la nature.
05:34Ce à quoi vous répondez quoi ?
05:36Ce à quoi je réponds que...
05:38S'il y a des grandes théories ?
05:39C'est vrai que les lois de la biologie ne sont pas équivalentes d'un point de vue épistémologique aux lois de la physique ou de la chimie.
05:45C'est simplement parce que l'objet de la biologie, et c'est là où Darwin est très important, est un objet historique.
05:51Et donc, on ne peut pas produire une théorie biologique de la même manière qu'on produit une théorie en physique,
05:57une théorie en mécanique ou une théorie en chimie.
05:59Est-ce qu'il y a un problème dans la façon dont la biologie est enseignée également ?
06:02Et certainement, puisque malheureusement maintenant, avec la réforme récente du lycée,
06:07on ne peut plus garder que deux sciences sur trois en terminale,
06:10et les élèves, en général les élèves qui sont bons en sciences, vont abandonner la biologie.
06:14Et s'ils font ça, c'est parce qu'ils sentent que la biologie, finalement,
06:18ne serait pas une science à l'égal des mathématiques de la physique ou de la chimie.
06:21Donc de toute évidence, il y a un problème aussi dans la façon dont la biologie est enseignée,
06:25et on ne prend pas au sérieux le fait qu'on ne sait pas comment faire passer cette idée que la biologie est une science,
06:31et qu'en tant que telle, elle a un discours général sur la vie et les vivants, un cadre théorique.
06:36Et c'est précisément les contours de ce cadre que j'essaye de dessiner dans ce livre.
06:40Alors, commençons cette histoire.
06:42Il s'appelait Jean-Baptiste Pierre-Antoine de Monnet, chevalier de Lamarck, plus connu sous le nom de Lamarck.
06:491744-1829, c'est la première grande figure de votre histoire.
06:52Qui était-il vraiment ?
06:53Alors, Lamarck reste une énigme à plein de points de vue, et y compris du point de vue de sa biographie.
06:58On a très très peu de documents biographiques de Lamarck, surtout par exemple en comparaison de Darwin.
07:02C'est un demi-siècle avant.
07:04C'est un demi-siècle avant et ça compte, puisque Lamarck est formé dans le contexte de l'histoire naturelle du XVIIIe siècle.
07:11Il est formé dans le contexte du siècle des Lumières, de l'encyclopédisme.
07:14Et donc, il n'a pas du tout les mêmes idées que Darwin un demi-siècle après lui.
07:18Et c'est quelqu'un qui vient de la petite noblesse picarde et qui va venir à Paris, d'abord pour se faire soigner,
07:24et finalement entreprendre des études de médecine, ce qui va le conduire à la botanique.
07:29Et finalement, après des détours, à faire une carrière du côté de la zoologie, au moment où naît le Muséum d'Histoire Naturelle en 1793.
07:36Alors, qu'est-ce qu'il va comprendre sur les êtres vivants, et qui sera perçu quand même comme révolutionnaire à l'époque ?
07:42Alors, à l'époque, ce n'est pas évident.
07:45La manière de comprendre Lamarck est compliquée pour ses contemporains et rétrospectivement pour nous.
07:50Lamarck a de brillantes intuitions, c'est un spéculatif, c'est quelqu'un qui émet de grandes théories.
07:55C'est lui qui invente le terme de météorologie, par exemple, pour décrire cette science de l'atmosphère.
08:00Il écrit des livres de géologie, il écrit des traités de physique et de chimie.
08:04Et son idée, disons que l'idée centrale, s'il n'y avait qu'une idée à retenir de Lamarck, ce serait la suivante.
08:10Il comprend que l'on peut constituer une nouvelle science, qu'il va donc appeler la biologie,
08:14et que cette science, ce n'est pas la science de la vie en tant que telle, mais c'est finalement la science de l'organisation.
08:19Ce qui caractérise les êtres vivants, qu'ils soient des végétaux, des plantes ou des animaux,
08:23c'est leur organisation interne.
08:25Et c'est autour de ça que Lamarck constitue ce qu'il appelle sa philosophie zoologique.
08:30C'est le titre de son ouvrage de 1809.
08:32Mais est-ce que c'est la première théorie, justement, scientifique de l'évolution des espèces ou pas ?
08:37Et c'est tout à fait la première théorie circonstanciée, développée, plusieurs centaines de pages publiées,
08:42argumentée aussi rigoureusement que possible, de l'évolution des espèces,
08:46dont il donne quelques linéaments dans son discours d'ouverture de l'an 8, en 1800,
08:51et ensuite qu'il va développer au fur et à mesure de livres, entre 1802 et 1820, pour son dernier ouvrage.
08:58Et donc, c'est lui qui invente le mot biologie ?
09:00Alors, c'est un des inventeurs du terme biologie dans son sens moderne.
09:04On peut trouver plusieurs occurrences du terme.
09:06Le terme, exactement au même moment, c'est-à-dire aux alentours de 1800, est aussi inventé en allemand,
09:11pour à peu près les mêmes raisons.
09:13Donc, c'est bien pour signaler ce projet d'une science unifiée des vivants,
09:18les plantes et les animaux, qu'il propose le vocable de biologie.
09:21Alors, il commence sa carrière dans une chaire assez marginale du Muséum national d'histoire naturelle.
09:26En quoi cette position, qu'on pourrait dire un peu périphérique, a compté, finalement, dans son travail et dans l'élaboration de sa théorie ?
09:32Oui, tout à fait, puisque pendant une vingtaine d'années, Lamarck est connue comme botaniste.
09:35C'est en tant que botaniste qu'il va se faire élire à l'Académie des sciences.
09:38Et en 1793, au moment où le Muséum d'histoire naturelle propose des chaires universitaires,
09:42la chaire de botanique est déjà prise.
09:44Et on propose à Lamarck une chaire dont on peut penser que peu de gens la voulaient,
09:47c'était la chaire des animaux microscopiques, des insectes et des vers.
09:51Oui, pas très sexy sur le papier.
09:52En gros, tout ce qui n'est pas vertébré, tout ce qui n'est pas noble, tout ce qui est petit, qui vit dans des endroits humides.
09:59Et Lamarck, en l'espace de moins d'une décennie, va complètement révolutionner ce domaine de la connaissance.
10:05Et il va fonder les bases de la zoologie de ce qu'on appellera désormais les invertébrés.
10:10À tel point que les grands groupes taxonomiques de Lamarck vont demeurer scientifiquement pendant des décennies,
10:16et certains jusqu'à aujourd'hui.
10:17Donc le travail est considérable.
10:18Il va faire beaucoup d'erreurs ou pas dans l'élaboration justement de ton travail ?
10:22De ce point de vue-là, très peu.
10:23De ce point de vue-là, très peu.
10:24Il va avoir une bonne intuition de la manière de ranger les espèces, de la manière de créer les grands groupes.
10:30Et autant sa physique et sa chimie étaient complètement fautives,
10:33autant sa météorologie étaient extrêmement scabreuses,
10:36autant sa zoologie...
10:37Ah bon, pourquoi ?
10:38Parce qu'il a proposé des almanas et des prédictions qui étaient complètement folkloriques et qui ne pouvaient pas se vérifier avec les connaissances de l'époque.
10:47Et donc ça va contribuer à discréditer Lamarck en tant que scientifique.
10:51Mais sa zoologie est vraiment une œuvre de première importance.
10:54Et d'ailleurs, on peut se demander s'il n'avait pas fait tout le reste, il serait certainement mieux considéré aujourd'hui à la lumière de cette œuvre zoologique.
11:00En quoi sa pensée reste d'actualité encore aujourd'hui ?
11:03Parce qu'on va parler d'Harwin évidemment, qui résonne toujours beaucoup à notre époque.
11:06Mais Lamarck, c'est quoi sa place aujourd'hui dans la biologie moderne ?
11:08Parce qu'il pose la question de l'organisation biologique, de la spécificité de cette organisation biologique,
11:13de la nécessité de penser sa survenue à l'échelle des temps géologiques.
11:16Vous ne pouvez pas imaginer la naissance spontanée d'un être vivant complexe sans le voir inscrire dans une longue généalogie.
11:22Donc toutes ces idées sont complètement d'actualité,
11:24à tel point que finalement la biologie moléculaire à partir des années 1950-1960
11:29ne fera rien d'autre que de poser la question de l'organisation du vivant
11:33à l'échelle des macromolécules que sont d'une part les protéines et d'autre part l'ADN.
11:37Donc le sillon tracé par Lamarck, entrevue par Lamarck, est d'une puissante actualité,
11:43quand bien même le détail de ces réponses est souvent faux et ces réponses sont souvent un peu baroques.
11:50Donc c'est un style difficile et un peu fouillis, c'est ça ?
11:53Qui pourrait expliquer aussi qu'il n'est pas forcément percé...
11:56Et par ailleurs son style littéraire n'était pas extrêmement fluide.
11:58Il avait la volonté d'avoir le terme juste sans avoir le vocabulaire nécessaire
12:03puisque ni les termes d'évolution, ni ceux d'hérédité, ni ceux de cellule
12:06ne sont disponibles au moment où il écrit,
12:08ce qui l'oblige à des périphrases extrêmement pénibles à lire, répétitives.
12:13Et effectivement son style n'a pas fait beaucoup pour son oeuvre.
12:16Est-ce que ses travaux ont fait sa richesse ou pas du tout ?
12:19Assez peu. Lamarck est quelqu'un qui vient d'une famille relativement déshéritée,
12:22surtout en comparaison de Darwin par exemple.
12:25Et il va longtemps avoir des soucis d'argent liés aussi au fait qu'il sera à la tête d'une famille extrêmement nombreuse.
12:33Et malheureusement plusieurs de ses femmes vont décéder successivement.
12:38Donc il va connaître plusieurs mariages.
12:40Et finalement sa situation financière ne se stabilise qu'à partir de 1793
12:43au moment où il devient professeur au sein du Muséum d'Histoire Naturelle.
12:47Mais à ce moment-là il a quasiment 50 ans.
12:50Pour vous c'est le premier biologiste en fait Lamarck ou pas ?
12:53En tout cas c'est le premier à dessiner ce que va devenir la biologie à partir du 19ème siècle.
12:59Mais il ne va pas savoir complètement franchir le pas
13:01entre ce qu'on pourrait d'un côté appeler l'intuition
13:05et de l'autre côté ce que l'on pourrait appeler la réalisation d'une biologie effective.
13:09Laurent Loison, on va faire connaissance dans un instant avec les successeurs de Lamarck,
13:14Chouane, qu'on connaît moins bien, Darwin, Claude Bernard,
13:18qui vont donner à la biologie ses fondations expérimentales et théoriques.
13:21Et puis vous pourrez répondre aux messages et aux questions qui arrivent pour vous sur la page de Latéro Carré.
13:25Le temps est moche, je rêve tout croche,
13:29les frustres et laissent la mauvaise journée
13:31coller en dessous de nos souliers.
13:37Ça roule trop vite pour garder le sens,
13:40les bouches ouvertes et les claques sont forts,
13:43toujours pressés pour patienter.
13:46C'est normal qu'on soit tous fous,
14:12c'est pas simple d'être humain,
14:14gâchés et parfumés,
14:15mais on essaie peut-être pas assez.
14:21C'est la fin de l'ordre,
14:23tous les derniers,
14:24comme faux du soir,
14:26disons l'inture de l'espoir avec nous.
14:31C'est la vie.
14:39Mais ça va.
14:44Tu m'attrape, tu m'embrasses,
14:59tu tiens ma main,
15:00peut-être c'est trop parisien,
15:04mais ça me fait du bien.
15:06Et quand ça brille,
15:10c'est un peu trop fort,
15:13tu m'as sensé,
15:16je ne fais pas,
15:19ma main reste blais,
15:21elle est sur la gassette,
15:24pour deux secondes,
15:27l'un de s'arrête.
16:00Patrick Watson avec Solane, ça va sur France Inter.
16:13Mathieu Vidard, la Terre au carré.
16:18La science des vivants, lorsque elle s'est bornée à être la science des formes,
16:25comme l'était l'histoire naturelle, dont l'essentiel consistait dans une description et une classification, une taxinomie,
16:35cette histoire naturelle n'a pas réussi à rendre compte de ce que c'était que le vivant.
16:42Et alors, nous sommes presque, en suivant le cours de l'histoire des idées, le cours de l'histoire des sciences,
16:48nous sommes presque conduits, cette fois, à passer du concept de forme à celui d'organisation
16:54et à nous demander si ce qui caractérise le vivant, c'est ce mode d'être qu'on appelle l'organisation.
17:03La voix du philosophe Georges Canguilhem sur la radio-télévision suisse, c'était en 1967.
17:08Laurent Loison, vous qui êtes historien et qui publiez l'aventure de la biologie chez Grasset,
17:13et qui d'ailleurs passait la journée avec Georges Canguilhem.
17:15C'est le hasard, mais c'est comme ça.
17:17Oui, tout à fait, puisque aujourd'hui se tient à l'école normale supérieure à Paris,
17:20un colloque organisé par mon collègue québécois Pierre-Olivier Metteau sur la postérité de Georges Canguilhem.
17:26Et cette postérité, elle est toujours d'actualité, comme le montre d'ailleurs cet extrait.
17:29Alors, le vivant, c'est l'organisation, c'est ce que vous nous expliquez déjà tout à l'heure avant la pause.
17:33Oui, donc c'est l'intuition de la marque, le vivant, c'est l'organisation,
17:36et cette intuition va devenir programme de recherche après la marque,
17:40pour la génération de chercheurs qui viennent après lui,
17:42qui vont essayer de creuser cette question de l'organisation,
17:46sans forcément en avoir bien conscience, évidemment,
17:48puisque quand on est à la tête dans le guidon, on ne voit pas forcément d'où viennent les choses.
17:52Darwin va poser la question du point de vue de l'histoire et de l'évolution.
17:56Théodore Schwann va poser cette question du point de vue de la nature,
17:59de ce que c'est fondamentalement que l'organisation biologique.
18:02Claude Bernard, parmi d'autres, va poser la question
18:04de la manière dont cette organisation permet les processus physiologiques, etc.
18:09Donc là, on est quoi ? On est entre les années 1830-1860 à peu près ?
18:13Tout à fait.
18:13Trois décennies hyper fructueuses, avec ces trois figures que vous avez citées.
18:17Alors Théodore Schwann, je ne le connaissais pas, et qui est-il exactement ?
18:20Théodore Schwann est un médecin allemand.
18:23À l'époque, la biologie n'existe pas en tant que cursus académique,
18:27donc la plupart des gens qui vont s'intéresser aux sciences de la vie
18:30viennent d'autres disciplines, notamment de la médecine.
18:34Ce sera le cas de Schwann, comme de beaucoup d'autres,
18:36comme de Claude Bernard, lui-même formé comme médecin.
18:38Et à la fin de ses études de médecine, l'espace de quelques années,
18:42environ cinq ans, il va avoir une productivité scientifique considérable.
18:46Et cette productivité va culminer avec le premier énoncé de la théorie cellulaire,
18:51avec cette idée fondamentale que les vivants partagent tous quelque chose de commun
18:56et que ce quelque chose, c'est l'organisation cellulaire de leur anatomie.
19:00Et ça, comment on va le recevoir à l'époque ?
19:02Et ça apparaît comme une révolution, puisque depuis déjà quelques années,
19:06se pose cette question du commun entre les végétaux et les animaux.
19:11Au XVIIIe siècle, les plantes et les animaux sont rigoureusement différenciés
19:15dans des règnes au sein de l'histoire naturelle.
19:17Et les plantes et les animaux sont aussi différents que les minéraux ou les plantes, par exemple.
19:21Et donc, on ne considère pas que la vie serait un trait d'union plus important qu'un autre.
19:27Et précisément, c'est ça qui change au XIXe siècle.
19:29Et Schwan va s'attacher à montrer que, quand bien même au microscope,
19:33les choses peuvent être d'apparence différente,
19:35eh bien fondamentalement, les êtres vivants, qu'ils soient animaux ou végétaux,
19:39sont structurés de la même façon, par une entité autonome, indivisible,
19:43l'atome du vivant, qu'il va dénommer avec d'autres la cellule.
19:46Donc, il y a une portée philosophique aussi à ces découvertes, très fortes,
19:49qui doivent évidemment vous intéresser, vous, en tant que philosophe.
19:52Il y a une portée philosophique qui est inséparable de l'aventure scientifique.
19:55Une aventure scientifique est nécessairement aussi une aventure philosophique,
19:58dans le sens où la science produit des questions que la philosophie également soulève
20:03ou tente de résoudre à son tour.
20:05Et Schwan va être extrêmement épris de philosophie.
20:09Ça va même, à un certain moment, croiser ses propres préoccupations métaphysiques,
20:14tant et si bien que sa théorie cellulaire, extrêmement matérialiste,
20:17dans le sens où, à partir du moment où les vivants sont constitués par des cellules,
20:20il n'y a plus le mystère de ce que c'est que la nature de la vie,
20:23Schwan va être marqué par sa propre découverte et se détourner de la science.
20:27Il va rencontrer une sorte de crise mystique,
20:29puisqu'il était en même temps quelqu'un de relativement croyant,
20:32et il va du coup ne plus rien produire de scientifique pendant quatre décennies,
20:37jusqu'à son départ à la retraite.
20:38C'est le premier biologiste en crise existentielle ?
20:41Tout à fait, c'est la biologie qui produit une crise existentielle chez l'un de ses pères fondateurs.
20:46Arrive ensuite le Galilée de la biologie, mesdames et messieurs,
20:49Charles Darwin, qui lui incarne un autre tournant.
20:52Pourquoi exactement ?
20:54Parce que si tout le monde, à peu près tout le monde, connaît Charles Darwin de nom,
20:57c'est toujours compliqué d'expliquer exactement ce qu'il a découvert.
21:00Oui, alors Darwin, c'est vraiment ça,
21:03c'est vraiment quelqu'un qui vient à la suite de Galilée,
21:05dans le sens où son œuvre s'inscrit pleinement dans la révolution scientifique,
21:09qui en première approximation peut se caractériser comme la volonté de trouver des causes naturelles au phénomène naturel.
21:15Alors qu'on n'est pas du tout dans les mêmes siècles.
21:17Bien sûr, et cette révolution prend du temps en fonction des domaines que va explorer la raison scientifique.
21:22Et c'est beaucoup plus difficile du point de vue de la biologie,
21:25parce qu'une cause naturelle, c'est par définition une cause qui n'est pas une cause finale,
21:30où on ne va pas chercher des projets, des intentions dans la nature,
21:33sinon on sort du domaine de la rationalité scientifique.
21:36Et les êtres vivants semblent montrer des intentions à tout point de vue.
21:39L'œil semble fait pour voir, l'aile semble faite pour voler.
21:43Et donc la grande idée de Darwin, c'est que tout ça peut s'expliquer mécaniquement, scientifiquement,
21:49si on possède un nouveau concept, celui de sélection naturelle.
21:53Donc la grande révolution darwinienne, c'est finalement la solution qu'il propose
21:59à la question de la finalité apparente du monde vivant,
22:03qui peut être justiciable d'une explication pleinement scientifique.
22:06Donc il y a la sélection naturelle, et est-ce qu'il y a une autre idée fondamentale de sa théorie ?
22:10Et cette sélection naturelle ne se comprend qu'à l'échelle des temps géologiques,
22:13c'est bien sûr l'évolution par sélection naturelle,
22:15c'est le fait qu'il y a une généalogie du vivant,
22:18une descendance avec modification, c'est le terme qu'il emploie, il ne parle pas d'évolution,
22:22une descendance avec modification, sous l'effet principal, mais non exclusif,
22:26comme vous l'avez rappelé dans l'extrait tout à l'heure, de la sélection naturelle.
22:29Et donc l'œil s'explique par la sélection naturelle, l'aile s'explique par la sélection naturelle.
22:33Donc les espèces ne sont pas fixées, elles se transforment.
22:36Les espèces se transforment, se transforment historiquement,
22:40et se transforment de manière opportuniste.
22:42Il inscrit l'évolution dans l'histoire, dans quelque chose qui n'est pas prédéterminé.
22:46Et c'est là aussi où il y a une différence entre Darwin et Lamarck.
22:49Chez Lamarck, il y a une certaine quand même prédétermination encore des formes vivantes,
22:54et le temps est surtout là pour permettre à ces formes de se révéler.
22:57Alors que chez Darwin, il y a vraiment la question de la contingence, de l'évolution, du hasard,
23:02qui est assez pleinement embrassée.
23:04Laurent Loison, est-ce qu'il y a une dimension écologique dans la pensée de Darwin ?
23:07Il y a une dimension écologique dans le sens scientifique, dans le sens géographique,
23:12dans le sens bien sûr d'une compétition pour les ressources.
23:16Darwin résonne en géographe, il résonne en termes d'espace écologique,
23:20là où Lamarck résonnait plutôt en physicien, et en termes de temporalité continue.
23:24Donc c'est d'abord cette concurrence vitale, ce struggle for life,
23:28que Darwin va tenter de théoriser, de comprendre.
23:31Et c'est à partir de là, à partir de cette compétition écologique,
23:33de cette vision compétitive des interrelations entre les organismes vivants,
23:39qu'il va proposer son principe de sélection naturelle.
23:41Alors vous qui proposez donc une grande aventure de la biologie,
23:45Darwin et l'origine des espèces d'ailleurs à elle seule,
23:48c'est une épopée scientifique, parce que c'est une aventure
23:51qui a duré quoi, 20 ans à peu près ?
23:53Une aventure de patience, surtout ?
23:55Oui, mais ça c'est un trait que l'on va retrouver chez beaucoup de ses protagonistes.
23:59Pour faire des grandes découvertes, il faut avoir du temps,
24:01il faut sans cesse remettre à l'ouvrage son travail.
24:05Il est brassé des milliers d'observations.
24:07Le philosophe Bachelard disait que les scientifiques sont avant tout
24:09des travailleurs de la preuve, et Darwin a fait ça.
24:11Il a travaillé ses preuves pendant deux décennies,
24:14à la fois pour être satisfait de son produit final,
24:17et aussi parce qu'il craignait les réactions de la société victorienne de l'époque.
24:21Lui qui était extrêmement prudent et qui voulait avoir une vie en retrait de la vie publique.
24:25Quand il écrit dans l'introduction de l'origine des espèces
24:28que Wallace a découvert exactement la même chose que lui,
24:31comment le vit-il ?
24:33Et est-ce que c'est tout à fait exact ?
24:34Et pourquoi Wallace n'est pas passé à la postérité alors que c'est le cas de Darwin ?
24:37Alors il le vit plutôt mal évidemment sur le moment,
24:39puisqu'il a l'impression qu'il va être dépossédé.
24:41La lettre de Wallace arrive en 1858.
24:44À ce moment-là, ça fait 20 ans très précisément que Darwin travaille
24:47à cette théorie de l'évolution par sélection naturelle.
24:49Et donc il a l'impression qu'il est sur le point d'être dépossédé
24:51d'un travail de deux décennies, ce qui est considérable.
24:55Donc comment il reçoit cette nouvelle ?
24:56C'est une impression de première lecture.
25:00Mais en fait, on sait maintenant qu'il y a des différences substantielles
25:03entre la théorie de Wallace et celle de Darwin,
25:05et que le principe de sélection naturelle chez Darwin
25:08est beaucoup plus consistant, beaucoup plus développé
25:11qu'il ne l'était chez Wallace.
25:13Darwin envisage la sélection naturelle d'abord comme compétition
25:16entre les individus au sein d'une population,
25:19alors que chez Wallace, on a quelque chose qui ressemble plus
25:21à une compétition entre les espèces
25:24et à une élimination de certaines espèces.
25:26C'est-à-dire une forme beaucoup plus simpliste
25:28du concept de sélection naturelle,
25:30ce qui n'a rien d'étonnant.
25:31Wallace est beaucoup plus jeune,
25:32et il n'a pas deux décennies de recherche derrière lui
25:34au moment où il envoie son article à Darwin.
25:36Il est originaire d'où, d'ailleurs, Wallace ?
25:39Wallace est anglais également.
25:43Je ne pourrais plus vous dire exactement de quel...
25:45J'avais l'Australie en tête, mais peut-être que je ne le prends pas.
25:47Non, non, non, il est à ce moment-là,
25:48il est en Indonésie pour faire un travail de naturaliste.
25:52Il gagne sa vie en envoyant des spécimens
25:55aux collectionneurs d'Europe.
25:57Donc c'est pour ces raisons-là qu'il se trouve en Indonésie,
26:00mais lui-même est anglais également.
26:02Autre personnage, dernier personnage d'ailleurs,
26:05de ce triptyque, le médecin français Claude Bernard.
26:08Alors lui, qu'est-ce qu'il apporte ?
26:09Puisqu'il est le fondateur de la physiologie expérimentale,
26:12qu'est-ce qu'on lui doit exactement ?
26:14Donc, ce qu'il apporte d'un point de vue théorique,
26:17c'est cette idée que cette organisation biologique,
26:20elle a comme caractéristique propre
26:22d'être capable d'autorégulation.
26:25C'est quelque chose qui se maintient dynamiquement
26:27au cours du temps, au fil d'échanges ininterrompus
26:30entre l'intérieur et l'extérieur,
26:32entre le vivant et son milieu,
26:34tant et si bien que ces cellules,
26:36à l'intérieur des corps vivants,
26:38elles sont rattachées à l'extérieur
26:39par une entité régulatoire, régulatrice,
26:42une entité complexe,
26:43qu'il va appeler le milieu intérieur.
26:44Et c'est grâce à ça que Claude Bernard
26:47comprend la portée de ces réussites expérimentales.
26:50Donc, d'un point de vue théorique,
26:50c'est ça qu'il apporte,
26:52les bases de la physiologie moderne.
26:55Et d'un point de vue expérimental,
26:56c'est une pratique de la vivisection expérimentale
26:59sans précédent et sans équivalent
27:00qui va lui permettre de parvenir
27:03à une foule de découvertes
27:05et à vraiment faire surgir
27:06un nouveau domaine empirique,
27:08la physiologie expérimentale de laboratoire.
27:10Alors, c'est ça, dans la méthode scientifique,
27:11en fait, il diffère un petit peu
27:13des deux précédents ?
27:14Complètement.
27:15Alors, de Schwann, pas complètement,
27:17mais malheureusement,
27:18la carrière de Schwann s'est arrêtée
27:20au bout de seulement quelques années.
27:21Le Schwann, du tout début,
27:22celui d'avant la théorie cellulaire,
27:23finalement, est très proche de Claude Bernard.
27:25En ce sens qu'il est aussi
27:26un physiologiste expérimentateur
27:27qui va travailler, par exemple,
27:28sur la contraction musculaire
27:30et qui va faire un certain nombre de travaux
27:32directement sur des muscles.
27:34Et Claude Bernard fait cela.
27:35Darwin, pas du tout.
27:36Il a été, pendant son voyage
27:38à bord du Beagle,
27:39un naturaliste de terrain.
27:40Il sera ensuite ponctuellement expérimentateur
27:43quand il va s'intéresser à la botanique,
27:45mais l'origine des espèces
27:46ne doit rien à l'expérimentation.
27:48Il n'y a pas une seule preuve expérimentale
27:49d'évolution à l'intérieur
27:51de l'origine des espèces.
27:53C'est plutôt un raisonnement
27:54hypothético-déductif
27:55sur la totalité des faits connus
27:56de l'histoire naturelle.
27:57Claude Bernard, lui, pose de nouvelles questions
27:59et il entend bien y répondre
28:01à l'aide de la méthode expérimentale
28:02dans les caves du Collège de France
28:04de l'époque.
28:05Une pensée pour tous les animaux, peut-être,
28:07qui ont payé un lourd tribut
28:08aux méthodes de Claude Bernard.
28:10Oui, effectivement.
28:11Ça ne s'est pas fait sans cobayes
28:13et donc il a beaucoup expérimenté
28:15sur les grenouilles,
28:16sur les chiens,
28:17à une époque, au début de sa pratique,
28:20où il n'y avait rien
28:21pour endormir les animaux.
28:22Et donc il fallait être capable
28:24de les maintenir physiquement en vie,
28:26alors qu'on leur faisait, bien sûr,
28:27subir des traitements extrêmement invasifs.
28:30Pourquoi vous associez ces trois figures,
28:32alors, Sean, Darwin et Bernard,
28:34dans un même mouvement, en réalité ?
28:36Qu'est-ce que ça raconte, ça ?
28:37Oui, et puis on pourrait rajouter
28:38Grégoire Mendel là-dedans
28:39et puis quelques autres.
28:40Après, il a fallu faire un livre
28:42qui soit d'une taille raisonnable.
28:44Eh bien, tous ces savants,
28:46sans forcément en être conscients,
28:47encore une fois,
28:48participent de cet essor de la biologie
28:50en tant que science de l'organisation
28:52et font vraiment surgir
28:53de nouveaux îlots de rationalité,
28:55du côté de l'évolution des espèces,
28:58du côté de la théorie cellulaire,
29:00du côté de la physiologie.
29:01Et ça, ça va marquer pour toujours,
29:03jusqu'à aujourd'hui, la biologie.
29:05Laurent Loison, vous vous interrogez dans ce livre
29:07sur ce que cela signifie de raisonner
29:08sur le vivant à l'époque aussi
29:09de la post-vérité et de la crise écologique.
29:11On va en parler dans un instant
29:12et puis vous répondrez également
29:13aux messages pour vous,
29:15aux questions sur la page de l'État au carré
29:16et vos messages vocaux
29:17sur l'application Radio France.
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