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  • il y a 20 heures
L'invité du 7H50 de Benjamin Duhamel est Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis, ancien représentant permanent de de la France auprès de l'ONU.

Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Benjamin Duhamel sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:007h49 sur France Inter et Benjamin Duhamel, votre invité est ?
00:07L'ancien ambassadeur de France, notamment aux Etats-Unis. Bonjour Gérard Rao.
00:11Bonjour.
00:12Merci d'être avec nous ce matin sur France Inter pour nous aider à comprendre un acte de rupture inédit des Etats-Unis vis-à-vis de l'Europe.
00:18Tout part d'un texte qui peut paraître technique, la stratégie de sécurité nationale.
00:23C'est un document qui fixe les priorités, la vision du monde des Etats-Unis et qui s'est transformé cette fois en manifeste anti-Europe.
00:29Une Europe est-il écrite menacée de déclin économique, d'un effacement civilisationnel à cause de l'immigration.
00:36Un continent qui briderait la liberté d'expression.
00:38Alors ce n'est pas la première fois que l'administration Trump a des mots très durs contre l'Europe.
00:42En quoi est-ce que cette fois c'est différent Gérard Rao ?
00:46Alors d'abord moi je voudrais insister sur le fait que c'est une stratégie vraiment très cohérente.
00:51C'est une vision du monde.
00:52Souvent on a tendance à ne voir dans Trump qu'une sorte de bouffon aux déclarations un peu foutraques.
00:58Eh bien non, il y a là derrière une vision cohérente.
01:01Trump sait où il veut aller et il y va.
01:03Et il y va notamment aux dépens de l'Europe.
01:07Mais est-ce que c'est tellement nouveau ?
01:10Vous savez moi j'ai écrit un livre sur la France de l'entre-deux-guerres, la diplomatie française de l'entre-deux-guerres.
01:15La diplomatie américaine de l'entre-deux-guerres c'était la même chose.
01:18C'était protectionnisme avec des taux de douane entre 20 et 30%.
01:23C'était l'isolationnisme.
01:25C'était l'intervention militaire en Amérique latine.
01:29Et nous qui essayons de faire face à la montée de l'Allemagne d'Hitler, c'était l'indifférence la plus totale.
01:35Au fond c'est le retour aux fondamentaux de la politique étrangère américaine
01:40avec un petit zeste d'idéologie comme vous le dites.
01:44Et c'est ça aussi qui fait mal.
01:46Donc ça ressemble à ce qu'était la politique américaine étrangère dans les années 20.
01:51On n'arrête pas et on entend souvent ce commentaire depuis la réélection de Donald Trump
01:55à peu près toutes les deux semaines que ce serait la fin de l'ère post-1945.
02:00Là c'est quoi ? C'est la concrétisation à l'écrit dans un document officiel de cette doctrine ?
02:05Oui parce que les Américains, je le pense profondément, les Américains ne sont venus en Europe en 1945
02:10que parce que ni la France ni la Grande-Bretagne ne pouvaient défendre le continent
02:15des Soviétiques, de la menace soviétique.
02:18Moi je me rappelle quand le bloc soviétique s'est effondré en 1990, j'étais à l'OTAN.
02:22Je me rappelle qu'avec mon patron, on s'était dit les Américains vont rentrer chez eux.
02:25Ils ne sont pas rentrés chez eux parce que ça arrangeait tout le monde,
02:28parce que les élites transatlantiques s'entendaient bien.
02:32Mais je crois que ça y est, on a atteint le point où les Américains nous disent
02:36« Bon, franchement, pourquoi est-ce qu'on est ici ?
02:39Vous, l'Europe, vous n'êtes plus qu'une périphérie du monde,
02:42ce n'est pas ici qu'il y a la croissance, ce n'est pas ici qu'il y a la révolution technologique,
02:46et ce n'est pas ici qu'il y a la menace.
02:48Parce que pour les Américains, la Russie c'est un problème, ce n'est pas une menace.
02:51La menace, c'est évidemment la Chine.
02:53Un mot de sémantique, puisque la réaction de la Commission européenne a été assez étonnante.
02:59Les Etats-Unis restent notre plus grand allié.
03:02Je vois que ça vous fait rire.
03:03C'est quoi ? C'est du langage diplomatique ?
03:04Ou est-ce qu'il faut dire « Les Etats-Unis ne sont plus nos alliés » ?
03:07Moi, je pense que les Européens sont dans une position de déni.
03:10Tous nos partenaires européens, les Français, on a un problème pour le comprendre,
03:14mais pour tous nos partenaires européens, la relation avec les Etats-Unis est existentielle.
03:19D'abord pour l'Europe de l'Est, parce qu'ils ont peur,
03:21et vous n'allez pas dire aux Polonais, ne vous inquiétez pas,
03:24il y a la garantie franco-britannique, ils connaissent ça en 1939.
03:27Et pour les autres Européens qui parlent l'anglais mieux que les Américains,
03:31ben voilà, pour eux, leur horizon, il va de Vancouver à Varsovie.
03:36Et donc pour eux, c'est un traumatisme majeur.
03:39Et donc ça donne ce déni.
03:41Il faut, Gérard Haro, bien lire ce qui est écrit,
03:45parce que c'est vrai que ça a le mérite de la transparence,
03:47non seulement sur les questions d'immigration, sur les questions de liberté d'expression,
03:49et puis ce document qui se réjouit de la progression, je cite,
03:53des partis européens patriotiques pour, ouvrez les guillemets,
03:56cultiver la résistance à la trajectoire actuelle de l'Europe.
03:59Ça veut dire que là, on a les Etats-Unis qui assument de faire de l'ingérence,
04:02qui disent que c'est formidable que des partis nationalistes progressent en Europe.
04:05Ah ben ça, les Américains n'ont jamais reculé devant l'ingérence,
04:09dans un sens ou dans l'autre.
04:11Mais là aussi, vous allez m'accuser de tout laminer comme un bon diplomate,
04:16mais là aussi, moi je me rappelle, pendant 20 ans,
04:19j'ai essayé, sous instruction de mes ministres, de construire la défense européenne,
04:24et j'ai toujours eu en face de moi les Américains,
04:26qui n'ont jamais voulu que les Européens puissent se défendre.
04:29Il fallait qu'ils soient tout simplement mal.
04:30Mais pas au point, Gérard Haro, de se satisfaire de la progression de partis,
04:33ce qu'ils appellent des partis patriotiques européens.
04:35Non, exactement.
04:36Là, nous avons un véritable aspect idéologique.
04:38Je dirais que la rupture entre les administrations américaines,
04:44elle est vraiment là.
04:45C'est cette sorte de croisade,
04:47parce que ce n'est pas seulement la croisade contre l'Union Européenne,
04:51c'est une croisade pour des partis d'extrême droite.
04:53Oui, c'est ça, parce que le parti patriotique,
04:54c'est l'appellation choisie par Donald Trump.
04:58Ça veut dire, on souhaite la victoire du Rassemblement National en France,
05:01on souhaite que Giorgia Meloni puisse continuer à gouverner en Italie,
05:04c'est ce que ça veut dire.
05:04Exactement, comme dans les années 1940,
05:07il fallait soutenir tous les partis face aux partis communistes.
05:10Les Etats-Unis ont une tradition,
05:13et ils y restent fidèles.
05:14Et c'est dans ce contexte, Gérard Haro,
05:16que la Commission Européenne a décidé d'infliger une amende
05:18de 120 millions d'euros au réseau social d'Elon Musk,
05:21X pour tromperie et manque de transparence.
05:24Résultat, Elon Musk en appelle à l'abolition de l'Union Européenne,
05:27compare l'Union Européenne au Troisième Reich.
05:29Et c'est là que tout se mélange,
05:30parce qu'en fait, ce qui est une amende infligée pour non-respect des règles,
05:34est pris pour une confirmation que l'Europe serait l'ennemi de la liberté d'expression,
05:39qui est là aussi un des leitmotivs de cette stratégie de sécurité nationale.
05:43D'abord, je voudrais me poser une question,
05:45parce qu'infliger cette amende,
05:47à l'évidence, ça aurait été vu comme une déclaration de guerre à Washington.
05:51Donc, est-ce que la Commission Européenne a consulté les Etats ?
05:54Est-ce qu'elle a préparé aussi la suite ?
05:56Parce qu'il y aura des représailles,
05:57et ça va monter en plus, ça va monter entre Washington et Bruxelles.
06:00Ça veut dire qu'il ne fallait pas le faire ?
06:02Je n'en sais rien, mais est-ce qu'ils se sont bien préparés à ce qui va venir ?
06:06Parce que ce qui va venir va être douloureux.
06:08C'est-à-dire, ça veut dire quoi ?
06:09Ça veut dire des droits de douane ?
06:10Ah oui, ça peut être des droits de douane, des représailles.
06:13Donald Trump, vous pouvez l'être sûr,
06:16va prendre le parti d'Elon Musk.
06:19Oui, parce qu'une fois de plus,
06:20dans cette affaire de surcroît,
06:22nous nous retrouvons un petit peu comme les méchants
06:25contre la liberté d'expression.
06:26Mais là, c'est un débat qui, comme vous le savez,
06:29dépasse largement Elon Musk,
06:31et s'étend également, même à la scène politique française,
06:34tout ce grand débat sur
06:35qu'est-ce que ça veut dire la liberté d'expression.
06:37Mais ce qui est assez sidérant, Gérard Rao,
06:39c'est l'inversion accusatoire,
06:41puisque les Etats-Unis
06:42se trouvent dans une situation
06:45à donner des leçons de liberté d'expression
06:47au continent européen.
06:48Oui, surtout que, par ailleurs,
06:49les Etats-Unis, par ailleurs, ne protestent pas du tout
06:52qu'Elon Musk en particulier,
06:53pour ce que font les Chinois ou les Russes.
06:57Cela étant, sur la liberté d'expression,
06:59la liberté d'expression, d'une certaine manière,
07:01a toujours été plus large aux Etats-Unis que chez nous.
07:04Parce qu'eux, ils ont ce qu'on appelle le premier amendement,
07:07et comme vous le savez,
07:07il peut y avoir même des manifestations nazies
07:09dans les rues, protégées par la police.
07:11C'est un droit, c'est le premier amendement,
07:14donc c'est un des droits fondamentaux
07:15de la Constitution américaine.
07:17Les lois sur le négationnisme de la Shoah, par exemple,
07:20est inimaginable aux Etats-Unis.
07:22Là, il y a un véritable, je dirais, débat civilisationnel
07:25entre les deux côtés de l'Atlantique.
07:27Mais juste, je reste un instant, Gérard Rao,
07:29sur ce que vous disiez.
07:30Est-ce que la Commission européenne,
07:31est-ce que les Etats sont prêts à la riposte
07:33que va peut-être décider Donald Trump ?
07:35Il y a aussi une question de puissance,
07:37vous qui êtes diplomate,
07:38quand il y a des règles européennes,
07:39quand il y a de la réglementation
07:41pour que les plateformes, le numérique
07:44ne soit pas une sorte de Far West.
07:46On ne peut pas à la fois dire
07:47qu'il faut que l'Europe soit une puissance
07:48et regretter qu'elle inflige une amende
07:49à une plateforme qui ne respecte pas les règles ?
07:51Je ne regrette pas,
07:52mais j'essaie toujours de penser
07:53de manière pragmatique.
07:55On engage une confrontation
07:56que si on est sûr de la gagner.
07:58Point.
07:58On ne meurt pas pour un principe.
08:00Ça, c'est le diplomate qui parle.
08:02Et donc, je pose la question simplement,
08:04est-ce que les Européens sont sûrs
08:05de gagner cette confrontation ?
08:08Et cela, je n'en sais rien,
08:10parce que je ne suis pas sûr
08:11que les Européens soient unis.
08:12Ils ne le sont pas, par ailleurs.
08:14Et je ne suis pas sûr
08:15que nous soyons prêts
08:16à monter en gamme
08:18si, face à des représailles,
08:20nous sommes contraints
08:21d'aller à des contre-représailles.
08:23Voilà, mais c'est vraiment
08:24une question très pragmatique.
08:26Ensuite, c'est aux autorités politiques
08:27de le décider.
08:28Merci beaucoup, Gérard Rau,
08:30ancien ambassadeur de France
08:31à Washington,
08:32aux Nations Unies
08:33et diplomate,
08:34que l'on prend plaisir à écouter
08:35pour nous donner les clés
08:36de ce qui se passe dans le monde.
08:37Merci.
08:37Merci.
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