L'invité du 7h50 de Benjamin Duhamel est Emmanuel Grégoire, député PS de Paris, candidat à la mairie de Paris, mais aussi ancienne victime de violences sexuelles lors de son enfance. Il a décidé de s'exprimer sur le sujet pour alerter sur le phénomène. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-24-novembre-2025-2777215
00:00Il est 7h48 sur France Inter. Benjamin Duhamel, votre invité et député socialiste, est candidat à la mairie de Paris.
00:07Bonjour Emmanuel Grégoire.
00:08Bonjour.
00:08Merci d'être avec nous ce matin sur France Inter. J'ai bien sûr le candidat à la mairie de Paris en face de moi ce matin.
00:14À 7h, habituellement, on parle politique, campagne électorale.
00:18Mais si vous êtes là, c'est pour nous parler de vous et de votre histoire en lien avec la question des abus sexuels sur les enfants.
00:24Des abus qui sont en nette augmentation. À Paris, pour la seule année 2025, 15 enquêtes judiciaires ont été ouvertes pour violences sexuelles dans les maternelles parisiennes.
00:34Pourquoi est-ce que c'est un sujet important pour vous sur lequel vous souhaitez vous exprimer ?
00:40Si je souhaite vous parler ce matin, ce n'est pas comme député, ce n'est pas même comme élu local.
00:46Si je souhaite le faire, c'est d'abord comme citoyen, comme père de trois enfants et comme ancien enfant.
00:55Je suis quelqu'un qui porte une plaie intérieure depuis très longtemps, une plaie silencieuse comme sans doute des millions de Français.
01:05Et j'ai décidé de lever ce silence.
01:08Je le lève parce que me sont remontées ces dernières semaines des faits insoutenables dans des écoles à Paris et ailleurs qui m'ont renvoyé à ma propre histoire.
01:19Cette histoire, c'est celle d'un enfant qui, en CM1, a subi des violences sexuelles pendant plusieurs mois, dans le cadre d'activités périscolaires, dans une piscine municipale.
01:34Et sans qu'à l'époque, je n'ai trouvé ni la force, ni les moyens, ni les mots de dire cette douleur et cette souffrance.
01:46Je l'ai tue pendant des dizaines d'années.
01:51C'était il y a un peu moins de 40 ans maintenant.
01:54Je n'ai même eu la force d'en parler aux familles aimantes qui m'entouraient.
01:59Et ces histoires qui me remontent me renvoient à quelque chose d'assez fondamental.
02:05C'est lorsque l'on est enfant, on ne sait pas poser les mots sur les choses.
02:12On a honte, tout simplement, de dire la vérité telle qu'on la ressent, telle qu'on la mécomprend.
02:18Parfois, je porte cette cicatrice et je le sais comme beaucoup de personnes qui ont gardé le silence.
02:28Et je me dis que si je gardais le silence, alors cela n'aurait servi à rien.
02:32Et on entend, Emmanuel Grégoire, ce matin, votre émotion, cette cicatrice dont vous parlez.
02:38Qu'est-ce qui fait que 40 ans plus tard, on fait le choix d'en parler ?
02:43C'est parce qu'il y avait cette honte, qu'il y avait une forme de déni, que quelque chose est remonté à la surface ?
02:50Il y a d'abord, je crois, ce sentiment qu'on peut transformer la douleur en joie de vivre et la souffrance en empathie.
02:59Et surmonter cela, pas seulement par le silence, mais aussi par, on va dire, un surinvestissement dans les joies qui sont à côté.
03:09Et aussi parce que, comme responsable public, comme élu, je ne peux pas ne pas me replacer dans mes propres problèmes, d'une certaine manière,
03:21tels que je les observe dans les affaires qui remontent.
03:24Et je crois que l'un des grands enjeux que nous avons comme parents, comme pouvoir public, comme acteurs dans la société en général,
03:36l'un des enjeux est de tendre la main à nos enfants et de tout faire pour que notre espace de vie commune,
03:45notre société, soit un lieu de protection, de respect et d'éducation de nos enfants.
03:51Et si j'en tire un enseignement, puisque c'était il y a bien trop longtemps pour que je puisse engager des poursuites judiciaires,
03:58et quand je me suis posé la question sérieusement...
04:00C'est-à-dire que vous ne pouvez pas porter plainte ?
04:02Je le pourrais, mais ça n'aurait aucune chance d'arriver, puisque la prescription est largement passée.
04:08J'ai décidé d'en faire un combat central de mon engagement.
04:10Je l'ai fait plutôt de façon silencieuse jusqu'à présent, mais aujourd'hui, l'actualité très pesante que l'on observe
04:18m'invite à parler très librement, très sincèrement, en espérant d'ailleurs contribuer à libérer la parole d'un certain nombre d'enfants,
04:28que ce soit dans le recueil de la parole par leur famille, par l'institution,
04:33qu'elle soit de la responsabilité de l'éducation nationale ou de la ville,
04:37pour faire en sorte que ça n'arrive plus.
04:39Emmanuel Grégoire, dans un instant, je vous interrogerai effectivement sur ce qui peut être fait,
04:44notamment à l'échelle des communes, à l'échelle de la mairie de Paris,
04:47mais vous dites, pour ceux qui se taisent, pour ceux qui ne parlent pas,
04:53ça a été votre cas pendant près de 40 ans.
04:55Qu'est-ce que vous dites ce matin à ceux qui sont victimes et qui se taisent,
05:00qui n'osent pas parler, qui pour certains ont occulté, ont enfoui au plus profond d'eux-mêmes ces souvenirs de violences sexuelles ?
05:07La première chose, c'est qu'ils ne doivent pas avoir honte.
05:10Et pendant longtemps, on ne parle pas parce qu'on a honte.
05:14Ensuite, on ne parle pas parce qu'on ne veut pas paraître faible.
05:17Et enfin, on ne parle pas parce que l'on pense qu'il est trop tard.
05:21Et ce que je veux dire à toutes les victimes, c'est qu'il y a des mains secourantes,
05:27il y a des gens qui sont là pour vous aimer, pour vous accompagner, pour vous écouter.
05:32Je pense évidemment d'abord aux parents, même s'il ne faut pas oublier qu'il y a aussi des violences intrafamiliales
05:37et que c'est un cadre peut-être encore plus difficile à verbaliser.
05:42Je veux leur dire que nous sommes là pour les protéger,
05:46nous sommes là pour les accompagner dans leur éducation et dans leur apprentissage de la vie
05:52et qu'ils doivent faire confiance à tous les adultes qui les entourent.
05:56Il n'y a pas que des gens mauvais.
05:56Des mains secourantes parce que quand vous aviez 7 ans, vous vous êtes sentie seule.
06:02Il faut redire aussi, à ce moment-là, vous en parlez, je crois, à votre mère, mais beaucoup plus tard.
06:08Vous n'en parlez jamais à votre père.
06:09Non, j'en parle à mon père et moi il y a longtemps, je ne lui en ai jamais parlé.
06:13J'en ai parlé à ma maman longtemps, longtemps après et peut-être même en banalisant cela
06:19parce que j'avais à la fois envie d'en parler et pas envie d'en parler.
06:26Et si moi je n'en parle pas, qui le ferait ?
06:29Donc j'ai décidé de le faire, non pas du tout dans un registre de pathos,
06:33mais dans un registre de responsabilité de l'action collective
06:36qui relève à la fois de la société tout entière, des institutions et des familles.
06:42C'est vrai Emmanuel Grégoire qu'il y a un contexte, je le disais,
06:44pour la seule année 2025, 15 enquêtes judiciaires ouvertes pour violences sexuelles dans les maternelles parisiennes.
06:50Un plan a été lancé par la mairie pour lutter contre les violences sur les enfants,
06:55avec notamment la création d'un défenseur des enfants.
06:59Qu'est-ce qu'on peut faire de plus ?
07:00Qu'est-ce que vous pouvez faire de plus, puisque vous souhaitez exercer les fonctions de maire de Paris,
07:04pour lutter contre ce fléau ?
07:07Qu'est-ce qui peut être fait, qui n'a pas déjà été fait ?
07:10Tout le travail qui a été engagé est essentiel.
07:13D'abord, peut-être la pointe d'optimisme que j'ai, c'est que nous sommes dans un contexte
07:19qui est aujourd'hui beaucoup plus favorable à la libération de la parole des enfants.
07:24Mais on voit bien que ça ne suffit pas, on voit bien qu'il faut continuer.
07:29Je le dis très clairement et avec gravité,
07:31nous devons engager un combat sociétal et judiciaire total contre la pédocriminalité
07:37et contre le sentiment d'impunité qui peut habiter un certain nombre de ces prédateurs.
07:44La deuxième chose, c'est de faciliter la recueil de la parole des enfants
07:50et de tout mettre en place pour faire en sorte de prévenir ce genre de situation.
07:54Je ne suis pas là pour détailler l'ensemble des mesures, parce qu'elles sont évidemment nombreuses,
07:58mais l'enjeu essentiel est évidemment de prévenir ce type de situation
08:04par l'accompagnement des enfants, par la formation des adultes,
08:09par la levée du sentiment d'impunité qui peut parfois s'y installer.
08:13Est-ce que ça veut dire par exemple, Emmanuel Grégoire,
08:15que l'on doit être absolument sur une logique de principe de précaution,
08:19c'est-à-dire suspension immédiate de tout animateur
08:23qui serait suspecté d'avoir commis des violences sexuelles sur des enfants ?
08:29La réponse est oui, mais je ne veux pas cibler un métier en particulier,
08:31parce qu'il s'agit en réalité de tous les métiers qui sont au contact des enfants.
08:35Je parle des animateurs du périscolaire, puisque c'est la compétence de la mairie.
08:39Bien sûr, mais il y a d'autres compétences de la mairie ou d'autres institutions.
08:43C'est le cas dans les conservateurs de musique,
08:45c'est le cas dans toutes les formations ou les moments d'accueil des enfants.
08:50Et je pense d'abord aux professionnels de ces secteurs-là,
08:54qui à l'occasion de ces drames, à l'occasion de ces révélations,
08:58sont en souffrance eux-mêmes,
09:00alors que l'immense majorité d'entre eux, heureusement,
09:03sont des gens d'une infinie bienveillance et d'un infini dévouement
09:06pour nos enfants, dans nos sociétés, dans tous les endroits où on accueille des enfants.
09:11Et je crois qu'ils sont les premiers à demander plus de sécurité,
09:15plus de garantie en la matière.
09:18Mais donc la question de la suspension est évidente.
09:21Je crois d'ailleurs qu'il faudra réfléchir à muscler un peu le cadre législatif,
09:26parce qu'il y a encore des trous dans la raquette,
09:28sur les transmissions d'informations,
09:30sur les partages, entre guillemets, sur l'évaluation des risques.
09:35Mais que si tout le monde prend ce sujet à bras-le-corps,
09:37nous progresserons et ferons en sorte de faire de nos villes,
09:40et de Paris en particulier, des lieux qui aiment et qui protègent nos enfants.
09:44Merci Emmanuel Grégoire, candidat à la mairie de Péril,
09:47d'être venu témoigner ce matin au micro de France Inter.
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