00:007h44, notre invité sur BFM Business et sur RMC Live, c'est Laurent Bache.
00:04Bonjour, vous êtes professeur associé à l'ESSEC Business School,
00:07vous êtes co-responsable du pôle entreprise à l'Institut des politiques publiques,
00:10vous vous passionnez pour les questions fiscales,
00:12en a donc besoin de vous évidemment ce matin.
00:15On a eu une lettre hier des organisations patronales,
00:19on n'a jamais vu autant d'organisations patronales sur un même courrier,
00:22elle dénonce 53 milliards d'euros de hausse d'impôt sur les entreprises,
00:25trop c'est trop.
00:26Est-ce que les chefs d'entreprise et le patronat ont raison d'alerter
00:30sur les problèmes de compétitivité à venir ?
00:34Alors c'est vrai qu'il y a eu beaucoup d'inventivité fiscale au Parlement ces dernières semaines,
00:40le chiffre de 53 milliards, il est vrai si on sélectionne ces mesures
00:46et si on les prend pour argent comptant,
00:49c'est-à-dire qu'on n'est pas du tout sûr qu'elles seront mises en place.
00:51Et notamment la taxe sur les multinationales, qui potentiellement ne passera pas.
00:54On fait 26 milliards dont on n'est vraiment pas sûr qu'ils vont atterrir.
00:59Donc il y a une incertitude, il y a peut-être une surenchère du point de vue du Parlement
01:03parce qu'on sait que lorsqu'on vente de nouveaux impôts,
01:07ça se retrouve assez difficilement à la fin.
01:10Beaucoup sont annulés par le Conseil constitutionnel.
01:12Donc à voir encore à ce stade si on va vraiment arriver à ce niveau.
01:19Mais en matière de fiscalité, à quel moment c'est trop ?
01:22C'est-à-dire que là, il y a un aspect psychologique de ras-le-bol des débats,
01:27de débats qui partent dans tous les sens.
01:29La taxe Zuckman n'est pas passée, mais elle laisse une sorte de blessure dans le patronat.
01:33À quel moment on dit que la coupe est pleine ?
01:35Alors, c'est trop lorsqu'en fait, si on appuie sur un peu plus d'impositions,
01:42en fait, l'assiette diminue et donc les recettes diminuent.
01:46En fait, on n'en est pas encore là.
01:48Le problème, il va peut-être se situer sur certains impôts
01:51qui sont particulièrement coûteux
01:53ou qui ciblent des contribuables qu'on a envie de préserver.
01:57Et donc, toute la question est de prendre ces choses-là impôt par impôt
02:01plutôt que sur un ensemble un peu général
02:04qui, après tout, lorsqu'on a une cible de réduire les déficits
02:08sur 4 ou 5 ans de 110 milliards,
02:10il faut s'attendre à ce que, lorsqu'on parle de dépenses ou d'impôts,
02:13on ait des chiffres en dizaines de milliards à la fin.
02:15Vous avez regardé dans le détail là où on en est dans les débats.
02:20Qu'est-ce qui est utile ?
02:21Qu'est-ce qui sera faisable ?
02:22Qu'est-ce qui ne l'est pas ?
02:24Alors, ce qui est difficile à mettre en œuvre,
02:27c'est évidemment les taxes qui requièrent une coordination internationale
02:30type taxe sur les multinationales.
02:32Après, il y a des outils qui ont été proposés,
02:36des nouveaux outils fiscaux qui ont été proposés
02:38par le gouvernement dans son PLF,
02:41dans son projet de loi de finances,
02:43qui étaient à la fois modestes et innovants et intéressants.
02:47Des outils qui définissent justement des méthodes d'optimisation
02:51qui avant n'étaient pas.
02:54Et qui, de ce point de vue, sont intéressants
02:56comme la taxe sur les holdings.
02:57Donc ça, pour vous, c'est une taxe qui pourrait rapporter,
03:01qui est faisable, qui est intéressante,
03:04parce qu'elle permet de toucher quelque chose
03:06qu'on n'avait pas touché auparavant.
03:07C'est quoi la différence entre ce fameux patrimoine professionnel,
03:11entre le stock, entre le flux ?
03:13Là, ça touche quoi précisément ?
03:14Alors là, ça taxe des véhicules de détention d'actifs
03:19qui permettent, en fait, de stériliser l'impact des profits
03:24que vous faites sur votre feuille d'impôt personnel,
03:28et en particulier lorsque vous ne réinvestissez pas ces profits
03:30dans des entreprises réelles, commerciales.
03:34Donc c'est ce qu'on appelle les holdings patrimoniales,
03:37dont il ressort pour la première fois une définition dans ce texte,
03:40et qui permettrait, s'il était mis en œuvre,
03:44non pas forcément de rapporter beaucoup au titre de cet impôt,
03:47mais de rapporter plus au titre d'impôts existants,
03:50type impôts sur le revenu ou impôts sur les sociétés,
03:52en faisant remonter de l'argent,
03:54soit vers les revenus personnels de ceux qui possèdent ces holdings,
03:58soit de les faire descendre vers les entreprises réelles.
04:01Vous dites que la difficulté, c'est, comme chez les chasseurs,
04:04c'est le bon impôt et le mauvais impôt,
04:06c'est de faire la différence entre la bonne épargne active
04:08et la mauvaise épargne passive.
04:10Est-ce qu'on a des outils objectifs pour faire ça ?
04:14Il y a quand même, en fait,
04:16c'est une question que se pose le législateur depuis des dizaines d'années.
04:20Donc il y a une jurisprudence très importante
04:22pour différencier ce qui relève de l'économie commerciale
04:25et ce qui relève du patrimonial.
04:28Ça a été utilisé notamment pour les PAC du TREI.
04:31C'est une jurisprudence très active qu'on peut renouveler,
04:34mais ce n'est pas une question nouvelle,
04:37et donc ce n'est pas une question dont il faut nécessairement avoir peur
04:39et se dire qu'elle est impossible à résoudre.
04:41On va débattre aujourd'hui de la suspension de la réforme des retraites.
04:46Il va falloir aller chercher quand même quasiment 2 milliards
04:49sur les trois prochaines années pour réussir à financer.
04:53Est-ce qu'on a des bonnes pistes selon vous ?
04:56Est-ce qu'on avance ou est-ce qu'on est forcément vers un déficit public
05:00qui va être de plus en plus profond ?
05:03S'agissant des retraites, l'enjeu d'équilibre ne se situe pas,
05:09en tout cas s'agissant de la réforme de 2023,
05:12il ne se situe pas sur les 1 ou 2 prochaines années,
05:15il se situe plutôt à un horizon un peu plus long, à un horizon 2030.
05:18Et finalement ce qui est proposé là, c'est juste un décalage
05:21qui va faire en sorte que peut-être pour une génération,
05:24il va effectivement y avoir une amélioration notable,
05:27la génération 64.
05:28Pour les autres générations, en fait tout est remis à 2027
05:31et finalement le coût pour l'instant de cette suspension,
05:36qui est en réalité un décalage, reste assez faible.
05:39Et donc évidemment les recettes qu'il va falloir mettre en contrepartie
05:43pour 2026 sont elles aussi d'ampleur relativement faibles.
05:48Elles le seront beaucoup plus si en fait cette suspension dure après 2027
05:53parce que c'est là que la réforme prend son envol,
05:56si je veux dire, en termes d'économie budgétaire.
05:58Mais 2 milliards de plus, quand vous cherchez déjà 110 milliards,
06:02les chiffres n'ont plus de sens, mais quand même au bout d'un moment ça s'aggrave.
06:06Oui bien sûr, en fait on vient de parler justement des 50 milliards,
06:10donc de cet impôt de 26 milliards,
06:11est-ce que 2 milliards c'est beaucoup par rapport à toutes ces recettes
06:14dont on parle ou toutes ces dépenses dont on parle ?
06:17C'est toujours important.
06:19Il y a des...
06:23On pense par exemple à augmenter les prélèvements sociaux
06:26sur certains revenus du capital, c'est une des choses qui est proposée.
06:29Sur la CSG ?
06:30Avec le souci que c'est pas tout à fait sûr que ça rapporte autant que ce qu'on dit
06:34parce que l'assiette peut diminuer encore une fois.
06:37Donc il y a des expédients de cette nature qui peuvent fonctionner
06:40surtout pour un ou deux ans.
06:41Pour la suite, ce sera plus dur.
06:45Ce qu'on comprend dans ce que vous dites, c'est que c'est extrêmement compliqué
06:47d'arriver au niveau des débats parlementaires
06:50à savoir exactement combien va rapporter un impôt
06:54parce qu'on n'arrive pas à prévoir notamment l'assiette qui baisse,
06:57le comportement de chacun, la courbe de l'affaire,
06:59les gens qui revoient leur fiscalité.
07:02Donc c'est très compliqué de chiffrer en fait.
07:05Oui c'est très compliqué en fait, c'est le métier justement des chercheurs
07:08de notre institut, l'Institut des politiques publiques,
07:11que d'expliquer, chercher quelles sont les réactions des contribuables
07:16à tous ces types d'impôts, impôts par impôts
07:18et de donner des indications aux législateurs
07:21pour mieux faire cette sélection entre les impôts.
07:24Et à la fin, ça rapporte toujours quasiment moins que ce qu'on avait prévu ?
07:29Alors quand on invente de nouveaux impôts, c'est souvent le cas
07:32parce qu'en fait, on n'a pas tout à fait en tête
07:36quelle va être la mise en musique de ces impôts.
07:38Lorsqu'on les met en musique, on essaie de se prévenir d'attaques juridiques
07:41et en général, ça rapporte un peu moins.
07:45Et parfois beaucoup moins, ça a été le cas de la taxe sur les super profits
07:47qui n'a rien rapporté quasiment.
07:49Mais vous qui baignez dans le sujet, à la fin là,
07:51quand vous voyez l'ensemble des débats sur le budget 2026,
07:54c'est quoi votre sentiment ?
07:55Vous dites il faut tester des choses,
07:57vous dites il y a trop d'inventions d'impôts,
08:00c'est quoi votre sentiment à la fin des débats ?
08:02Je pense qu'en la matière, il y a un adage
08:06qu'un bon impôt est un vieil impôt.
08:07C'est quelque chose qui est très vrai dans la mesure
08:09où en fait, pour qu'un impôt s'installe,
08:12il faut que toute l'architecture fiscale,
08:17du législateur jusqu'au fiscaliste,
08:20jusqu'au contribuable, s'y soit adaptée.
08:22Ça prend beaucoup de temps, ça prend beaucoup d'énergie
08:24et donc il faut le faire avec une main semblante.
08:27L'innovation, ça ne marche pas très bien en matière d'impôts ?
08:30Non, c'est-à-dire qu'il faut le faire seulement
08:33lorsqu'il y a de manière évidente un trou dans la raquette.
08:36Merci beaucoup Laurent Bache d'être venu ce matin.