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  • il y a 8 heures
Justin Vaïsse, historien, fondateur et directeur général du Forum de Paris sur la Paix.
Isabelle Lasserre, correspondante diplomatique du Figaro, auteure de « Les fantômes de Munich. L’Europe face aux défis du monde contemporain » (Éditions de l’Observatoire).
Retrouvez « Le débat de la grande matinale » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00France Inter, la grande matinale, Daphné Burkier, Simon Le Baron.
00:05Avec une question Daphné assez vertigineuse ce matin, peut-on encore croire à la paix ?
00:11Question alors que s'ouvre demain la 8ème édition du Forum de Paris sur la paix.
00:16Chef d'Etat, ONG, diplomate, expert, chef d'entreprise, syndicat, journaliste, 3000 participants en tout
00:21qui vont tenter d'apporter leur modeste contribution face à la brutalisation du monde.
00:27Modeste c'est vous qui le dites, Justin Weiss, bonjour.
00:29Bonjour, oui, on n'a pas la prétention de faire la paix, encore moins la paix universelle, mais on essaye.
00:34Voilà, vous êtes historien, fondateur et directeur général de ce Forum de Paris sur la paix.
00:39Avec nous également Isabelle Lasserre, bonjour.
00:41Bonjour.
00:42Vous êtes correspondante diplomatique au journal Le Figaro, auteur d'un livre intitulé
00:45« Les fantômes de Munich » qui résonne particulièrement avec la question que l'on se pose ce matin.
00:51Il vient de paraître aux éditions de l'Observatoire.
00:54Que signifie la paix donc dans un monde marqué par le retour de la force ?
00:58Voilà la question qu'on se pose.
01:00Depuis 2018 et la première édition de ce Forum, Justin Weiss, la signification du mot « paix » a-t-elle changé ?
01:06Est-ce que vous l'avez vu changer ?
01:07Oui, en 2018, on expliquait encore que la paix, c'était évidemment plus que l'absence de guerre.
01:13C'était le fait de construire une gouvernance mondiale plus efficace pour éviter les facteurs de paix, les facteurs structurels de paix.
01:20Le réchauffement climatique crée des réfugiés climatiques et des tensions entre populations qui amènent la guerre, par exemple.
01:26La cyberinsécurité amène aussi des tensions qui amènent la guerre.
01:30Et donc, on a commencé au Forum à travailler sur tous ces sujets, on dirait, de gouvernance globale qui pouvaient conduire à la paix.
01:37Et puis, à la guerre.
01:38Puis, peu à peu, au fil des années, le monde s'est en effet brutalisé.
01:42On est à peu près à 61 conflits en mi-2025, dont une dizaine de guerres.
01:48C'est le double des années 2010-2015.
01:51Donc, de plus en plus, cet agenda plus direct, disons, de géopolitique s'est imposé et s'est adapté.
01:57Et on a essayé de voir comment on pouvait avoir un impact sur cette situation.
02:01D'ailleurs, on parle de moins en moins de paix.
02:02J'ai l'impression, Isabelle Lasserre, on parle de trêve, de cesser le feu,
02:07qui pourrait éventuellement conduire à un accord pouvant mener à des négociations et à un éventuel accord
02:13qui mènerait à un hypothétique plan de paix.
02:18Voilà ce dont on entend parler, par exemple, sur Gaza ou sur l'Ukraine.
02:21La paix est redevenue une chimère ?
02:24C'est-à-dire qu'en fait, en Europe, on a cru que la paix était éternelle et elle serait éternelle sur le continent.
02:29Et on a cru qu'on avait éloigné pour toujours la guerre et que les conflits entre les États,
02:36désormais, ne se régleraient plus que par la diplomatie, la négociation.
02:39Et on n'a pas vu que, en fait, derrière les frontières européennes,
02:44il y avait tout un tas de pays qui ne pensaient pas de la même manière
02:47et qui s'appuyaient toujours sur la force et qui se réarmaient
02:49et qui, aujourd'hui, utilisent les armes qu'ils ont accumulées depuis très très longtemps.
02:54Donc, aujourd'hui, on a compris que cette paix était une illusion
02:59ou, en tout cas, on a compris que pour pouvoir garder cette paix
03:04et pour pouvoir la défendre, il fallait pouvoir affronter l'idée de guerre
03:08et donc préparer la guerre et donc se réarmer.
03:12Et c'est là qu'on est dans un moment extrêmement difficile parce qu'on s'est désarmé.
03:17Donc, on n'a plus la dissuasion nécessaire pour défendre la paix.
03:20Et avec la paix, c'est toutes nos valeurs de la démocratie parce que c'est la paix et la démocratie.
03:25Et on est dans cette période de faiblesse relative.
03:29Sur le cas ukrainien en particulier, vous avez raison, on parle de cesser le feu.
03:34Pourquoi ? Parce qu'il y a un des deux acteurs, Vladimir Poutine, qui ne veut pas la paix.
03:39Pourquoi ? Parce qu'en fait, il a plusieurs objectifs.
03:42Il se sent en position de force, notamment parce qu'il n'a pas perdu sur le terrain.
03:48Je ne dis pas qu'il gagne sur le terrain, mais qu'il n'a pas encore perdu sur le terrain.
03:51Mais aussi parce qu'il est épaulé par tout un tas d'acteurs qui, eux aussi, s'appuient uniquement sur le rapport de force
03:58qui sont la Chine, l'Iran, la Corée du Nord et qu'en fait, avec ce groupe, ils pensent pouvoir non seulement récupérer l'Ukraine,
04:11mais aussi, parce qu'il y a plusieurs objectifs dans le plan de Vladimir Poutine,
04:15changer l'ordre international et remplacer l'ordre international occidental.
04:18En affaiblissant l'Europe, en affaiblissant l'OTAN.
04:20Voilà, et instaurer un modèle différent.
04:22Voilà, autocratique.
04:24Justement, est-ce qu'aujourd'hui, promouvoir la paix, c'est promouvoir la loi du plus fort et ce modèle autocratique ?
04:31D'une certaine manière, on va en parler, mais pour revenir sur les raisons de cette brutalisation du monde,
04:37Justin Weiss, est-ce que tout est de la faute des États-Unis qui ne jouent plus le rôle,
04:41qui ne veulent plus jouer le rôle de gendarme du monde ou c'est une explication simpliste ?
04:45Non, non, c'est une explication qui est en partie de la validité,
04:48tout simplement parce que les États-Unis n'ont pas la marge de supériorité en termes de puissance
04:52qu'ils avaient acquise après 1945 et qu'ils ont conservée après la guerre froide.
04:56C'est-à-dire, oui, si on se plaignait du gendarme du monde ou du shérif,
04:59c'est parce que les États-Unis soutenaient l'ordre international en partie légal,
05:06c'est-à-dire celui de l'ONU, de la Charte des Nations Unies, etc.,
05:08qu'ils étaient derrière cet ordre et qu'ils étaient prêts à l'appuyer avec leurs 11 groupes de porte-avions,
05:13avec leurs bases militaires partout dans le monde.
05:15Et donc, derrière l'ordre qui nous apparaissait régi essentiellement par le droit, par l'ONU, etc.,
05:21il y avait tout de même la force des États-Unis.
05:23La montée en puissance de la Chine et d'autres pays, rendus possibles, d'ailleurs, par ce monde américain,
05:28c'est-à-dire par la globalisation, par la croissance, par les exportations dans un monde ouvert, etc.,
05:33a changé cette situation.
05:35La puissance n'est plus répartie de la même manière dans le système.
05:37On dit que le système est plus, disons, pluraliste qu'auparavant.
05:44Et, en effet, les pays se croient autorisés à envahir leurs voisins.
05:50C'est le multilatéralisme de la guerre.
05:53C'est la multipolarité, on pourrait dire, dans le jargon.
05:57Mais c'est surtout l'idée que les États-Unis, qui avaient inspiré, soutenu et financé, largement,
06:03tout le système de normes, d'institutions, de règles, qui nous a servi de cadre à nous,
06:09y compris Européens, comme le disait Isabelle, pour s'épanouir,
06:12non seulement ils délaissent ce système,
06:15mais ils estiment maintenant que ce système marche contre eux,
06:17et donc, souvent, ils l'attaquent.
06:20Et, en effet, c'est ça qui, un peu partout dans le monde,
06:22fait que les autres pays se croient autorisés à attaquer d'autres pays,
06:28à avoir des attitudes brutales.
06:29C'est un peu l'exemple qui est donné du haut.
06:31Justement, puisqu'on parle des États-Unis et de Donald Trump,
06:35j'en reviens à la question que l'on se posait, Isabelle Lasserre.
06:38Donald Trump qui promettait de faire la paix en 24 heures,
06:42d'arrêter la guerre en 24 heures entre la Russie et l'Ukraine.
06:45Est-ce qu'arrêter la guerre, c'est faire la paix ?
06:48C'est-à-dire, est-ce qu'accepter des concessions territoriales,
06:53c'est accepter la loi du plus fort et repousser la guerre à plus tard ?
06:58Oui, mais c'est toute la difficulté, c'est la raison de l'échec de Donald Trump.
07:04Bon, 24 heures, de toute façon, il ne connaissait pas Vladimir Poutine,
07:07il ne s'est pas renseigné, visiblement, il n'avait pas l'expérience,
07:10il ne s'est pas intéressé à l'expérience de tous ceux qui avaient avant lui,
07:15et notamment Barack Obama, essayé de faire des resets,
07:18c'est-à-dire des redémarrages des relations avec la Russie,
07:21pour voir que ça ne marchait pas avec Vladimir Poutine.
07:25Au-delà de ça, effectivement, il n'est pas du tout exclu
07:30que dans les semaines ou dans les mois qui viennent,
07:33on ait un cessez-le-feu en Ukraine.
07:35Mais qu'est-ce que ça veut dire un cessez-le-feu en Ukraine ?
07:38On a déjà eu un cessez-le-feu, en fait, après 2014,
07:41accompagné de négociations qui s'appelaient les négociations des accords de Minsk,
07:46qui ont duré pendant des années et des années,
07:48et qui n'ont mené nulle part,
07:50parce que Vladimir Poutine utilisait, en fait, ce cessez-le-feu
07:53pour poursuivre sa guerre à plus basse intensité,
07:56c'est-à-dire réchauffer le conflit quand il en avait besoin,
07:59s'assurer que le pays était tout à fait faible,
08:03donc ne pouvait pas rejoindre le côté occidental,
08:07parce qu'il ne pouvait pas se rapprocher de l'Union Européenne et de l'OTAN,
08:09parce qu'une partie de son territoire était occupée.
08:12Et c'est sans doute aussi l'objectif de Vladimir Poutine.
08:15S'il est contraint à cesser le feu par Donald Trump,
08:19ce qu'on ne peut pas exclure un jour,
08:20ça ne voudra pas dire que la paix sera arrivée,
08:25ça voudra juste dire que la guerre reprendra dans un an ou dans deux ans.
08:29On en revient à ce qu'on disait avec cette notion de paix qui évolue.
08:31C'est extrêmement compliqué, cessez-le-feu, ce n'est pas la paix.
08:33Oui, c'est ça.
08:34Et c'est pareil à Gaza, cessez-le-feu, ce n'est pas la paix.
08:37Et on voit que Donald Trump a obtenu un succès spectaculaire,
08:42et on peut se féliciter, il est le seul à avoir réussi à libérer les otages,
08:47mais là on voit que la deuxième phase, elle patine.
08:51Et on voit que le Hamas est en train de reprendre le pouvoir dans une partie de Gaza,
08:55et que la question du désarmement du Hamas n'est absolument pas réglée.
09:00Or c'est le B à bas pour instaurer une paix dans la région.
09:04Et encore plus loin, c'est la solution politique qui paraît inenvisageable aujourd'hui,
09:10même si la France et d'autres ont reconnu l'état de Palestine.
09:13Et justement, quand on voit ces conflits où la paix paraît aujourd'hui quasi inatteignable,
09:18Justin Weiss, en tout cas très très lointaine,
09:21ça vous oblige, j'imagine, à revoir votre grille de lecture.
09:25Oui, alors plusieurs choses là-dessus.
09:27D'abord, sur le conflit israélo-palestinien,
09:29sur lequel on aura quatre sessions pendant le Forum de Paris sur la paix,
09:32à partir de demain matin, à la fois avec l'ancien Premier ministre israélien,
09:35Ehud Olmert et Nasser Al-Kidwa, qui est l'ancien ministre des Affaires étrangères
09:39et qui est maintenant membre du FATA,
09:40avec le ministre Jean-Noël Barraud qui a conduit cette diplomatie depuis six mois,
09:44qui a abouti à des résultats, la diplomatie franco-saoudienne.
09:48Donc un petit mot là-dessus.
09:49Bon d'abord, si Trump a été celui qui a réussi à faire le cessez-le-feu à Gaza,
09:53c'est que c'était le seul qui pouvait réussir à faire le cessez-le-feu à Gaza.
09:56C'est-à-dire qu'il faut toujours juger un succès politique
09:58par rapport aux contraintes qu'on a, aux cartes qu'on a en main.
10:01Et ça, c'est une expression de Trump lui-même.
10:02You have no cards, avait-il dit à Zelensky.
10:04Bon ben lui, à l'inverse, il avait beaucoup beaucoup de cartes en main.
10:07D'une part, c'est le seul à pouvoir influencer Israël,
10:10ce que Biden s'est retenu de faire très largement pendant quatre ans.
10:14Deuxièmement, le Hamas était quand même affaibli,
10:16même s'il n'avait pas disparu.
10:17Il n'y avait plus que 20 otages en vie.
10:19Autrement dit, c'était un moment où il était possible de faire ça.
10:24Alors ça ne retire pas au succès, notamment de Jared Kushner et Steve Witkoff,
10:28donc les négociateurs américains.
10:30Mais enfin, tout de même, il faut bien reconnaître que ça n'était pas si difficile que ça.
10:33Ça, c'est la première chose.
10:34La deuxième chose, c'est qu'en effet, ce qu'on veut faire, c'est aller au-delà de ce cessez-le-feu.
10:38Et si Trump veut un prix Nobel en 2026, puisqu'il a raté celui de cette année,
10:45c'est bien pour la solution politique de long terme,
10:47et non pas simplement pour le cessez-le-feu.
10:49Et là, ça réclame beaucoup plus d'attention,
10:51beaucoup plus de constance,
10:52et beaucoup plus de pression sur les deux partis
10:54qu'apparemment il n'est disposé à en fournir.
10:56Pour terminer, Isabelle Lasserre, il nous reste une minute,
10:59vous parlez de l'esprit municois dans votre livre,
11:021938, la France et l'Angleterre cèdent une partie de la Tchéquie à Hitler
11:06en espérant éviter la guerre, pardon,
11:10on sait ce qu'il est advenu ensuite.
11:12Vous dites aujourd'hui, il faut accepter de revenir au rapport de force.
11:16C'est ça aujourd'hui, c'est la paix par la force.
11:18C'est-à-dire qu'il ne faut surtout pas se laisser à nouveau tenter
11:23par la politique de l'apaisement,
11:25et croire que, comme à l'époque, en 1938,
11:27on avait donné un bout de la Tchéchécoslovaquie,
11:30les Sudètes à Hitler, pensant l'arrêter
11:33et le rassasier en quelque sorte,
11:38il ne faut pas croire qu'en donnant un bout de l'Ukraine
11:43à Vladimir Poutine, c'est-à-dire les territoires occupés,
11:45on va couper court aux velléités d'extension de Vladimir Poutine.
11:49C'est-à-dire qu'en gros, ça n'arrêtera pas son élan et son appétit.
11:53Au contraire, il verra ça comme une preuve de faiblesse
11:57et ça l'encouragera sans doute à aller ailleurs,
11:59en Moldavie, en Georgie, en Pologne,
12:03voire à pousser encore son avantage
12:05pour imposer son influence en Europe,
12:08y compris en Europe occidentale.
12:10D'où la nécessité de se réarmer, dont vous parliez tout à l'heure.
12:13Merci à tous les deux, Isabelle Lasserre.
12:14On vous lit dans le Figaro et dans les pages de ce livre
12:18« Les fantômes de Munich, l'Europe face aux défis du monde contemporain »
12:21aux éditions de l'Observatoire.
12:23Justin Vahis, je vous souhaite un bon forum de Paris sur la paix,
12:28forum dont vous êtes le fondateur et le directeur général.
12:32Merci à tous les deux.
12:32« Les fantômes de Munich, l'Observatoire et l'Observatoire et l'Observatoire et l'Observatoire. »
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