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  • il y a 10 minutes
Clément Beaune, haut-commissaire à la Stratégie et au Plan.
Monique Dagnaud, sociologue, directrice de recherche au CNRS, auteure de « Génération Reset. Ils veulent tout changer », éditions Odile Jacob.

Retrouvez « Le débat de la grande matinale » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:01La grande matinale, Daphné Burkier, Simon Le Baron.
00:05Et cette question d'Aphné, est-ce qu'être jeune c'était mieux avant ?
00:09Eh bien oui, selon la plupart des principaux concernés, en tout cas c'est ce que nous dit un rapport du Haut Commissariat à la Stratégie et au Plan,
00:16un organisme rattaché à Matignon, rapport intitulé « Le Grand Déclassement » avec un point d'interrogation qui est important.
00:24C'est pour cela qu'on en discute ce matin avec celui qui a remis ce rapport, le Haut Commissaire au Plan, Clément Beaune.
00:29Bonjour. Merci d'être avec nous. Et Monique Dagneau, bonjour à vous également.
00:33Bonjour. Vous êtes sociologue, directrice de recherche au CNRS et dans votre livre « Génération Reset, ils veulent tout changer »
00:39qui vient de sortir chez Odile Jacob. Vous êtes intéressé à ces jeunes, en particulier au Bac plus 5.
00:45La valeur des diplômes justement, on va en parler, ainsi que l'accès au logement, le patrimoine et tout de même des progrès dans les conditions de vie.
00:52On va voir tout cela. Mais d'abord Clément Beaune, faites-nous le tableau général.
00:56Quelle est l'ampleur de ce sentiment et plus qu'un sentiment de cette conviction en fait qu'on est moins bien lotis que la génération précédente ?
01:04Oui, il y a une réalité derrière ce sentiment. C'est ça qu'on a voulu regarder.
01:07On entend beaucoup de choses dans le débat qui tournent autour de la même idée.
01:10C'est-à-dire « c'était mieux avant » d'ailleurs quand on fait des enquêtes d'opinion.
01:13Les Français disent « c'était mieux avant » et même les jeunes disent « c'était mieux avant » en parlant parfois d'un passé qu'ils n'ont pas connu.
01:18Et qui est parfois fantasmé sans doute. Et puis vous avez entendu parler du fameux Nicolas qui paye.
01:23Nicolas c'est le prénom qui était le plus donné en 1995 et c'est donc le symbole d'un trentenaire jeune actif
01:29qui porterait en quelque sorte sur ses épaules tout le fardeau de la société, du financement, des retraites, notamment de la génération d'avant, etc.
01:35Donc on a voulu soulever le capot, objectiver un peu ces constats.
01:39Il y a des progrès. Il faut quand même commencer par là parce que ce n'est pas vrai que tout va plus mal, que c'était mieux avant.
01:46Quand on regarde des choses très concrètes, les salaires par exemple, évidemment en tenant compte de l'inflation, on est mieux payé.
01:51Le temps libre, etc. On va en parler.
01:52Bien sûr, le temps libre. Et il y a, alors si je commence par le négatif, parce qu'on a cité, il y a des aspects sur lesquels il y a un déclassement.
02:01C'est-à-dire que par rapport à la génération d'avant, mais par rapport à aujourd'hui ceux qui sont plus âgés, c'est dur pour les jeunes.
02:06C'est dur pour les jeunes trentenaires. Il y a un domaine dans lequel c'est évident, c'est le logement.
02:11L'accès au logement, qui est à la fois plus difficile qu'il y a 30 ou 40 ans, pour donner un seul chiffre.
02:17Là où pour le même apport, la même surface, on mettait 10 ans pour rembourser l'achat de son logement quand on devenait propriétaire jeune il y a 50 ans.
02:25On met aujourd'hui 25 ans pour le même logement, la même qualité, le même apport.
02:30Donc il y a une vraie dégradation. Et puis il y a une injustice. Et c'est ça qui crée peut-être un sentiment réel de déclassement.
02:36C'est que c'est plus polarisé. C'est-à-dire en gros, entre un jeune propriétaire qui cherche à accéder au logement aujourd'hui,
02:42les écarts entre riches et pauvres, les jeunes riches et les jeunes pauvres, est beaucoup plus grand et beaucoup plus discriminant qu'il y a 50 ans.
02:48On va passer effectivement toutes ces choses très concrètes que vous avez étudiées en revue.
02:54Mais pour rester sur le tableau général, Monique Dagnot, vous avez observé aussi ce sentiment de vivre moins bien, tout simplement, qu'il y a quelques décennies en faisant votre enquête.
03:06C'est massif ?
03:07Non seulement c'est massif, mais les résultats m'ont surprise d'une certaine façon.
03:12Parce que je m'intéresse aux trentenaires, d'ailleurs ceux qui finalement entrent dans les sphères de pouvoir ou de l'expertise aujourd'hui, aux trentenaires diplômés Bac plus 5.
03:22Donc c'est une petite partie de la population, mais stratégiquement elle est importante.
03:27Or, chez eux, il y a un sentiment d'injustice générationnelle qui est plus marqué que pour toutes les autres générations, les plus vieilles et même les plus jeunes.
03:36C'est ce qu'on peut regarder, les 18-24 ans.
03:39Ils font un tableau plus noir que les plus jeunes, ce qui paraît contre-intuitif.
03:44Ce qui est contre-intuitif, comme vous dites.
03:46Et sur plein d'aspects, ce sont les trentenaires, alors diplômés parce que je me parlerai sur eux, qui sont le plus pessimiste et le plus révolté finalement par rapport à ce qu'ils estiment être une sorte d'injustice générationnelle.
04:03Sur plein de plans.
04:04D'abord, effectivement, la note du plan est très bien vue sur le plan économique.
04:11Sur le plan, finalement, du stress psychologique qui subit par un environnement qui est anxiogène.
04:19Alors, évidemment, en premier, la donne écologique, qui est très forte, qui est le premier point.
04:26Mais aussi, effectivement, les injustices en matière économique, la difficulté relative d'entrer dans l'emploi.
04:33Alors qu'avant, quand on était bas de plus 5, on avait un boulot à la sortie des études.
04:38Ce que vous avez étudié, c'est jeunes diplômés qui ont fait des études supérieures.
04:43Dans la note, on le voit bien, Clément Beaune, c'est plus difficile.
04:47Les jeunes sont plus diplômés.
04:49C'est-à-dire, ils sont plus qualifiés que les générations précédentes.
04:51Mais ils ont plus de mal, d'abord, à trouver un emploi et à trouver un emploi qui corresponde à leur qualification.
04:56Le diplôme, c'est le sujet le plus paradoxal.
04:58Parce qu'on est une société, et c'est positif, plus diplômée en moyenne qu'il y a 50 ans.
05:03Il y a eu un effort de massification, comme on n'a pu dire pas très joliment, du baccalauréat, de l'enseignement supérieur.
05:08C'était un jeune sur 5 qui était diplômé post-bac il y a 50 ans.
05:12C'est aujourd'hui un jeune sur 2.
05:13Donc il y a eu, partout d'ailleurs en Europe, cette grande démocratisation de l'enseignement supérieur.
05:18Avec cette démocratisation vient aussi, assez mécaniquement, une forme de dévalorisation du diplôme.
05:23Je donne un seul chiffre, mais qui est très très frappant.
05:25Quand on était bachelier il y a 50 ans, on était quasiment toujours dans un emploi supérieur à une qualification d'ouvrier.
05:32Pour le dire autrement, il y avait 10% des bacheliers qui arrivaient à un emploi de type ouvrier en termes de qualification.
05:38Donc ouvrier stricto sensu, peu qualifié.
05:41Aujourd'hui c'est un tiers des bacheliers.
05:42Quand on a juste le bac, entre guillemets, évidemment comme il y a beaucoup plus de gens qui ont le bac,
05:46et beaucoup plus de gens qui ont un bac plus 2 ou un bac plus 5,
05:48et bien en relatif, la valeur du bac a diminué.
05:52Et donc il y a cette espèce de promesse trahie que ressentent beaucoup de gens par rapport à la génération de leurs parents.
05:57Ils se disent mais mes parents, ils avaient fait moins d'études que moi,
05:59et ils avaient un job à peu près équivalent, voire meilleur.
06:02Et moi j'ai fait des études, j'ai continué, ça a coûté à ma famille, et je n'ai pas le job qui va avec.
06:06Il y a 15% des jeunes qui disent, moi j'ai un job qui ne correspond pas du tout à ma qualification.
06:09Évidemment il n'y a rien d'affamant à être ouvrier, bien sûr.
06:13Bien sûr, mais c'est le décalage entre l'effort qui a été fait, puis la rémunération, ou la position sociale.
06:17Cette frustration que vous avez observée, Dominique D'Agnon.
06:20Les bacs plus 5, ça représente 25% des nouvelles générations.
06:25Donc c'est quand même important.
06:27Auparavant, il y a 10 ans, ça ne représentait que 14%.
06:30Donc il y a eu une montée en gamme très très forte du niveau de diplôme.
06:35C'est vrai que quand vous avez ce niveau de diplôme, a priori vous attendez d'avoir un job au moins gratifiant,
06:41relativement bien rémunéré, un peu comme les parents.
06:43Ce n'est pas le cas.
06:45Je vais quand même nuancer, vous n'êtes pas au chômage.
06:49Il y a très peu de bacs plus 5 qui se trouvent au chômage.
06:52Ils n'ont pas nécessairement le job auquel ils aspiraient.
06:55Mais il y a des emplois plus précaires.
06:57Il y a une partie qui disent, ah oui, c'est la meilleure protection contre le chômage.
07:00Oui, bien sûr, tout à fait.
07:01Mais en même temps, parce qu'il y a quand même, si vous n'avez pas de diplôme, vous avez beaucoup plus de risques que les autres chômages.
07:08Donc ça c'est la première chose.
07:09L'autre chose, c'est qu'ils pensent, alors quand vous rentrez dans un job, auparavant, a priori, à ce niveau de diplôme,
07:18vous pouviez accumuler grâce à votre salaire.
07:21Aujourd'hui, éventuellement pour vous acheter un appartement.
07:24L'idée de l'accumulation capitalistique, d'avoir une certaine fortune qui vous pousse jusqu'à la fin de la vie
07:30et puis vous pourrez la transmettre à vos enfants, ça n'existe plus du tout.
07:34C'est-à-dire, aujourd'hui, si vous voulez entrer dans la propriété, il faut être vous-même enfant de personnes qui ont accumulé du capital.
07:45Ce qui est quand même, pour des gens qui sont les plus diplômés de la société, c'est une interrogation profonde.
07:51Justement, Clément Beaune, vous parliez tout à l'heure de cette difficulté à accéder au logement, à devenir propriétaire.
07:5725 ans, aujourd'hui, pour une maison, un appartement, contre 10 ans, en 1975.
08:03Ce qui fait que, et ça c'est un basculement historique aussi, le patrimoine, aujourd'hui, est concentré,
08:09non plus entre les mains des jeunes actifs, ceux qui font d'une famille, qui font des enfants,
08:14ou pas d'ailleurs, mais qui s'installent, on va dire, dans la vie, mais dans les mains de leurs parents.
08:21Oui, c'est vrai, on est de plus en plus, et c'est un énorme problème, une société d'héritier, ou d'héritage,
08:27dans lequel le patrimoine qu'on obtient de ses parents, et donc une forme d'inégalité ou d'injustice ressentie, vécue et réelle,
08:33détermine beaucoup les trajectoires.
08:35Si vous êtes aujourd'hui quelqu'un qui a Bac plus 5, qui a fait pas mal d'études,
08:40qui vit dans une ville à Paris, ou une grande ville française, acheter un appartement, c'est quasiment impossible si vous n'êtes pas un héritier.
08:46Donc ça, c'est là aussi une frustration, quand vous avez fait un investissement, un effort d'études, de vie,
08:53et que vous n'avez pas les résultats, ça crée une frustration par rapport à la génération précédente.
08:57Ça, c'est quand même très important.
08:58Il y a un panorama un tout petit peu plus général, c'est qu'en fait, tout arrive un peu plus tard.
09:02Quand vous regardez la génération d'aujourd'hui, la génération d'il y a 40-50 ans,
09:06la famille, l'union, les enfants, la stabilité professionnelle, c'est-à-dire avoir accès à un CDI ou à un emploi stable,
09:13et puis l'héritage, alors c'est une bonne nouvelle, c'est parce qu'on vit plus longtemps, donc on hérite plus tard, tant mieux, on garde ses parents,
09:18mais du coup, il y a ce décalage d'une dizaine d'années dans l'âge moyen de l'héritage en France.
09:23Alors, on a parlé de ces frustrations, de ce sentiment, de ce ressentiment parfois à l'égard des générations précédentes.
09:30Malgré tout, il y a du mieux, donc l'accès aux loisirs qui est plus important,
09:34parce qu'on travaille moins d'heures au total sur l'année, on a accès à plus de services publics, de biens.
09:43Voilà, les jeunes d'aujourd'hui sont mieux payés aussi, vous l'avez dit. Est-ce qu'ils ont conscience de ça ?
09:47Non, je pense qu'évidemment, on n'a pas conscience, souvent, c'est comme ça, des aspects positifs,
09:51et on voit les aspects qui sont frustrants ou douloureux, c'est assez normal.
09:54Mais donc, il faut le rappeler, effectivement, les salaires de début de carrière sont meilleurs qu'il y a 50 ans.
09:59Alors, c'est lié, évidemment, à l'effort collectif de diplôme. C'est important aussi de regarder d'autres éléments, comme les droits.
10:07Alors, c'est subjectif, mais on parle souvent de Nicolas. Moi, j'aimerais qu'on parle aussi de Manon.
10:11C'est le prénom le plus donné féminin en 1995. C'est plus facile, même s'il y a encore des inégalités,
10:17d'être une jeune active aujourd'hui par rapport à un homme qu'il y a 50 ans.
10:22Les écarts de salaire se sont réduits de moitié en 40 ans.
10:25Ça, c'est quand même un vrai progrès de société pour au moins la moitié de la population et pour nous tous.
10:31Il faut le rappeler, puis le temps libre, vous avez souligné ça.
10:34On a 1h20 par jour, en moyenne, de temps libre supplémentaire par rapport à il y a 50 ans.
10:39Alors, on voit qu'il est souvent utilisé pour les écrans, soit la télé ou les réseaux sociaux,
10:42mais quand même, il y a une forme de liberté qui est plus grande par rapport,
10:46de droit et de liberté qui sont plus grands par rapport à il y a 50 ans.
10:48Le fameux Nicolas, donc c'est Nicolas qui paie, c'est ce slogan qui a eu beaucoup de succès sur les réseaux sociaux.
10:54Donc, vous l'avez dit, ce trentenaire actif, c'est un archétype qui paierait, si je résume, pour les immigrés
11:03et ceux qu'on appelle les boomers, la génération de l'après-guerre, favorisé.
11:10C'est un slogan qui a été repris beaucoup par la droite et l'extrême droite.
11:13Ça pose la question des débouchés politiques de ce ressentiment, Monique Dagnon.
11:16Alors, ce ressentiment, et là encore, c'était surprenant, il se positionne de façon très radicale en matière politique.
11:25Ils votent extrême-gauche, gauche, les verts.
11:29On parle des diplômés dans le cadre de votre étude.
11:32Bien sûr, je parle des diplômés.
11:33Les révoltés qui ne sont pas diplômés, ils votent plutôt autrement.
11:37Mais eux, ils ont une position radicale.
11:40Ils veulent tout réinitialiser, en fait.
11:43Et aujourd'hui, l'offre politique pour porter ce projet est plutôt portée par les partis de gauche.
11:52Et donc, je donne un exemple.
11:55Les jeunes de Sciences Po ont voté à 55% pour Mélenchon en 2022.
12:01C'est quand même un score, mais données corroborent totalement ceux-là.
12:07Donc, du coup, ils sont vraiment dans la projection de changer de société.
12:11Ça veut dire pas bloquer, pas tout casser.
12:15C'est pas du tout l'état d'esprit.
12:18Mais un changement radical.
12:18Mais un reset.
12:19C'est le titre du livre.
12:21Un redémarrage, on va dire.
12:21Un redémarrage, une réinitialisation.
12:23Clément Beaune, il nous reste très très peu de temps.
12:25Je ne vais pas vous demander de faire le bilan d'Emmanuel Macron,
12:27mais vous avez fait partie de ces gouvernements pendant des années.
12:29Est-ce que les politiques au pouvoir ont suffisamment pris en compte ce sentiment
12:36et même cette conviction de la jeunesse de vivre moins bien ?
12:39Sans doute pas assez, mais c'est profond.
12:41On a une société où la jeunesse est moins centrale.
12:44Il y a moins de jeunes.
12:44Il y a 2 millions de moins de 30 ans, moins qu'il y a 50 ans.
12:48Et donc, ça veut dire aussi que nos politiques, je pense à celle du logement,
12:51il faut être clair, c'est le point noir, doivent être concentrés effectivement sur l'accès.
12:55On avait parlé d'émancipation.
12:57L'accès au logement, en l'occurrence, des plus jeunes et qu'on ressente beaucoup de nos politiques publiques
13:01sur cette génération qui se sent, mais qui a quelques raisons de se sentir un peu sacrifiée.
13:06Et Monique Daniel le disait au départ, il y a la question climatique.
13:08Ça, c'est quand même très important, qui n'était pas du tout présente évidemment il y a 50 ans.
13:11C'est 85% des trentenaires qui disent qu'ils sont angoissés par la question climatique.
13:15Et qui a un peu disparu du débat.
13:16Le grand déclassement en tout cas, avec un point d'interrogation,
13:19c'est le titre de ce rapport que vous venez de publier, Clément Beaune.
13:22Qui est en ligne.
13:23Haut commissaire à la stratégie et au plan.
13:25On peut le retrouver sur le site du Haut-Commissariat.
13:27Monique Dagneau, je rappelle le titre du livre.
13:29Génération Reset, ils veulent tout changer.
13:32C'est chez Odile Jacob.
13:33C'est un peu plus tard.
13:33C'est un peu plus tard.
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