- il y a 4 mois
Avec Didier Rykner, directeur de la rédaction du site "La Tribune de l'Art". A l’origine d’une pétition contre le prêt de la tapisserie de Bayeux au Royaume-Uni. Et Jon Henley, correspondant Europe du journal The Guardian, basé à Paris. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-11/le-debat-du-7-10-du-mercredi-27-aout-2025-9240635
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00:00Et le débat porte ce matin sur une œuvre d'art exceptionnelle, une broderie du XIe siècle, longue, de 70 mètres,
00:09pesant 350 kilos, représentant près de 700 personnages, et une bataille mythique, celle d'Astings en 1066.
00:21Ce joyau, c'est la tapisserie de Bayeux, elle va partir pour la Grande-Bretagne,
00:26être exposée au British Museum de Londres de septembre 2026 à juin 2027.
00:33C'est la volonté d'Emmanuel Macron, formulée en juillet dans un geste de diplomatie culturelle.
00:39Or, ce prêt suscite autant d'enthousiasme outre-manche que d'inquiétude de la part d'un certain nombre de spécialistes
00:49qui redoutent les dangers qu'un tel voyage pourrait avoir sur l'intégrité de l'œuvre très fragile, évidemment.
00:57On en parle avec Didier Rickner, bonjour.
01:00Bonjour.
01:00Vous êtes directeur de la rédaction du site La Tribune de l'Art,
01:04et vous êtes à l'origine d'une pétition contre le prêt de la tapisserie de Bayeux au Royaume-Uni.
01:11John Henley, bonjour.
01:12Bonjour.
01:12Correspondant Europe du quotidien The Guardian, vous, vous êtes basé à Paris.
01:19On va venir aux enjeux du débat et de la controverse, mais d'abord un mot sur cette œuvre.
01:27Qu'est-ce qu'elle représente pour chacun d'entre vous ?
01:31On va commencer avec vous, Didier Rickner.
01:33Eh bien, moi qui ne suis pas médiéviste, c'est une œuvre que j'ai vue deux fois dans ma vie.
01:37Je faisais deux fois à Bayeux pour la voir.
01:39C'est une œuvre unique, c'est une chose unique, il n'existe rien d'équivalent.
01:43Aucune broderie médiévale de cette taille et de cette nature n'existe.
01:47Elle est très importante aussi sur le plan symbolique, sur ce qu'elle représente, historique,
01:52sur les liens entre les deux pays, la France et l'Angleterre.
01:54Donc c'est une œuvre majeure et unique.
01:56Et pour vous, John Henley, qu'est-ce que cette œuvre, cette tapisserie, cette broderie en réalité, représente ?
02:03Comme a dit Didier, c'est un œuvre d'art incroyable.
02:07On va en parler, mais surtout pour les Anglais.
02:10C'est un document historique qui raconte un moment vraiment fondateur, fondamental.
02:18Pourquoi ?
02:18Dans l'histoire, la conquête normande de l'Angleterre, qui a tout changé, qui a tout basculé,
02:25qui a eu une influence.
02:27C'est très difficile d'exagérer l'importance de ce moment dans le développement de la société
02:33et la culture et l'économie de ce qu'on connaît maintenant comme la Grande-Bretagne.
02:39Et aussi, on croit, de toute façon les historiens britanniques sont quasiment convaincus,
02:45que c'était une broderie qui était fabriquée en Angleterre.
02:50Donc, elle ne fait que revenir d'où elle est partie, c'est ça ?
02:54Exactement.
02:54Et qu'est-ce qu'incarne encore une question, cette date de 1066 ?
03:02La bataille que représente la broderie ?
03:05C'était l'invasion normande menée par Guillaume le Conquérant,
03:10qui a battu les forces anglo-saxonnes, menée par Harold Godwinson,
03:17qui était le nouveau roi d'Angleterre, successeur disputé d'Edouard le Confesseur.
03:26Et c'était donc le début de la conquête normande de l'Angleterre.
03:32Et la date de 1066 est une date chez vous aussi importante, mettons que 1789 chez nous ?
03:41Je pense que si on demandait à n'importe quel Anglais de citer une date fatidique dans l'histoire de son pays,
03:51il ou elle citerait 1066.
03:56Alors, pourquoi une pétition ?
03:59Pourquoi s'élever contre ce geste de diplomatie culturelle voulu par Emmanuel Macron, Didier Reckner ?
04:09La tapisserie a failli déjà faire ce chemin-là à de nombreuses reprises au XXe siècle.
04:17Alors, la pétition, je l'ai appelée « contre le prêt ».
04:19Ce n'est pas un bon titre, j'ai regretté un petit peu après, mais c'était trop tard.
04:22C'est plutôt contre le déplacement.
04:24Parce que le prêt, comme l'a dit Jeanne, c'est une œuvre fondamentale presque plus pour les Anglais que pour les Français.
04:30Donc, pourquoi ne pas la prêter ?
04:32Moi, je ne serais pas opposé au prêt.
04:33Je ne suis pas opposé au prêt d'œuvres d'art entre pays.
04:35Heureusement, ça serait absurde.
04:37Mais simplement, pourquoi cette pétition ?
04:39Parce qu'elle ne peut pas voyager.
04:41Elle ne peut pas voyager sans grand risque pour elle et pour son intégrité.
04:44Ce n'est pas moi qui le dit.
04:45Je ne suis pas spécialiste textile.
04:47Je ne suis pas spécialiste du Moyen Âge.
04:48Mais j'ai interrogé, j'ai travaillé depuis huit ans, parce que ça fait depuis sept ans.
04:52En 2018, il avait déjà été question de le faire.
04:54C'était le début.
04:55J'avais déjà enquêté auprès des personnes qui avaient travaillé sur cette tapisserie de Bayeux,
04:58qui m'avaient tout dit, même le musée, le conservateur du musée disait « ce n'est pas possible ».
05:03Maintenant, il est obligé de dire oui, parce que son maire, le maire de Bayeux, veut l'envoyer, veut l'apprêter.
05:09Mais j'ai discuté depuis, j'ai parlé depuis avec plusieurs personnes qui ont travaillé récemment,
05:14des restauratrices normales.
05:16Notamment, il y en a une douzaine qui travaillent sur la tapisserie depuis cinq ou six ans.
05:21Eh bien, elles m'ont toutes dit que la tapisserie était trop fragile.
05:24Elles le disent d'ailleurs, il y en a une qui le dit sur votre antenne, sur France Inter.
05:27Il y a eu un débat récemment.
05:28Elle dit « c'est un risque ».
05:30Elle ne comprenait pas pourquoi on avait donné l'autorisation.
05:32Elle était beaucoup plus modérée que moi, parce qu'elle…
05:34Il faut savoir que soit les fonctionnaires, les conservateurs, etc.,
05:37ne peuvent rien dire parce qu'ils ont un devoir de réserve,
05:40et que les restaurateurs risquent leur job.
05:42Donc, il y a une véritable omerta autour de ça.
05:45Et la preuve, c'est que d'ailleurs, c'est que l'Elysée qui dit qu'il y a une étude, qui dit que…
05:49Oui, c'est Philippe Bélaval qui le dit à l'AFP.
05:52La tapisserie n'est pas intransportable.
05:56Étude extrêmement précise signée par plusieurs personnes datant de début 2025.
06:03Détail les préconisations à prendre en termes de manipulation et de transport.
06:06Quand on demande une étude sur les préconisations pour transporter,
06:09les personnes répondent sur les préconisations pour la transporter avec le moins de dégâts possibles.
06:12Mais ils ne vont pas répondre « ce n'est pas transportable » puisqu'on leur dit « ça va être transporté ».
06:15Cette étude faite par plusieurs personnes dont on n'a pas le nom de l'étude,
06:18on ne sait pas qui l'a faite, etc., déjà c'est suspect.
06:21Il y a une étude de 2022 sur l'étude de faisabilité du transport à longue distance de la tapisserie de Bayeux,
06:27et celle-ci, on ne veut pas nous la donner.
06:29Il y a un débat sur ce sujet, Outre-Manche, sur la fragilité intrinsèque de l'œuvre ou pas ?
06:37Ça commence à se faire entendre.
06:39La pétition a été dans les actualités ces derniers jours.
06:44L'argument qu'on avance côté britannique, c'est surtout que de toute façon,
06:50il va falloir bouger la broderie parce que le musée à Bayeux va être rénové.
06:58Mais donc, autant le faire bouger en Angleterre.
07:01Didier, Réclair ?
07:02Oui, il va falloir fermer.
07:04Il y a six mois, c'est pas long, six mois, la préfecture du Calvados, donc l'État,
07:08publiait une vidéo où la conservatrice du patrimoine, en charge des musées, disait
07:12« On pensait restaurer la tapisserie, parce qu'en plus, elle n'est pas restaurée dans son état de fragilité maximum.
07:18On pensait la restaurer pendant la fermeture du musée.
07:20Mais le problème, c'est qu'on ne pouvait même pas la transporter.
07:23C'est ce qu'elle dit.
07:23Même pour la restaurer, on ne pouvait pas la transporter loin,
07:26et il n'y avait rien sur place pour la restaurer.
07:28Donc, on a préféré la mettre en stockage pendant deux ans et ensuite la restaurer sur place.
07:34Vous vous rendez compte que même pour la restaurer, on ne pouvait pas la transporter
07:36et qu'aujourd'hui, Emmanuel Macron dit « Ben si, on l'a transporté ».
07:39Donc, vous avez vraiment peur ?
07:40Ah oui, bien sûr, bien sûr.
07:42J'ai peur pour la tapisserie, bien entendu.
07:43Sinon, je ne ferais pas ça.
07:45Mon métier, c'est journaliste, ce n'est pas lanceur de pétitions.
07:46John Henley, vous nous disiez que cet échange, le voyage de la tapisserie en Grande-Bretagne,
07:56était lié à un moment post-Brexit.
08:00Qu'est-ce que ça veut dire ?
08:01Déjà, dans le XXe siècle, comme vous l'avez dit, cette idée a déjà été proposée à plusieurs fois.
08:14Je pense qu'il y avait question en 1953 pour le couronnement d'Elisabeth II,
08:21également en 1966 pour les 900 ans de la bataille d'Eistings.
08:27Emmanuel Macron a commencé, si j'ai bien compris, à réfléchir à cette idée,
08:34cette proposition, dès 2018,
08:39donc avec la formalisation, la fin du Brexit.
08:46Emmanuel Macron, comme il l'explique lui-même,
08:49tient beaucoup à l'importance de l'échange culturel
08:52comme geste de soft power,
08:57dans ce monde.
09:01Il a proposé, ça a été extrêmement compliqué,
09:04notamment à cause des relations extrêmement compliquées
09:08entre la Grande-Bretagne et l'Europe, surtout la France,
09:13après le référendum sur le Brexit.
09:15On se souvient très bien des mondes-là,
09:19de Boris Johnson, surtout de Liz Truss,
09:24où vraiment les relations entre ces deux pays étaient au plus bas.
09:28Mais il est revenu à la charge,
09:30il a trouvé une oreille très sympathique
09:33en Keir Starmer,
09:35l'actuel Premier ministre britannique,
09:38et surtout, et je pense que c'était très important,
09:40dans la personne du roi Charles,
09:44qui, lui, soutient cette idée beaucoup.
09:48Et donc, voilà, ça s'est fait.
09:50C'est un, comme dit Didier très correctement,
09:52je pense, c'est un geste surtout politique.
09:55Ça veut, ça a comme ambition de renouer les liens,
10:03de marquer d'une façon très très forte
10:06cette réconciliation entre la Grande-Bretagne et l'Europe,
10:10la France, depuis la rupture du Brexit.
10:14Ce décryptage politique, de l'arrière-plan politique du prêt,
10:19comment le recevez-vous, Didier Hickner ?
10:21Je le reçois avec quand même l'idée qu'on est quand même...
10:24Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit,
10:27mais c'est quand même d'une grande pluralité.
10:29Moi, je ne connaissais pas Dieu,
10:30on s'est rencontrés tout à l'heure,
10:30on a sympathisé tout de suite,
10:31je n'ai pas eu besoin de lui donner quelque chose,
10:33ni lui de me donner quelque chose,
10:34ou de me prêter quelque chose.
10:35Vous n'êtes pas chef d'État, il n'y l'autre.
10:37Mais est-ce qu'on a besoin de ça pour être amis avec les Anglais ?
10:39On est amis avec les Anglais depuis très longtemps.
10:41Moi, personnellement, je suis un ami de l'Angleterre,
10:42j'ai beaucoup d'amis en Angleterre.
10:44Je vais souvent en Angleterre pour écrire sur des sujets anglais.
10:47Donc, arrêtons de bétifier à ce point-là.
10:51Mon Dieu, on va prêter la tapisserie de Bayou.
10:52Le problème, c'est qu'elle n'est pas prétable.
10:54Elle n'est pas prétable, c'est tout.
10:56Mais vous nous avez appris que la Joconde
10:58était partie au Japon en 1974 ?
11:02Alors, je ne me rappelle plus la date,
11:03mais effectivement, il y a eu des voyages de la Joconde.
11:06La Joconde n'est pas transportable non plus,
11:08c'était exactement le même type de politique.
11:10Et pourtant, elle a été transportée.
11:11Oui, elle a été transportée.
11:12Je ne suis pas certain qu'il n'y ait pas eu de dégâts,
11:13mais dans ces cas-là, vous savez,
11:15il y a une fissure à la Joconde.
11:16Est-ce qu'elle s'était tendue ou non ?
11:17Je n'en sais rien.
11:18En tout cas, c'était risqué de la transporter.
11:19Mais la Joconde, je rappelle,
11:20les tableaux de Léonard de Vinci,
11:22il y en a plusieurs.
11:23Bien sûr, la Joconde est d'une préciosité extrême.
11:26Vous nous dites que si on avait perdu la Joconde,
11:28on en avait d'autres.
11:30Personnellement, la Joconde,
11:31je trouve qu'elle nuit beaucoup au Louvre.
11:32Je ne vais pas dire ça,
11:34sinon je me décris du vêtement.
11:36Sur-évaluer la Joconde.
11:38Non, non.
11:39Ce que je veux dire, c'est que la tépicerie de Bayou
11:41est quelque chose d'infiniment plus précieux encore,
11:42alors que la Joconde.
11:44Mais oui, c'est unique.
11:46Il n'y a rien d'équivalent à la tépicerie de Bayou.
11:48C'est tout.
11:48Donc voilà.
11:49Je ne vais pas comparer la tépicerie de Bayou
11:50et la Joconde.
11:51C'est incomparable,
11:51ni au point de vue date,
11:52ni au point de vue technique,
11:53ni au point de vue quoi que ce soit.
11:54Mais ce sont deux oeuvres majeures
11:56du patrimoine mondial
11:57et on ne devrait pas les utiliser
11:58dans un but diplomatique.
12:00Ce n'est pas...
12:01J'ai vu un document récemment
12:02sur un appel d'offres qui est fait
12:03où il est écrit,
12:05c'est un règlement,
12:06l'arréglement de l'appel d'offres,
12:07on dit que le propriétaire,
12:09c'est Emmanuel Macron.
12:10Le président de la République,
12:11propriétaire de l'oeuvre.
12:12Mais attendez,
12:13on est chez les fous quand même.
12:14Le président de la République
12:15n'est pas propriétaire
12:16de la tépicerie de Bayou.
12:17Enfin, c'est n'importe quoi.
12:18Dernière question,
12:19qui l'a brodé alors ?
12:21Les opinions sont divisées,
12:24mais on est quasiment certain
12:26que c'était soit des religieuses,
12:28des bonnes sœurs,
12:29à canterbrerie,
12:31soit des dames
12:35de la noblesse anglo-saxonne.
12:38En tout cas,
12:38c'était commandé
12:39par l'évêque Odon
12:40qui était le beau-frère,
12:43si je me rappelle bien,
12:44de Guillaume le Conqueror
12:46en Angleterre.
12:47Bon, écoutez,
12:49Didier Rickner,
12:50vous croyez toujours
12:51que vous allez y arriver
12:52ou ça va voyager ?
12:53Il n'est pas nécessaire
12:54d'espérer pour entreprendre,
12:55comme vous le savez.
12:56Bon, donc vous ne la rendrez
12:58en bon état,
12:59John Henley.
13:00Absolument.
13:00cette tapisserie.
13:02Merci infiniment
13:03à tous les deux.
13:04Didier Rickner,
13:05je rappelle que vous êtes
13:05le directeur de la rédaction
13:07du site La Tribune de l'Art
13:08et que John Henley
13:10est le correspondant
13:11Europe du quotidien,
13:12le gardien.
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