Passer au playerPasser au contenu principal
  • il y a 3 heures
Philippe Manière, président de ‘Vae Solis Communications’.
Emmanuelle Barbara, Avocate associée du cabinet August Debouzy, spécialiste en droit social.
Retrouvez « Le débat de la grande matinale » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Voilà, ça coûte 9 milliards d'euros à l'État. Faut-il s'attaquer aux ruptures conventionnelles ?
00:05Face à moi, une avocate, spécialiste en droit social et en droit du travail,
00:09et un chef d'entreprise. Emmanuel Barbara, bonjour.
00:11Bonjour.
00:12Vous êtes associée au cabinet Auguste de Bousy.
00:15Philippe Manière, bonjour.
00:17Vous, vous avez fondé, vous dirigez une société de conseil qui s'appelle Vaesolis Communications.
00:22500 000 ruptures conventionnelles signées en 2024, ce n'est pas rien.
00:279 milliards d'euros, c'est ce que ça coûte chaque année à l'État.
00:31Sa création en 2008, la rupture conventionnelle se voulait à ce moment-là un instrument de liberté
00:38et de pacification du marché du travail.
00:4217 ans après, est-ce que l'outil fonctionne comme prévu, Emmanuel Barbara ?
00:47Absolument.
00:47Absolument.
00:49Il fonctionne absolument.
00:50Pour seul commentaire, essayant de résumer le point, c'est qu'il s'agit d'un véhicule, d'un outil,
01:00qui vient gérer la question de la séparation sans coup férir, si je puis dire,
01:09sans imputabilité ni initiative mis en valeur.
01:13C'est très important. Pourquoi ? Parce que la séparation est souvent un sujet extrêmement douloureux et extrêmement conflictuel.
01:22Donc oui, la rupture conventionnelle a atteint son but à concurrence du nombre que vous indiquez.
01:29Philippe Manière ?
01:30C'est incontestable que ça a été un grand progrès quand ça a été introduit en 2008.
01:34Maître Barbara s'en souvient sans doute, avant la rupture conventionnelle, on devait en quelque sorte mettre en scène une séparation.
01:43Je me rappelle, les avocats s'envoyaient des enveloppes vides en recommandé avec accusé de réception
01:48et ensuite on inventait les pièces qu'on mettrait plus tard pour constituer un dossier,
01:52au terme duquel on pouvait faire semblant de faire une espèce de transaction
01:56qui permettait que le licenciement n'en soit un que juridiquement.
02:00Mais c'était long, c'était pesant, c'était aléatoire, c'était casse-pieds pour tout le monde.
02:03Et casse-pieds, ça avait un coût humain, cette tension-là et cette mise en scène-là ?
02:08C'est certain, mais il y a toujours un coût humain quand il y a une des deux parties
02:12qui n'est pas désireuse d'une rupture conventionnelle mais sur laquelle on finit par se mettre d'accord.
02:15En tout cas, ça, ça a marché, c'est-à-dire que ça a simplifié, ça a fluidifié,
02:19il y a beaucoup moins de recours aux prud'hommes et ce que dit Emmanuel Barbara est très juste,
02:22c'est moins attentatoire à la dignité d'aucune des parties puisqu'en quelque sorte,
02:26on se met d'accord, on signe un papier, etc.
02:29Cependant, et la raison pour laquelle on en parle aujourd'hui, c'est-à-dire que ce n'est quand même pas pour rien,
02:31c'est qu'on se rend compte que ça a explosé, c'est-à-dire qu'au début, il y en avait 100 000, 200 000, 300 000,
02:36on est à 500 000, c'est le quart du coût de l'indemnisation chômage.
02:41Alors, il reste beaucoup plus de démissions que de ruptures conventionnelles
02:43mais le nombre de ruptures conventionnelles a explosé et on voit bien qu'aujourd'hui,
02:47et la question qui se pose, c'est celle-ci, est-ce qu'il ne faut pas refermer un peu les portes ?
02:50Plein de gens d'un commun accord mettent sur la collectivité le coût d'une séparation,
02:55c'est ça qui est problématique.
02:56Oui, la notion de profiter du système me paraît très déplaisante
03:02parce qu'on est en train de dire, et j'ai lu au fil de papiers l'hiver...
03:05Très déplaisante, je vous cite carrément le ministre du Travail
03:08qui évoque un droit de tirage sur le chômage
03:10et qui pointe notamment ceux qui se mettraient au chômage pour aller voyager.
03:14Donc là, on parle carrément d'un effet d'aubaine et de gens qui profitent du système.
03:18J'entends bien, donc c'est bien la notion d'un abus du système
03:21qu'il soit côté salarié en l'espèce, c'est ce qui a été précisé,
03:25ou côté employeur également, puisqu'on en parle aussi de licenciement déguisé.
03:29Bon, très bien.
03:30Mais pardon, mais en fait, toutes ces ruptures qui surgissent,
03:34elles sont prononcées par application de la loi.
03:38Donc déjà, on a un problème de vocabulaire,
03:42puisqu'il fait porter une sorte de culpabilité réelle ou supposée sur les uns ou les autres.
03:46Alors que la loi l'autorise, et croyez-moi, la mise en œuvre d'une rupture conventionnelle est vraiment bien faite.
03:53C'est-à-dire que de deux choses, une, soit j'ai un accord des deux parties,
03:57soit je n'ai pas de rupture conventionnelle du tout.
03:59Donc c'est clair.
03:59Et à partir du moment où j'ai la signature des deux parties,
04:02on ne sait pas qui est à l'origine de quoi.
04:05C'est comme ça, c'est réputé comme ça, et c'est vraiment...
04:08Philippe Manière.
04:08Ça, c'est sur le papier.
04:10Mais ça, c'est parfaitement vrai.
04:11C'est parfaitement vrai.
04:12C'est tout le bénéfice de la rupture conventionnelle.
04:14Mais précisément, Emmanuel, quand les deux parties sont d'accord pour une séparation
04:18dont personne ne paiera le coup, si ce n'est la collectivité,
04:21ça pose un problème civique.
04:22Ça a beau être la loi, ça pose un problème civique.
04:24Quand vous regardez l'usage que font de leur droit à indemnisation chômage
04:30les différentes populations par âge et par qualification,
04:33vous vous rendez compte que vous avez, en quelque sorte,
04:36une surconsommation très curieuse dans la courbe des jeunes cadres.
04:40C'est-à-dire que beaucoup de gens très qualifiés, relativement jeunes,
04:45sortent de l'emploi avec une convention, une rupture conventionnelle,
04:49et puis pendant 2, 3, 4, 5, 6 mois, il ne se passe rien.
04:53Et tout d'un coup, quand on arrive à la fin des droits,
04:55là, ils trouvent un travail facilement.
04:57Évidemment, ils trouvent un travail facilement.
04:58Ils sont très qualifiés.
04:59Ça veut dire quoi ?
04:59Concrètement.
04:59Pardon, mais même si on n'avait qu'un seul parent,
05:05ça poserait un problème civique.
05:06Est-il légitime que l'employeur et le salarié se mettent d'accord
05:10pour que la personne qui quitte l'entreprise
05:12ne soit pas payée par l'entreprise,
05:15ni par elle-même, mais en quelque sorte prenne l'air ?
05:17Sur les chiffres, on peut discuter,
05:19mais il y a des tas d'éléments qui...
05:21Il y a un faisceau de présomption convergente
05:23vers l'idée qu'un certain nombre de gens,
05:26complicité, encore une fois, de l'employeur et du salarié,
05:28se mettent d'accord sur ce dispositif.
05:30C'est problématique, même si pour l'essentiel,
05:32et je le redis, la rupture conventionnelle était un progrès.
05:35Pourquoi ça vous fait l'en dire ?
05:36C'est quelque peu une vision irénique du monde du travail
05:39que, à n'en pas douter, vous connaissez.
05:41Dit autrement, la question du moment où l'on se sépare
05:44est un moment difficile.
05:47Donc, à l'évidence, la rupture conventionnelle,
05:49d'abord, n'a pas arrangé les ruptures
05:51qui sont difficiles et conflictuelles.
05:53Celle-là, elle continue de poursuivre leur vie,
05:55si je puis dire, devant le prud'homme.
05:57Et d'autre part, on est un peu dans cette situation-là
06:02face au syndrome dit du pompier pyromane.
06:05C'est-à-dire qu'on a des lois,
06:06on a des droits, des analyses, des sentiments,
06:10des ressentis, de tout ce qu'on veut,
06:12qui permettent de susciter, des uns ou des autres,
06:15je veux parler du salarié comme de l'employeur,
06:17des débuts de grief, des sortes de petits reproches à bas bruit.
06:21Eh bien, dans la vie de l'entreprise,
06:23c'est un moyen que la rupture conventionnelle
06:26de surmonter ces questions-là pour se dire,
06:27écoute, séparons-nous, restons bons amis,
06:30il n'y a pas lieu de...
06:32D'abord, je voulais juste...
06:33Vous ne sais pas exactement ce que vous dites, Philippe Manier.
06:35Vous vous dites qu'on met la pression sur les salariés,
06:38mais on met aussi la pression sur les employeurs, parfois.
06:40Non, mais attendez, ce que dit Emmanuel est parfaitement juste,
06:42c'est-à-dire quand on sent bien qu'on ne va pas vieillir ensemble,
06:45et qu'avant, on était un peu obligé de mettre en scène un licenciement,
06:48parce qu'on ne peut quand même pas priver quelqu'un du chômage,
06:50alors qu'on veut le sortir quand on est employeur.
06:51Oui, mais c'est rare.
06:53Non, mais ça reste quand même principalement l'usage des ruptures conventionnelles.
06:55Donc, à ce titre, elles sont très bénéfiques, je le redis.
06:58Cependant, et c'est là le problème, ça existe.
07:01Moi, j'en ai eu des témoignages par de nombreux salariés
07:03et de nombreux employeurs.
07:04Dans certains cas, on est d'accord pour se séparer sur le dos de la collectivité.
07:08Dans certains cas.
07:09Dans certains cas, dans le nombre, il est probablement élevé
07:10pour les raisons que, à titre ou titre des présomptions que j'évoquais tout à l'heure.
07:14Et ça, c'est quand même problématique.
07:16Aujourd'hui, vous avez très souvent des gens qui veulent quitter l'entreprise
07:19et qui viennent voir l'employeur et qui disent
07:20« Bon, mettons-nous d'accord, je vais changer de job, je ne sais pas exactement ce que je vais faire. »
07:25Et l'employeur dit non.
07:25Non, mais il faut le dire.
07:26Et l'employeur dit non.
07:27Et l'employeur peut dire non.
07:29Parce qu'il ne peut pas ouvrir la boîte de parleur.
07:31Donc, il y a davantage d'employeurs qui disent non.
07:32Et Emmanuel, il y a peut-être davantage d'employeurs qui disent non.
07:36On ne saura jamais, puisque c'est un chiffre noir.
07:37En revanche, on sait qu'un certain nombre d'employeurs disent oui.
07:40Parce qu'il y a des témoignages.
07:41Parce que sinon, le salarié a un peu, aujourd'hui, c'est un droit,
07:44l'employé a un peu l'impression que si on ne lui accorde pas sa rupture conventionnelle,
07:47on le maltraite.
07:48C'est là où il y a eu un glissement.
07:49Et bien voilà, c'est ça que je voulais entendre.
07:50Et bien le sujet, un instant, un instant.
07:52J'évoque que tout le monde est d'accord pour la séparation.
07:55Mais tout le monde est d'accord sur le dos, j'allais dire, de nous qui payons.
07:58Voilà, mais quand même, ce que vous évoquez, Philippe Manière,
08:01c'est qu'il y a une manière de mettre la pression sur l'employeur pour obtenir sa...
08:05Sur l'employeur, oui.
08:06Sur l'employeur pour obtenir sa convention de rupture conventionnelle.
08:11Il y a une manière, oui, Emmanuel Barbara.
08:12Oui, il y a une pression qui est liée à la fois à l'existence des règles
08:15qui veut que quand on se sépare et quand c'est à l'initiative de l'employeur,
08:18c'est-à-dire un licenciement, en quelque sorte, on amortit l'ancienneté.
08:21C'est-à-dire qu'on a droit à une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité.
08:25Et cette indemnité, les salariés, quand ils entendent se séparer,
08:29parce qu'ils estiment avec l'employeur, parce que c'est souvent avec l'employeur,
08:33parce que sinon il n'y a pas de rupture conventionnelle,
08:35qu'ils méritent, en quelque sorte, la perception de leur ancienneté
08:41qui leur a donné droit à cette indemnité.
08:43Donc à la limite, Philippe Manière, on pourrait scinder la question de ce droit
08:47à cette indemnité qui court au fur et à mesure de l'ancienneté.
08:51Deux, la prise en charge par la collectivité, par l'assurance chômage des droits.
08:58J'ai regardé par curiosité ce qui se passe en Italie et en Espagne.
09:01Et le principe, c'est que la rupture conventionnelle,
09:04enfin l'équivalent on va dire,
09:06cette rupture en question ne donne pas lieu, en principe,
09:12au bénéfice du chômage localement.
09:14Donc c'est intéressant, c'est un dispositif qui a été mis en place et qui existe,
09:19c'est-à-dire qu'il n'est pas dépourvu d'application.
09:23Alors quelle est la différence avec une démission ?
09:25Eh bien la différence avec une démission, c'est qu'on donne une indemnité,
09:29on donne des sous.
09:30L'employeur donne des sous, simplement ça ne va pas jusqu'à offrir la possibilité
09:35de bénéficier des indemnités de chômage.
09:37Parce qu'il est vrai, en France comme ailleurs,
09:39et à l'étranger particulièrement à cet égard,
09:42la perception du chômage ne s'applique qu'en cas de perte involontaire du contrat de travail.
09:48Ce qui n'est pas le cas dans la rupture conventionnelle.
09:49On aurait dû commencer par le dire.
09:51La raison pour laquelle tout le monde trouve ça arrangeant,
09:53c'est que quand on démissionne, on n'a pas le droit au chômage.
09:55Pour parler comme on parle dans la rue, on n'a pas le droit au chômage si on démissionne.
09:58En revanche, en cas de rupture conventionnelle, on y a le droit.
10:01Alors c'est pour ça que ça pose un problème encore une fois,
10:03c'est parce qu'il y a prise en charge par la collectivité
10:07d'un accord entre deux parties qui ont également convenance à se séparer.
10:10Si on a également convenance à se séparer, qu'on se sépare.
10:13C'est-à-dire ce que actent les Italiens et les Espagnols.
10:15Mais ce n'est pas pour autant qu'on rentre dans les droits au chômage.
10:16Alors ce que propose, sans exactement le dire comme ça lui-même,
10:21Jean-Pierre Farandou, et ce qui commence à monter dans le débat public,
10:24me semble de bon sens.
10:25C'est-à-dire que pourquoi ne pas donner droit au chômage,
10:28mais après une certaine période qui en quelque sorte correspond à l'amortissement
10:31du bénéfice pécuniaire que vous avez eu de la séparation.
10:34Autrement dit, on se sépare, je te donne, je sais n'importe quoi, 10 000 euros.
10:38Non, le montant de l'indemnité de licenciement conformément à la convention collective,
10:41on va te résoudre.
10:42J'en suis d'accord, mais imaginons que l'indemnité correspondante soit de 10 000 euros,
10:47on te donne 10 000 euros, et puis tu ne touches pas le chômage
10:50tant que l'équivalent de ce que tu aurais touché n'est pas arrivé à 10 000 euros.
10:54Ça, ça me paraît très raisonnable.
10:56En tout cas, aujourd'hui, on envoie un signal que l'employeur et l'employé
11:00interprètent assez logiquement.
11:02Vous savez, 250 ans de sciences économiques et de sociologie nous enseignent à peu près
11:05une seule chose, c'est que les acteurs répondent aux signaux qu'ils perçoivent.
11:08On a envoyé aux acteurs le signal que s'ils se mettaient d'accord sur un arrangement
11:12auquel ils ont l'un et l'autre convenance, comment résister,
11:15alors en plus tout le monde y gagnerait.
11:17Donc comment voulez-vous que ça ne prospère pas ?
11:19Bien sûr, ça prospère, mais encore une fois, au détriment de la collectivité.
11:22Pour rendre le système un peu moins favorable et un peu moins facile et un peu moins lucratif.
11:27Maître Barbara ?
11:28Oui, c'est tout à fait une option qui est totalement sur la table,
11:31c'est-à-dire de passer de 150 à 50 jours de carence
11:34et y inclure le montant de l'indemnité en question.
11:36Mais, pardon de le dire, mais tous les effets, comment dirais-je,
11:40maximum qui ont pour objet de retard, etc., vont se traduire immanquablement,
11:45c'est sûr, par le retour en force du licenciement arrangé,
11:50conflictuel, dont vous parliez, ou conflictuel.
11:54Parce que le licenciement, pour le coup, donne immédiatement droit au chômage.
11:56Parce que le licenciement sera, là pour le coup, formidablement plus avantageux
12:01que la rupture conventionnelle.
12:02Pardon, mais moi, je ne vois pas d'inconvénient à ça.
12:04C'est-à-dire que si, effectivement, il y a une seule partie qui veut quitter la maison,
12:08que ce soit une démission ou un licenciement,
12:09je ne vois pas pourquoi on mettrait en scène, aux frais de la collectivité, un pseudo-accord.
12:13Alors, si, effectivement, il n'y a pas accord, si l'un veut quelque chose et l'autre autre chose,
12:18ce n'est pas absurde qu'on aille devant les tribunaux.
12:20Le moins il y en aura, mieux ça vaudra.
12:21Je ne vous aurais pas mis d'accord, mais la question est brûlante.
12:25Et vous reviendrez, parce que la question, il se discute dans, évidemment,
12:29les accords sur le budget et les débats à l'Assemblée nationale.
12:32Faut-il s'attaquer aux ruptures conventionnelles ?
12:34Oui ou non, vous êtes 500 000 à en avoir signé une l'année dernière.
12:38Merci à tous les deux.
12:39Oui, c'est considérable.
12:40Philippe Manière et Emmanuel Barbara.
12:42Maître Barbara, merci.
12:43Merci.
12:46Sous-titrage Société Radio-Canada
Écris le tout premier commentaire
Ajoute ton commentaire

Recommandations