00:00La Sécurité Sociale a été créée le 4 octobre 1945, ça fait donc 80 ans.
00:05Est-ce qu'il faut tout changer vu que les paramètres n'ont plus rien à voir ce matin face à vous, Emmanuel Lechypre ?
00:09Jean-Marie Daniel, est-ce que oui ou non, vous pensez-vous qu'il faut tout remettre à plat ?
00:13Alors, tout remettre à plat, certainement pas.
00:15La Sécurité Sociale, c'est le plus bel héritage de l'après-guerre, c'est le cœur du modèle social français.
00:23Et, alors, soyons clairs, là, je pense particulièrement au système de santé, les retraites.
00:28Bref, ça fait partie de la Sécurité Sociale, mais pour moi, c'est un autre sujet.
00:31Le cœur du sujet, c'est le système de santé.
00:33Et vous l'avez dit, 4 octobre 1945, le résultat, c'est qu'en 2000, l'OMS considère que le meilleur système de santé au monde,
00:42c'est le système français, parce qu'effectivement, c'est une couverture quasi universelle, tout le monde y a droit,
00:47il y a peu de restes à charge, il y a une égalité d'accès aux soins, il y a une qualité des soins hospitaliers,
00:52et ça fait de la France un des pays où l'espérance de vie est la plus élevée.
00:55Alors, c'est après, c'est après qu'effectivement, ça commence à déconner sérieusement.
01:00Et effectivement, il y a tout un tas de dysfonctionnements, etc.
01:04Le premier, c'est quand même qu'il faut être lucide.
01:07Les Français sont trop feignants pour se payer un système qui est effectivement un système exigeant en matière de financement.
01:14En gros...
01:14C'est-à-dire qu'il faut travailler plus pour avoir un système comme le nôtre, ça vous veut dire ?
01:17Pour se payer un système aussi, entre guillemets, luxueux que le nôtre, il faut travailler davantage.
01:23Et puis après, il y a tout un tas de dysfonctionnements, d'inadaptations, de gaspillages, etc. qu'on présente.
01:27Mais si vous voulez, moi, le message qui m'effraie, c'est de dire, notre système de sécurité sociale,
01:32on n'a plus les moyens de se le payer, il faut en changer, aller vers un modèle américain ou un modèle britannique.
01:35Non, vous dites que se travaillez plus, c'est le gardien.
01:37On peut le réparer, on peut l'améliorer, mais il ne faut surtout pas en changer la philosophie.
01:42Jean-Marc ?
01:43Je pense, puisque Emmanuel a parlé de problèmes de soins et tout ça,
01:48je pense que la sécurité sociale est rentrée maintenant en unité de soins palliatifs.
01:53D'accord.
01:53C'est-à-dire qu'elle est en train d'agoniser.
01:56Et pourquoi elle agonise ?
01:57Elle est en unité parce qu'elle a été assassinée.
02:00Elle a été assassinée par les dirigeants français.
02:03Si on revient au 4 octobre 1945, ce que posait comme principe cette ordonnance,
02:11c'était l'universalité avec la création d'un régime général qui devait absorber tous les régimes
02:17et une sorte d'égalité par l'universalité des Français face aux problèmes de la retraite et de la santé.
02:23Déjà d'emblée, il a été impossible de créer ce régime général
02:26et nous avons encore ce vaste et permanent débat sur les régimes spéciaux qui sont en train de disparaître.
02:32Et depuis, on n'arrête pas de bricoler avec progressivement une modification de la gouvernance.
02:38C'est-à-dire qu'on a commencé avec des gens qui étaient élus par les assurés sociaux.
02:42Puis ensuite, on a eu, à partir de 1967, des gens qui étaient désignés par les partenaires sociaux.
02:47Puis à partir du plan Juppé, il y a 30 ans, c'est l'État qui s'en est occupé.
02:51Et à chaque fois, l'objectif, c'était effectivement de répondre à ce qu'a dit Emmanuel.
02:55C'est-à-dire que la sécurité sociale coûte trop cher par rapport à la quantité de travail fournie.
03:00Or, que fait l'État qui avait comme mission de renfouer les comptes,
03:03de faire en sorte qu'au travers, notamment du vote de PLFSS,
03:07on arrive à une situation équilibrée ?
03:09Il y avait dit que la CADES qui gère la dette sociale ne durerait que 10 ans
03:12parce qu'après, grâce à la sagesse étatique, on arriverait à l'équilibre.
03:15La CADES est toujours là et l'État n'arrête pas de supprimer des recettes à la sécurité sociale.
03:20C'est-à-dire qu'au lieu de choisir le travail, on choisit la dette pour répondre aux autres.
03:25Mais donc vous remettez tout à plat ? Avec un vrai régime général ?
03:28Je remets tout à plat en disant que les partenaires sociaux ont échoué
03:31puisque Juppé a été obligé de faire le plan Juppé.
03:34L'État a échoué.
03:36Privatisation de la sécurité sociale.
03:38Suivant le modèle suisse ou suédois, parce qu'on met en avant le modèle américain pour faire peur.
03:44Ça s'appelle l'assurance.
03:45Ça s'appelle une assurance, c'est-à-dire d'identifier au sein des missions de la sécurité sociale.
03:49C'est-il dans une logique assurantielle ?
03:51Et donc ça, le confier à des opérateurs privés.
03:54C'est-il dans une logique de solidarité ?
03:55Et revenir au projet de Milton Friedman des années 60 donne un impôt négatif.
03:59C'est-à-dire que la solidarité s'exprime par le fait qu'on confie à chacun une certaine somme.
04:04Et ensuite, à partir de là, je prends les décisions, notamment les décisions vis-à-vis de l'assurance,
04:09qui consistent à choisir sa caisse maladie, à choisir son fonds de pension,
04:13à choisir les gens qui vont effectivement lui permettre d'affronter les risques de la vie.
04:17C'est une assurance, et une assurance, ça se gère non pas à grands coups de déclarations sur le pouvoir d'achat,
04:22ça se gère à grands coups de déclarations sur les menaces, les dangers, la prévention, la façon de réagir aux problèmes.
04:28Ça revient à faire, même si ça paraît séduisant, ça revient à faire une santé pour les riches, une santé pour les pauvres.
04:35Et ça, effectivement, c'est tout ce qu'on ne veut pas.
04:37C'est-à-dire, si c'est pour faire du Medicare, Medicare, ou alors pire,
04:40le système britannique, où vous avez finalement l'essentiel de la population qui bénéficie d'un système de soins...
04:45– Vous êtes bien content quand vous allez à l'hôpital, que ça ne coûte rien.
04:47– Oui, mais c'est un système de soins qui est médiocre en termes de qualité.
04:50Vous attendez combien de temps pour avoir des rendez-vous, etc.
04:53Et à côté de ça, vous avez une médecine qui peut être payée par l'éducation.
04:55Non, moi, je pense qu'on peut garder notre principe de « à chacun selon ses besoins sur le plan de la santé,
05:02mais à chacun selon ses moyens, il faut qu'on a sécu ».
05:04Il y a tout un tas de virages que notre système de santé peut faire.
05:08On n'a pas fait le virage de la chirurgie, de la maladie chronique.
05:13C'est-à-dire qu'en gros, on considère qu'on n'a pas fait ce virage-là.
05:17C'est-à-dire que notre système de santé n'est pas adapté au développement des maladies chroniques.
05:21Notre système de santé ne mise absolument pas sur la prévention,
05:24et on sait que c'est des milliards et des milliards d'économies qui pourraient être faits.
05:28Les gaspillages, les dysfonctionnements, la suradministration.
05:31Contre tout ça, on pourrait aller chercher de l'efficacité encore partout.
05:35Après, je pense quand même, effectivement, comme j'en remarque que sur certains sujets,
05:39type la retraite, etc., il faudra quand même aller vers un système d'individualisation.
05:44C'est-à-dire où à un moment, au lieu de payer et de mutualiser tout,
05:48il faudra quand même qu'on rajoute un petit étage de « chacun paye pour soi ».
05:52Oui, parce que la démographie…
05:54Mais pas sur la sécu.
05:54La démographie est comme ça.
05:56Mais sur la santé, on pourrait garder la philosophie de ça.
05:58Je voudrais juste faire deux remarques par rapport à ce que vient de dire Emmanuel.
06:02La première remarque, c'est qu'effectivement, les gens font ces réformes
06:05s'ils sont contraints, s'ils sont poussés.
06:07Et la seule façon qu'on a de pousser quelqu'un en économie à se bouger,
06:10c'est de le mettre en concurrence.
06:11Une compagnie d'assurance, effectivement, elle fera des économies,
06:15elle regardera où sont les gaspillages,
06:16elle regardera où sont les doublons,
06:18parce que son avenir, sa survie même sera en jeu.
06:21Et la deuxième remarque, c'est que commentant ces ordonnances,
06:24au mois de décembre 1945,
06:26Maurice Torres, qui était le secrétaire général du Parti communiste,
06:29avait fait cette déclaration célèbre.
06:31Il faut produire d'abord, revendiquer ensuite.
06:35Et le modèle maintenant, c'est revendiquer d'abord, endetter ensuite.
06:38Et donc, je pense qu'il faut revenir au programme de Maurice Torres.