00:00La Moldavie, 2,5 millions d'habitants, tout petit pays, grand comme la Bourgogne,
00:05mais coincé entre la Roumanie et l'Ukraine, petit pays, mais très très gros enjeux électoraux ce dimanche.
00:10Laurent Parmentier, bonjour, vous êtes le secrétaire général du Cevipov de Sciences Po,
00:14chercheur associé au Centre des Jeux Politiques d'HEC, des élections législatives cruciales,
00:19avec une Union Européenne qui retient son souffle parce qu'on parle là d'ingérence russe.
00:24Concrètement, qu'est-ce qui s'est passé ces dernières semaines en Moldavie
00:27pour qu'on puisse dire que la Russie, clairement, essaye d'influencer les élections ?
00:32Alors, la Moldavie est indépendante depuis 1991.
00:35Le fait que la Russie essaie d'avoir de l'influence sur le jeu électoral
00:38est à peu près aussi vieux que l'indépendance de la Moldavie.
00:41Ce qui a changé en revanche ces dernières semaines,
00:43c'est une intensification de ce qu'on peut appeler la guerre informationnelle,
00:47c'est-à-dire la présence sur des réseaux sociaux d'un certain nombre d'informations
00:49non vérifiées, fausses, et faites à dessein,
00:53c'est-à-dire de faire dérailler le projet européen que porte Maya Sandou.
00:56Maya Sandou a été réélu présidente l'année dernière.
01:00Cette fois-ci, ce qui se joue ce dimanche,
01:02c'est tout simplement la possibilité pour elle, au Parlement,
01:04de pouvoir confirmer sa politique pré-européenne.
01:07Et donc, c'est là que se jouent les enjeux pour la Russie,
01:09montrer que ce chemin vers l'intégration européenne,
01:12eh bien, il n'est pas un long fleuve tranquille.
01:14Annalisa Cabellini.
01:15En ce moment, en Moldavie, il y a aussi beaucoup de vulnérabilités économiques.
01:18Il y a l'inflation, il y a une crise énergétique,
01:20il y a la population active qui quitte de plus en plus le pays.
01:24Finalement, pour la Russie, c'est une proie facile.
01:26Oui, vous avez raison de souligner,
01:28c'est peut-être l'un des enjeux de campagne sur lequel on insiste moins,
01:3130 à 40 000 Moldaves quittent le territoire chaque année.
01:34Ce qui explique la raison pour laquelle vous avez 2,6 millions d'habitants.
01:37Pour mémoire, en 1991, c'était 4,3 millions d'habitants au sein de la République.
01:41Où est-ce qu'ils vont ? En Ukraine ?
01:43Non, plus en Ukraine.
01:45Ils allaient beaucoup en Russie pendant un temps.
01:48Il y a à peu près 300 000 Moldaves qui sont en Russie.
01:50Mais également, et plus massivement, dernièrement, vers l'Italie.
01:53On a besoin de main-d'oeuvre dans le domaine du soin.
01:58En Espagne, en France également, vous avez un certain nombre de Moldaves.
02:02Du coup, l'enjeu, si jamais c'est plus le front pro-russe qui gagne,
02:08il y a un enjeu pour la guerre en Ukraine sur un accès potentiel à la Russie vers Odessa.
02:12Ça, c'est fondamental ?
02:14Oui. Disons que pour l'instant, ce qu'on a vu, c'est que la Moldavie a plutôt été protégée,
02:19en quelque sorte, par Odessa.
02:23Parce qu'aujourd'hui, la Moldavie, à la fois un territoire séparatiste à l'est de la République,
02:29ce territoire séparatiste, c'est celui de la Transnistrie, où vous avez une armée russe.
02:33Cette armée russe, en réalité, est la seule armée russe qui n'a pas mis le pied en Ukraine le 24 février 2022.
02:44Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ils ne sont pas suffisamment nombreux pour faire la différence.
02:48Mais si on part du principe que l'enjeu essentiel pour la Russie, maintenant, c'est de viser Odessa,
02:53alors Odessa fait clairement partie de cette équation qui va se jouer dimanche.
02:56En tout cas, on comprend que quand trois leaders européens, Emmanuel Macron, Frédéric Mertz et Donald Tusk,
03:01se rendent à Chisinau ces dernières semaines pour apporter le soutien à Maya Sandou,
03:07il y a une partie du projet européen qui se joue là, ce dimanche, en Moldavie.
03:11On peut estimer que la crédibilité de la politique d'élargissement de l'Union européenne va se jouer en partie à Kichino.
03:16Pourquoi ?
03:17Si vous regardez un petit peu les développements politiques des autres États qui sont concernés par cette politique d'élargissement
03:22entre la Russie et l'Union européenne aujourd'hui,
03:25vous voyez que ce ne sera pas la Biélorussie, ce ne seront pas les États du Caucase du Sud.
03:31Pour l'instant, un État comme la Géorgie, qui a vocation à se rapprocher de l'Union européenne,
03:35dont l'opinion publique est très favorable,
03:38vous avez entendu Volodymyr Zelensky, à la tribune des Nations unies, dire en substance
03:42« Vous, Européens, vous avez perdu la Géorgie, vous ne pouvez pas vous permettre de perdre la Moldavie. »
03:48C'est là que se situe l'enjeu.
03:48Mais quand vous avez une inflation qui a pris 30% depuis le début de la guerre en Ukraine,
03:54quand vous avez l'énergie qui a explosé, vous avez des arguments russes pour dire
03:58« Rejoignez-nous, tout sera plus simple, on vous donnera l'énergie qu'il vous faut »,
04:03c'est poreux dans l'opinion publique, ça fonctionne ?
04:06Oui, il y a une partie de l'opinion publique qui est très sensible.
04:10Et d'ailleurs, si on regarde le bilan économique du parti au pouvoir,
04:14qui est arrivé en juillet 2021, naturellement, il faut voir qu'il y a deux manières de regarder le bilan.
04:20Si vous regardez le bilan d'un point de vue diplomatique,
04:23jamais la Moldavie n'aurait pu rêver d'un rapprochement aussi rapide vers l'Union européenne.
04:28Il y a encore quatre ans, l'idée qu'il soit même reconnu comme un État candidat à l'Union européenne
04:33n'était pas une idée acquise.
04:34La guerre en Ukraine a fondamentalement changé cette orientation-là.
04:38Mais vous avez raison de souligner que pour le parti au pouvoir,
04:41il y avait, j'allais dire, il y a aujourd'hui quatre ans d'exercice du pouvoir
04:46dans lequel la Moldavie n'a pas réussi à retrouver un rebond économique.
04:50C'est normal, ils sont juste à côté.
04:52En 2024, le taux de croissance est quasiment à l'arrêt, 0,1% de croissance.
04:58Après une chute importante en 2022, mais là aussi, les conséquences de la guerre.
05:02Donc oui, si on regarde cet élément du bilan,
05:03le pass est peut-être moins flatteur.
05:06Si on regarde le bilan diplomatique, il est beaucoup plus flatteur pour le parti au pouvoir.
05:10C'est la raison aussi pour laquelle le parti au pouvoir a intérêt à mettre en avant cette préférence européenne.
05:14Soutenu par les Européens, vous avez eu raison de mentionner cette visite
05:17des trois chefs d'État et de gouvernement le 27 août dernier à Kishino.
05:22Mais aussi, si on regarde tout simplement,
05:23l'Union européenne s'est engagée avec Ursula von der Leyen l'an passé.
05:28Dix jours avant le scrutin présidentiel, Ursula von der Leyen est venue en Moldavie
05:32et a proposé une aide importante pour la Moldavie, 1,8 milliard d'euros,
05:37ce qui représente une partie significative du PIB.
05:40Donc oui, on a quelque chose qui est de l'ordre de la volonté de la part des Européens
05:44de consolider cette trajectoire européenne de la Moldavie.
05:47Parce que si vous pouvez le faire là, l'idée est tout simplement qu'on pourra le faire ailleurs.
05:51Si vous ne pouvez pas le faire là, alors il y aura des difficultés.
05:53Merci beaucoup Florent Parmentier d'être venu ce matin dans la matinale de l'économie
05:56pour cette élection majeure en Moldavie.
05:59Élection évidemment qui concerne toute l'Europe.