00:00Focus ce matin sur la Serbie. Emmanuel Macron accueillait hier soir un dîner à l'Elysée, le président de la République serbe.
00:07Cyril Brett, bonjour, vous êtes expert en géopolitique et Europe centrale et orientale, vous êtes associé à l'Institut Montaigne,
00:13le président français qui réaffirme son soutien à la perspective européenne de la Serbie.
00:17C'est quand même pas simple, quand on voit les dernières déclarations européennes, la Serbie s'éloigne, plutôt l'Union Européenne, qu'elle ne s'en rapproche.
00:24Oui, c'est un numéro d'équilibriste un peu compliqué pour le pays des droits de l'homme et pour son chef de l'État.
00:29D'un côté, effectivement, un soutien très marqué et ancien au président Vucic, dont les pratiques politiques et le respect des droits fondamentaux
00:38est quand même très largement critiqué en Europe et depuis longtemps.
00:41Et puis de l'autre côté, un soutien politique ancien, c'est la tradition française.
00:45On a soutenu la candidature serbe depuis les années 2000 et des affaires qui prospèrent, même si la Serbie est un partenaire secondaire pour la France.
00:54Quand on dit que la Serbie s'éloigne de l'Union Européenne, on lui a fait une sorte de liste de choses sur lesquelles il fallait s'améliorer.
01:03Et clairement, on n'y est pas du tout.
01:05Oui, il y a 35 items sur la liste de la Serbie.
01:10Seulement deux ont été considérés comme conclusifs depuis plus de dix ans.
01:13Ça marche comme ça, une candidature.
01:15On fait la liste.
01:16Il y en a deux qui ont été cochés et pour plus de dix ans de négociation, c'est vraiment très insatisfaisant.
01:23Et puis les points rouges dans cette liste sont très préoccupants parce qu'il s'agit de l'organisation du système judiciaire,
01:28donc liberté fondamentale, lutte contre la corruption, la même chose, préservation des droits des médias,
01:34des droits de l'opposition, des droits des minorités.
01:36Là, encore une fois, le faux, il est rouge, il n'est même pas orange.
01:39Mathilde Chaminade.
01:39Il y a aussi la question de la proximité entre la Russie et la Serbie parce que, par exemple,
01:45les deux puissances sont très proches et la Serbie, par exemple, refuse de se joindre aux sanctions européennes sur la Russie.
01:51Oui, alors ça, c'est un problème pour géopoliticiens, mais ce n'est pas un problème dans les négociations sur les 35 paquets.
01:57Mais vous avez raison.
01:58Il y a le problème de la présence de Vucic constamment à Moscou et à Pékin aussi avec le leader slovaque.
02:04C'était le seul présent début septembre pour célébrer la victoire de la Chine contre le Japon.
02:10Donc ça aussi, c'est un beau numéro d'équilibre.
02:12C'est un pied dedans, un pied dehors dans l'Union européenne, mais avec les rivaux et les ennemis de l'Union européenne.
02:18Disons, on va dire que c'est créatif, surtout pour un petit pays de 6 millions d'habitants avec un PIB limité à 80 milliards.
02:24Mais quand on vous entend, on se dit finalement, le plus grand écueil, c'est le président lui-même.
02:29Alors ça, c'est la façon dont les manifestants actuellement le voient.
02:32Mais il y a des problèmes qui sont vraiment systémiques et notamment la façon dont l'économie est organisée.
02:39Et c'est ce qui a freiné sans doute les investissements français localement.
02:44C'est-à-dire qu'il y a une opacité sur la façon dont est organisée la vie économique, sans doute pour de bonnes et sans doute pour de mauvaises raisons.
02:51Et puis plus largement, il y a un écueil énorme qui est la question du Kosovo.
02:55Qui là est indépendant de la personnalité, la pratique du pouvoir du président Vucic.
03:01Et qui a un problème structurel, puisque ça a déjà retardé la candidature serbe dans les années 2000 à cause de la guerre.
03:06C'est-à-dire ? Expliquez-nous.
03:07C'est-à-dire que la Serbie ne veut pas reconnaître le Kosovo.
03:11Plusieurs États membres de l'Union européenne ne veulent pas reconnaître l'indépendance du Kosovo.
03:15Et pour des raisons qu'on comprend bien, notamment Chypre, puisqu'elle est face à une occupation turque.
03:20Et l'Espagne, qui a aussi des mouvements sécessionnistes.
03:23Les Européens ne sont pas d'accord entre eux sur le Kosovo.
03:26Les Serbes ne veulent pas céder sur l'indépendance du Kosovo.
03:30Et puis n'oublions pas, toc à la porte de l'Union européenne, aussi l'Albanie,
03:33qui a un rôle très important pour le Kosovo, puisque le Kosovo est disputé entre des populations qui sont albanophones ou albanaises
03:41et des populations qui sont serbes.
03:43Et ça, ça n'a rien à voir avec le président Vucic.
03:46Et ça n'a rien à voir avec les positions du président Macron.
03:49Mais ça paraît insoluble quand vous le racontez comme ça.
03:51Disons que c'est un obstacle qui est très important sur le chemin vers l'accession à l'Union européenne de la Serbie.
03:57C'est toute une génération qui s'est mobilisée contre l'indépendance du Kosovo.
04:03Et c'est toute une population qui a subi les bombardements de l'OTAN en raison des opérations au Kosovo.
04:09Mathilde ?
04:10Et cette génération, donc la génération qui se mobilise contre le regroupement, contre le Kosovo,
04:16elle est d'une opinion tout à fait différente de la génération qui manifeste actuellement en ce moment contre le président Aleksandar Vucic ?
04:24Alors, elle est en profond désaccord sur le régime Vucic, mais elle n'est pas en profond désaccord avec l'identité nationale,
04:30avec la question... Le Kosovo, c'est l'Alsace Sorène.
04:33C'est vraiment le berceau de la nation serbe.
04:37C'est un berceau dans lequel la population serbophone ou serbe est minoritaire quantitativement,
04:42mais qui a un poids historique énorme.
04:45Et la génération Z, celle qui refuse la corruption, celle qui refuse les mauvaises pratiques,
04:51elle a une fibre nationaliste qui est évidemment très importante,
04:54comme dans toute cette région où l'indépendance, la souveraineté nationale
04:58sont finalement des phénomènes qui sont assez récents et qu'on n'est pas prêts à abdiquer,
05:03ni en faveur de l'Union Européenne, ni en faveur d'autres instances.
05:07Et en tout cas, les serbes, quel que soit leur âge, ne sont pas prêts à ce que la communauté internationale leur dise
05:11« le Kosovo, ce n'est pas la Serbie ».
05:13Cyril Brett, en préparant cette interview, je me suis aperçue qu'on reçoit de l'argent
05:17quand on est candidat à l'Union Européenne.
05:20La Serbie en reçoit 872 millions d'euros pour travailler à son adhésion.
05:25Ça fonctionne comment ?
05:26C'est plusieurs années, bien entendu.
05:27Mais oui, quand vous êtes candidat, quand vous êtes officiellement candidat,
05:30c'est pour ça d'ailleurs que c'est si difficile de devenir officiellement candidat,
05:33il y en a neuf actuellement, l'Union Européenne vous donne des fonds.
05:37Alors ce n'est pas des fonds pour vous acheter des bottes ou pour vous acheter des trains,
05:40c'est des fonds pour moderniser votre administration,
05:43pour qu'en face des négociateurs européens, vous ayez des agents publics,
05:46vous ayez des associations, vous ayez des interlocuteurs
05:49qui puissent se consacrer intégralement et avec efficacité,
05:54par exemple en ayant des ordinateurs qui fonctionnent ou des systèmes de transport
05:58qui permettent de mener ces négociations, pour avancer progressivement.
06:02Ce n'est pas de l'argent de poche, ce n'est pas une subvention, c'est une aide administratrice.
06:06Mais l'UE finance les efforts en fait ?
06:09Il y a des tranches ?
06:10Mais bien sûr, oui, oui, tout à fait, et les paiements sont modulés selon les progrès ou non.
06:16C'est un processus qui est très long, qui pour nous nous semble un petit peu disproportionné
06:20et surtout très coûteux, mais qui pour les pays qui sont candidats,
06:24demande des efforts réels, des efforts financiers, des efforts politiques
06:27et des efforts administratifs qui sont très très importants.
06:31À la fin, on se dit que ça n'arrivera pas, non ?
06:33La Serbie dans l'Union Européenne, ça paraît très très éloigné.
06:36Évidemment, ça arrivera, la Serbie...
06:38Si vous dites que ça arrivera !
06:39Oui, mais la question c'est quand ?
06:42Puisque la Serbie est déjà voisine de quatre États de l'Union Européenne
06:47et est la clé pour aller en Grèce.
06:49Donc en fait, elle est déjà au centre de l'Europe,
06:52c'est simplement que les obstacles à surmonter sont très importants
06:55et demandent un effort collectif extrêmement important.
06:57Merci d'avoir regardé cette vidéo !