Frans Timmermans, premier vice-président exécutif de la Commission européenne, est l'invité de 7h50, dans le cadre de la semaine spéciale dédiée à la guerre en Ukraine.
Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
00:00 Nicolas Demorand : Léa, votre invitée, 7h47, et ce matin le premier vice-président de la Commission européenne.
00:06 Oui Nicolas, on poursuit ce matin notre semaine spéciale Ukraine avec une grande voix européenne, le vice-président de la Commission européenne.
00:12 Bonjour, Franz Timmermans.
00:14 Bonjour.
00:15 Merci d'être avec nous ce matin.
00:16 Vous êtes néerlandais mais vous parlez parfaitement français.
00:19 C'est une bonne chose.
00:21 Hier, lors de sa visite surprise à Kiev, Joe Biden a déclaré si Poutine a cru que l'Ukraine était faible et l'Occident divisé,
00:28 il a juste eu tout faux, rajoutant que sa guerre de conquête est en train d'échouer.
00:33 Partagez-vous les mots du président américain et son optimisme.
00:37 Oui, à 100%.
00:38 Ce sera une guerre encore très dure mais le résultat sera clair, une défaite de Poutine.
00:43 Et l'Ukraine est devenue un pays vraiment avec une vocation européenne, avec une nation qui est unie sur une culture,
00:52 sur une langue et sur une vision de liberté et de démocratie.
00:58 Et c'est une distinction très claire avec la Russie de Poutine qui est devenue un État, maintenant, malheureusement totalitaire.
01:06 Je l'admire.
01:07 Poutine devrait répondre à Joe Biden dans son discours à la nation qu'il prononcera à la Douma au Parlement russe tout à l'heure.
01:12 Vous qui connaissez bien la Russie et ses dirigeants, vous qui parlez russe, qui suivez tous les jours la télé russe pour savoir ce qu'ils disent de l'autre côté,
01:19 vous pensez que ce sera un discours martial, dur ?
01:23 Oui, je crois, je crains, oui, parce que cette idéologie qui nie l'existence même de la nation ukrainienne est basée sur un nationalisme fulgurant.
01:34 C'est du point de vue, disons, académique, c'est du fascisme.
01:40 Et donc, il doit répéter cette idéologie.
01:45 Il doit convaincre les Russes qu'il est en train de mener une guerre pour la survie de la Russie contre les fascistes, contre les nazis, contre l'OTAN, contre les États-Unis.
01:59 Donc, il a vraiment besoin de créer ce sentiment que la Russie est en train de se défendre, est en train d'être attaquée par tout le monde.
02:08 Et c'est faux.
02:09 C'est faux comme tout.
02:10 Mais bon, il a menti à ces gens, à sa population depuis 20 ans.
02:15 Donc, ils ont l'habitude.
02:17 Et on sait depuis Goebbels, un mensonge suffisamment répété devient vérité.
02:24 Joe Biden qui dénonce la guerre de conquête de Poutine, Poutine qui va lui répondre que les États-Unis veulent abattre la Russie.
02:29 Franz Timmermans, est-on revenu au temps de la guerre froide ?
02:33 La sémantique, les mots employés sont les mêmes en tout cas.
02:36 Oui, absolument.
02:37 Ce sont les mêmes mots.
02:39 On risque d'avoir un nouveau rideau de fer en Europe.
02:44 Et donc, on a vraiment besoin en tant qu'Européens de montrer aux Ukrainiens, s'ils veulent faire partie de notre famille, qu'ils seront les bienvenus,
02:53 qu'on doit faire tout pour reconstruire l'Ukraine, pour transformer l'Ukraine dans un pays européen, comme les autres membres de l'Union européenne.
03:02 Et ça peut-être donnera une image aux Russes, aux citoyens russes, une image d'un développement démocratique qui donne la prospérité et la liberté aux citoyens.
03:12 Et peut-être, peut-être d'ici une génération, les Russes se rendront compte que c'est un développement qui pourrait aider leur pays aussi.
03:20 Ce n'est pas le cas aujourd'hui, quand vous regardez la télévision russe.
03:24 Non, non, non.
03:25 Ils soutiennent encore 100%, ou 100% peut-être c'est excessif, mais ils soutiennent leur président.
03:31 Ceux qui ne soutiennent pas leur président ont quitté le pays ou ils se taisent, parce que c'est devenu très, très dangereux de critiquer le président.
03:41 On est tout de suite mis en taule ou bien on est défenestré.
03:45 Donc là, il n'y a vraiment pas d'espace pour être en désaccord avec le pouvoir politique qui est dans les mains d'une personne.
03:58 Et puis il y a la Chine. France Timmermans, dimanche, les propos d'Anthony Blinken ont jeté le trouble.
04:02 Le secrétaire d'État américain a déclaré que la Chine envisageait de fournir des armes à la Russie.
04:07 Des propos qui ont été démentis en bloc par Pékin, qui accuse les États-Unis de vouloir mettre de l'huile sur le feu.
04:12 Est-ce que vous, vous avez des informations qui laisseraient penser que la Chine pourrait aider militairement les Russes ?
04:16 Les informations que nous avons confirment la position de monsieur Blinken.
04:23 En fait, les Chinois n'ont même pas nié. Ils ont dit qu'il ne faut pas répandre des mensonges.
04:29 Mais ils n'ont jamais dit non, on ne va pas faire ça.
04:31 Donc, il faut quand même qu'on leur dise clairement que ça aura des implications sérieuses pour des relations qu'on a avec eux.
04:41 Mais lesquelles ? Parce que Joseph Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a parlé hier de lignes rouges en disant que si les Chinois livraient des armes aux Russes,
04:48 ce serait une ligne rouge. Ça veut dire quoi ? Ça veut tout dire et rien dire, lignes rouges.
04:52 On l'a connu par le passé.
04:54 Oui, moi, je ne suis pas de ceux qui emploient cette expression, mais quand même, la Chine veut avoir des relations ouvertes avec nous,
05:05 du point de vue commercial, des investissements sur le climat, etc.
05:10 Donc, en livraison des armes aux Russes, toutes ces relations seraient coupées.
05:17 Et ce n'est pas dans l'intérêt de l'Union européenne, mais surtout pas dans l'intérêt de la Chine.
05:22 En plus, la Chine dit toujours qu'elle veut le respect des frontières internationales reconnues.
05:27 Alors, si elle veut le respect, si elle veut être utile dans ce conflit, alors elle doit convaincre Poutine de se retirer derrière ses frontières et d'arrêter d'occuper l'Ukraine.
05:39 Elle ne le fait pas assez, à votre avis ?
05:40 Non, pas du tout. Si elle dit tout le temps qu'on veut la paix, elle devrait y ajouter.
05:46 Et on veut une solution qui respecte les frontières internationales et l'intégrité de l'Ukraine.
05:52 Quant à l'Union européenne, vous en parlez, est-ce qu'elle est unie ?
05:56 Est-ce que vous diriez ce matin que sur l'Ukraine, l'Union européenne parle d'une même voix, la Hongrie mis à part ?
06:02 Ou y a-t-il, comme on le sent parfois, deux lignes en Europe ?
06:05 Entre d'un côté, par exemple, la présidente finlandaise, Sana Marijn, et de l'autre, le chancelier allemand Olaf Scholz.
06:11 Entre les pays baltes d'un côté, la France d'Emmanuel Macron de l'autre.
06:14 Est-ce que vous voyez deux lignes, deux visions, deux sensibilités ?
06:17 Je vois des différences de nuances qui sont totalement logiques.
06:22 Si on partage une frontière avec la Russie, comme la Finlande, on est dans une autre position que la France.
06:29 Mais en même temps, on est toujours capable de trouver un accord.
06:33 On a déjà dix fois trouvé un accord sur les sanctions.
06:37 On est toujours d'un avis sur le soutien à la population ukrainienne.
06:43 On a quatre millions de réfugiés ukrainiens en Union européenne, et ça se passe très très bien.
06:49 Donc c'est une démonstration de solidarité de la population européenne, qui unit aussi les politiques.
06:55 Donc là, je vois vraiment une unité européenne, et c'est une unité dont on aura besoin aussi à long terme.
07:01 - Oui, Viktor Orban mis à part, la Hongrie mis à part.
07:03 - Viktor Orban mis à part, oui, c'est toujours l'ami de Poutine.
07:07 - Il faut donner plus d'armes à l'Ukraine, répète Ursula von der Leyen.
07:10 Il faut redoubler d'efforts, dit-elle, avant la grande offensive russe qui se prépare.
07:14 Ça veut dire quoi concrètement ?
07:15 Les Ukrainiens ont parfois un peu l'impression qu'ils doivent mendier tous les 15 jours des missiles,
07:19 puis des chars, puis des avions européens.
07:21 Pourquoi pas leur fournir tout d'un coup ?
07:24 - Parce que parfois, on ne l'a pas encore.
07:26 Donc il faut augmenter la production des munitions, parce que la pénurie de munitions,
07:31 c'est le défi le plus grand auquel les Ukrainiens doivent faire face maintenant.
07:38 Deuxièmement, il faut avancer avec la livraison des chars.
07:42 C'est important en printemps, parce qu'il y aura l'offensive en printemps
07:47 et l'Ukraine doit être en mesure de se défendre.
07:50 Et puis, tout le reste est sur la table.
07:52 On parle d'avions, etc.
07:55 On verra.
07:56 - On verra quand ?
07:57 - Si on veut mettre terme à cette guerre au plus vite possible, il faut armer les Ukrainiens.
08:02 - On verra quand ?
08:03 - Il faut assurer qu'ils aient la possibilité de se défendre.
08:06 - On verra quand pour les avions ?
08:08 - Je ne sais pas, c'est trop difficile à dire.
08:11 J'espère simplement qu'on peut avancer sur le terrain d'une manière qui rende la livraison d'avions pas nécessaire.
08:20 Mais je ne peux pas prédire à quel point ce sera nécessaire.
08:24 On verra dans le futur.
08:25 Et tous ceux qui disent que ça va durer très longtemps, on ne le sait pas.
08:30 J'espère vraiment qu'en aidant les Ukrainiens, on peut faire terminer cette guerre sanglante très vite.
08:36 - Deux mots rapidement.
08:38 D'abord sur l'économie européenne.
08:39 Un an après la guerre, alors il y a certes eu un sérieux coup de frein de la croissance,
08:44 une envolée des prix incontestables, des taux d'intérêt également.
08:46 Mais on n'est pas rentré en récession.
08:48 L'Union européenne n'est pas en récession.
08:49 Diriez-vous que la catastrophe annoncée pour l'économie européenne,
08:52 qui a été voulue et annoncée par Poutine, n'a pas eu lieu un an après ?
08:56 - Poutine a échoué.
08:57 Il a essayé de faire deux choses, d'utiliser les réfugiés ukrainiens
09:03 comme un élément pour déstabiliser l'Union européenne.
09:07 Il a utilisé l'énergie comme arme pour déstabiliser l'Union européenne.
09:11 Il a échoué.
09:12 Il a échoué et on est capable en tant qu'Union européenne de se rallier
09:17 et d'avoir une réponse à ce défi.
09:20 Ce n'est pas facile du tout.
09:22 C'est dur.
09:23 C'est surtout dur pour tous ceux qui doivent payer ces prix incroyables pour l'énergie.
09:27 Ces prix en hausse, vous en avez parlé ce matin, des aliments.
09:32 Tout ça, c'est dur pour la population européenne.
09:34 Mais c'est nécessaire parce que les Ukrainiens ne se battent pas seulement pour leur liberté,
09:40 ils se battent aussi pour notre liberté.
09:42 - Et puis d'un mot très rapidement, en 10 secondes,
09:44 sur le fameux Green Deal, le pacte vert européen dont vous êtes responsable,
09:47 Franz Timmermans, la guerre en Ukraine a-t-elle modifié complètement ce calendrier du Green Deal ?
09:52 L'a-t-elle repoussé au calendre grec ?
09:54 - Non, pas du tout, parce que la transition énergétique est devenue encore plus importante.
09:58 Donc il faut continuer avec le Green Deal.
10:00 - Merci beaucoup, Franz Timmermans.
10:01 On retiendra vos mots quand même.
10:04 La Russie est à totalitaire, vous dites, vous parlez de fascisme