L'écrivain David Diop était l'invité de France Inter jeudi 21 août, à l'occasion de la parution de son roman "Où s’adosse le ciel", aux éditions Julliard.
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00:00Toujours plus précoce, toujours plus fournie, la rentrée littéraire.
00:04Près de 500 romans sortent en cette fin d'été et nous sommes très heureux de recevoir David Diop ce matin sur France Inter.
00:11Bonjour !
00:12Bonjour !
00:13Goncourt des lycéens pour votre roman Frères d'âme, c'était en 2018.
00:17Vous nous revenez aujourd'hui avec une grande fresque mythologique, un conte, vous les écrivez comme personne,
00:24de l'Egypte ancienne au Sénégal, ça s'appelle Là où s'adosse le ciel.
00:28C'est aux éditions Julliard.
00:31Est-ce que ce roman-là aussi, David Diop, vous l'avez écrit à la main ?
00:34Oui, j'ai écrit Où s'adosse le ciel à la main, dans mes petits carnets préférés, avec mes stylos spécifiques.
00:44Je me retrouvais le geste premier de l'écriture, on apprend tous à écrire à la main.
00:50Et je me suis rendu compte qu'après avoir essayé sur un ordinateur directement, que je préférais vraiment écrire comme ça.
00:57Tous vos romans sont écrits à l'encre de vos doigts ?
01:02Voilà, c'est une jolie métaphore.
01:05J'ai les doigts ancrés, c'est vrai, et c'est un échange avec finalement la matière du papier aussi.
01:12Il y a des rituels, qu'est-ce que ça vous apporte ce geste ?
01:16Ça me donne l'impression d'une coïncidence plus grande entre les sensations que j'ai et les images que j'ai, assorties de sensations, et ce que je vais écrire.
01:26Il n'y a pas cette médiation du clic-clic-clic de l'ordinateur et c'est pour moi important.
01:31Alors avec Frère Dame, vous nous entraîniez dans la guerre, celle de 14-18, vue par un tirailleur sénégalais.
01:38On remonte encore plus loin ici, dans Où s'adosse le ciel, d'autant plus que deux histoires s'entremêlent, à deux époques différentes.
01:47Alors d'abord celle d'un jeune griot, à la fin du 19e siècle, c'est un conteur africain qui part sur les traces de ses origines,
01:53l'histoire de ses ancêtres, celle qu'il se raconte à lui-même encore et encore.
01:57Et puis celle, 2000 ans plus tôt, de l'exode d'un grand prêtre d'Osiris, chassé d'Egypte sous la menace des soldats du Pharaon.
02:07Et l'on traverse, dans les deux cas, l'Afrique, de l'Egypte au Sénégal.
02:11C'est cette traversée que vous vouliez raconter ?
02:14Oui, alors il y a des traditions orales qui expliquent que le peuplement de l'Afrique de l'Ouest et du Sénégal vient d'Egypte,
02:24c'est-à-dire d'Egypte ancienne. Et donc d'un côté, il y a des travaux scientifiques qui le disent,
02:30et puis aussi il y a une tradition de griots. Alors les griots, ce sont les raconteurs d'histoire en Afrique de l'Ouest
02:37qui ont une mémoire prodigieuse et qui racontent ce qui constitue les sociétés en Afrique de l'Ouest.
02:45Et cette tradition-là existe. Et j'ai entendu parler de cette migration et j'ai souhaité finalement la mettre en fiction
02:53et raconter, inventer peut-être ce moment où des jésiptiens de l'Egypte ancienne seraient arrivés au Sénégal.
03:02C'est un récit mythologique quand même un peu historique. Il y a une part de vérité dans ce que vous nous racontez ?
03:08Oui, alors tout dépend de la façon dont on prend en compte la tradition orale.
03:13C'est une tradition estimable, c'est-à-dire que l'histoire quand même peut se dire à l'oral et pas nécessairement à l'écrit.
03:22Et donc on entend, on entend depuis deux siècles cette histoire qui dit qu'il y a eu des Égyptiens qui sont venus en Afrique de l'Ouest.
03:29Et moi j'ai trouvé par la fiction la raison puissante qui les a poussés à venir jusqu'en Afrique de l'Ouest.
03:36Et j'ai fait raconter cette histoire par un griot qui lui-même essaie de retrouver le chemin.
03:44Donc c'est une histoire double.
03:46L'histoire de ce griot à la fin du 19e siècle qui a été à la Mecque, qui a subi l'épidémie du choléra
03:53et qui rentre par ses propres moyens à pied.
03:57C'était le cas, jusqu'au milieu du 20e siècle, le pèlerinage pouvait se faire à pied entre l'Afrique de l'Ouest et la Mecque.
04:04Et quelle traversée, la dureté de cette traversée ?
04:08Mais ce sont des territoires immenses.
04:10Il y a une géographie que j'ai voulu en fait visiter à travers cette fiction.
04:16Et je me suis rendu compte évidemment que ce sont des milliers de kilomètres et des milliers de paysages différents.
04:21Et je suis devenu géographe pendant l'écriture de ce roman.
04:25Et amoureux des paysages que vous connaissiez déjà en partie ?
04:29Alors moi je suis un écrivain un peu en chambre.
04:31C'est-à-dire que je me documente beaucoup, je vois des images et je rêve en fait aussi autour de ces images.
04:39Mais je ne suis pas allé, je suis allé en Égypte ça déjà, mais je ne suis jamais allé au Tchad, ni au Niger, ni au Mali.
04:47Pourtant ce sont des pays proches du Sénégal.
04:49Vous avez passé une partie de votre enfance ?
04:51Oui, oui, où je reviens souvent.
04:53Donc les paysages du Sénégal je les connais, mais tout le trajet je ne l'ai pas fait.
04:57Est-ce qu'il y a une partie de vous qui se reconnaît dans le héros, qui se sent conteur comme lui ?
05:03Oui, j'aime raconter des histoires.
05:06J'aime raconter en fait des histoires qui finalement dans le fond nous racontent ou me racontent.
05:14C'est-à-dire que même si l'action est placée il y a 2000 ans ou au siècle dernier, ce qui m'intéresse dans les histoires c'est de retrouver ces rapports humains qui nous occupent encore ou qui nous préoccupent toujours l'amitié, l'amour et la mort.
05:28Il y a beaucoup de poésie, d'images dans votre écriture.
05:32Ça se rapproche aussi de la manière dont on raconte les histoires à l'oral.
05:36Vous avez dit déjà que vous faisiez attention à cela, au rythme des mots que vous pouviez écrire pour que cela se rapproche de l'oralité de la parole.
05:47Oui, alors ça dépend des textes, mais c'est vrai que l'écriture nous permet finalement de mettre en mots une voix.
05:55L'écriture c'est une voix silencieuse.
05:57Et en fait il faut essayer de la faire résonner dans les esprits et c'est ce que j'essaye de faire.
06:05De retrouver en fait ces images qui me hantent parfois et de les transformer en mots.
06:12Et ce qui me surprend toujours c'est que les lecteurs en fait ont d'autres images qui se créent à partir de ce que j'écris.
06:19Et rencontrer les lecteurs qui me racontent leur voyage après avoir lu mon livre c'est quelque chose d'extraordinaire.
06:26Votre héros, ce raconteur d'histoires, son histoire, l'histoire de ses origines, il se la raconte à lui-même beaucoup et presque uniquement.
06:35Oui, alors il se la raconte à lui-même.
06:38Nous on est là par effraction, on entend sa propre histoire, mais c'est une parole de survie.
06:44C'est-à-dire que même si c'est une parole qui semble éloignée de lui, c'est une parole qui lui permet de se maintenir en vie.
06:53Celle-là n'est pas destinée à être partagée.
06:56Elle n'est pas destinée nécessairement à être partagée, c'est un savoir secret.
06:59Moi ce qui m'intéresse aussi, c'est d'imaginer des situations de récits où le lecteur rentre dans des secrets de personnages.
07:08Il y a une tradition finalement qui n'est pas très éloignée de la tradition égyptienne, de la transmission du savoir.
07:16En Égypte ancienne, les prêtres ne partageaient pas leur savoir.
07:20Tout le monde ne savait pas lire les hiéroglyphes.
07:23Et même si les hiéroglyphes étaient sur les parois extérieures des temples, il n'y avait que des élus qui savaient lire ce que signifiaient ces textes-là.
07:31Et donc il y a une appréhension du savoir qui est liée au secret.
07:34Et je voulais reconduire en fait cette conception du savoir secret dans ce livre.
07:40Mais le livre finalement démocratise des choses qui devaient rester cachées.
07:45Et nous lecteurs, nous pouvons faire irruption dans des choses qui ne nous sont pas nécessairement destinées.
07:51Et est-ce que vous accepteriez de partager un peu avec nous une partie de votre texte, de nous lire un court extrait,
08:00donc de partager la parole, une partie de ce secret du compteur de votre livre ?
08:05Oui, volontiers.
08:06J'ai retenu un extrait, on est à peu près au milieu du chemin de Bilal Sekh, c'est le héros.
08:13Il se sauve miraculeusement à ce moment-là d'une caverne enfouie en plein désert.
08:17Oui, et une caverne où il se trouve un trésor, un trésor d'Osiris.
08:21La nuit, fin tissu de noirceur translucide percé de millions de trous minuscules, n'était qu'un prolongement du jour.
08:32Il avait les pièces enveloppées dans du sable, tiède encore du soleil précédent.
08:38L'air affluent dans la caverne éventrée avait cette odeur de poussière chaude
08:42qu'il avait pressenti quand il s'était échoué sur le ventre au bord de la rivière souterraine.
08:48Il avait eu de la chance, celle des miraculés que les accidents de la vie n'atteignent pas
08:54alors qu'ils déciment tant d'êtres humains.
08:58Il aurait pu mourir noyé au fond du puits, précipité sur les roches de la rivière
09:02ou écrasé par le poids immense du sable, dont pourtant chaque grain ne pèse rien.
09:09Les ouvrages des hommes sont éphémères.
09:11Si résistants que soient les murs dont ils sont bâtis,
09:14si profondes de leur fondation, ils s'abattent un jour prochain.
09:19Ce lieu, Cunifère avait choisi pour cacher son trésor, le plus reculé du temple,
09:25privé de lumière, était remonté à fleur de terre, exhibant ses entrailles aux étoiles indifférentes.
09:33Lecteur, écrivain, conteur, merci David Diop pour cette lecture
09:37et d'avoir été ce matin notre invité sur France Inter
09:41pour ce roman qui sort en librairie ces jours-ci.
09:45Où s'adosse le ciel ? C'est publié aux éditions Julliard.
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