Aurélien Barrau astrophysicien directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Université Grenoble Alpes analyse l’impact réel du numérique et de l’intelligence artificielle sur l’environnement les ressources et la stabilité de nos sociétés. Dans cette intervention il dévoile la face cachée du numérique consommation massive de métaux rareté des ressources pollution des data centers dépendance alimentaire fragilisation des territoires exploitation humaine surveillance de masse et effets rebonds qui annulent les bénéfices technologiques. Une prise de parole directe et dérangeante qui montre comment le numérique pourrait accélérer un effondrement systémique et pourquoi il devient urgent de repenser notre relation à la technologie.
00:00Je crois que c'est absolument nécessaire et je veux absolument que nous tentions de sortir du
00:05« il y a du bon et du mauvais ». Non, non, c'est mauvais.
00:09Parce que le bon et le mauvais, il y en a partout, même dans les dictatures.
00:12Je n'ai pas de statistiques, mais je suis à peu près certain qu'il y a moins d'agression dans les dictatures.
00:16Donc il y a du bon. Mais globalement, c'est mauvais.
00:19Et je suis absolument persuadé que c'est le point de vue qu'il faut aujourd'hui défendre
00:23sur ce cancer numérique qui nous envahit.
00:30Alors maintenant, j'en viens au numérique.
00:35Parce que le thème de cet exposé, c'est de se centrer un peu sur l'intelligence artificielle en particulier
00:40et le numérique en général.
00:42Alors les petits bienfaits du numérique, on les connaît.
00:46On les connaît trop bien. Ils sont surmédiatisés et surplébiscités.
00:52Je vais donc faire à dessein un portrait à charge.
00:56Volontairement à charge.
00:58Mais je crois que c'est absolument nécessaire et je veux absolument que nous tentions de sortir du
01:04« il y a du bon et du mauvais ».
01:06Non, non, c'est mauvais.
01:08Parce que le bon et le mauvais, il y en a partout, même dans les dictatures.
01:11Je n'ai pas de statistiques, mais je suis à peu près certain qu'il y a moins d'agression dans les dictatures.
01:15Donc il y a du bon.
01:16Mais globalement, c'est mauvais.
01:18Et je suis absolument persuadé que c'est le point de vue qu'il faut aujourd'hui défendre sur ce cancer numérique qui nous envahit.
01:26Quatre points.
01:27Premièrement, nocivité matérielle directe.
01:32Pollution.
01:33Vous savez que dans un smartphone, il y a 50 métaux distincts, majoritairement non renouvelables.
01:40Et je pense en particulier au mercure, à l'arsenic et au cyanure, extraits généralement dans des conditions épouvantables.
01:47Vous savez que la technologie engendre des effets rebonds quasi systématiques, c'est-à-dire que la hausse d'usage surcompense toujours la hausse d'efficacité.
01:57Autrement dit, même quand on gagne, on perd.
01:59C'est un théorème.
02:00La dématérialisation est illusoire.
02:03N'utilisez plus jamais ce mot.
02:04C'est un mensonge éhonté.
02:06Une étude scientifique récente dans 60 domaines différents qui ont fait leur transition numérique a montré que dans tous les domaines,
02:14les 60 étudiés, la hausse de consommation matérielle a augmenté par le passage au numérique.
02:21Le numérique, c'est matériel.
02:23C'est matériel.
02:24Les data centers, c'est très lourd, c'est très gros, c'est très volumineux.
02:27Ce n'est pas du tout dématérialisé.
02:30C'est faux.
02:30C'est un mensonge.
02:32Aujourd'hui, la consommation augmente de 9% par an dans le canal numérique, alors qu'il faudrait être à moins 5% par an pour tenir les accords de Paris.
02:43Les émissions de CO2 sont considérables.
02:46L'utilisation pour les armes est avérée.
02:48Et quand on voit les résultats dans les massacres récents, ce n'est pas exactement une réussite.
02:53Un seul entraînement de GPT équivaut à 3 jours de consommation d'une ville entière.
02:58La conclusion à laquelle parviennent toutes les études est claire et sans appel.
03:03Les intelligences artificielles ruinent les maigres efforts environnementaux qui avaient été entrepris.
03:11Des processeurs ultra énergivores aux gigantesques serveurs et aux data centers qui explosent littéralement,
03:18en passant par la surconsommation d'eau et la mise en place de climatisation pour refroidir les machines,
03:25« C'est une véritable dystopie. L'optimisation du rendement est extraordinairement inférieure à l'augmentation des dommages.
03:34Absolument tout ce qu'il ne fallait pas faire est là. C'est un cas d'école, échec et mat. »
03:41Mais ce n'est que le premier point. Deuxième point. Nocivité matérielle indirecte.
03:48Donc impact écologique délétère sur les territoires qui sont déjà globalement fragilisés.
03:54Génération de vulnérabilité immense. Aujourd'hui, tout dépend du numérique.
04:00Et on sait que le numérique dépend de métaux qui vont manquer.
04:03Et on en arrive à un point où aujourd'hui, boire et manger dépend du numérique.
04:07Là, ce que je vous dis là, ce n'est pas une lubie d'écolo, bobos, décroissantistes.
04:11C'est très concret. Vous savez que l'autonomie alimentaire de Paris, c'est deux jours.
04:15Donc si on n'alimente plus Paris, au bout de deux jours, on est en disette.
04:19Et au bout d'une semaine, on est en famine.
04:22Il se trouve que les camions, aujourd'hui, ne peuvent plus rouler sans numérique.
04:26On ne sait plus nourrir Paris sans numérique.
04:28Ce qui est complètement inepte parce qu'on n'a pas réellement besoin de numérique.
04:32Mais si on a des éruptions solaires qui détruisent les puces, aujourd'hui, on ne peut plus manger.
04:37Ce n'est pas très grave si on n'a plus de téléphone portable.
04:39Si on n'a plus rien à boire et à manger, c'est un petit peu plus embêtant.
04:42Nous sommes très inconséquents par rapport à la perte de résilience qui est associée à la généralisation du numérique.
04:49Sans compter l'artificialisation des territoires, par exemple la ghettoïsation de la ville-usine de nickel de Norilsk en Russie,
04:58la dissémination des pollutions par les décharges qui sont encore bien pires que les mines d'extraction,
05:04les intoxications corrélatives, les eaux sont chargées en métaux lourds,
05:08relâchées directement et généralement sans filtration dans les nappes phréatiques.
05:12Et quand un arbitrage doit être rendu entre production vivrière et production électronique,
05:20les pouvoirs corrompus tranchent presque toujours en faveur de cette seconde.
05:24Autrement dit, des gens commencent à mourir de faim et de soif pour que nous puissions nous amuser avec ces gadgets.
05:31Je pense en particulier à l'acide sulfurique dans les ressources d'eau potable en Zambie,
05:35aux doses létales de plomb qui sont avérées dans les rizières de Thaïlande.
05:39Troisièmement, nocivité immatérielle directe, vous le savez aussi bien que moi, addiction, précarisation,
05:50existence de travailleurs du clic qui sont sous-payés, donc essentiellement dans les pays pauvres bien sûr,
05:57et confrontés à des contenus d'une extrême violence.
06:00Les IA ne savent pas ce qui est bien et ce qui est mal.
06:03Donc il faut qu'il y ait des vrais gens qui regardent toute la journée des contenus pédopornographiques
06:08et des chatons en train de se faire torturer vifs pour apprendre aux IA que c'est mal.
06:12Il faut que des gens le fassent, ça.
06:14Donc c'est des vraies personnes qui sont confrontées à ça.
06:17Donc colonialisme sous-jacent, lui-même associé à une prédation des ressources.
06:23Développement d'une économie de l'attention, développement d'outils de surveillance de masse,
06:28déjà à l'œuvre.
06:29Ça, je ne comprends pas que ça ne nous inquiète pas un peu plus que ça,
06:32parce que c'est des choses qui relèvent d'une dystopie qui est d'ores et déjà en marche avec des effets concrets.
06:38Vous savez que moi, j'ai des collègues chercheurs qui ne peuvent plus rentrer aux États-Unis
06:41à cause de critiques du gouvernement faites dans des messages privés.
06:46Pas sur YouTube.
06:46Moi, vu ce que j'ai dit sur Trump sur YouTube, je sais que je suis foutu.
06:49Mais là, je parle de messages privés.
06:52C'est quand même un peu bizarre que ça ne nous ennuie pas et que ça ne nous inquiète pas outre mesure.
06:58Bien, déploiement des fake news, soutien implicite à toute une chaîne d'asservissement.
07:04Vous savez que si des milliers de femmes n'étaient pas violées chaque mois au Congo,
07:09eh bien nous n'aurions pas le cobalt quasi gratuit qui sont dans ces objets-là
07:12et il serait donc essentiellement inaccessible.
07:14Généralisation des fake news, dévoiement et développement d'un néo-animisme réificateur,
07:22débilisation de nos enfants.
07:23Je pense que vous le savez mieux que moi, c'est très documenté aujourd'hui
07:26et c'est quand même un peu criminel ce qu'on leur fait aujourd'hui.
Écris le tout premier commentaire