- il y a 8 heures
Ce vendredi 21 novembre, Yves Jegourel, professeur titulaire au Cnam et codirecteur de CyclOpe, est revenu sur la bataille mondiale pour l'acquisition de terres rares ainsi que les perspectives et la stratégie européenne en matière de métaux stratégiques, dans l'émission Tout pour investir, la masterclass, sur BFM Business. Retrouvez l'émission tous les vendredis à 11h.
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00:00Tout pour investir, la masterclass sur BFM Business.
00:05Un cadre un peu différent d'habitude, vous savez on a d'habitude les signaux faibles,
00:09on regarde ce qui s'est passé dans l'actualité de la semaine,
00:12mais comme je vous l'ai dit, on va s'attarder plutôt sur un phénomène,
00:15les terres rares, on ne cesse d'en parler,
00:17on a eu même déjà quelques questions de téléspectateurs et d'auditeurs
00:20pour savoir si finalement c'est un bon placement d'aller sur les terres rares.
00:24La réponse est très rapide, puisque ce ne sera pas le sujet aujourd'hui,
00:27ça reste quand même très compliqué.
00:28En revanche, de quoi parle-t-on ?
00:30Les terres rares, d'abord il faut faire la distinction entre les terres rares,
00:33celles qui sont réellement, et aussi tout ce qui est métaux stratégiques.
00:36Donc vous le voyez, ce qui est extrêmement important de prendre en considération,
00:39c'est que lorsqu'on parle de terres rares, la réalité parfois on parle aussi de métaux stratégiques,
00:44par exemple le cobalt, on a eu ces derniers mois les Etats-Unis
00:47qui ont négocié un accord avec le Congo, notamment pour avoir du cobalt.
00:51Donc on va plutôt s'attarder non pas uniquement sur la définition de terres rares,
00:55mais aussi de métaux stratégiques.
00:56Sur les terres rares, de manière très spécifique, finalement elles ne sont pas aussi rares que cela.
01:02La réalité, c'est que vous avez énormément de terres rares qui sont réparties un peu partout sur la planète,
01:07notamment beaucoup aux Etats-Unis et beaucoup en Chine.
01:11En revanche, ces terres rares, par exemple l'Ettrium, c'est le bon exemple.
01:15L'Ettrium, vous avez le retrouvé dans votre smartphone, notamment au niveau de l'écran.
01:20Et le point qui est important, c'est que l'Ettrium, qui est pourtant présenté comme une terre rare,
01:24est en général 400 fois plus présent dans la courroie terrestre que l'argent.
01:29Donc vous voyez, ça permet un peu de prendre les distinctions.
01:31En revanche, le problème avec les terres rares, c'est qu'elles sont extrêmement polluantes,
01:36extrêmement compliquées, avec un coût extrêmement élevé en termes de raffinage.
01:40Jusqu'au début des années 90, en Europe, en France notamment, aux Etats-Unis,
01:45vous aviez une filière de métaux stratégiques qui s'avaient gérée de A à Z,
01:49justement, tout ce qui était terres rares ou éventuellement plus largement métaux stratégiques.
01:53En revanche, puisqu'il y a eu un désamour de l'industrie à partir des années 90,
01:58parce qu'on s'est dit que finalement, toutes ces activités qui étaient très polluantes,
02:01on peut plutôt les faire à l'étranger et dans les pays en voie de développement.
02:05Toutes ces filières-là, elles ont progressivement disparu.
02:07Et le point qui est important, c'est que pile au début des années 90,
02:11vous avez eu la stratégie chinoise de dire, nous, nous n'avons pas de pétrole,
02:16en revanche, on a des terres rares et on va développer une filière de A à Z,
02:20peu importe le coût en termes de production, peu importe également le coût en termes de pollution.
02:25Et on se retrouve entre 1990 et aujourd'hui dans une situation où, grosso modo,
02:30si on regarde globalement, vous avez la Chine qui représente entre 90-95% du raffinage des terres rares
02:38et un peu plus largement, autour de 80% sur les métaux stratégiques.
02:42Bien évidemment, ça veut dire quoi ?
02:44Ça veut dire qu'on a une situation de dépendance qui s'est énormément créée
02:47et l'enjeu, bien évidemment, c'est d'être beaucoup moins dépendant de la dépendance chinoise.
02:52Ça va prendre du temps.
02:53On voit que du côté américain, et on ira un peu dans le détail,
02:56on a une filière, plusieurs d'ailleurs filières qui se mettent en place,
02:58à la fois de la production et du raffinage au niveau national, avec le coût.
03:02Encore une fois, il faut le rappeler, la pollution.
03:04Et de l'autre côté, vous avez aussi un autre sujet qui est mis en avant,
03:07à savoir tout simplement, vous avez le recyclage.
03:10On en parlera notamment avec Benjamin Louvet,
03:12qui est un sujet extrêmement important, le recyclage justement de ces métaux stratégiques.
03:16Mais le point qui est important, c'est que toutes ces terres rares,
03:19ces métaux stratégiques, on en parle aujourd'hui,
03:21tout simplement parce qu'ils sont essentiels dans tout ce qui est transition énergétique,
03:26IA, ou toute nouvelle technologie.
03:28Je le présentais justement avec le smartphone.
03:30C'est pour ça que finalement, dans le bras de fer qu'on a,
03:33aussi bien européen ou américain, avec la Chine,
03:36et qu'un bras de fer sur une myriade de sujets,
03:38la réalité, c'est qu'à l'instant T, en tout cas,
03:40la Chine est très très clairement en avance,
03:43en tout cas sur ce sujet des terres rares et des métaux stratégiques.
03:46On va essayer d'aller vraiment dans le détail aujourd'hui,
03:49pour comprendre comment ça va se passer,
03:51comment ça se profile dans les années à venir,
03:53et notamment pour voir aussi si on a une capacité
03:55d'être un tout petit peu moins dépendant de la Chine prochainement,
03:59peut-être en misant potentiellement sur le raffinage.
04:02Vous le voyez à l'écran, c'est vraiment les chiffres qui sont extrêmement importants,
04:05y compris par exemple sur du cobalt,
04:06qui n'est pas encore une fois une terre rare.
04:09Vous voyez que vous avez une assise qui est extrêmement majeure
04:12en termes de traitement de la Chine.
04:14Si je résumais, on a simplement décidé, nous occidentaux,
04:18donc européens et américains,
04:20tout simplement de faire nos activités en termes de matières premières,
04:24qui sont ultra polluantes, plutôt chez les Chinois,
04:26et eux, ils en ont créé une activité qui est aujourd'hui une assise extrêmement importante
04:30en termes de richesse.
04:31Je vous propose qu'on en discute un peu plus en détail,
04:33d'abord avec une approche qui est un peu plus top-down,
04:37donc on va regarder cela ensemble,
04:39sur les métaux stratégiques,
04:41pour notamment essayer de voir en termes de perspectives
04:43comment ça se situe et quels sont les éléments.
04:45Je vous propose d'avoir Yves Gégourel,
04:48qui va nous rejoindre.
04:49Vous êtes professeur titulaire au Conservatoire national des arts et métiers
04:52et surtout, vous êtes co-directeur de la revue Cyclope.
04:55Juste avant qu'on aille dans le détail,
04:57est-ce que vous pourriez rappeler à nos téléspectateurs et auditeurs
05:00ce qu'est la revue Cyclope, s'ils ne la connaissent pas ?
05:02Elle est effectivement la référence en général sur ces sujets de matières premières.
05:07Merci de me donner l'opportunité d'en parler.
05:09Alors, c'est le Cercle Cyclope
05:11et donc, nous sommes une société d'analyse
05:14des marchés mondiaux de matières premières,
05:16de l'ananas au zirconium
05:18et donc, bien évidemment, nous couvrons la problématique
05:20des métaux stratégiques ou des métaux critiques.
05:23Quand on regarde un peu ce qui s'est passé ces dernières années,
05:26finalement, tout ce qui est...
05:28On va plutôt prendre la terminologie métaux stratégique
05:30puisque terre rare, c'est certainement un peu trop restreint
05:34en termes de définition,
05:35mais il y a 4,5 ans de cela, en tout cas dans le débat public.
05:38On n'entendait pas du tout parler des métaux stratégiques.
05:41Aujourd'hui, on le voit, alors il y a bien sûr la guerre commerciale
05:43qui est passée par là,
05:44il y a peut-être la Covid à jouer pour une sensibilisation
05:47en termes de chaînes d'approvisionnement,
05:49mais on voit que ça devient extrêmement essentiel.
05:52Est-ce que vous...
05:53Comment vous appréhendez cette situation ?
05:54Est-ce qu'effectivement, la Chine,
05:56qui est aujourd'hui en tout cas leader
05:57dans tout ce qui est activité de raffinage,
05:59est-ce que, en première partie,
06:01les États-Unis se réveillent
06:02et commencent à être moins dépendants ?
06:04Et où est-ce qu'on en est du côté européen ?
06:07Alors, je crois qu'il faut poser le cadre,
06:09c'est-à-dire que nous sommes dans le contexte
06:12de la transition énergétique et de la révolution numérique,
06:15et il ne peut pas y avoir ces transitions,
06:17ces révolutions sans ressources funérales.
06:19Et c'est en ça qu'on les qualifie de stratégiques
06:22ou de critiques,
06:23avec l'élément que vous rajoutez,
06:25qui est une ultra-domination de la Chine
06:27sur la quasi-totalité des chaînes de valeur,
06:29de ces métaux stratégiques,
06:30qui nous permettent d'aller vers la transition énergétique.
06:32Et donc, c'est une course qui s'est développée
06:36depuis plusieurs années,
06:38et la Chine a un leadership absolu de ce point de vue-là,
06:42et pour vous répondre très concrètement,
06:43bien évidemment que les États-Unis ont fortement réagi,
06:47l'Europe également,
06:48mais il s'agit de rattraper un retard
06:50face à un leadership qui est écrasant.
06:53Donc la question derrière tout ça,
06:55c'est l'ampleur des mesures,
06:56mais également, je voudrais insister là-dessus,
06:58sur la question de la résilience,
07:00parce qu'il va falloir concilier deux choses,
07:03d'abord, cette sécurisation des approvisionnements
07:05que j'évoquais,
07:06mais également une réalité toute simple
07:08de ces marchés mondiaux de matières premières,
07:10qui est une forte volatilité.
07:11Et donc, c'est bien dans cette combinaison stratégique
07:14qu'il convient d'opérer.
07:15On va revenir un peu plus tard sur la volatilité,
07:17vous l'avez mentionné à juste titre,
07:19parce que, alors juste pour rappeler
07:21à nos téléspectateurs et auditeurs,
07:23vous aviez, je pense qu'il y a quelques années de cela,
07:25ça date probablement d'il y a une dizaine d'années,
07:26vous aviez la banque d'investissement américaine Goldman Sachs,
07:29qui nous parlait de super cycle des matières premières,
07:32avec des prix qui allaient monter énormément,
07:34et la réalité est un peu plus complexe,
07:35on y reviendra.
07:36Mais avant d'aller sur cet aspect-là,
07:38j'aimerais juste vous faire réagir,
07:40je vais juste lire quelque chose
07:41qui a été conclu entre les États-Unis et le Congo,
07:44puisqu'on a eu un accord entre les Américains
07:46et le Congo sur le cobalt,
07:48qui est effectivement essentiel à cet égard.
07:51Alors, je vous cite juste ce qu'avait dit
07:52Benjamin Katakouba,
07:53qui est directeur général en RDC de Cobalt Metals,
07:56donc qui est un des acteurs dans le domaine.
07:59Nous espérons que cette porte,
08:00ouverte par le gouvernement congolais
08:01pour les investissements américains,
08:03va nous conduire à d'autres projets d'envergure.
08:05Si on regarde dans le détail, malgré tout,
08:06alors certes, c'est une victoire américaine
08:08sur cet aspect précis,
08:10mais la réalité, c'est que notamment en Afrique,
08:12il y a beaucoup de matières premières.
08:13Les Chinois, aujourd'hui, sont quand même largement leaders.
08:17Alors, est-ce que ce n'est pas un peu
08:18beaucoup de communication,
08:19mais dans les faits,
08:20l'assise en tout cas chinoise,
08:21elle reste extrêmement présente,
08:23pas uniquement effectivement sur du raffinage
08:25qui est fait par les Chinois dans leur pays,
08:27mais également sur l'accès aux matières premières
08:29du côté africain.
08:31Alors, je ferai une réponse un peu entre les deux.
08:34C'est-à-dire que ce leadership chinois,
08:37on l'a évoqué,
08:38il est sur le raffinage,
08:39il est également, si vous regardez,
08:41en fait, le capital des mines,
08:43il est aussi sur la phase de l'extraction,
08:46c'est-à-dire qu'il y a un grand nombre de mines,
08:48notamment en RDC,
08:49qui ont des capitaux chinois,
08:51et pas uniquement en RDC,
08:52mais plus globalement en Afrique
08:54et en Amérique du Sud.
08:56Donc, il y a cette dimension-là.
08:57Ensuite, l'offensive américaine et européenne,
09:01peut-être dans une moindre mesure,
09:03est tout à fait patente.
09:04Et vous évoquez cet accord sur la RDC,
09:07on voit en fait qu'il y a une modification
09:09à mon avis assez importante
09:11de la stratégie américaine,
09:12qui est d'abord qu'il y a un investissement direct,
09:15c'est-à-dire que ce n'est pas uniquement
09:16du soutien aux entreprises,
09:18mais on voit le gouvernement américain,
09:19le département de la guerre,
09:20le département de l'énergie,
09:22investir directement dans des entreprises
09:24minières, de raffinage, de recyclage,
09:26sur le sol national,
09:27potentiellement à l'étranger.
09:29Et puis, une forme,
09:31mais je voudrais être prudent dans mes propos,
09:34de militarisation du sujet,
09:35puisque finalement,
09:37les États-Unis conditionnent leur aide militaire
09:39à l'accès au sol et au sous-sol
09:42des pays potentiellement partenaires.
09:44On l'a vu avec une forme d'ambiguïté
09:46importante sur l'Ukraine,
09:47et on le voit effectivement sur la RDC.
09:49La RDC, c'est un réservoir de cuivre,
09:53de cobalt,
09:53mais également d'étain,
09:54dont on ne parle probablement pas suffisamment.
09:56Donc oui, la détermination,
09:59l'importance de la Chine,
10:00elle n'est pas tente,
10:01et donc ce retard, il faut le combler.
10:03Néanmoins, les offensives menées par les États-Unis
10:05et par l'Europe sont importantes.
10:06Est-ce que, selon vous,
10:08aujourd'hui, c'est du côté américain
10:11que les offensives sont les plus pertinentes ?
10:12On reviendra un peu dans le détail
10:13par la suite sur l'Europe.
10:15Mais par exemple,
10:16l'offensive à l'égard du Groenland,
10:18là où au moins,
10:19j'ai un peu le sentiment,
10:20c'est que quand on écoute Donald Trump,
10:22l'avantage finalement de l'administration Trump,
10:24et c'était le cas déjà
10:25dans la première administration,
10:27parce que je crois que c'était juste avant Covid,
10:29août 2019, de mémoire,
10:31où Trump commençait déjà à s'intéresser au Groenland,
10:33c'est qu'il a compris que le Groenland
10:35fait partie de ces zones stratégiques,
10:36pas uniquement du point de vue maritime
10:38avec la fonte des glaces,
10:39mais fondamentalement aujourd'hui,
10:40notamment pour avoir accès typiquement à l'uranium,
10:44dont a énormément besoin l'industrie américaine,
10:46et notamment l'industrie de l'IA.
10:48Comment vous voyez justement
10:49ce qui se passe entre les États-Unis
10:50et le Groenland,
10:51et aussi l'Europe qui commence un peu
10:52à se positionner malgré tout ?
10:53Honnêtement, je le verrais de manière plus globale,
10:57je ne crois pas qu'il y ait une spécificité
10:58sur le Groenland,
11:00c'est-à-dire qu'à partir du moment
11:00où on acte qu'il y a une course
11:02à la sécurisation des approvisionnements,
11:04et autorisez-moi ce terme,
11:05une forme de retour des empires,
11:07il faut des terres,
11:08parce que ces terres sont la condition
11:10de l'accès aux ressources minérales,
11:11et donc on va y aller vers différentes stratégies,
11:14et la stratégie américaine
11:17est extrêmement offensive,
11:18même politiquement particulière,
11:23et donc l'idée c'est bien
11:25de diversifier au maximum les sources,
11:28donc je pense qu'il faut vraiment
11:29le considérer comme ça,
11:29il faut le considérer comme une urgence absolue,
11:31c'est-à-dire qu'aujourd'hui,
11:32si vous regardez les scénarios
11:34pour arriver vers le net zéro,
11:36donc en termes de décarbonation
11:37d'ici à 2050,
11:38en termes de ressources minières notamment,
11:41mais pas uniquement,
11:42mais en termes de ressources minières,
11:44on ne passe pas,
11:45donc il faut absolument aller là-dessus,
11:47prenons un exemple très concret,
11:48le cuivre,
11:49on sait que le cuivre est dans tous les chantiers
11:52de la transition énergétique,
11:54c'est également un élément déterminant
11:55de la révolution numérique,
11:57et la contrainte minière est extrêmement importante,
12:00donc il faut faire feu de tout bois
12:01pour aller sur ces éléments-là,
12:02vous avez évoqué l'uranium,
12:04c'est la question effectivement énergétique,
12:05il faut aller sur tous les segments
12:07sur lesquels on peut aller,
12:09et Trump, avec la politique qu'on connaît,
12:11n'hésite pas à mener un grand nombre d'offensives
12:14de ce point de vue-là.
12:15– Du côté européen,
12:17vous sembliez être pas particulièrement pessimiste,
12:20en tout cas vous semblez mettre en avant
12:22qu'il y a des éléments,
12:23est-ce que vous pourriez nous en donner
12:25un peu plus d'éléments
12:25sur quelle est la stratégie européenne,
12:28ou d'ailleurs peut-être est-ce qu'elle est plus européenne
12:30ou nationale,
12:30faite par certains États ?
12:32On sait notamment que sur certains métaux stratégiques,
12:35potentiellement on en a dans notre sous-sol,
12:37mais le problème est un problème notamment de pollution,
12:40on a vu certains États,
12:41notamment le Portugal ou encore l'Espagne,
12:43qui se sont dit,
12:43on acerbe des métaux stratégiques dans notre sous-sol,
12:45mais on décidera pas de les exploiter
12:47à cause des contraintes de pollution,
12:49est-ce qu'il y a malgré tout un réveil européen,
12:51et si oui,
12:51est-ce que ça passe par de nouveaux approvisionnements,
12:54et à quel point c'est facile aussi,
12:55ou est-ce que d'ailleurs certains commencent à se dire,
12:57il faudrait peut-être regarder ce qu'on a dans notre sous-sol ?
12:59On sait d'ailleurs,
13:00en France parfois c'est un débat aussi à ce sujet.
13:01L'évolution de l'Europe est évidente,
13:07il y a le Critical Hero Material Act qui est passé en 1923
13:11et qui a été appliqué en 1924,
13:14donc là il y a toute une série de mesures autour de la réduction
13:17de la dépendance de l'Europe vis-à-vis de ces métaux critiques,
13:21par le déploiement de la mine,
13:23par le déploiement du recyclage,
13:24par des partenariats diplomatiques,
13:26donc ça c'est très clair,
13:28il y a des projets stratégiques
13:31qui sont désormais soutenus par l'Europe,
13:3247 sur le territoire strict européen
13:35et 60 au sens plus large du terme,
13:38donc ça ce sont des annonces très récentes,
13:39vous avez également des initiatives nationales,
13:42la France a lancé un fonds métaux,
13:45il y a un avant-terminé qui est fait,
13:47donc de toute évidence l'Europe va dans le bon sens,
13:50la question qu'on doit se poser,
13:52elle est à mon sens double,
13:54d'abord c'est évidemment la question du rapport de force,
13:56c'est-à-dire que quand on parle de la mine,
13:59on parle du raffinage,
14:00on parle de montants extrêmement importants,
14:03donc dans cette course,
14:04est-ce que l'Europe investit suffisamment ?
14:06Je laisse cette question ouverte,
14:09et l'autre élément que j'évoquais au tout début,
14:11c'est qu'on peut dire que sur le long terme,
14:13nous allons manquer de cuivre,
14:14nous allons manquer de terres rares,
14:15nous allons manquer de nickel,
14:17ça c'est de la projection de long terme,
14:19que l'on doit concilier avec des réalités de court terme,
14:21aujourd'hui les prix du lithium sont relativement bas,
14:23c'est un peu la même chose sur le cobalt,
14:26et donc c'est la question de comment est-ce que l'on peut avoir
14:28cette stratégie de long terme,
14:30tout en s'accommodant de variabilité des prix à très court terme,
14:33qui peuvent menacer la rentabilité de certaines opérations,
14:37et donc c'est la question de la vision de long terme,
14:39et de la capacité à l'assumer qui est ici posée.
14:43L'autre question, je rebondirai sur votre propos,
14:45c'est évidemment la sensibilisation du grand public à ces questions-là,
14:51mais il faut un minimum de cohérence environnementale,
14:53c'est-à-dire qu'on ne peut pas aujourd'hui vouloir la transition énergétique,
14:57vouloir la révolution numérique,
14:59tout en refusant le développement du secteur minier,
15:02en tout cas sur ces questions-là.
15:04Et donc il s'agit de promouvoir une excellence minière,
15:07d'un point de vue environnemental et social,
15:08et je crois que la vigilance européenne sur ces questions-là est très forte.
15:14Effectivement, du côté européen, on a encore assez peu d'acteurs,
15:17en tout cas d'acteurs cotés.
15:19Je voyais sur l'antimoine, vous avez aujourd'hui une petite entreprise,
15:22parce que c'est ce qu'on appelle une small cap en bourse,
15:25qui est en Belgique, mais qui est très très...
15:27Alors qu'il y a certes une assise de marché assez importante,
15:29je crois qu'elle possède à peu près 10% du marché mondial,
15:31ce qui n'est pas négligeable,
15:33alors que la Chine en possède 60%,
15:34mais c'est vrai qu'on manque aujourd'hui d'acteurs.
15:36Quand vous évoquiez notamment le fonds métaux français,
15:41est-ce que vous pourriez un peu aller en détail
15:42pour nous expliquer comment ça fonctionne ?
15:45L'idée, bon, ce n'est pas forcément à moi d'en parler,
15:49mais l'idée, c'est qu'il y a une dotation de l'État
15:51et charge à ce fonds de lever des capitaux privés
15:55pour aller dans le sens de la stratégie européenne
15:57sur la sécurisation des métaux critiques.
16:00Il y en a 34, pardon, à l'échelle européenne.
16:03Ce sont en grande majorité les métaux des batteries,
16:06mais pas uniquement.
16:07Ce sont également les terres rares qu'on va utiliser
16:09dans les éléments permanents.
16:10Dans les éléments permanents, excusez-moi.
16:12Et donc, il s'agit d'investir pour sécuriser les approvisionnements
16:16par les prises de participation,
16:17par les contrats d'off-tech, ainsi de suite.
16:20Donc, ça rentre en pleine résonance
16:22avec la stratégie à la fois française,
16:24qui, je redis, est assez ambitieuse,
16:26et la stratégie européenne.
16:28Vous évoquiez la volatilité, je pense, des prix.
16:31Je pense que c'est un élément qui est crucial.
16:33Je le rappelais précédemment, vous aviez,
16:34alors ça fait partie, c'est peut-être plus des éléments
16:37de communication et de marketing
16:38de certaines grandes banques qu'autre chose,
16:40mais vous aviez, il y a quelques années de cela,
16:42peut-être une dizaine, quinzaine d'années de cela,
16:43vous aviez Goldman Sachs qui nous disait,
16:45du fait de la transition énergétique, notamment,
16:47alors c'était moins la thématique qu'il y a à cette époque-là,
16:50on va avoir, dans tous les cas, des prix ascendants,
16:52tout simplement des équilibres entre l'offre et la demande,
16:54sur toutes les matières premières,
16:56notamment tout ce qui est métaux stratégiques,
16:58et vous l'avez rappelé à juste titre,
16:59c'est quand même un peu plus compliqué que ça.
17:02La première question que j'aimerais vous poser,
17:03sachant que, bien sûr, sur chaque matière première,
17:05le marché est propre,
17:07donc c'est très dur de faire des généralités,
17:09mais comment est-ce que vous observez ?
17:10Est-ce que, un, il y a déjà toujours la demande chinoise
17:13qui reste quand même un élément central
17:14sur l'évolution des prix ?
17:16On le voit probablement sur le cuivre,
17:18mais est-ce que c'est généralisé à cet égard ?
17:20Et est-ce que, selon vous, il y a aussi un réel problème
17:23qu'à un certain stade, les prix vont tendanciellement être haussiers
17:26ou on peut ouvrir de nouvelles mines
17:28qui feront que, finalement,
17:29ce sera un peu moins compliqué que cela ?
17:32Écoutez, d'abord, la Chine joue un rôle très, très particulier
17:36sur les marchés mondiaux de matières premières
17:37au sens général du terme,
17:39c'est-à-dire qu'elle va jouer sur la demande,
17:40mais elle va également jouer sur l'offre.
17:43Et, si vous voulez, la lecture qu'on doit avoir sur les prix
17:46est rendue d'autant plus complexe
17:48qu'il va y avoir toute cette politique
17:50de restriction aux exportations,
17:51donc ça, ça crée beaucoup de volatilité.
17:54Ce qu'on doit retenir, c'est qu'effectivement,
17:57l'idée d'une demande de long terme
17:59qui va se traduire par une augmentation structurelle
18:02quasi linéaire des prix, c'est une illusion.
18:04Donc, il va falloir s'accommoder,
18:06il va falloir développer du projet minier,
18:08du projet de recyclage,
18:10tout en ayant cette résilience,
18:12cette force financière
18:13pour s'accommoder de prix bas
18:15qui peuvent durer un an, deux ans, trois ans.
18:17Il y a probablement, d'ailleurs, un jeu stratégique de la Chine
18:20qui, d'un côté, va réduire ses exportations
18:23sur l'antimoine que vous évoquiez,
18:24sur le germanium, sur le gallium,
18:26ce qu'elle a fait sur les terres rares,
18:27et qui, dans le même temps,
18:28peut surapprovisionner certains marchés
18:30du type lithium.
18:32Donc, il va falloir naviguer dans ces éléments-là.
18:35Et, lorsque l'on évoque cette question-là,
18:38on pose intrinsèquement la question
18:40de la réalité de l'actionnariat.
18:41Lorsque vous avez un actionnariat
18:43qui est un actionnariat étatique
18:46ou sous influence étatique,
18:47finalement, les perspectives de long terme
18:49sont relativement faciles à avoir.
18:51C'est-à-dire que vous pouvez vous accommoder
18:53de ces prix bas temporairement.
18:55Lorsque vous avez un actionnariat
18:56qui est de nature un peu plus privée,
18:58qui pourrait, et donc il faut travailler
19:00sur ces logiques-là,
19:01avoir des horizons de plus court terme,
19:03on pourrait avoir le sentiment
19:05que, finalement, il est moins rentable
19:07d'investir, en tout cas à court terme,
19:09dans tel ou tel projet minier
19:11ou tel projet de recyclage.
19:12Donc, il faut vraiment travailler là-dessus,
19:13c'est-à-dire développer
19:14cette vision de long terme.
19:17Ensuite, la question du long terme
19:19est différente d'une matière première
19:20à une autre.
19:21Le cuivre, on sait que, structurellement,
19:23on va en manquer.
19:24La question du lithium,
19:25c'est avant tout une question
19:26autour de la chimie des batteries,
19:28avec peut-être des horizons
19:30un peu plus courts.
19:31Et donc, il faut distinguer
19:32les problématiques de disponibilité
19:34de la ressource à l'aune de ces critères-là.
19:37Est-ce qu'il y a d'autres pays
19:37qui se positionnent,
19:38outre, bien sûr, les grandes puissances,
19:40mais fondamentalement,
19:40on a l'impression que,
19:42hors Europe, au sens large,
19:44on peut inclure le Royaume-Uni,
19:45États-Unis et Chine,
19:47c'est vrai que le reste du monde
19:48est plutôt spectateur
19:49ou en tout cas fournisseur
19:50sans avoir fondamentalement
19:51de stratégie.
19:53Il y a quelques États,
19:54malgré tout, je vois l'Indonésie
19:55qui a une forme de nationalisme métallique
19:57parce qu'effectivement,
19:57leur nickel,
19:58ils ont mis en place
19:59des restrictions aux exportations.
20:00Alors, point important,
20:01c'est que le nickel
20:01est quand même malgré tout
20:03produit par des entreprises chinoises.
20:05Donc, je pense qu'il y a aussi
20:06une stratégie chinoise derrière cela.
20:07On a eu récemment la France
20:09qui a eu un accord avec l'Indonésie,
20:10un accord commercial
20:11avec une partie notamment
20:12sur quand même l'accès
20:13à certains métaux stratégiques.
20:15Mais j'ai un peu le sentiment
20:16quand même que c'est un sujet
20:18pour les grandes puissances
20:19et que cette forme
20:21de nationalisme métallique
20:22qu'on voit en mise en application,
20:24ça concerne quelques pays,
20:25mais le reste du monde
20:26est quand même très à l'écart.
20:27On n'a pas de stratégie
20:28sur la plupart des émergents,
20:29par exemple l'Inde,
20:30à cet égard.
20:31– Honnêtement,
20:32je ne vous suivrai pas
20:33sur ce sujet-là.
20:35C'est-à-dire qu'il y ait
20:36une homogénéité des stratégies
20:37du côté des pays émergents,
20:39on peut en discuter.
20:40Ensuite, la question
20:41de la valorisation,
20:44de l'intégration avale
20:45sur le modèle indonésien,
20:47notamment, me semble-t-il,
20:48est très présent.
20:49L'Indonésie,
20:50c'est un cas d'école,
20:51ce n'est pas uniquement le nickel,
20:53avec l'idée
20:53qu'on ne va pas exporter
20:55des minerais,
20:56enfin, des concentrés
20:57et donc sans transformation.
21:00On va essayer de s'intégrer
21:02sur l'aval de la filière
21:03et cette ambition
21:05à la fois politique,
21:06économique, industrielle
21:07est très présente.
21:08Ensuite,
21:10pensez par exemple
21:11à ce qui se passe
21:12sur la Guinée,
21:13autour de la filière
21:14bauxite,
21:15alumine, aluminium.
21:16– Est-ce que vous voulez
21:16juste développer
21:17pour nos téléspectateurs
21:18sur cet aspect,
21:18comme je pense que
21:19sur la Guinée
21:19qui peut être intéressant,
21:20mais je ne pense pas
21:21qu'il soit au fait du sujet,
21:22est-ce que vous pouvez développer ?
21:24– Pardon,
21:25alors la Guinée,
21:27en fait la Chine,
21:28maîtrise une grande partie
21:32de la production
21:32de l'aluminium primaire
21:34avec de la complexité
21:35dans ses relations
21:35avec la Russie,
21:36mais techniquement
21:37la moitié de l'aluminium primaire
21:38est produite par la Chine,
21:39ce qui veut dire
21:40qu'en amont,
21:41il lui faut de l'alumine
21:42et en amont de l'alumine,
21:43il lui faut de la bauxite.
21:44Et la Chine avait
21:45une très forte dépendance
21:46à l'Australie
21:48et elle a,
21:49comme tout le pays,
21:50cherché à diversifier
21:51ses approvisionnements
21:52et elle l'a fait,
21:52notamment en Guinée.
21:54La Guinée est désormais,
21:55donc la Guinée-Conakry,
21:56est désormais le premier fournisseur
21:58de bauxite de la Chine
22:00et la volonté de la Guinée
22:02depuis très longtemps.
22:03C'est évidemment
22:04de mieux valoriser
22:05cette chaîne de valeur,
22:06c'est-à-dire d'aller progressivement
22:08sur la production d'alumine
22:10et puis peut-être à terme
22:11sur la production
22:13d'aluminium primaire.
22:14Donc honnêtement,
22:15cette question
22:15de la transformation locale,
22:17et elle ne se réduit pas d'ailleurs
22:18à la question des métaux,
22:20me semble-t-il,
22:21est très présente.
22:22La vraie question,
22:22c'est la réalité
22:23de cette transformation.
22:24et je crois que la volonté politique
22:27des émergents
22:27et des pays en développement
22:28est très présente.
22:30Pour conclure,
22:31on parle beaucoup,
22:32vous savez,
22:32de guerre commerciale,
22:33du point de vue économique,
22:34etc.
22:35On se focalise énormément
22:36sur les taxes douanières
22:37et c'est un sujet
22:38qui revient régulièrement
22:39sur la table.
22:40Mais quand on vous écoute,
22:42et c'est aussi un peu
22:42le sentiment que j'ai,
22:43est-ce que fondamentalement
22:44la rivalité
22:45entre ces grandes puissances
22:46qui se mettent en place
22:47ou ces empires,
22:47je vous rejoins d'ailleurs
22:48sur ce terme,
22:48je pense que c'est pertinent,
22:50est-ce qu'on n'est pas justement
22:51plutôt sur une guerre
22:52des métaux stratégiques
22:53aujourd'hui plus qu'autre chose ?
22:54Est-ce que ce n'est pas
22:55le vrai sujet ?
22:56On parle beaucoup
22:56dans les médias de taxes
22:57qui finalement sont remises
22:59en cause quasiment tout le temps.
23:00Est-ce que le sujet,
23:01ce ne serait pas justement
23:01ces métaux stratégiques
23:02pour l'économie de demain ?
23:04Alors, oui et non.
23:08Lorsque vous menez
23:09une guerre commerciale,
23:11très classiquement,
23:13vous allez sur les matières premières
23:14ou à l'inverse,
23:15sur les produits de luxe.
23:16Donc, le fait de taxer
23:19les exportations,
23:20d'aller sur un certain nombre
23:22de droits de douane
23:22ou de barrières non tarifaires,
23:24c'est un peu un cas d'école
23:26de ce point de vue-là.
23:27Où je vous suis un peu moins,
23:29c'est que,
23:29alors, je ne suis pas certain
23:31du thème de guerre
23:32qu'on va utiliser peut-être
23:34de manière un peu excessive
23:35pour parler des matières premières
23:37puisqu'on a vu
23:38qu'il y a des stratégies
23:39partenariales qui sont menées.
23:40Donc, c'est en fait probablement
23:42un peu plus compliqué
23:43qu'une simple opposition.
23:46Je crois que c'est une problématique
23:48autour de l'accès au sol
23:49et au sous-sol.
23:50C'est vrai qu'on parle énormément
23:51de métaux stratégiques,
23:52mais regardez ce qui s'est passé
23:54sur l'accord récent
23:55entre la Chine et les États-Unis.
23:58Il y avait la problématique du soja.
23:59Donc, il me semble
24:00que c'est une problématique globale
24:02sur l'ensemble des matières premières
24:04et probablement que
24:05dans notre pensée stratégique,
24:07ou en tout cas
24:07dans notre pensée stratégique européenne,
24:09il y a aujourd'hui
24:10une forme de segmentation
24:11comme si la problématique
24:12des métaux stratégiques
24:13était différente
24:14de la problématique
24:15de l'énergie,
24:16était différente
24:17de la problématique
24:17des produits agricoles.
24:19Il me semble
24:19qu'il y a une problématique globale
24:21sur les matières premières
24:23comme condition
24:24de développement économique,
24:25comme condition
24:26de l'industrialisation
24:27et, in fine,
24:28comme condition
24:29de l'hyperpuissance.
24:30Et c'est ça
24:31que l'on perçoit également
24:32dans la stratégie américaine
24:34et dans la stratégie chinoise.
24:35Merci beaucoup,
24:36Yves Gégourelle.
24:37Effectivement,
24:37un sujet plus intégré
24:38qu'il n'y paraît.
24:39Vous êtes professeur titulaire
24:40au Conservatoire national
24:41des arts et métiers
24:42et co-directeur de Cyclope.
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