Ce mercredi 10 décembre, Benjamin Gallezot, délegué interministériel aux approvisionnements en métaux et minéraux stratégiques, était l'invité d'Annalisa Cappellini, dans Le monde qui bouge - L'Interview, de l'émission Good Morning Business, présentée par Laure Closier. Ils ont abordé le plan de l'Union européenne "RESourceEU" qui vise à limiter sa dépendance aux terres rares chinoises. Retrouvez l'émission du lundi au vendredi et réécoutez la en podcast.
00:00La bataille des terres rares ne fait que commencer et on se réveille à peine en Europe.
00:04Le 3 décembre dernier, la Commission a présenté Ressources EU, son plan pour tenter de limiter la dépendance de l'Europe à la Chine dans ce domaine.
00:11Bonjour Benjamin Galézot, vous êtes le délégué interministériel aux approvisionnements en métaux et minéraux stratégiques,
00:17autant dire un poste fondamental, vous discutez avec Bruxelles quasiment tous les jours.
00:21Ce plan européen, il y a constitution des stocks, diversification des approvisionnements et responsabilisation des entreprises.
00:28Point très intéressant, il faut que les entreprises se dérisquent elles-mêmes, prennent conscience qu'il faut aller chercher des approvisionnements un peu partout.
00:35Est-ce que c'est seulement possible ?
00:38Oui, bonjour tout d'abord.
00:40Alors d'abord je voulais corriger quelque chose, on ne se réveille pas maintenant, vraiment pas.
00:45D'accord.
00:46On a mis en place depuis trois ans une stratégie sur ce sujet qui a donné des résultats concrets.
00:53Peut-être on n'en parle pas assez mais ils sont là.
00:55Je vous donne quatre exemples.
00:58Sur les terres rares pour aimants permanents, puisque c'est le sujet que vous évoquez, mais il y a bien d'autres minerais et métaux stratégiques, mais je prends cet exemple-là.
01:06Premièrement, à La Rochelle, une usine de raffinage de terres rares.
01:11Nous avons investi avec le groupe Solvay pour pouvoir raffiner du disprosium, du terbium, du néodynium, du praisodynium.
01:19C'est quatre terres rares qui servent aux aimants permanents.
01:22C'est une capacité qui aujourd'hui est de 50 tonnes mais qui peut monter à 4000 tonnes.
01:25C'est la quasi-totalité des besoins européens.
01:27Une usine en construction à lacs par une entreprise qui s'appelle Carester.
01:33Pareil, 600 tonnes de terres rares lourdes.
01:35Une usine de recyclage d'aimants, puisque le recyclage est un élément permanent.
01:39Ça s'appelle Magresource, c'est dans l'Isère.
01:41Ils peuvent recycler aujourd'hui 50 tonnes d'aimants.
01:44Ils recycleront 1000 tonnes à terme.
01:46Et enfin, une usine de métallisation, parce qu'une fois qu'on a raffiné les terres rares, il faut pouvoir les transformer en métaux.
01:53Et elle aussi, elle sera à lac.
01:55Donc ça, c'est des projets concrets et qui vous montrent, parce qu'il s'agit de quantités qui sont à l'échelle de la production européenne,
02:03que l'on peut résoudre ce problème concrètement.
02:05À quelle échelle ?
02:06C'est-à-dire que là, ce sont des projets qui sont en construction, qui fournissent déjà ?
02:11Non, ce sont des projets qui existent déjà, des capacités de production qui existent, qui sont disponibles pour les industriels
02:17et qui peuvent monter en puissance au cours des prochains mois et des prochaines années.
02:22Comment se fait-il qu'aujourd'hui, on soit toujours dépendant à 90% de la Chine ?
02:27D'abord, parce que premièrement, ce sont des choses qui ont été lancées à trois ans, mais qui arrivent en production maintenant.
02:35Donc il y a toujours un délai entre le moment où on lance des projets et le moment où ils arrivent.
02:39Et surtout, et c'est le point que vous évoquez, parce qu'il faut que les industriels passent des commandes.
02:44C'est ça le point fondamental.
02:46Donc j'en reviens à la responsabilité des entreprises.
02:48Une fois qu'on a ces capacités, il faut que les industriels passent des commandes.
02:51Par ailleurs, c'est toute une chaîne.
02:53C'est-à-dire que vous avez les terres rares, mais derrière, vous avez la fabrication d'aimants.
02:56Et la fabrication d'aimants, vous avez des aimants de toute taille, des petits, des moyens, des gros.
03:01Donc vous voyez, c'est toute une chaîne, ça prend du temps, mais on a des capacités en France et en Europe.
03:06Et si je reviens au point que vous avez mentionné, oui, il est important que les industriels aient une politique d'achat,
03:12qui soit une politique diversifiée.
03:14Une politique qui ne soit pas que basée sur le moindre coût, qui soit une politique qui utilise plusieurs fournisseurs.
03:20Et aujourd'hui, il y a trois ans, ou même il y a encore un an, effectivement, il n'y avait pas énormément de solutions.
03:26Maintenant, elles existent, que ce soit en France ou en Europe, puisqu'il y a aussi une usine en Estonie qui a été installée.
03:33Et donc vous voyez, il y a des solutions concrètes. Ce que l'on fait, ce n'est pas simplement, j'allais dire, des plans, des stratégies.
03:38Ce sont des résultats concrets.
03:39Et j'insiste, pardon, qui existent parce qu'un soutien financier très important a été mis en place par le gouvernement sur ces projets.
03:46Est-ce qu'il faut obliger les entreprises à passer ces commandes, à justement arrêter la politique du moindre prix,
03:52et à choisir des fournisseurs français ou européens ?
03:54Je crois que dans un premier temps, on se base sur la concertation et le travail en commun.
03:58Et c'est ça qu'on fait depuis plusieurs années, d'ailleurs, sur d'autres sujets, mais aussi sur les terres rares.
04:05Donc à ce stade, notre objectif, c'est plutôt de travailler conjointement avec les entreprises avant d'en arriver à des réglementations.
04:12À ce stade, parce que, bien évidemment, ce sont des décisions au niveau du gouvernement français et au niveau européen,
04:18donc je ne peux pas préjuger sur les décisions qui seront prises.
04:21Mais l'idée, c'est quand même plutôt de travailler en partenariat avec les filières, parce que c'est un sujet de filières.
04:27C'est ça qui est très important de comprendre, c'est qu'entre, par exemple, le constructeur automobile et les aimants,
04:31il peut y avoir 4, 5, 6 chaînes d'entreprises.
04:35Et donc il faut que l'ensemble de ces acteurs se mettent d'accord, et ça prend toujours du temps.
04:39Mais j'insiste, il est important que les entreprises se saisissent au plus haut niveau de ce sujet,
04:44et ce sont des sujets qui ne sont pas forcément financièrement très lourds.
04:49C'est-à-dire, par exemple, sur une voiture conventionnelle...
04:50Le surcoût est faible.
04:51Le surcoût est faible, c'est quelques euros, les aimants, sur une voiture conventionnelle.
04:55C'est quelques dizaines d'euros sur une voiture électrique.
04:57Donc vous voyez que faire des économies, si je puis dire, pour aller gagner 5, 10, même 20 ou 30% de coûts sur quelque chose...
05:04Ça vaut le coup de pousser un peu la filière.
05:06Absolument.
05:06Et surtout, le niveau de dépendance actuelle est un niveau qui est tel que l'ensemble de ces industries peuvent être mises en difficulté.
05:14Annalisa ?
05:15Sauf qu'en attendant que cette filière prenne l'ampleur qu'on espère en Europe, en tout cas,
05:18il faut du moins être moins dépendant de la Chine.
05:21Et alors vers qui on se tourne ? Vers quels autres pays ?
05:23Alors, premièrement, les capacités que j'ai évoquées et qui sont à bonne échelle.
05:29Et puis évidemment, pour ces capacités, il faut du minerai en approvisionnement.
05:32Donc nous avons conclu maintenant depuis trois ans un certain nombre d'accords et de contrats d'ailleurs.
05:38Et donc il y a des contrats qui ont été signés par ces entreprises, celles que je vous mentionnais,
05:42Solvay ou Carrester, avec des mines finalement qui leur permettent d'approvisionner la matière première.
05:48Donc ça a été le cas par exemple avec le Canada, c'est un contrat qui a été, avec le Québec, pour être plus précis,
05:54un contrat qui a été annoncé il y a quelques semaines, avec la Malaisie, puisque la Malaisie est un fournisseur important de terres rares,
06:01avec le Brésil également.
06:03Et là je reviens, j'étais hier en Suède, nous avons signé un accord avec la Suède.
06:08Il y a des gisements de terres rares en Suède.
06:10Ce n'est pas pour tout de suite, mais c'est pour 2028-2029.
06:15Donc vous voyez, on a des solutions à court terme et des solutions à moyen et long terme.
06:21Les terres rares, contrairement à ce qu'on dit, ne sont pas rares.
06:24Simplement elles sont en faible concentration, ça veut dire que dans le minerai, vous en avez 0,5%.
06:29Donc vous voyez, la difficulté, ce n'est pas tellement de trouver du minerai,
06:32c'est plutôt de mettre en place les technologies d'extraction.
06:35Et la bonne nouvelle, c'est que la France a des compétences tout à fait excellentes
06:39dans ces domaines de technologies d'extraction et de raffinage.
06:42Dans le plan proposé par la Commission européenne, il y a aussi une agence chargée des stocks.
06:47Elle s'occupera des achats.
06:48Ça a fonctionné comment ? C'est un peu comme le Covid avec les vaccins ?
06:51C'est le même système ?
06:52Alors on peut prendre effectivement, je pense que la comparaison est très bonne.
06:55Parce qu'il y a un état d'urgence qui est, je dirais, presque comparable.
06:59Même si c'est évidemment pas perceptible par nos concitoyens,
07:02parce que ça ne touche pas à leur santé.
07:03Mais pour notre industrie, c'est un état d'urgence.
07:06Tout à fait.
07:07Alors, il y a trois fonctions dans cet outil.
07:10Il y a ce qu'on appelle les stocks stratégiques, c'est-à-dire disposer de réserves.
07:14Il y a l'achat en commun, puisque comme il y a toutes ces filières,
07:18c'est assez éclaté finalement.
07:19Regrouper les achats, ça permettra d'avoir, si je puis dire, plus de capacité d'achat.
07:25Et puis il y a un troisième élément, qui est le soutien au projet au niveau national et à l'international.
07:31On le fait déjà au niveau national, mais vous savez que nos finances publiques sont dans une situation difficile.
07:36Donc on a besoin que l'Europe utilise ses ressources pour investir dans les projets.
07:40Nous, on a fait beaucoup de choses au niveau franco-français.
07:44On est à la limite en termes budgétaires de ce qu'on peut faire.
07:47Donc on a besoin que l'Europe utilise ses crédits pour ses projets.
07:50À la fin, vous vous dites, d'ici 2030, avec tout ça, avec ce qu'on développe en France,
07:55on peut être en capacité d'avoir quoi ?
07:5750% de notre capacité en ressources en terres rares sur lesquelles on est indépendant ?
08:04C'est à peu près le chiffre ?
08:05L'idée, c'est surtout d'avoir une chaîne diversifiée.
08:07L'idée n'est pas d'être indépendant et de faire tout.
08:10De toute façon, ça n'a pas de sens, puisque vous voyez que c'est une chaîne.
08:13Je vous donne un exemple.
08:15L'usine qui est dans le sud-ouest, on l'a fait en partenariat avec les Japonais.
08:19Parce que les Japonais ont une industrie de fabrication des aimants.
08:22Donc c'est des échanges internationaux.
08:23Et l'idée, d'ailleurs, n'est pas d'arrêter d'échanger avec la Chine.
08:26Notre souhait est de pouvoir continuer à travailler sur ces sujets avec la Chine.
08:30C'est très important.
08:30Mais il faudrait avoir 50% de diversification.
08:33Je dirais, ça dépend d'abord des types de métaux.
08:36Mais il ne faut pas avoir tous ces œufs dans le même panier.
08:39C'est vraiment quelque chose de très simple.
08:40C'est la base.
08:42Absolument, c'est la base.
08:43Mais c'est ce que beaucoup d'industriels, malheureusement, oubliaient.
08:45Et donc, un socle d'approvisionnement, j'allais dire, européen,
08:49ça peut être 30%, 40%, je ne sais pas, 25%, peu importe,
08:53des approvisionnements internationaux et sur plusieurs pays.
08:56Ça n'est pas un problème d'être dépendant d'approvisionnements internationaux.
08:59Le problème, c'est quand il n'y a qu'une seule source.
09:01Parce que là, vous pouvez avoir des événements géopolitiques,
09:04des décisions économiques, même des aléas naturels
09:06qui font que votre approvisionnement est arrêté.
09:09Donc, vraiment, diversification.
09:11Et c'est faisable, même avant 2030, bien avant 2030, tout à fait.
09:15Parce que c'est un marché qui n'est pas un très, très gros marché.
09:18C'est quelques milliards au niveau mondial.
09:20Merci beaucoup, Benjamin Galézot, d'être venu ce matin
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