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  • il y a 7 semaines
Jeudi 28 août 2025, retrouvez Joseph Vogel (Associé Fondateur, Vogel & Vogel), Valérie-Odile Dervieux (Présidente de chambre de l’instruction, Cour d’appel de Paris) et Claire Le Touzé (Of counsel, Simmons & Simmons) dans LEX INSIDE, une émission présentée par Arnaud Dumourier.

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Transcription
00:00Générique
00:30Bonjour, je suis ravi de vous retrouver sur Be Smart for Change
00:35pour une nouvelle saison de Lex Inside,
00:37l'émission qui donne du sens à l'actualité juridique.
00:41Du droit, du droit et rien que du droit.
00:44Au programme de ce numéro de rentrée,
00:46nous allons parler de la communication des magistrats
00:48sur les réseaux sociaux avec mon invité Valérie Odile Dervieux,
00:53présidente de la chambre d'inspection de la Cour d'appel de Paris.
00:56On parlera ensuite de la confidentialité entre l'avocat et son client
01:01avec Joseph Vaugeul, avocat fondateur de Vaugeul et Vaugeul.
01:05Et enfin, on parlera enquête RH, quels sont les enjeux,
01:09quelles sont les limites avec Claire Le Touzé,
01:12avocate off-consul chez Simons & Simons.
01:16Voilà pour les titres Lex Inside, c'est parti !
01:26On commence tout de suite ce Lex Inside.
01:31X LinkedIn, parfois même Instagram,
01:34de plus en plus de magistrats prennent la parole.
01:36Mais que peuvent-ils dire ?
01:38Quelles sont les limites ?
01:39On en parle tout de suite avec mon invité Valérie Odile Dervieux,
01:43présidente de chambre à la Cour d'appel de Paris.
01:45Valérie Odile, bonjour.
01:47Bonjour Arnaud.
01:48Alors on va parler ensemble de la communication des magistrats
01:50sur les réseaux sociaux.
01:52Mais avant toute chose, posons le cadre.
01:55Quels sont les règles de la communication des magistrats ?
01:58Les règles sont pénales et déontologiques.
02:02Pénales parce que le code de procédure pénale
02:05permet à certains membres de la magistrature
02:07et notamment les procureurs de la République
02:09d'évoquer des dossiers pour éviter des fausses rumeurs,
02:12des fausses informations.
02:14Déontologiques et institutionnelles
02:16parce que les présidents de chambre,
02:18des fameuses audiences de rentrée,
02:20enfin les présidents de juridiction,
02:21font des discours qui peuvent évaluer les lois en cours,
02:26les projets en cours, dire la situation.
02:29On en a eu des exemples extrêmement intéressants cette année
02:31avec les déclarations par exemple sur le narcotrafic
02:34ou l'embolisation des juridictions criminelles.
02:37Et puis ensuite déontologiques
02:38parce qu'un magistrat qui, à titre personnel
02:40ou au nom d'une organisation syndicale par exemple,
02:43prend la parole, si j'ose dire,
02:44ou prend le tweet,
02:46doit s'astreindre à des règles
02:49qui sont fixées non seulement par le Conseil supérieur de la magistrature
02:52mais aussi par des instances européennes
02:55comme le comité consultatif des juges.
02:57Donc en fait, le devoir de réserve,
03:01l'impartialité sont des règles
03:03à suivre absolument dans toutes ces communications
03:06qui sont des communications entre guillemets personnelles.
03:09Alors on a vu les règles générales de la communication des magistrats.
03:13On va s'intéresser à la spécificité de la communication sur les réseaux sociaux.
03:18Qu'est-ce qui rend justement cette communication si particulière ?
03:22Elle est tout à fait particulière
03:24parce que d'abord c'est un mode de communication
03:25qui est récent mais extrêmement répandu,
03:28notamment parmi les jeunes collègues.
03:30Plus de 90% des magistrats sont sur les réseaux sociaux
03:33à titre personnel ou en tant que magistrat.
03:37Ensuite, parce que les outils de communication sont différents
03:40mais ils diffèrent aussi en fonction des réseaux sociaux.
03:47Instagram, ça n'a pas le même public que...
03:49Que Yves, que LinkedIn.
03:51Exactement.
03:51Donc il faut choisir son réseau social.
03:53Il faut choisir d'où je parle,
03:57c'est-à-dire comment on communique et comment on se présente,
03:59comment on décrit son profil,
04:02comment on renseigne les informations,
04:05qu'est-ce qu'on dit, comment on le dit
04:06et puis aussi comment on réagit ou comment on ne réagit pas.
04:09Donc en fait c'est un mode de communication
04:11qui est récent et massif.
04:14Donc c'est extrêmement spécifique pour des magistrats
04:16qui normalement sont plutôt réservés
04:20pour ne pas parler...
04:21Et en plus il y a la culture de l'immédiateté sur les réseaux sociaux,
04:24c'est-à-dire que les réseaux sociaux imposent de réagir vite
04:28et prudence et de mise quand on est magistrat.
04:30Tout à fait.
04:31Alors c'est l'immédiateté dans la communication,
04:33c'est l'immédiateté dans la réaction
04:35et on peut aussi utiliser les réseaux sociaux
04:38pour ne pas faire de l'immédiateté,
04:39pour essayer d'avoir une vision un peu plus décryptante de l'actualité.
04:43Dans quel cas par exemple ?
04:45C'est l'exercice auquel je m'assins,
04:50c'est-à-dire expliquer les choses.
04:52Quand on a un fait divers, expliquer les choses,
04:54justement, c'est ce que, exactement selon le schéma que vous venez indiquer,
04:58c'est quelles sont les règles, comment ça marche
05:00et quelles sont les questions qui se posent.
05:03Et donc il faut absolument que le magistrat fasse attention
05:06à la manière dont il agit, dont il réagit
05:08et dont il veut s'exprimer sur les réseaux sociaux.
05:11Et il y a aussi la façon dont il doit s'exprimer,
05:14c'est-à-dire aussi par rapport à ses fonctions.
05:16Est-ce qu'il s'exprime au titre de ses fonctions
05:18ou il s'exprime à titre personnel ?
05:21Quelles sont les limites de l'exercice ?
05:23En fait, les limites de l'exercice,
05:25ce sont celles que l'on se pose aussi,
05:27parce que certains peuvent aller sur les réseaux sociaux anonymement,
05:31ce qui n'est pas forcément extrêmement conseillé,
05:33mais le CSM, le Conseil supérieur de la magistrature,
05:36évolue sur ce point.
05:37Est-ce que je dis qui je suis ?
05:39Si je dis qui je suis, est-ce que je donne mes fonctions ?
05:41Est-ce que je donne juste la fonction de magistrat ?
05:45Et donc ça dépend aussi quel profil comment on s'exprime.
05:48Ça dépend aussi quels éléments d'identification on donne.
05:50Et en fonction de ces éléments-là,
05:53qui déterminent la manière dont on se situe sur le réseau social,
05:57on peut exprimer des choses.
05:59Il y a deux choses qui sont assez particulières.
06:03Premièrement, c'est que quand on est magistrat,
06:06qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas,
06:07on représente l'institution judiciaire.
06:09Donc la manière de s'exprimer doit être empreinte
06:12non seulement de réserve, mais de délicatesse et de respect.
06:15Parce que c'est l'institution judiciaire qu'on engage.
06:17C'est-à-dire qu'on n'engage pas forcément l'institution judiciaire,
06:21mais on l'incarne, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas.
06:24Un magistrat, ce n'est pas n'importe qui,
06:26ce n'est pas n'importe qui qui s'exprime sur les réseaux sociaux.
06:29Et on voit mal, par exemple, qu'un certain vocabulaire puisse être utilisé.
06:34Alors, qu'est-ce qui fait qu'un magistrat va décider de se lancer
06:38et d'avoir une communication sur les réseaux sociaux ?
06:40Vous en faites partie.
06:42Comment ça se passe ?
06:43Alors, j'en fais partie.
06:44Fabrice Vert, qui est premier vice-président au Tribunal judiciaire de Paris,
06:49en fait partie.
06:50Maxime D'Olivier en fait partie.
06:52Et chacun a ses thématiques.
06:54Ça peut être pour soutenir les étudiants
06:56et leur proposer des activités de formation.
07:00Ça peut être pour faire passer un message sur la médiation.
07:03Et ça peut être pour faire de la pédagogie.
07:05Je pense, et le comité consultatif des juges européens
07:08qui dépend du Conseil de l'Europe l'a dit,
07:10on se doit de communiquer pour faire de la pédagogie.
07:13On ne peut pas, le magistrat aujourd'hui, à mon sens,
07:16ne peut pas rester absent des réseaux sociaux.
07:18Faire de la pédagogie, ça veut dire vulgariser, expliquer ?
07:21Vulgariser, expliquer, aller au-delà des présupposés,
07:26des fausses informations, des fake news,
07:29qui peuvent être des fake news statistiques,
07:31ou des fake news tout court,
07:32ou des erreurs, pour aider l'usager à comprendre.
07:37Alors, effectivement, il faut trouver une forme
07:39qui soit adaptée aux réseaux sociaux,
07:41parce que sans ça, c'est illisible,
07:43et il faut avoir un vocabulaire adapté,
07:45il faut faire attention aux acronymes.
07:47Mais je pense vraiment que c'est une nécessité,
07:49aujourd'hui, d'expliquer ce qu'on fait,
07:53comment on le fait, et pourquoi on le fait.
07:55Bien évidemment, à la limite, c'est le secret professionnel.
07:57Il est hors de question de s'expliquer sur un dossier en cours
08:00dont on a la charge.
08:02Ce serait une infraction pénale.
08:04Mais en tous les cas, je considère que c'est un devoir.
08:09La question, c'est comment on fait.
08:10Ça fait partie aussi de la modernisation de la justice ?
08:13Ça fait partie de la modernisation,
08:15la loi sur la confiance qui avait été adoptée au début,
08:19enfin, il y a quelques années,
08:21a parlé justement de la publicité,
08:23de filmer les audiences,
08:24de donner à voir comment on fonctionne.
08:27Et ça fait partie, en fait, c'est une exigence.
08:29Je ne pense pas que ce soit moderne,
08:32je pense que c'est juste une nécessité.
08:34Pourquoi c'est une nécessité ?
08:35Parce qu'on ne peut pas être absent de là où se passent les choses.
08:38Les nouveaux médias, les réseaux sont les réseaux sociaux.
08:41Ce ne sont plus...
08:42Les jeunes n'ont plus la télévision,
08:44ils ne regardent pas forcément des actualités.
08:46Ils sont algorithmés, si j'ose dire,
08:48par des réseaux sociaux ou asociaux,
08:50ça dépend des fois.
08:52Et il s'agit ici de dire le droit
08:55et de dénoncer les fake news.
08:59C'est important d'éduquer les jeunes générations ?
09:02Je pense que ça fait partie de notre mission.
09:05Est-ce qu'il y a d'autres bonnes pratiques à avoir ?
09:07Pas que les jeunes générations, Arnaud.
09:09Oui, l'ensemble.
09:10Oui, parce que c'est vrai que le droit est souvent ignoré,
09:12même si nul n'est censé ignorer la loi.
09:14C'est-à-dire que le droit, il est difficile à appréhender
09:16parce qu'il bouge tout le temps.
09:18Donc, c'est plutôt les grands principes,
09:20le rôle du magistrat, comment ils se déterminent,
09:22quels sont les textes.
09:23Vous savez, on est toujours là à dire
09:24laxisme, sévérité, trop sévère, trop laxiste,
09:29trop tout et pas assez doux.
09:29À chaque garde des Sceaux, on a les petites phrases.
09:32Voilà, c'est ça.
09:33Et donc, en fait, il ne s'agit pas d'attaquer des personnes
09:36ou de dire ça, c'est mal et ça, c'est bien.
09:38Ça serait complètement inefficace.
09:40Il s'agit de dire comment ça marche.
09:42Et aujourd'hui, ce qui est bien,
09:43c'est que l'ENM intègre cette dimension.
09:44Tout à fait.
09:45L'ENM intègre totalement cette dimension dans sa formation.
09:48On a déjà depuis longtemps des formations à la communication,
09:51que ce soit des communications de presse,
09:52la manière de s'exprimer à la télé, si j'ose dire.
09:57Et depuis quelques années, on a effectivement
09:59une session de formation qui est dédiée à la communication
10:02avec des heures qui sont consacrées aux réseaux sociaux.
10:06J'ai d'ailleurs la chance d'être invitée bientôt
10:08à participer à cette formation.
10:11La difficulté, c'est que la déontologie,
10:15on a très peu de décisions du CSM sur ce sujet.
10:19On a pas mal de communications.
10:21Et on voit que la théorie évolue.
10:24En fait, elle évolue avec les réseaux sociaux,
10:26elle évolue avec les besoins,
10:27et elle évolue aussi avec la communication institutionnelle.
10:30Donc, il y a un trou dans la raquette, entre guillemets ?
10:35Je ne sais pas si c'est un trou dans la raquette
10:37ou si c'est une raquette qui est en train d'être construite.
10:40C'est peut-être ça le sujet.
10:42On va conclure là-dessus.
10:43Merci Valérie Odile-Dervieux.
10:45Je rappelle que vous êtes présidente de Chambre
10:47à la Cour d'appel de Paris.
10:48Merci.
10:49Tout de suite, l'émission continue.
10:50On va parler des rapports entre l'avocat et son client
10:54dans quelques instants.
10:56On poursuit ce Lex Insight.
11:08On va parler de la confidentialité entre l'avocat et son client.
11:12Le secret professionnel est au cœur de la relation
11:15entre l'avocat et son client.
11:17Mais aujourd'hui, ce principe est mis à rude épreuve.
11:20Perquisition dans les cabinets, jurisprudence qui divise.
11:24On en parle tout de suite avec Joseph Vogel,
11:27avocat fondateur de Vogel & Vogel.
11:29Joseph Vogel, bonjour.
11:30Bonjour Arnaud.
11:31Alors, les communications des avocats avec leurs clients
11:34sont-elles encore confidentielles ?
11:37Alors, dans la relation de l'avocat avec son client,
11:41naturellement, la confidentialité demeure.
11:43L'avocat est tenu au secret professionnel.
11:45En revanche, ce qui pose problème aujourd'hui,
11:47c'est l'opposabilité de ce secret professionnel
11:50aux administrations, aux autorités administratives.
11:53Et là, malheureusement, il n'existe plus beaucoup
11:55de secret professionnel, puisque toute l'activité
11:59de conseil, de consultation des avocats envers leurs clients
12:02n'est plus protégée.
12:04Elle peut être saisie.
12:06Toutes les correspondances avocat-client
12:08relatives au conseil peuvent être saisies.
12:11Et seules échappent aux saisies
12:13les correspondances strictement limitées
12:16aux besoins de la défense,
12:18c'est-à-dire après l'ouverture d'une procédure.
12:20D'accord. Alors, vous faites valoir que les communications
12:23entre l'avocat et leurs clients ne sont plus confidentielles.
12:27Pourtant, le secret professionnel est reconnu par la loi,
12:31notamment dans les échanges entre l'avocat et les autorités.
12:34Oui. Il y a une contradiction entre ce qui est écrit dans la loi,
12:39dans la loi sur les avocats,
12:42qui dit que toute l'activité de l'avocat est confidentielle,
12:44mais en réalité, la jurisprudence de la Chambre criminelle
12:47de la Cour de cassation, qui est contre l'égame,
12:51a limité le secret professionnel strictement
12:54aux besoins de la défense.
12:56Comment vous expliquez cela ?
12:58Eh bien, je pense qu'il y a un peu une erreur
13:03dans l'application de la loi.
13:04La Chambre criminelle pense que c'est utile
13:08que l'activité de l'avocat de conseil ne soit pas protégée
13:14et que la seule chose qui est importante,
13:16c'est les besoins de la défense.
13:18Mais je pense que c'est une erreur,
13:19parce qu'un avocat doit pouvoir dire à son client,
13:24conseiller son client et lui dire
13:25de ne pas commettre d'infraction.
13:27Ça fait partie du conseil
13:30et ça fait partie du rôle de l'avocat.
13:32Il n'est pas normal qu'un conseil alertant sur un risque
13:36puisse ensuite être saisi
13:38et servir de preuve ou de début de preuve d'une infraction.
13:42Alors, est-ce qu'on peut se satisfaire
13:44que seul le secret professionnel en matière de conseil
13:47soit préservé ?
13:49Alors, je pense que le fait que seul le secret...
13:53En matière de défense, oui.
13:54En matière de défense soit préservé
13:56et n'est pas satisfaisant.
13:59Parce que, admettons que je sois votre avocat,
14:02je vous conseille pendant 30 ans,
14:03je vous donne des conseils tous les jours
14:05pour vous dire ce que vous avez le droit de faire,
14:07de ne pas faire.
14:08S'il y a une perquisition qui commence,
14:10ces 30 années de relations ne seront pas protégées,
14:13pourront être saisies.
14:15Et seules nos correspondances,
14:17à partir de la perquisition, seront protégées.
14:19Donc ça veut dire qu'il n'existe quasiment plus
14:21de secret professionnel, avocat, client.
14:24Et ça m'empêche de vous conseiller,
14:27parce que si je vous conseille,
14:29si je vous envoie des consultations,
14:30elles pourront éventuellement servir de preuve d'une infraction.
14:33Donc on m'empêche même de faire le travail de conformité,
14:36et on m'empêche d'être un auxiliaire de justice.
14:38Vous voyez, c'est totalement absurde.
14:41Alors justement, vous décrivez une situation absurde,
14:44donc que seul le secret professionnel en matière de défense est préservé,
14:48et non pas en matière de conseil.
14:50Donc c'est une situation qui apparaît préoccupante,
14:52mais est-elle légale ?
14:54Alors, à mon avis, elle n'est pas légale,
14:56parce qu'elle est contraire à la Convention européenne des droits de l'homme,
15:01elle est contraire aux droits européens,
15:04elle est contraire à la Charte européenne des droits de la défense,
15:09elle est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne de justice,
15:12elle est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme,
15:15qui ont toujours dit, dans toutes leurs décisions, notamment très récentes,
15:19que toute l'activité de l'avocat, à la fois en défense et en conseil,
15:24était protégée.
15:25Donc on a une jurisprudence en France, une pratique en France,
15:28qui est contraire à l'égame par rapport à la loi française,
15:31et qui est contraire aux droits européens.
15:33Donc je pense que ce n'est pas normal,
15:35nous sommes actuellement en décalage avec la jurisprudence des Cours suprêmes européennes.
15:42Alors comment on peut expliquer ces contradictions entre la jurisprudence française
15:45et la jurisprudence européenne ?
15:47Alors je pense qu'on a voulu en France favoriser l'activité des autorités administratives.
15:57Mais on le fait, je dirais, de façon un peu inutile,
15:59parce que les autorités administratives ont plein de moyens pour exercer leur mission.
16:04L'autorité de la concurrence, par exemple, elle peut faire des enquêtes simples,
16:07des enquêtes lourdes, elle reçoit des demandes de clémence sans arrêt.
16:10Donc on n'a pas besoin d'abolir le secret avocat-client
16:13pour permettre aux autorités administratives de fonctionner.
16:17C'est inutile.
16:18Et ça va à l'encontre de la bonne application du droit et du rôle des avocats.
16:23Alors on a vu le constat, on va se pencher maintenant sur les solutions.
16:27Qu'est-ce qu'on peut faire concrètement pour garantir la confidentialité
16:30des échanges entre l'avocat et son client ?
16:33Alors ce que nous faisons, nous, naturellement, nous faisons des recours
16:35devant le premier président de la Cour d'appel lorsque des correspondances avocat-client ont été saisies.
16:42Nous espérons que ces recours fonctionneront.
16:46Nous avons également posé des questions préjudicielles à la Cour de justice.
16:49Donc nous demandons au premier président ou à la Cour de cassation
16:52de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice
16:55pour qu'enfin le droit soit dit par la Cour de justice de l'Union européenne.
17:00Et sinon, je pense qu'il faut alerter le public
17:03parce que le public croit que les correspondances avocat-client
17:07sont totalement protégées alors que ce n'est pas le cas.
17:10Et donc il faut alerter sur le fait que ce n'est plus le cas
17:13et qu'il faudrait revenir à une vraie protection
17:15des correspondances avocat-client en matière de conseil.
17:19Et c'est ce que nous faisons aujourd'hui par cette émission.
17:21C'est une émission par laquelle nous souhaitons alerter le public
17:25et les autorités sur le fait que la situation actuelle n'est pas normale.
17:29Pourquoi c'est important d'alerter le public ?
17:31Parce que je pense que c'est par la communication et l'alerte du public
17:37que peut-être on déclenchera une réaction des juridictions,
17:41que les juridictions seront amenées à poser la question préjudicelle
17:44à la Cour de justice.
17:46Et il faut le faire savoir.
17:47Plus on le fera savoir, plus on a de chances
17:49de mettre fin à la dérive actuelle.
17:51Pour bien comprendre, quel est l'intérêt de cette confidentialité absolue ?
17:57Je pense que nous sommes un État de droit, nous sommes une démocratie
18:00et l'État a beaucoup de prérogatives
18:03et je pense qu'il faut quand même une protection minimale,
18:08un safe harbor minimal entre le client et son avocat
18:12qui soit protégé par rapport aux prérogatives de l'État.
18:15S'il n'y a plus cette protection minimale,
18:18on n'est plus réellement dans un État de droit et dans une démocratie.
18:21Alors, le législateur s'était saisi de cette question.
18:25Il y a eu plusieurs textes dont l'un a failli aboutir.
18:30Alors, on connaît l'instabilité politique du moment.
18:34Est-ce que vous espérez que l'Assemblée se saisisse de nouveau de cette question ?
18:40Alors, je sais qu'il y a beaucoup d'avocats ou de professeurs de droit
18:42qui militent en faveur d'une intervention législative.
18:46Compte tenu de la crise politique actuelle,
18:48je pense que malheureusement c'est une voie très étroite
18:51et moi je suis plutôt partisan de la voie judiciaire,
18:55c'est-à-dire soit la Cour de cassation, la Chambre criminelle change sa jurisprudence,
18:59soit la Cour de justice est saisie par un premier président
19:03ou par la Chambre criminelle de la Cour de cassation
19:05et la Cour de justice dit le droit.
19:07Je pense que c'est comme ça qu'on peut y arriver.
19:09Et pour terminer, vous êtes optimiste quant à l'issue de ces questions préjudicielles ?
19:13Alors moi je suis naturellement optimiste
19:15et je pense que j'ai beaucoup de confiance dans la justice
19:20et beaucoup de confiance dans la Cour de justice,
19:22donc je pense qu'on va y arriver dans les mois qui viennent.
19:26On va conclure là-dessus.
19:27Merci Joseph Vaugelle, avocat associé, fondateur du cabinet Vaugelle et Vaugelle.
19:32Merci.
19:33Tout de suite, l'émission continue.
19:35On va parler des enquêtes internes RH à l'aune de la dernière jurisprudence.
19:40Quels sont les enjeux ?
19:41Quelles sont leurs limites ?
19:44On poursuit ce Lex Inside.
19:55On va parler des enquêtes internes RH à l'aune de la dernière jurisprudence
19:59avec Claire Letouzet, avocate off-consul chez Simons & Simons.
20:04Claire Letouzet, bonjour.
20:05Bonjour Arnaud.
20:07Alors les enquêtes internes RH sont désormais plus encadrées.
20:11Un arrêt du 18 juin dernier de la Cour de cassation a redéfini leur usage
20:16entre respect des droits des salariés et fiabilité des preuves.
20:20Quels sont les enseignements de cet arrêt ?
20:23Alors cet arrêt est en effet majeur pour deux raisons.
20:27La première, c'est qu'il va redéfinir la valeur probante du rapport d'enquête.
20:32Pourquoi ? Parce que la Cour de cassation a reconnu que c'était au juge du fond,
20:38donc au juge d'appel, de déterminer si le rapport d'enquête est un rapport suffisamment
20:43bien construit qui a suivi les principes de ce fait pour ensuite être utilisé comme
20:49élément de preuve.
20:51Donc de quoi s'agit-il en l'espèce ? On est dans un cas de harcèlement moral et sexuel,
20:57agissement sexiste d'un directeur associé d'une entreprise, une alerte le concernant
21:04est soulevée, une enquête interne est menée par le DRH et le CHSCT qui conduit à des
21:11faits constatés, il est licencié.
21:14Il conteste son licenciement pour faute devant la Cour prud'homme, ensuite appel et cassation
21:21et le rapport d'enquête est considéré comme un élément de preuve parmi d'autres
21:26par les juges et cet élément de preuve n'a pas été jugé suffisamment bien construit,
21:33bien fait.
21:34Pourquoi ?
21:34Pour être retenu.
21:36Alors pourquoi ? Parce qu'il n'a pas suivi les principes que doivent continuer une enquête
21:43qui sont les principes d'exhaustivité, donc de sérieux et d'exhaustivité.
21:48Et en l'espèce, le rapport n'avait communiqué que cinq comptes rendus d'entretien sur
21:5514 interviews.
21:57Le contenu avait été caviardé et l'ensemble n'avait pas paru sérieux au juge.
22:03Donc c'est vraiment au juge de déterminer si l'élément est probant ou pas et si le rapport
22:09a été mal fait, eh bien il est rejeté.
22:12Et le licenciement est invalidé.
22:14Alors ça signifie qu'une mauvaise application des principes que vous venez de rappeler
22:18peut exploser l'employeur à des risques juridiques qui sont importants.
22:22Quels sont ces risques concrètement et comment les anticiper ?
22:26Alors en effet, les risques sont importants puisque si l'employeur se base sur le rapport
22:31d'enquête pour conduire un licenciement et que la preuve est rejetée, le rapport n'est
22:37pas suffisamment probant et le licenciement est invalidé.
22:40Donc le risque majeur pour l'employeur, c'est d'avoir une procédure nulle et voire
22:46une réintégration du salarié.
22:48Et dans un contexte comme ça, c'est compliqué ?
22:50C'est compliqué et c'est coûteux pour l'entreprise qui doit donc payer des dommages
22:55et intérêts importants aux salariés.
22:58Donc c'est majeur pour l'entreprise d'avoir une enquête qui tienne la route, qui respecte
23:04les principes qui sont dégagés maintenant par la jurisprudence et la pratique, qui
23:09sont des principes d'exhaustivité, de transparence, de sérieux et de rappeler un certain nombre
23:15de principes aux personnes entendues pour avoir un rapport complet et exhaustif qui
23:21a été mené par une personne indépendante.
23:24Ça, c'est un point important également.
23:26Alors on va aller un peu plus loin sur ces bonnes pratiques justement pour éviter
23:29ces écueils.
23:30qu'est-ce qu'il faut retenir de cette jurisprudence et quelles sont les bonnes pratiques pour
23:36mener à bien une enquête interne ?
23:38Alors les bonnes pratiques, tout d'abord, c'est de trouver le bon enquêteur.
23:42Il faut un enquêteur qui soit indépendant, ce qui n'était pas le cas du dossier qui a
23:50conduit à cet arrêt.
23:51Un enquêteur indépendant, c'est qui ?
23:54Alors un enquêteur indépendant, ça peut être un avocat enquêteur qui est autorisé
23:59par le barreau pour faire des enquêtes et on en fait beaucoup.
24:03Ça peut être un tiers, mais il est conseillé de ne pas faire mener l'enquête par l'entreprise
24:09quand il y a un conflit d'intérêts.
24:11Par exemple, si dans une équipe RH se trouve un problème de harcèlement, ce n'est pas
24:17le DRH qui peut conduire lui-même l'enquête dans son équipe.
24:22Donc il faut demander à un tiers de faire cette enquête.
24:25Autre bonne pratique ?
24:27Autre bonne pratique, quand on reçoit les salariés pour les entendre dans le cadre
24:32de l'enquête, il faut leur rappeler leur droit.
24:34Et leur droit, c'est le droit de participer ou non à l'enquête, c'est éventuellement
24:38le droit de se taire et si l'enquête est conduite par un avocat, c'est de pouvoir
24:41être aussi assisté par un conseil.
24:43Et le droit aussi de relire son compte-rendu d'enquête et de le signer.
24:49Donc ça veut dire qu'il y a des PV à chaque audition, c'est ça ?
24:52C'est ça, c'est ce que la pratique recommande pour pouvoir avoir justement des moyens de
24:57preuve efficaces quand on devra aller devant le juge.
25:00Des comptes-rendus qui sont donc relus par le témoin, signés et annexés en intégralité
25:07au rapport pour pouvoir concrétiser le contenu de l'accord.
25:12D'accord. Il y a d'autres aspects sur d'autres bonnes pratiques à avoir en tête ?
25:18Alors, l'aspect intéressant qui était aussi relevé dans cet arrêt, c'est l'aspect
25:22de l'anonymisation.
25:24Certains témoins ne souhaitent pas parler, sauf si on leur garantit l'anonymat des propos.
25:30Et c'est ça qui est parfois complexe.
25:31Donc là aussi, il faut rassurer, il faut avoir un processus clair et transparent pour
25:38justifier que rien ne sera transmis, qu'on pourra biffer les éléments confidentiels,
25:46voire demander à un huissier de pouvoir constater que le contenu du compte-rendu est exactement
25:54ce qu'a dit le témoin.
25:55Alors, il y a un dernier aspect intéressant de cet arrêt, c'est le droit d'accès aux
26:00données personnelles des salariés.
26:03Cet arrêt rappelle que, justement, le salarié dispose d'un droit d'accès à ses courriels
26:08professionnels.
26:09Mais est-ce que ce droit connaît des limites ?
26:12Alors, en effet, c'est la deuxième phase de cet arrêt, c'est pour ça qu'on en a beaucoup
26:16parlé, c'est le droit d'accès.
26:19Le salarié a droit à avoir accès à ses données personnelles.
26:22Et ce que l'arrêt reconnaît, c'est que les e-mails professionnels reçus, envoyés
26:28par le salarié sont des données personnelles.
26:31Maintenant, dans cette affaire, le salarié avait demandé l'intégralité de sa boîte
26:35e-mail.
26:35Donc, le salarié avait une grande ancienneté, donc il y avait des centaines de milliers
26:38d'e-mails.
26:39Et là, l'employeur peut restreindre la demande.
26:43Donc, il doit répondre à cette demande, mais il peut restreindre la demande.
26:47Dans quelle proportion ? De quelle manière ?
26:49Alors, la proportion déjà importante, c'est de poser la question du protection des
26:55droits des tiers et du secret des affaires.
26:59Les e-mails qui concernent des secrets des affaires peuvent être sortis de la communication,
27:05voire pour la protection des droits des tiers également.
27:09Donc, cet arrêt vient nous dire que oui, il faut évidemment donner une réponse au droit
27:14d'accès. On ne peut pas la rejeter, mais on peut l'encadrer, la réduire, demander
27:20aux salariés qu'ils restreignent sa demande pour être en lien avec les principes du RGPD.
27:27Et ça, c'est assez novateur ? Ou ça, je dirais, confirme la jurisprudence intérieure
27:32sur ce point-là ?
27:33Alors, ce qui est novateur dans cet arrêt, c'est que la société a été condamnée à des
27:37dommages et intérêts.
27:38D'accord.
27:39Parce qu'elle n'a pas répondu aux droits d'accès. Donc, ce qui est novateur, c'est
27:42que oui, ça y est, la jurisprudence se prononce sur l'obligation de transmettre les données
27:48personnelles, ça on le savait, que un e-mail est une donnée personnelle et après qu'il
27:53faut répondre à la demande. Et ensuite, la pratique, justement, les praticiens vont
27:56vous aider à répondre, à restreindre la demande pour pas qu'elle soit excessive
28:01et irraisonnée.
28:03Dans la pratique, c'est les RH qui vont fournir les e-mails. Comment ça se passe ? Il faut une
28:07demande formelle du salarié et après, les RH doivent répondre dans un délai qui
28:11est encadré aussi ?
28:12Oui. Alors, il faut une demande très formelle de la part du salarié, qui ensuite est traitée
28:16par les RH, qui vont travailler avec leur département IT pour réduire les données.
28:23C'est un énorme travail parce qu'il faut vérifier que dans chaque e-mail, il n'y a pas
28:28des données de secret d'affaires ou de droits des tiers.
28:31Droits des tiers, exactement. Donc, un énorme travail pour lequel, là aussi, l'aide
28:36d'un conseil pour restreindre la demande est utile pour justifier d'avoir répondu
28:42aux droits d'accès, mais sans mettre l'entreprise en difficulté.
28:47On va conclure là-dessus. Merci Claire Le Touzet. Je rappelle que vous êtes avocate
28:51off-console chez Simons & Simons.
28:53Merci à vous.
28:54Merci de nous avoir suivis. C'est la fin de cette émission.
28:58Restez curieux et informés sur Be Smart for Change.
29:01Sous-titrage Société Radio-Canada
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