00:00Et ce matin, nous prenons la direction du Salvador.
00:02L'État d'Amérique centrale vient de réformer sa constitution,
00:05permet ainsi au président Bukele de se représenter indéfiniment.
00:09Bonjour Gaspard Estrada.
00:10Bonjour.
00:10Merci d'être sur notre plateau.
00:12Politologue, membre de l'unité du Sud Global à la London School of Economics.
00:15Avec moi pour vous interroger, Caroline Loyer.
00:17Bonjour Caroline.
00:17Bonjour Erwann.
00:18Le président Bukele au pouvoir depuis 2019.
00:20On remet un petit peu de contexte avec vous pour commencer.
00:23Qui tire sa popularité de la guerre sans merci,
00:25qu'il mène contre les maras,
00:27ces gangs ultra-violents qui terrorisent la population.
00:30D'abord, Gaspard Estrada, c'est vraiment ce qui a fait sa notoriété là récemment.
00:34Oui, je pense que ce qu'il caractérise, c'est d'abord sa jeunesse,
00:40puisqu'il a été élu président à 37 ans,
00:43par rapport à une classe politique qui, elle, était plutôt dans le passé,
00:47et notamment les vestiges de la guerre civile qui a eu lieu au Salvador.
00:52Son usage aussi, deuxièmement, des réseaux sociaux.
00:55C'est quelqu'un qui est extrêmement actif sur les réseaux,
01:00mais qui, parallèlement, a aussi des méthodes très vieilles en Amérique latine.
01:05Et je pense que cette réforme qui vise à lui permettre d'être réélu indéfiniment
01:10fait partie, en fait, de ce genre de vieilles méthodes.
01:13Il a des soutiens quand même à l'international,
01:15et notamment Donald Trump, qui a salué le fait qu'il ait réussi à faire sortir le Salvador
01:20des pays les plus dangereux au monde.
01:22C'est quand même un allié de taille.
01:23Sans aucun doute.
01:26Il est clair qu'aujourd'hui, le président du Salvador a, à Washington, un véritable allié,
01:33même s'il ne faut pas oublier qu'il a, à plusieurs reprises,
01:37cherché à se rapprocher de la Chine,
01:38notamment lorsque les démocrates étaient à la Maison-Blanche.
01:43Donc, de ce point de vue-là, il est aussi très flexible dans ses alliances.
01:47Et voilà, donc, le président Bukele a la possibilité de rester à la tête de l'État,
01:52s'il est réélu, ad vitam aeternam, grâce à une modification express de la Constitution.
01:58Vous diriez qu'il profite, là, de sa popularité pour porter un coup à la démocratie ?
02:02Oui, et de toute façon, je pense que c'est un processus qui vient de loin,
02:07dans le sens où, déjà en 2021, il était intervenu à l'Assemblée du Salvador,
02:15il était accompagné de soldats pour intimider les parlementaires
02:20et pour obtenir le fait que le Parlement change les règles
02:27et surtout que la Cour suprême, les membres de la Cour suprême,
02:31soient limogés, ce qu'il avait obtenu à l'époque.
02:3557 députés pro-Bukele ont voté en faveur de cette réforme.
02:40Les trois seuls élus d'opposition ont voté contre.
02:43Trois contre sept, on est dans un système à partie unique, aujourd'hui, on peut le dire ?
02:48De fait, oui. Certes, il y a un multipartisme lors des élections,
02:53puisqu'il y a plusieurs candidats de plusieurs partis,
02:55mais de fait, il y a une formation, le parti du président Bukele,
03:00Nuevas Ideas, et de ce point de vue-là, on est clairement dans un régime
03:06qui est de plus en plus autoritaire.
03:08Et donc, de fait, on pourrait s'attendre à ce qu'ils se maintiennent au pouvoir,
03:12puisqu'il n'y a pas vraiment d'opposition.
03:13Il aimerait aussi coupler les élections législatives, régionales,
03:17avec le mandat présidentiel,
03:19ce qui lui assurerait une majorité constante, finalement.
03:22Oui, oui, je pense qu'il y a un projet autoritaire
03:27qui est très clairement mis en place.
03:29Je tiens à souligner que ce n'est pas un phénomène nouveau.
03:32Bukele a d'ores et déjà violé la constitution salvadorienne,
03:37d'ores et déjà pour pouvoir être réélu,
03:39ce qui était interdit par la constitution.
03:41Et donc, de ce point de vue-là, on est dans une succession d'événements
03:45et ce n'est pas un phénomène nouveau pour nous.
03:47Mais visiblement, Gaspar Estrada, en dehors de l'opposition,
03:50qui est aujourd'hui quand même très minoritaire,
03:53on voit aussi qu'il a été réélu très favorablement aux dernières élections,
03:57ça n'empêche pas la population de le soutenir ?
04:04C'est un fait, il faut le reconnaître.
04:07Les scrutins ont donné une vraie avance et des scores,
04:12je dirais, quasi staliniens.
04:14Les dernières élections, 85%.
04:16Donc, c'est quand même des chiffres qui sont très parlants.
04:20Et cela part du constat qu'avant Bukele,
04:25le Salvador vivait une vraie crise de sécurité.
04:29Il y a eu une politique qui a été mise en œuvre par le président salvadorien
04:34pour réduire ces violences.
04:38Certains critiquent, notamment dans les milieux des ONG
04:42et de la presse indépendante, si elle existe encore,
04:45au Salvador, que le président Bukele aurait noué des pactes
04:50avec les dirigeants des gangs,
04:53justement pour obtenir cette diminution de la violence.
04:56Il est clair qu'aujourd'hui, c'est ça qui donne véritablement
05:03du pouvoir au président salvadorien.
05:06Qui parlerait la même langue que les gangs, finalement,
05:09dans ces négociations.
05:10Est-ce que c'est-à-dire que le Salvador est en train
05:15de prendre la même voie que le Venezuela ?
05:17De fait, oui.
05:18C'est un régime qui se situe beaucoup plus à droite,
05:22avec des politiques qui sont très différentes du voisin vénézuélien,
05:32d'autant plus parce qu'il n'y a pas de pétrole,
05:34comme dans le cas du Venezuela.
05:36Néanmoins, il est clair qu'il s'agit d'un régime très clairement autoritaire.
05:40Justement, un mot supplémentaire sur cette lutte contre les gangs.
05:43Les résultats sont spectaculaires, effectivement.
05:45Du coup, soutient la population,
05:46qui est quand même plutôt satisfaite d'être peut-être plus en sécurité.
05:49mais des dizaines de milliers d'arrestations arbitraires,
05:54de disparitions forcées.
05:55C'est ce que dénoncent les ONG.
05:57Absolument.
05:57Lui, il ne le reconnaît pas.
05:58Ou il dit que c'est un mal nécessaire, finalement.
06:02Absolument.
06:03Et d'autant plus qu'il y a aussi d'autres critiques des milieux des ONG
06:07quant à la fiabilité des données qui sont produites par le gouvernement.
06:13Et donc, de ce point de vue-là,
06:14on peut s'attendre aussi à ce que, du point de vue des données,
06:18la réalité qui est présentée par les autorités
06:22soit en fait beaucoup plus maquillée et beaucoup plus nuancée
06:25que ces chiffres triomphalistes,
06:27même s'il existe véritablement une perception d'amélioration
06:31des conditions de sécurité,
06:33ce qui explique en partie ces résultats électoraux.
06:36Gaspard Estrada, politologue,
06:38membre de l'Unité du Sud Global à la London School of Economics.
06:40Merci beaucoup pour votre analyse avec nous ce matin sur BFM Business.
06:44Merci beaucoup.
06:44Merci beaucoup.
06:44Merci beaucoup.
06:44Merci beaucoup.