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Ce mardi 29 juillet, Charles-Henri Colombier, directeur du pôle Conjoncture et Perspectives de Rexecode, était l'invité dans Le monde qui bouge - L'Interview, de l'émission Good Morning Business, présentée par Erwan Morice. Ils sont revenus sur l'accord commercial conclu entre Bruxelles et Washington qui prévoit des droits de douane de 15% sur les exportations européennes vers les États-Unis, ainsi que les zones d'ombre qui persistent. Retrouvez l'émission du lundi au vendredi et réécoutez la en podcast.

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Transcription
00:00L'Union Européenne qui se réveille groggy ce matin.
00:03État et entreprises européennes encaissent cet accord conclu il y a 24 heures maintenant
00:07entre Bruxelles et Washington.
00:09Un accord jugé par beaucoup comme étant gagnant-perdant
00:11et qui contient quelques angles morts, c'est le moins qu'on puisse dire.
00:14Bonjour Charles-Henri Colombier, merci beaucoup d'être avec nous en direct ce matin,
00:17directeur du pôle conjoncture et perspective à Rexécode.
00:21D'abord le constat, c'est un accord déséquilibré, vous êtes d'accord avec ça ?
00:27Bonjour, merci pour votre invitation.
00:30C'est difficile de dire le contraire, il y a d'ailleurs dans cet accord
00:35finalement assez peu de choses qui vont dans le sens des intérêts européens.
00:38Si on égrène la liste des éléments qui sont inclus,
00:42à savoir un abaissement des tarifs d'année, des engagements d'achat de produits énergétiques,
00:49des engagements d'investissement aux États-Unis,
00:51c'est finalement une longue liste d'engagements européens
00:54plutôt que d'engagement américain, qui ressemble dans une certaine mesure
00:58à une forme de capitulation.
01:01Alors, pour être un peu contrarien par rapport au discours qui se développe,
01:06qui est très critique vis-à-vis de la Commission européenne,
01:09il y a peut-être néanmoins trois aspects à sauver.
01:12D'abord, c'est un accord qui limite les incertitudes, du moins à court terme,
01:17des incertitudes qui devenaient véritablement pesantes pour les entreprises européennes.
01:21Deuxièmement, on a peut-être néanmoins limité la hausse des tarifs douaniers américains
01:29en consentant une baisse des tarifs à l'import sur le marché européen.
01:34Et ça, du point de vue macroéconomique, c'est relativement intelligent,
01:38c'est moins dommageable de baisser nos tarifs à l'import en Europe
01:41plutôt que de subir une augmentation des tarifs américains, probablement.
01:45Et puis enfin, et ça c'est quelque chose que seuls les négociateurs maîtrisent,
01:50il y a peut-être eu dans la balance un engagement américain vis-à-vis de l'Ukraine.
01:56Et ce n'est peut-être pas totalement un hasard
01:58si dans la foulée de l'accord qui a été annoncé avec Mme von der Leyen,
02:03Donald Trump s'est montré relativement incisif sur la Russie.
02:07Ça, ce sont des éléments qu'on ne maîtrise pas tout à fait.
02:10Vous avez raison, on ne sait peut-être pas tout, effectivement, Charles-Henri Colombier,
02:14on n'a pas tous les éléments.
02:16On voit bien qu'il y a des angles morts d'ailleurs dans ces accords, on va y revenir.
02:20Vous parliez des engagements pris par l'Union européenne,
02:23on se demande quand même comment on va pouvoir les tenir,
02:25que ce soit sur le GNL, il va falloir acheter énormément aux Américains,
02:29en tout cas c'est ce qui ressort de ces annonces,
02:32que ce soit sur les achats aussi dans la défense.
02:35Il y a beaucoup de choses, beaucoup d'éléments où on se demande
02:37si ça va vraiment pouvoir se réaliser.
02:40Oui, alors il y a sans doute effectivement beaucoup d'effets d'annonce,
02:43avec, si on regarde le verre à moitié plein,
02:48l'idée que sans doute le coût économique sera moindre
02:51que ce qui a pu être proclamé par Donald Trump.
02:55Je prends deux exemples.
02:56Les montants d'investissement direct aux États-Unis qui ont été évoqués,
03:00à savoir 600 milliards de dollars sur trois ans, grosso modo,
03:04ça représenterait un doublement annuel des IDE européens aux États-Unis.
03:08Est-ce que c'est vraisemblable ?
03:10Sans doute pas tout à fait.
03:12De même, les achats d'hydrocarbures américains,
03:17les 250 milliards de dollars annuels qui sont en filigrane
03:22dans les 750 milliards de dollars d'ici 2028,
03:26c'est l'ensemble des achats européens d'hydrocarbures
03:29qui devraient provenir des États-Unis,
03:31au moment même où le secteur du schiste américain
03:34n'est pas du tout en train d'investir pour augmenter sa production.
03:36Donc on peut se rassurer effectivement en se disant
03:39qu'il y a des effets d'annonce et le coût économique sera moindre.
03:43Néanmoins, le verre à moitié vide tout de même,
03:46c'est qu'à tout moment dans le futur,
03:47Donald Trump aura beau jeu de nous reprocher
03:49de ne pas avoir tenu nos engagements
03:50et de mettre de nouveau la pression sur l'Union européenne.
03:55Et ça, c'est un risque tout à fait réel
03:57si on connaît un peu la personnalité
03:58et les techniques de négociation de Donald Trump.
04:01On a beaucoup entendu, à travers tous les pays de l'Union européenne,
04:05de nombreux chefs d'État,
04:07dire que Ursula von der Leyen s'était faite manger par Donald Trump.
04:13Comment est-ce que la présidente de la Commission européenne
04:16aurait pu mieux négocier, aurait pu faire mieux ?
04:20C'est facile de donner des leçons de négociation de puissance canapé,
04:23mais néanmoins, peut-être quelques pistes.
04:26D'abord, je crois que pour reprendre un terme
04:29qui a été remis à la mode par Emmanuel Macron,
04:33l'Union européenne a un peu eu une stratégie
04:35de négociation d'herbivore.
04:37D'herbivore parce que la crédibilité de représailles européennes
04:43est toujours apparue un peu distante ou limitée.
04:47On s'est abstenu de répliquer directement
04:49au moment de l'annonce des tarifs du Liberation Day.
04:51Les véhicules européens ont subi une surtaxe de 25 %,
04:56l'acier européen de 50 %
04:58sans qu'on prenne de mesures de rétorsion immédiate.
05:01L'instrument anti-coercition de l'Union européenne
05:05est toujours apparu comme une perspective un peu distante
05:08plutôt que comme un coup près qui pouvait tomber à tout moment.
05:12Ça, ce sont des éléments qui auraient pu être gérés différemment.
05:18Et puis enfin, il y a quand même eu un gros absent dans la négociation
05:22et même d'ailleurs dans l'exposé de son résultat
05:25par Ursula von der Leyen, c'est la question des services.
05:28Services sur lesquels les États-Unis ont un excédent
05:30qui est peut-être moindre que l'excédent européen
05:32en matière d'échange de biens,
05:34mais qui est quand même très conséquent par rapport à l'Union européenne.
05:37Services de la tech, services financiers,
05:40qui n'ont jamais véritablement fait l'objet d'une menace concrète
05:43ou de mesures concrètes de la part de l'Union européenne.
05:46Et puis enfin, dernier point qui aurait pu être utilisé,
05:50même si c'est une arme nucléaire en quelque sorte,
05:53c'est la question des flux financiers.
05:55Puisque la détention européenne de titre du Trésor américain
05:59a augmenté de près de 1 000 milliards de dollars
06:02en l'espace de quelques années,
06:04dans un contexte où les finances publiques américaines
06:06posent de plus en plus questions
06:08et où certains États, Chine, mais aussi Japon,
06:12tentent à se désengager de la dette publique américaine.
06:15Sur les échanges, sur les services,
06:20je reconnais, Charles-Henri Colombier,
06:23que personne ne comprend pourquoi le sujet n'a pas été mis sur la table,
06:27alors que c'était peut-être l'un des principaux leviers d'action
06:30pour l'Union européenne face aux États-Unis,
06:33qui nous fournissent énormément de services.
06:36Comment est-ce que vous pouvez l'expliquer ?
06:38Je dirais que c'est même pire que ça,
06:41puisque si on lit le communiqué qui a été publié par la Maison-Blanche,
06:45il évoque un engagement européen de s'abstenir de s'en prendre
06:49aux services américains et notamment à la dette américaine,
06:53par exemple en instaurant une quelconque taxe sur les réseaux.
06:55Donc, ce n'est pas simplement un angle mort,
06:57c'est même un engagement de sanctuariser ces services.
07:01Je dirais que ça correspond aussi à une forme d'indulgence européenne
07:06qui court depuis quelques années vis-à-vis d'une position
07:10qui apparaît assez dominante quand même des acteurs américains
07:13sur le marché européen.
07:15Les règles antitrust sont parfois extrêmement dures
07:17en matière d'opérations de fusion-acquisition
07:19pour des acteurs économiques classiques.
07:20On ne peut pas dire qu'elles sont extrêmement mordantes
07:23pour les acteurs de la tech
07:24qui ont parfois des positions quasi monopolistiques.
07:28Je pense qu'il faut notamment y voir
07:29la question du manque de souveraineté technologique de l'Union européenne.
07:34Souvent, l'angle ou le prisme par lequel
07:39cette question de la tech est abordée
07:41est le risque opérationnel.
07:43L'idée que si les entreprises européennes
07:47étaient soudainement coupées des opérateurs de cloud américains,
07:50ne pourraient pour un bon nombre d'antelles
07:53tout simplement plus fonctionner.
07:54Ça traduit de fait une perte de souveraineté technologique.
07:58Pour conclure, Charles-Henri Colombier,
07:59ça veut dire quoi ?
08:00Que le président américain a fait un braquage
08:02en faisant rentrer très prochainement,
08:05dans quelques jours,
08:07des milliards dans les caisses de l'État
08:09grâce à ses droits transatlantiques ?
08:12Oui, d'un point de vue budgétaire,
08:15je pense qu'on peut considérer
08:16que l'administration de Trump
08:18pourra prélever à peu près un point de PIB
08:20de recettes douanières,
08:22pas simplement sur l'Union européenne,
08:24mais globalement,
08:25ce dont elle a bien besoin,
08:26étant donné la situation des finances publiques américaines.
08:29Ça ne suffira pas à stabiliser
08:30le taux d'endettement public américain,
08:32mais les recettes d'un point de PIB,
08:34on prend,
08:34et je pense que dans le cas de la France,
08:36c'est quelque chose que,
08:37on voit bien la difficulté
08:38de réaliser un tel ajustement budgétaire.
08:43Mais plus globalement,
08:44c'est une victoire tactique et stratégique de Donald Trump.
08:46stratégique parce qu'il a réussi
08:48à imposer des tarifs douaniers unilatéraux,
08:52pas du tout réciproques,
08:53mais unilatéraux à l'ensemble du monde
08:55sans mesure de rétorsion véritable,
08:57et tactique parce que,
08:59eh bien,
08:59son approche de la négociation,
09:01en ayant une forme d'épouvantail,
09:03avec une menace de tarifs extrêmement brutaux,
09:05une menace qui me restait assez crédible,
09:07cette fameuse madman theory
09:09qui a été mise en œuvre,
09:10et puis en même temps,
09:12jouer sur les divisions des autres pays
09:14en appliquant des niveaux de tarifs différents
09:17qui font qu'on en vient presque
09:19à se satisfaire d'avoir des tarifs inférieurs
09:21à ceux de pays comme la Chine,
09:23eh bien ça,
09:23c'est une victoire tactique et stratégique
09:25assez impressionnante.
09:27Merci pour votre analyse avec nous ce matin,
09:29Charles-Henri Colombier,
09:30directeur du pôle Conjoncture Perspective
09:32à Rexécode.
09:33Merci d'avoir été avec nous.
09:34Merci d'avoir regardé cette vidéo !

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