Intervenante : Frédérique Schillo, historienne
Journaliste : Jean-Philippe Moinet
Journaliste : Jean-Philippe Moinet
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00:00Question israélo-palestinienne, clé de compréhension, un programme d'information pour mieux connaître et comprendre la situation au Proche-Orient.
00:22Bienvenue à Clé de Compréhension, ce module d'entretien d'excellence et de référence sur les questions israélo-palestiniennes.
00:31Aujourd'hui, nous allons évoquer les relations qui ont pu être contrastées entre la France et Israël, et la France et les territoires palestiniens.
00:41Nous avons le plaisir d'avoir une et la spécialiste de cette question en la personne de l'historienne Frédérique Chilot. Bonjour.
00:50Bonjour.
00:50Merci d'être avec nous. Vous êtes chercheuse, historienne, chercheuse au Centre français de Jérusalem, qui est rattachée au CNRS.
01:01Merci de nous éclairer sur ces relations France-Israël et France-territoire palestinien, qui ont eu des périodes très différentes,
01:09avec aussi du côté français des présidents très différents dans leurs relations avec Israël en particulier.
01:15Mais dès le début de la création de l'État d'Israël, en 1948, quelle était la position de la France ? On a dit qu'il y avait eu une hésitation en 1947,
01:27quant à la position française sur la résolution des Nations Unies pour la création d'État d'Israël.
01:34Déjà, c'est vrai que les relations France-Israël sont très contrastées.
01:38Elles ont à chaque fois une charge émotionnelle, quelque chose qui fait que ces retournements, ces hésitations, ces crises aussi,
01:48très fortes, ont toujours une charge passionnelle. C'est une affaire à chaque fois passionnelle.
01:52Je pense que ça relève aussi beaucoup de malentendus.
01:55Et une clé de compréhension de cela, c'est le malentendu concernant la position française, qui n'est pas unique, qui n'est pas monocolore.
02:05En fait, quelle est la France ? La France, la position de la France, est due au fait à une identité que je trouve, que je vois comme étant triple.
02:14Il y a en fait trois Frances.
02:15La France, au début de la période, je l'ai identifiée ainsi, c'est la France humaniste et résistante.
02:21C'est-à-dire la France qui va soutenir la création d'un État juif pour des valeurs humanistes.
02:28C'est la France des droits de l'homme, la France de la première émancipation des juifs,
02:32qui forme d'ailleurs la plus grande communauté d'Europe jusqu'à aujourd'hui.
02:37C'est aussi une France qui se sent coupable.
02:41La culpabilité de Vichy, les humiliations aussi de la défaite.
02:44Mais c'est aussi la France de la résistance.
02:47Et ça, ça imbibe absolument tous les réseaux pro-sionistes, pro-israéliens.
02:53On le retrouvera dans les années 50, à Suez par exemple.
02:56C'est vraiment les réseaux de la résistance.
02:57Qui ont influé après la Deuxième Guerre mondiale.
03:00Une espèce de fraternité d'armes aussi, avec ces combattants juifs qui se battent pour leur liberté et leur indépendance.
03:06Il y a une deuxième France, au début de cette période, que j'appelle la France puissance méditerranéenne.
03:11En fait, la France, c'est l'Empire, l'Union française, qui est forte quand même de 25 millions de musulmans.
03:18Avec des intérêts économiques, politiques, culturels très importants.
03:23Au Maghreb, où la France évidemment est présente à ce moment-là.
03:26Mais aussi au Machrec, au Levant, dont la France s'est retirée, la Syrie, le Liban.
03:33Le Liban très présent jusqu'à nos jours.
03:35Et qui fait que la France a des intérêts essentiels.
03:39Géopolitiques, on dit aujourd'hui.
03:40Et qui prime, quelquefois, sur d'autres.
03:42Et puis, il y a une troisième France.
03:44Et on la voit souvent, d'ailleurs on l'a vu encore dernièrement.
03:48C'est celle que j'appelle la France villinée de l'Église.
03:50Alors bien sûr, c'est la formule.
03:53Vous savez, la laïcité n'est pas un produit d'exportation.
03:57Formule qu'on attribue à Gameta.
03:59Et c'est évidemment vrai, surtout en Terre Sainte et à Jérusalem.
04:04Le représentant français à Jérusalem est un consul très chrétien.
04:09Qui, au moment de son investiture, se rend au Saint-Sépulcre.
04:12En habit d'apparat.
04:13Il est doté de pouvoirs liturgiques.
04:15Depuis 1926, la France est la représentante, par tradition, des minorités chrétiennes.
04:23Représentante des intérêts aussi des chrétiens romains en Terre Sainte.
04:29Et à ce moment-là, pendant cette période, la France, c'est un réseau d'environ 70 œuvres religieuses, hospitalières, scolaires.
04:37Et qui est son unique intérêt politique dans la région.
04:42Parce que la Palestine mandataire échappe totalement à l'influence française.
04:46Elle est sous influence britannique.
04:48Alors il faut jouer avec ces trois Frances-là.
04:51Ces trois Frances-là.
04:51Jusqu'à nos jours.
04:52Néanmoins, sans vous contredire, parce que c'est très éclairant d'avoir cette pluralité de courants, sinon de pensées, en tout cas de sensibilité.
05:01Et la République syncrétise différentes choses pour avoir des institutions.
05:06Et notamment, sous la Quatrième République, quand l'État d'Israël est créé, quelle fut la position française officielle, on va dire, avant et pendant la création de l'État d'Israël ?
05:15La France, déjà, c'est très important, la France et la voix de la France portent à chaque fois, à chaque étape de la création de l'État d'Israël.
05:22Le plan de partage, 29 novembre 1947, les Français ont demandé à ce que le vote soit différé.
05:30Il aurait dû venir 24 heures plus tôt.
05:34La France, en vertu de sa position à la fois France humaniste, résistante, mais aussi à la tête d'un empire avec des intérêts musulmans,
05:46demande à ce qu'il y ait une conciliation et qu'un compromis soit trouvé.
05:51Les Arabes ne trouvent pas de compromis.
05:53Finalement, il y a le vote qui a lieu le lendemain, le 29 novembre.
05:56Le vote, rappelons-le, aux Nations Unies.
05:58Et la France cherche à trouver une solution de compromis.
06:04De fait, de ces trois dimensions, cela nous engage et cela nous oblige à un compromis.
06:11Mais souvent, ce compromis se dilue sous une position de neutralité.
06:16Et jusqu'au dernier moment, la France s'abstient.
06:18Et elle entraîne avec elle un grand nombre de nations qui s'abstiennent et qui pourraient faire échouer le vote du plan de partage.
06:26Et au dernier moment, sous pression américaine, la France décide de voter pour.
06:31Et c'est absolument incroyable si on regarde les images à l'Assemblée générale de l'ONU.
06:35Et on arrive au vote de la France.
06:37Et là, c'est un tonnerre d'applaudissements.
06:39Le président de séance, chose rare, est obligé d'arrêter le vote.
06:44Parce que l'on sait, à partir du moment où la France vote en faveur du plan de partage, que les choses sont faites.
06:50Et elle entraîne avec elle.
06:51Elle entraîne la décision, finalement, après des hésitations.
06:54Et tous les abstentionnistes, finalement, décident aussi de voter pour.
06:57Néanmoins, 14 mai 1948, la France ne reconnaît pas Israël.
07:0515 mai 1948, la France, qui préside le Conseil de sécurité, ne condamne pas l'invasion des cinq armées arabes qui veulent tuer l'État juif dans l'œuf.
07:15Et les Français vont décider, alors, de différer la reconnaissance.
07:24Alors, c'est intéressant parce qu'il y a eu, entre-temps, énormément de choses dans les relations France-Israël.
07:30Oui, on va les évoquer.
07:31Et qui ont porté, par exemple, l'affaire de l'Exodus.
07:33Or, il se trouve qu'à ce moment-là, au Conseil des ministres,
07:38certains ministres demandent à différer la reconnaissance française.
07:42De Preux, qui est pourtant le ministre de l'Exodus, qu'on appelait le ministre de l'Exodus.
07:47Et Mayer, qui est lui aussi un grand impressionniste.
07:50Et pourquoi le font-ils ? Pourquoi demande-t-il à différer la reconnaissance ?
07:54Un, parce qu'il craigne des répercussions dans le monde arabe,
07:58donc c'est la puissance méditerranéenne qui joue.
08:00Et deux, parce qu'il souhaite une protection des dieux saints.
08:03Donc, vous voyez, même ces intérêts de la filinée de l'Église,
08:05ils sont incarnés par des Français qui peuvent être aussi très impressionnistes.
08:11Et la France va attendre ainsi, et finalement être l'une des dernières à reconnaître Israël,
08:1724 janvier 1949.
08:19Alors, pourquoi cette date ?
08:21D'abord, la reconnaissance française était entendue.
08:25Les parlementaires savent peut-être que dans les archives,
08:28on voit qu'il y a eu un appel de l'Assemblée nationale,
08:31un appel fraternel, un salut fraternel au nouvel État.
08:34Mais en réalité, elle est donc attendue pendant très longtemps.
08:39Et pourquoi elle survient en janvier 1949 ?
08:42Parce que c'était l'objet de tractations.
08:45C'était, la France a essayé de négocier, alors la protection des dieux saints,
08:50la France a essayé de négocier aussi un retrait israélien du Sud-Liban.
08:54Oui.
08:55Déjà.
08:56Déjà.
08:56Donc il y avait déjà des intérêts divergents, en fait,
09:00qui ont retardé la reconnaissance.
09:02Exactement.
09:02Et qui expliquent aussi, peut-être, qu'un regard israélien sur la France
09:06n'était pas le plus positif dès le départ.
09:09Mais non, alors au contraire.
09:10Ah, vous expliquez-nous.
09:11Parce qu'il y a un grand malentendu.
09:13La France vote, donc, la reconnaissance de facto d'Israël le 24 janvier.
09:18Et pourquoi le fait-elle ce jour-là ?
09:20Parce que c'est la veille des élections de la Constituante à la Knesset.
09:23Et c'est pour appuyer Ben Gurion et les travaillistes.
09:28D'accord.
09:29Contre les communistes.
09:32Donc c'est un, en fait, la France, à ce moment-là,
09:35se range, elle, dans le camp occidental, avec les Américains.
09:39D'accord.
09:39Tardivement, mais nettement, ça vous veut dire.
09:42Tardivement, mais nettement.
09:44Et les Israéliens saluent cette reconnaissance comme un grand geste d'amitié.
09:49Et on a les archives, dans les archives diplomatiques,
09:53la dépêche de Ventier, qui est le représentant à Tel Aviv,
09:57très portionniste, qui voit Israël comme un nouveau temple,
10:02érigé par Ben Gurion, et qui dit, à ce moment-là,
10:06mais nous n'allons tout de même pas faire redescendre
10:09l'image et l'impression des Israéliens, du cœur à la raison.
10:14Parce qu'en fait, oui, les Israéliens veulent y voir quelque chose de très sentimental,
10:19alors qu'en fait, on est dans la réelle politique.
10:21Réelle politique, comme souvent, voire toujours.
10:24Je crois, comme toujours.
10:26Et on ne va pas évoquer tous les épisodes qui vont suivre la création de l'État d'Israël,
10:29mais on a vu des périodes de chaud et des périodes de froid.
10:32Deux ou trois exemples.
10:34Pour la période plutôt de proximité avec Israël et la France,
10:40parlons de l'opération du canal de Suez, donc 1956,
10:43où l'engagement militaire français fait qu'il y a une proximité de fait avec les Israéliens.
10:49Ça a été vécu comme tel des deux côtés des deux pays,
10:54où c'était plus nuancé que cela,
10:57et est-ce que ça a ouvert une période positive ?
11:00C'est une très grande amitié, c'est vraiment, on parle d'un âge d'or, c'est vrai.
11:05Ça n'ouvre pas vraiment une période positive,
11:08ça la clôt un petit peu même du point de vue des relations militaires et diplomatiques.
11:13En fait, depuis 1954 environ, la France s'est rapprochée d'Israël.
11:20Elle le fait pour trois raisons.
11:21L'Algérie, l'Algérie, l'Algérie.
11:23Israël combat Nasser,
11:25et que la France voit comme un soutien du nationalisme algérien.
11:31Oui, l'Algérie, donc le président égyptien, proche de l'URSS.
11:35Voilà, et la France décide de soutenir Israël,
11:38et en fait de s'en servir comme d'un prétexte pour atteindre l'Égypte.
11:44Et 1956, c'est ce qu'on appelle une collision parce qu'elle est faite sous le règne du secret.
11:51Les Français utilisent Israël comme un prétexte pour attaquer l'Égypte,
11:55et ensuite les Français et les Britanniques interviennent pour rétablir le calme.
12:01En fait, c'est une façon de revenir dans la région.
12:05C'est une très, très grande victoire militaire,
12:09et c'est un succès militaire incroyable,
12:12avec des épisodes...
12:15Épiques.
12:15Épiques, de collaboration entre les Français et les Israéliens,
12:20les Français et Israël,
12:22même dans le secret total,
12:26et les Britanniques ne sont même pas au courant.
12:28Il y a des épisodes rocambolesques,
12:30parce qu'on voit les avions français qui arrivent en Israël,
12:36on met tout de suite la cocarde,
12:38soit une étoile de David,
12:41soit la cocarde française quand ça repart.
12:43Il y a une vraie collusion et un vrai succès,
12:46mais c'est un échec politique terrible.
12:50Ça provoque une crise transatlantique,
12:54comme on en a rarement connu,
12:55et c'est un échec aussi terrible pour la diplomatie française.
13:02À ce moment-là, la France perd tous ses alliés arabes,
13:07sauf le Liban.
13:09Et pourquoi ça n'ouvre pas des relations si étroites que cela ?
13:16Parce qu'on pourrait croire qu'à partir de Suez,
13:19il y a une alliance incroyable entre la France et Israël.
13:22Or, c'est à ce moment-là que Ben-Gurion ne veut pas
13:26de traité d'amitié, de traité d'alliance avec la France,
13:30et que les Français n'en veulent pas non plus.
13:32Pourquoi ? Parce que, depuis toujours,
13:34Ben-Gurion ne regarde qu'une chose, c'est Washington.
13:37Ça faisait rombrage à l'amitié qui devait être privilégiée.
13:41Oui, et la France, finalement, c'était une relation exceptionnelle,
13:45un âge d'or, mais c'est une alliance par défaut.
13:48Et c'était fondamentalement ce que j'appelle une alliance de combat,
13:51c'est-à-dire tournée vers un objectif, la guerre,
13:55sous le sceau du secret, avec une diplomatie du secret,
13:58En prévention du nationalisme arabe.
14:00En contournant le Quai d'Orsay, en contournant les diplomates,
14:03en France et en Israël aussi.
14:06Et ensuite, c'est une relation qui est beaucoup trop nouée aussi entre les deux,
14:13ce qui fait que les Israéliens aussi veulent s'en détacher,
14:16et se détacher de cette relation trop exclusive,
14:19et trouver l'allié américain.
14:21Alors, après, il y avait des exemples beaucoup plus froids
14:24que l'épisode Suez, à savoir 1967, à la guerre des Six Jours,
14:30et après, le général de Gaulle, fameux épisode,
14:33où il évoque cette volonté de boycotter Israël,
14:38et cette fameuse déclaration du peuple sûr de lui et dominateur,
14:42qui a rendu fou beaucoup de monde.
14:44D'ailleurs, ça a produit une accusation durable d'antisémitisme du général de Gaulle sur ce sujet,
14:52cette déclaration,
14:53et qui a créé évidemment une rupture entre les deux pays.
14:58Oui.
15:00Le fait est que, alors, c'est une rupture extraordinaire,
15:04comme on en voit peu en relation internationale,
15:06un retournement stratégique.
15:07Mais dès son arrivée au pouvoir, dès son retour au pouvoir,
15:11en 58-59,
15:13de Gaulle décide de délier ces liens trop intimes entre les militaires.
15:19Il veut aussi assainir les relations,
15:23comment il le fait, au nom de la grandeur de la France,
15:25de l'indépendance de la France.
15:26Et donc, c'est à partir de 58-59 qu'il y a déjà un changement.
15:32L'opinion publique ne le perçoit pas, vraiment,
15:36d'autant plus qu'après 56, on est encore dans cette amitié proclamée.
15:42Mais en réalité, cela a changé.
15:44Et par exemple, l'ambassadeur,
15:46le nouvel ambassadeur français, Bourdeillette, à Tel Aviv,
15:49parle de normalisation.
15:51Et il le dit, il faut démystifier les relations entre la France et Israël.
15:58Donc, dès 58-59, il y a un vrai changement.
16:02Ce qui n'explique pas pour autant cette rupture fondamentale en 67.
16:08Pour Israël, la France, en juin 67, a lâché son allié, son ami, son allié.
16:14Oui, c'est vécu comme une trahison.
16:16C'est vécu comme une trahison.
16:17Et c'est vrai qu'on peut, alors on peut le comprendre évidemment,
16:21la geste gaullienne, c'était à la fois de souhaiter la paix au Moyen-Orient,
16:30ne pas provoquer de guerre, ne tirer pas les premiers.
16:33Et puis aussi, c'est une politique tournée vers le monde arabe.
16:37Mais il n'empêche, vous l'avez dit, il y a quand même le soupçon.
16:40Et c'est le temps du soupçon, comme le disait Raymond Aron,
16:44celui de l'antisémitisme qui perdure.
16:47Oui, et aussi, l'accusation a été faite à la France
16:51d'être trop proche du, entre guillemets, le camp arabe
16:55et des Palestiniens en particulier.
16:58C'était un reproche qu'on entendait en Israël.
17:00Mais est-ce que ce n'était pas illustratif quand même
17:02de relations qui étaient établies et officielles
17:05entre les présidents, par exemple, Mitterrand et Chirac,
17:07avec les dirigeants arabes et palestiniens en particulier ?
17:11Oui, il y a eu déjà toute une politique qu'on qualifie sommairement d'arabe
17:16à partir de De Gaulle, Pompidou, Giscard.
17:22Et c'est vrai qu'avec Mitterrand, les Français vont vraiment jouer
17:25un rôle important pour légitimer la position de l'OLP.
17:30Déjà, Mitterrand, en 1982, c'est un moment historique,
17:36doublement historique, parce qu'il vient en Israël,
17:39il fait un discours à la Knesset.
17:41À la Knesset, qui était célèbre.
17:43Et il brise un tabou parce qu'au même moment, dans ce discours,
17:47il parle des territoires palestiniens et il parle de l'OLP.
17:51Donc, très mal vu d'ailleurs, à ce moment, en Israël.
17:54Oui, parce que rappelons-le, l'OLP était très actif
17:57et avait des attentats terroristes.
17:59Et Mitterrand va faire beaucoup, notamment en 1989,
18:04en recevant Arafat à Paris.
18:08Et c'est à ce moment-là qu'il y a la fameuse phrase
18:10de la charte de l'OLP caduque.
18:14En fait, ça lui a été soufflé par les conseillers de Mitterrand.
18:18Et c'est à Paris qu'Arafat annonce que la charte de l'OLP est caduque.
18:24Donc, on en finit avec le terrorisme officiellement.
18:27Le lendemain, Arafat demandera quand même en conférence.
18:30Donc, est-ce qu'on peut dire ?
18:31Finalement, les Français ont favorisé, disons,
18:35une progressive mais nette modération de l'OLP et de Yasser Arafat.
18:41Bien sûr, à ce moment-là, évidemment,
18:42même si le lendemain, Arafat demande quand même
18:46qu'est-ce que c'est caduque.
18:47Sortez-moi un dictionnaire parce qu'on lui a soufflé le mot
18:50et il ne savait pas vraiment ce que ça signifiait.
18:51Mais oui, il y a eu un adoucissement de la position
18:55et une légitimation de la position d'Arafat, personnellement,
19:01sur la scène internationale importante.
19:03Et le deuxième président qui lui offrira cela,
19:06c'est Jacques Chirac.
19:08Notamment, en 1996, à Charmachère,
19:13il y a une rencontre très importante.
19:14Très importante, et Arafat est là, il est mis un petit peu de côté.
19:21Chirac insiste pour qu'il soit avec les autres acteurs,
19:26les autres partis auprès de Bill Clinton.
19:30Et c'est à partir de ce moment-là qu'Arafat va remercier Chirac
19:34et qu'il l'appellera docteur Chirac.
19:36Et alors même que Chirac, au départ, était un petit peu réticent
19:39et méfiant envers Arafat, il y a une amitié très forte
19:45qui va se nouer à ce moment-là.
19:47Et ils vont se voir plus d'une trentaine de fois.
19:50Chirac va incarner, alors c'est aussi l'épisode fameux dans la vieille ville,
19:55Chirac va être un héros dans le monde arabe.
19:57Et on lui reprochera, certains lui reprocheront,
20:00une trop grande proximité avec le monde arabe.
20:03En tout cas, même s'il y a toujours une position très pro-arabe,
20:11on était sortis de l'ambiguïté totale de la période du général de Gaulle.
20:16Vous voyez, le temps du soupçon s'était terminé
20:18parce que Chirac avait cette particularité d'être à la fois très pro-arabe,
20:24mais aussi très proche de la communauté juive.
20:29Et pour toujours…
20:30– Avec philo-sémite, on pourrait dire.
20:31– Avec philo-sémite, d'abord à Paris, avec la communauté juive à Paris.
20:36Et ensuite, évidemment, il restera pour toujours celui qui a prononcé le discours du Veldiv.
20:43Donc on ne peut pas le reclencher…
20:45– La déclaration de la responsabilité de l'État français.
20:48– Mais c'est lui qui va faire énormément avancer la cause palestinienne,
20:52la légitimité de Yasser Arafat qui est mort à Paris.
20:57– Et alors ensuite, c'est plus ou moins arrangé, mais selon les périodes,
21:01c'était compliqué quand même entre la France et Israël.
21:04Il y a eu tous les épisodes aussi marqués concernant l'histoire d'Israël
21:10par les actions terroristes de l'OLP.
21:13Bon, on ne va pas revenir sur les différentes périodes de guerre comprises,
21:18mais qu'est-ce qui a pu dominer ?
21:21On a ce sentiment avec le recul historique que la France a toujours voulu jouer
21:24une sorte de rôle de médiation entre Israéliens et Palestiniens.
21:29C'était le cas sous la présidence François Mitterrand, Jacques Chirac aussi ensuite,
21:33et plus récemment.
21:35Est-ce que ce fil conducteur ensuite était celui de la médiation française,
21:40possible ou irréelle ou irréaliste ?
21:43– Oui, mais c'est vraiment la vocation de la France que d'être médiatrice,
21:49en raison de ces trois dimensions,
21:51parce que la France comprend chacun des points de vue en présence.
21:57Et la France peut parler à tous les acteurs.
22:00Donc c'est vraiment un atout considérable que nous envient beaucoup d'État.
22:04– Est-ce qu'il est effectif ?
22:05– Après, il faut savoir le mettre en œuvre.
22:07Mais dès le départ, la France a été une très grande médiatrice.
22:11Elle l'a fait en 1949 en Syrie, avec la Syrie,
22:15qui était d'ailleurs prête à…
22:16Il y avait des offres de paix, mais ça n'a pas marché.
22:19En 1949 avec le Liban, au moment de la reconnaissance,
22:23elle essaie de négocier.
22:25On l'a vu en 1996, très important, 1996,
22:29opération Raisin de la colère.
22:32Et la France de Jacques Chirac décide de mettre en branle
22:36toute la machinerie diplomatique.
22:39Et Dieu sait qu'elle est très importante.
22:41Et c'est aussi un atout majeur de la France.
22:43Il y a aussi une volonté politique qui est incarnée par Chirac
22:47d'aboutir à la paix et de négocier la paix.
22:51En plus, le Liban est un frère des Français.
22:56Et c'est une vraie réussite, un vrai succès diplomatique.
23:00Reconnue par les Israéliens, Simon Peres disait que la paix,
23:06après l'opération Raisin de la colère, c'était la plus grande victoire diplomatique
23:09de la France au Moyen-Orient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
23:12Ah oui, une reconnaissance.
23:14Est-ce qu'on en a entendu parler ? Pas assez, sans doute.
23:17Je crois aussi qu'il y a un autre aspect, et on ne peut pas se mentir,
23:22c'est que pourquoi la France réussit en 1996 ?
23:25Donc volontarisme politique, la diplomatie qui met tous ses atouts de son côté,
23:33mais aussi parce qu'il y a une éclipse américaine.
23:35Et c'est un peu le French flair à ce moment-là que de saisir l'occasion
23:40et de se présenter comme médiateur.
23:43Vous voulez dire, quand les Américains sont moins présents,
23:45les Français tentent d'être si non-dominants dans la France ?
23:52Les Américains sont arrivés du Moyen-Orient comme c'est le cas depuis Obama,
23:54d'ailleurs c'est tout à fait assumé du point de vue des Américains.
23:57Les Français peuvent trouver un champ pour intervenir.
24:01Après, il faut voir dans quel sens,
24:04parce qu'évidemment, ces solutions de compromis qui nous obligent,
24:09je pense toujours à la phrase de Blum à De Gaulle,
24:12« Le compromis, c'est la rançon de la liberté ».
24:14Et c'est vrai de trouver une solution en plus au conflit, c'est essentiel.
24:19Le fait est que souvent, c'est une solution de fausse neutralité
24:24ou bien des zigzags diplomatiques.
24:26Et là, c'est le cas depuis le 7 octobre.
24:28Oui, alors vous employez l'expression « zigzag diplomatique ».
24:31C'est vrai qu'a été reproché au président de la République française actuelle,
24:35Emmanuel Macron, une sorte d'équilibrisme zigzagant.
24:39D'ailleurs, on lui a reproché aussi de ne pas totalement comprendre l'ampleur du 7 octobre
24:47par sa violence, des massacres,
24:53et puis le traumatisme qui a été provoqué par le 7 octobre dans la population israélienne.
25:00Cette incompréhension ou ce défasage peut-il perdurer ou va-t-il perdurer
25:06dans une période trouble et compliquée ?
25:09On voit bien l'après-trêve étant en question.
25:14Quel est ce rôle de médiation possible ?
25:16Est-ce qu'il est très secondaire par rapport aux États-Unis
25:19qui ont une place dominante dans la proximité avec Israël aujourd'hui ?
25:23Il est vraiment extrêmement secondaire.
25:25Je parlais du French Flair, là c'est difficile d'être audacieux
25:29parce que c'est la Pax Americana dans toute sa splendeur.
25:34Et là, avec l'intervention de Trump, évidemment,
25:37la France trouve très peu de place.
25:40Mais de toute façon, pour faire quoi ?
25:42Même s'il apparaît surréaliste aussi dans ses deux solutions.
25:45Ah oui, sans même évoquer le plan pour Gaza, etc.
25:49Mais son interventionnisme, sa volonté d'arriver à une solution.
25:53Mais pour faire quoi ?
25:56Parce que la question, c'est bien sûr la médiation française très importante,
26:02mais pour quelles solutions ?
26:04La diplomatie française, quelquefois, a tendance à rester sur de vieux paradigmes
26:11dont elle n'est pas sortie depuis 1967.
26:15Vous pensez à quoi ?
26:18Alors que sur les frontières, sur la résolution 242,
26:23sur laquelle pourtant même Mitterrand était revenu,
26:26il y avait une interprétation plus large,
26:30sur Jérusalem, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël.
26:36Il y a plein de sujets sur lesquels les Français sont en retard.
26:45En retard, une évolution, vous voulez dire ?
26:47Oui.
26:48Sachant qu'il y a un point peut-être qui peut être français,
26:52celui-là, ou européen,
26:54c'est celui des discussions avec les pays arabes de la région,
26:57dits pays arabes modérés, du Golfe en particulier,
27:01pour une solution de gouvernance post-Hamas à Gaza.
27:06Et donc là, il y a peut-être un point de convergence
27:08avec les options françaises et européennes
27:12pour contribuer, c'était un point d'interrogation,
27:15à une solution qui serait pacifique
27:19dans les relations d'une gouvernance palestinienne de Gaza,
27:22ou palestinienne ou internationale de Gaza,
27:24en respect de la sécurité de l'État d'Israël.
27:27Oui, et même qui pourrait aussi s'enchasser dans un grand plan,
27:32peut-être du wishful thinking,
27:34mais dans un grand plan avec la création d'un État palestinien,
27:39sous quel gouvernance c'est à voir.
27:41En tout cas, une proposition de création d'un État palestinien
27:44qui, ce plan lui-même, s'enchasserait dans un autre grand plan
27:49qui serait celui d'un élargissement des accords d'Abraham
27:54à l'Arabie saoudite et peut-être à d'autres États du Golfe.
27:58Et si l'Arabie saoudite s'intègre
28:00et si l'Arabie saoudite effectivement
28:03va vers une forme de normalisation avec Israël,
28:07ensuite c'est toute la Houma évidemment
28:08qui serait portée à reconnaître Israël,
28:12ça c'est un grand plan, un grand plan trumpien,
28:16mais qui intègre aussi l'idée de la solution à deux États,
28:21parce qu'on sait que les Saoudiens...
28:24Oui, c'est une condition préalable, présentée comme telle
28:26par l'Arabie saoudite en particulier.
28:29Et surtout depuis le 7 octobre,
28:30encore plus depuis le 7 octobre, ils le souhaitent.
28:33Donc à la fois un grand plan régional,
28:39et pour les Israéliens, c'est une chance aussi.
28:44Et ça c'est un message que même l'administration américaine fait passer,
28:47c'est-à-dire qu'il y a cette idée de solution à deux États
28:51qui aujourd'hui est inaudible, il faut bien le savoir.
28:55Du côté israélien, en tout cas du gouvernement israélien.
28:57Du côté israélien.
28:58Mais quelle est la perspective dans ce grand plan-là ?
29:02Ce serait une chance de paix et une chance de normalisation
29:05avec l'Arabie saoudite qui est absolument formidable.
29:08Les Français auraient intérêt à accompagner ce mouvement,
29:12évidemment sur le terrain et au jour le jour,
29:16tout ça est extrêmement compliqué.
29:18Mais ils auraient intérêt à accompagner ce mouvement
29:20plutôt que de prôner, comme on l'entend souvent,
29:24simplement une reconnaissance de l'État de Palestine aujourd'hui,
29:28qui est tout à fait prématurée.
29:31Alors qui a déjà eu lieu, par exemple, d'autres États l'ont fait,
29:35les Espagnols l'année dernière par exemple,
29:39mais sans peu d'impact.
29:40Et on en revient au début de notre période
29:41où la voix de la France est une voix différente et elle porte.
29:45Et quand la France reconnaît, fait acte de reconnaissance,
29:49ça n'est pas de même dimension que d'autres États.
29:52Donc cette reconnaissance dans l'État palestinien aujourd'hui,
29:55elle serait vraiment prématurée,
29:59sauf à s'engager dans un grand plan.
30:01Et il y a une idée, je crois, fondamentale
30:03qui était portée par un éminent chercheur de relations internationales,
30:09Jean-Baptiste Duroselle, qui disait,
30:10il ne faut jamais donner une reconnaissance,
30:13faire un acte politique contre un sentiment.
30:16Or aujourd'hui, j'ai l'impression que la diplomatie française
30:20et la politique française est de vouloir faire un grand acte politique
30:23contre rien d'autre qu'un sentiment.
30:26Et ça, c'est un danger, je crois.
30:29C'est un danger et puis une illusion, en fait,
30:30dans les rapports internationaux, on le sait,
30:33marquée par le réalisme et la convergence
30:36ou pas d'intérêts de chacun des États concernés.
30:39En tout cas, merci beaucoup, Frédéric Chilot.
30:42Je cite d'ailleurs votre tout récent ouvrage
30:45qui vient de sortir chez Plon,
30:47qui se nomme « Sous-té-pierres »
30:49de « Té-possessi Jérusalem ».
30:52Donc c'est l'histoire, si j'ai bien compris,
30:53de l'archéologie, une histoire culturelle et politique
30:56des travaux archéologiques et des initiatives archéologiques
31:00à Jérusalem, toute une histoire grâce à vous.
31:02On retrouve beaucoup de consuls, archéologues.
31:06Et vous nous éclairez aussi sur ces enjeux culturels-là.
31:10Merci beaucoup.
31:11Merci à vous.
31:11À bientôt.