L'interview d'actualité - Arnaud Gallais
Le pré-rapport de la commission inceste sort ce jeudi 21 septembre, nous recevons Arnaud Gallais, activiste des droits de l'enfant et auteur de « J'étais un enfant » un ouvrage à travers lequel il raconte les violences qu'il a subi alors qu'il était âgé de 8 ans. Il revient sur ce rapport alarmant, dont il ressort que les victimes ne sont trop souvent pas écoutées, ni protégées.
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00:00 Bonjour Arnaud Gallet, merci beaucoup d'être avec nous.
00:02 Vous êtes membre de la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites sur les enfants.
00:07 Vous avez fait de votre vie un combat contre les abus sexuels sur les mineurs car vous avez vous-même été victime.
00:14 Aujourd'hui la commission sort un pré-rapport sur les victimes d'inceste.
00:17 Vous avez entendu plus de 27 000 témoignages, 37 par jour pendant deux ans, c'est colossal.
00:24 Et concrètement ce qui ressort de ce rapport c'est qu'on ne croit pas les enfants.
00:27 Oui bien sûr, donc bonjour Marie, bonjour à toutes et tous.
00:30 Effectivement c'est ce qui ressort du rapport de manière considérable.
00:32 C'est des choses qu'on savait plus ou moins socialement,
00:35 parce que c'est pour ça que le président de la République avait mis en place la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles.
00:40 Et on se rend compte à travers les 27 000 témoignages que seuls 8% des témoignages parlent d'un soutien au niveau de la famille.
00:47 C'est le fameux "je te crois, je te protège".
00:49 8% seulement sont crus par leur famille.
00:52 8% sont crus et protégés.
00:54 Parce que vous avez des fois des situations qui remontent,
00:56 où on distingue finalement différentes formes de soutien social.
01:00 Pour nous ce qui est important vraiment de renvoyer,
01:02 c'est que ce ne sont pas uniquement des affaires familiales, privées,
01:05 mais bien une affaire publique et donc d'un soutien collectif qui doit s'exprimer.
01:08 Le soutien social c'est un enjeu majeur, pourquoi ?
01:10 Parce qu'on l'a dit, vous avez dans 8% des cas effectivement des victimes qui sont soutenues par la famille,
01:16 "je te crois, je te protège".
01:18 Et là on se rend compte que vous avez dans 62% des cas aucun impact sur le physique.
01:22 Vous avez après le soutien social ce qu'on appelle négatif pour nous,
01:27 avec "je te crois, mais je ne te protège pas".
01:29 C'est le fameux "je te crois, mais surtout ne dis rien, n'en parle pas etc."
01:32 Ou "je te crois, mais c'est de ta faute".
01:34 C'est quand même important, c'est des choses qui reviennent dans 22% des situations.
01:37 Et là on a des conséquences graves.
01:40 - Dramatiques ? - Bien sûr, graves.
01:41 C'est-à-dire qu'on va avoir effectivement 4 fois sur 10 des personnes
01:45 qui rencontrent par exemple des addictions, des problèmes gynécologiques, etc.
01:49 On a donc différentes choses qui ressortent de tout ça.
01:52 Et effectivement, seuls 8% des situations sont crues et protégées.
01:58 - Arnaud Gallet, vous avez été vous-même victime d'incestes enfants.
02:01 D'abord votre grand-père quand vous aviez entre 8 et 11 ans,
02:05 puis votre grand-oncle, pardon.
02:07 Puis deux de vos cousins à 12 ans.
02:09 Déjà comment on se remet d'un tel traumatisme ?
02:12 - Alors comment est-ce qu'on se remet d'un tel traumatisme ?
02:14 Déjà là où je me retrouve moi directement,
02:16 je fais partie des 9 fois sur 10 où on ne croit pas les victimes.
02:20 C'est-à-dire, enfin, où on peut croire mais on demande de taire,
02:23 où on vient banaliser ce qui se passe.
02:25 Donc forcément ça me parle.
02:26 Comment est-ce qu'on fait ?
02:27 Je ne sais pas finalement.
02:28 Si j'en fais aujourd'hui un combat, c'est d'une certaine manière
02:30 parce que je dois beaucoup à l'enfant que j'étais.
02:32 J'en ai beaucoup voulu d'une certaine manière à cet enfant
02:34 parce que j'ai cru qu'il était responsable.
02:36 - Vous avez cru que vous étiez responsable ?
02:37 - Bien sûr, parce que les éléments que j'avais, si vous voulez,
02:39 vous n'avez pas la compréhension.
02:40 Quand vous vous faites violer à l'âge de 8 ans, entre 8 et 11 ans,
02:44 c'est quelque chose de tellement traumatisant,
02:46 vous n'avez tellement pas de clé qu'il faut absolument que votre cerveau
02:48 en donne une forme de compréhension de quelque chose.
02:50 Donc avec des impacts assez importants,
02:52 forcément que ça peut être sur la sexualité,
02:54 mais aussi sur le rapport des addictions.
02:55 Vous voyez, moi je le dis d'ailleurs dans mon livre,
02:57 j'ai été exposé à chumer jusqu'à 10, 15 joints par jour, etc.
03:00 - Quand vous étiez très très jeune.
03:01 - Bien sûr, avec des consommations d'alcool, etc.
03:03 Avec de vraies addictions.
03:05 - Est-ce qu'un enfant réalise ce qui lui arrive ?
03:08 - Un enfant réalise, et des fois en fait ce qui se met en place,
03:11 moi c'est ce qui s'est mis en place d'ailleurs avec mes cousins,
03:13 c'est ce qu'on appelle une amnésie traumatique.
03:15 C'est-à-dire que le choc est tellement violent.
03:16 - Vous ne vous en souvenez pas du tout ?
03:17 - J'ai mis 15 ans à ce que ça revienne,
03:19 et ma seule chance d'une certaine manière,
03:21 c'est que mes agresseurs ont reconnu et banalisé.
03:23 On dit que c'est un jeu, mais ils l'ont reconnu.
03:25 - Et alors qu'est-ce qui a fait que c'est revenu ?
03:27 - C'est parce que j'ai eu affaire à...
03:29 J'ai été en psychothérapie, j'ai eu besoin,
03:31 j'ai eu une grosse dépression à l'âge de 19 ans justement,
03:34 quand j'ai dénoncé l'effet d'un grand-on qui était également prêtre.
03:38 C'est important, je fais partie quand même des 22 signalements de la CIAZ,
03:41 la fameuse commission sauvée, parce que l'Église savait, mais n'a rien fait.
03:45 Et puis je me suis dit qu'il faut absolument que je comprenne,
03:49 que j'ai les clés, donc j'ai été deux fois par semaine pendant 10 ans
03:52 voir un psychiatre, qui était très bien,
03:54 qui d'emblée d'ailleurs m'a arrêté en disant "vous n'êtes pas fou,
03:57 c'est des personnes qui vous ont fait du mal, qui sont malades, etc."
03:59 Donc il a arrêté tout traitement, etc.
04:01 Et au bout d'un moment, il me disait "mais attendez,
04:03 vous avez forcément des souvenirs d'enfance, etc."
04:06 Et c'est revenu de manière soudaine, en analyse,
04:10 et il m'a dit, je m'en rappellerai toute ma vie,
04:12 je lui ai dit "mes deux cousins m'ont attrapé etc."
04:14 Il m'a dit "c'est un viol".
04:16 - C'est lui qui a mis les mots sur ce que vous avez vécu.
04:20 - Je dirais même que ce docteur-là, qui s'appelle le docteur Forger d'ailleurs,
04:22 m'a sauvé, c'est important pour moi, je le dis de cette manière-là.
04:25 - Vous parliez de vos 19 ans, vous avez vu à ce moment-là
04:28 un reportage à la télévision qui parlait du viol,
04:31 et c'est à ce moment-là que vous avez décidé de prendre la parole.
04:33 Est-ce qu'il y a eu un avant et un après pour vous ?
04:36 - Oui, il y a eu un avant et un après, surtout dans le combat.
04:39 C'est-à-dire que moi, dans ma manière de vivre,
04:42 dans ma manière de survivre, d'une certaine manière,
04:44 parce que moi je pars du principe que je suis un survivant,
04:46 qu'il y a des survivants de violences sexuelles,
04:48 parce qu'on passe par des périodes terribles,
04:50 on dit qu'il y a quand même une victime sur deux
04:52 qui fait des tentatives de suicide, etc.
04:54 Il y a eu un avant et un après dans le combat,
04:56 et je pense que c'est une certaine manière,
04:58 la manière de banaliser que la société a, ma propre famille,
05:00 forcément que je vois plus aujourd'hui,
05:02 parce que justement je n'ai pas eu le soutien escompté, etc.
05:05 Moi, ça m'a donné une force, c'est ma résilience,
05:07 j'ai toujours fonctionné comme ça, c'est comme ça que j'ai fait des études,
05:09 comme ça que je suis anthropologue, etc.
05:11 Parce que je me suis toujours dit qu'il faut absolument,
05:13 d'une certaine manière, que mes agresseurs ne m'écrasent pas,
05:15 ne me tuent pas, parce qu'ils m'ont tué,
05:17 je suis sorti de ce corps, j'ai eu une dissociation traumatique, etc.
05:20 Je l'ai compris par la suite, et effectivement,
05:22 aujourd'hui j'en fais une force pour tous les enfants,
05:24 et ça pour moi c'est essentiel.
05:25 Oui, c'est ça, parce que vous avez fait de votre vie un combat pour les autres,
05:28 vous traversez la France avec une caravane,
05:31 pour alerter sur le sujet, qu'est-ce que vous faites concrètement ?
05:34 C'est quoi vos actions ?
05:35 Concrètement, c'est important, c'est-à-dire que pour moi,
05:37 c'est une complémentarité avec la civise.
05:38 Vous voyez, la civise, Emmanuel Macron avait parlé,
05:40 effectivement, c'est le fameux "vous n'êtes plus seul, on vous croit",
05:43 donc les témoignages, et moi je me suis dit,
05:44 il y a quelque chose finalement qui peut être aussi un peu anxiogène,
05:46 c'est-à-dire qu'il faut des fois, comment dire,
05:48 qu'il y ait ce témoignage de victime avec les experts sur le terrain,
05:51 et il y a par ailleurs des disparités locales.
05:53 Et donc je me suis dit, plutôt que de tout faire à Paris,
05:55 d'une certaine manière, autant se déplacer.
05:57 Donc je me dis, aujourd'hui le défi, je vais dans 45 villes,
05:59 dont 5 dans les dame-tomes, je serai en Guyane, par exemple, début octobre.
06:02 J'ai été déjà sur Toulon, Dijon, je vais à La Reine le 26, etc., 26 septembre.
06:08 L'idée pour moi c'est très simple, c'est de mettre en débat cette question-là,
06:12 de se dire qu'il y a beaucoup d'acteurs qui sont mobilisés,
06:14 c'est-à-dire qu'on ne part pas de rien en réalité.
06:16 Et ça c'est important de le dire, sinon on a l'impression que la France,
06:18 c'est un pays où il ne se passe absolument rien,
06:20 et il y a plein d'experts qui sont engagés,
06:22 par contre on manque cruellement de volonté politique.
06:24 Et je me dis que notre force c'est la démocratie en France,
06:26 nous sommes un beau pays sur lequel il faut effectivement y croire.
06:28 Et moi je suis quelqu'un qui est de nature positive,
06:30 malgré effectivement, comme vous l'avez dit, tout ce qui a pu m'arriver,
06:33 mais je crois et je dois beaucoup à la République,
06:35 je ne serai jamais d'une certaine manière l'homme que je suis,
06:37 et c'est pour ça que j'attends de la République aujourd'hui,
06:39 à la hauteur des enfants.
06:41 - Alors c'est-à-dire, qu'est-ce qu'elle doit faire la République ?
06:43 Qu'est-ce que doit faire le gouvernement ?
06:45 Il y a une campagne gouvernementale qui a été lancée,
06:47 c'est la première fois qu'une campagne gouvernementale
06:49 utilise le mot inceste.
06:51 - C'est une bonne chose, on peut le souligner,
06:53 c'est une bonne chose également à mon sens de communiquer sur le 119,
06:55 je vois effectivement que ça apparaît, c'est vraiment une très bonne chose.
06:57 Après en réalité il faut aller plus loin,
06:59 la campagne en tant que telle, c'est très bien,
07:01 on sait qu'il va y avoir beaucoup de personnes qui vont appeler,
07:03 et ces personnes vont être dans l'attente d'eux.
07:05 Aujourd'hui on sait que les moyens manquent cruellement,
07:07 et c'est ce qui est démontré, soit dans le cadre de la formation,
07:09 soit dans le cadre des moyens aussi pour les forces de police,
07:11 pour la justice, etc.
07:13 Donc le problème, c'est que quand vous allez effectivement déclencher
07:15 ce type de campagne, qui est très bien encore une fois au demeurent,
07:17 - Oui, après il faut des réactions.
07:19 - Exactement, il faut des actions, c'est-à-dire que si les victimes
07:21 parlent en fait comme moi, comme d'autres, etc.,
07:23 si on sort du bois comme Emmanuel Béard, etc.,
07:25 c'est pas pour qu'on nous dise simplement
07:27 d'une certaine manière que vous êtes courageux.
07:29 Je pense que plus que le courage, on a une force,
07:31 parce qu'il faut affronter par la suite le regard des autres.
07:33 - La famille, et puis la famille.
07:35 - Et tout le regard de la société d'une certaine manière.
07:37 Et ce qu'on attend donc d'une certaine manière, ce sont des actions concrètes.
07:39 Nous le courage, d'une certaine manière, je dis pas que j'en veux pas,
07:41 c'est très bien de nous dire qu'on est courageux,
07:43 moi ce que je veux réellement, et c'est tout le sens avec moi de mon livre,
07:45 ce sont effectivement des solutions.
07:47 - Merci beaucoup Arnaud Gallet.
07:49 Je rappelle ce chiffre quand même, un chiffre qui glace le sang,
07:51 toutes les 3 minutes un enfant est victime d'inceste, de viol,
07:53 ou d'agression sexuelle, toutes les 3 minutes.
07:55 - Exactement.
07:57 - Je vous rappelle que vous êtes membre de la CIVIS,
07:59 Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants,
08:01 et vous publiez "J'étais un enfant" chez Flammarion le 4 octobre 2023.
08:05 Merci d'avoir été avec nous.
08:07 - Merci infiniment.
08:09 - Merci à vous, je sais pas si vous êtes courageux, mais vous êtes d'utilité publique, ça c'est sûr.
08:11 Et on va prendre sur le numéro qu'est le 119.