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  • il y a 21 heures
Avec Réjane Sénac, directrice de recherche au CNRS et au Cevipof, auteure de « Par effraction. Rendre visible la question animale » (Stock/Philo Magazine, 2025). Et Sébastien Spitzer, écrivain et essayiste, auteur du “Dictionnaire amoureux de Victor Hugo” (Plon). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-de-la-grande-matinale/le-debat-du-7-10-du-jeudi-20-novembre-2025-8440303

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Transcription
00:00Et comme chaque matin pour ouvrir ses pages magazine, je vous propose la question qui fâche.
00:04Alors qu'un Jean Valjean sort sur les écrans cette semaine,
00:08que Fabrice Lucchini lit Victor Hugo au théâtre devant des salles archi-combres
00:12et qu'on attend une nouvelle adaptation monumentale des Misérables au cinéma,
00:17on a eu envie de s'amuser un peu.
00:19Victor Hugo, l'incarnation de la République, l'homme des combats et des polémiques,
00:24met-il tout le monde d'accord aujourd'hui ?
00:26Était-il un grand auteur de droite ou était-il un grand auteur de gauche ?
00:31Revendiquer l'héritage d'Hugo de nos jours, c'est se situer où ?
00:35Sur l'échiquier politique, en voilà un bon débat du matin.
00:39France Inter, la grande matinale, Sonia De Villers.
00:44Alors forcément, un film de cinéma cette semaine et puis un autre qui arrive dans quelques mois,
00:49c'est tout un nouveau public qui va plonger dans Victor Hugo face à moi.
00:52Deux amoureux fous de son œuvre qui n'en ont pas toujours la même lecture et c'est ça qui m'intéresse.
00:59C'est Sébastien Spitzer, bonjour.
01:01Bonjour.
01:01Vous êtes l'auteur du dictionnaire amoureux de Victor Hugo, cet énorme pavé qui est paru chez Plon.
01:07Et Réjeanne Sénac, bonjour.
01:09Bonjour.
01:09Vous êtes directrice de recherche au CNRS et au Cévi-Pof.
01:12On va citer dans un instant votre dernier ouvrage et se demander pourquoi vous le reliez,
01:17vous le mettez sous le haut patronage de Victor Hugo.
01:21Un mot d'abord Sébastien Spitzer.
01:22Il n'y a aucun écrivain en France qui atteigne le niveau d'Hugo en termes de notoriété
01:27et même de représentation dans l'espace public.
01:31Oui, de représentation dans l'espace public parce qu'en fait, on a fait des études
01:35pour voir un petit peu à quel point Hugo était présent géographiquement, était palpable, était visible.
01:41Alors ?
01:41Et les trois, et dans toutes les villes de France, il y a une rue Victor Hugo, une place Victor Hugo, une avenue Victor Hugo.
01:49En fait, dans le classement général de tous les noms de rues, villes et médiathèques et autres,
01:55viennent en tête De Gaulle, puis Pasteur et le troisième c'est Victor Hugo.
01:59Alors Pasteur, ce n'est pas très politique, mais De Gaulle, on remarquera que
02:03et la gauche se réclament du gaullisme aujourd'hui, en tout cas une certaine gauche,
02:07et la droite, voire même l'extrême droite se réclament du gaullisme.
02:10Donc on va voir comment plusieurs partis politiques peuvent se réclamer du gaullisme aussi,
02:14dans le genre symbole national.
02:16Il est donc omniprésent dans l'espace mental des Français, Sébastien Spitzer ?
02:21Il est omniprésent dans l'espace géographique, dans l'espace mental, dans l'espace culturel,
02:25parce qu'en fait, Victor Hugo est ce qu'on appelle un génie national,
02:28c'est-à-dire qu'il fait partie de ces grands esprits qui forgent une nation,
02:31de ces grands auteurs, qui forment un substrat culturel partagé.
02:37On l'enseigne à l'école, on le redécouvre adulte,
02:40et puis on se penche sur lui quand on sent les vieux jours arriver,
02:44parce que finalement, il n'a pas fini de nous parler.
02:46Et Réjane Sénac, pour vous, qu'est-ce qu'il incarne à vos yeux,
02:49au-delà des places, des enseignements à l'école, des boulevards ?
02:54Un auteur engagé, toujours vivant et très actuel.
02:58Très actuel et vraiment étant dans l'éloge à la fois de l'humilité et de l'accueil inconditionné.
03:06Et comme beaucoup de Françaises et de Français, moi je l'ai d'abord côtoyé à l'école.
03:11En lisant quoi ?
03:12En lisant Les Misérables, et c'est vrai que la leçon que j'ai apprise,
03:16c'est qu'il y a cette tentation de le statifier, de le rigidifier,
03:21alors que ce que nous apprend Hugo,
03:24et hier soir, je suis allée voir Jean Valjean,
03:27et il y a un passage...
03:27Au cinéma avec Grégory Gadebois. Alors ?
03:30Alors, ce que j'ai trouvé très intéressant, c'est que ça s'inscrit dans l'éloge de l'humilité.
03:34Et il y a un passage qui, pour moi, condense le message d'Hugo,
03:38qui est quand Mgr Myriel, qu'on appelle Bienvenue, c'est très intéressant,
03:43explique à Mme Magloire, qui exprime la peur de l'étranger,
03:48avec l'accueil de ce forçat qui est Jean Valjean,
03:51il lui dit, fermer la porte, ce n'est pas seulement ne pas laisser rentrer l'autre,
03:57mais c'est aussi ne pas se permettre de devenir.
03:59Et donc, pour moi, la leçon d'Hugo, et la manière dont on peut le recevoir aujourd'hui,
04:04c'est vraiment à la fois cet accueil inconditionné,
04:08c'est à ce souci des plus vulnérables, mais c'est aussi être dans ce mouvement.
04:11Et donc, il y a un paradoxe à le statifier, à l'enfermer.
04:16Grand éloge de la fraternité, si je comprends bien.
04:17Grand éloge de la fraternité, au sens de solidarité, bien entendu.
04:21Sébastien Spitzer, il faut rappeler la trajectoire politique de Victor Hugo,
04:24qui a été très commentée, monarchiste à ses débuts,
04:28grand adorateur de Napoléon Ier,
04:30et puis qui a rallié la République.
04:32Il faut le raconter, parlementaire sous la monarchie de Juillet,
04:38et puis sous la deuxième, sous la troisième république.
04:41Il a connu l'exil, d'où la légende.
04:44Oui, bien sûr, on connaît cette grande évolution,
04:48ce grand écart, en fait, qui est juste l'histoire d'un homme en son temps,
04:51qui a vécu avec son temps,
04:52qui s'en est inspiré, qui l'a compris,
04:56et qui, comme vient de le dire, pour reprendre la métaphore de Réjeanne,
04:58enfin, qui appartient à Hugo au départ,
05:02c'est qu'il a toujours laissé la porte ouverte.
05:04Il n'a jamais fermé la porte.
05:06C'est-à-dire qu'il s'est toujours laissé traverser par les grands mouvements,
05:09les grands mouvements d'opinion, les grands mouvements de la société,
05:12les grands mouvements de la population.
05:13Et les grands combats.
05:14Et les grands combats.
05:15Ce que je veux dire, c'est que Valjean, quand vous réfléchissez bien,
05:19quand vous regardez ce mot, Jean Valjean,
05:21si vous le décomposez,
05:24c'est quasiment, c'est quasiment l'anagramme du mot évangile.
05:28Et Victor Hugo, voilà ce qu'il incarnait.
05:30Pour Victor Hugo, c'était l'évangile en action.
05:34Jean Valjean, c'est son héros parfait.
05:36C'est celui qui commence par le pire et qui finit vers le meilleur.
05:39C'est celui qui est engagé...
05:40C'est l'évangile en action.
05:40Et d'ailleurs, il est accueilli par l'évêque de Dignes.
05:43Bien sûr qu'il existait l'évêque de Dignes.
05:45Il y a même une plaque, si vous avez la Dignes, vous verrez.
05:47C'est la grandeur de l'église française qui accueille Jean Valjean.
05:50C'est la grandeur de l'esprit.
05:52C'est-à-dire que Hugo avait une dent très sévère, très pointue, très canine contre les prêtres.
05:58Il les traitait de chats.
06:02Il disait que les prêtres sont des chats.
06:03Il n'aimait pas le clergé, mais il adorait Dieu.
06:06Il aimait les chats.
06:08Réjean Ténac, en quoi Victor Hugo peut être une figure tutélaire de la gauche ?
06:11Vous avez commencé à nous mettre sur la voie.
06:14Alors, je pense déjà qu'il y a toujours une tentation de se réapproprier les grands hommes, ou les grandes figures.
06:22Et on le voit dans le fait que...
06:24Alors, l'action française s'est très rapidement démarquée.
06:29Faisait de l'anti-Hugo.
06:31Mais on voit qu'il y a eu de l'hugophobie.
06:33Il y a eu de l'hugolaterie.
06:34Je pense qu'on est dans quelque chose où Hugo nous invite, de manière très claire.
06:41Et dans son œuvre, mais aussi dans ses positionnements politiques.
06:44Et ça, c'est très intéressant.
06:46Alors, lesquels ?
06:46Alors, on voit très bien qu'il a dénoncé le traitement qui était fait aux plus vulnérables, aux plus pauvres.
06:53En particulier, le travail des enfants, la maltraitance des femmes, des animaux non humains.
06:59Et ça, ça a été mis en œuvre en tant que député, dans son action politique.
07:06Et quand il dit que les animaux n'iront pas en enfer, ils le vivent déjà.
07:10Quand il dénonce, avec son compagnonnage aussi, avec Louise Michel, le traitement des animaux.
07:18Ce qu'on voit, c'est qu'il va être le premier président de l'association française de anti-visection.
07:23Ça, on ne le sait pas forcément.
07:24Il va porter la loi Gramont en 1850 contre la maltraitance animale.
07:30Et c'est pour ça que moi, je lis Gwynplaine de L'homme qui rit, parce qu'on a parlé des misérables,
07:37comme aujourd'hui la métaphore de toutes celles et ceux qui se battent contre les privilèges
07:44et pour porter une société plus égalitaire.
07:47Sébastien Spitzer, le Hugo aujourd'hui n'appartiendrait qu'à la gauche ?
07:52Non, je crois que l'Hugo appartient à tous ceux qui aiment la grande littérature,
07:55à tous ceux qui aiment les choses de l'esprit.
07:57Ce qui m'intéresse moi, c'est de comprendre comment Jean-Luc Mélenchon peut revendiquer l'héritage d'Hugo,
08:03mais aussi Édouard Philippe peut citer Victor Hugo.
08:06Ce qui m'intéresse moi, c'est de comprendre comment Vincent Lindon, qui adore jouer les grands acteurs de gauche,
08:11peut dire son amour pour Hugo.
08:12Et Fabrice Lucchini, qui adore jouer les grands acteurs de droite, dit son amour pour Hugo.
08:18Oui, j'étais en train de dire, et je partage avec Réjean l'amour de Gwynplaine, c'est-à-dire de l'homme qui rit.
08:24Parce que l'homme qui rit, c'est ce personnage, c'est cet enfant qui vit dans un monde bouleversé où tout est sans dessus dessous, tout est inversé.
08:31Et si Victor Hugo, pour répondre à votre question, plaît autant à Mélenchon qu'à Édouard Philippe, c'est que c'est la force du génie.
08:40C'est-à-dire qu'il a dit des choses tellement essentielles qu'elles dépassent les contingences.
08:44Il y a aussi chez Victor Hugo de quoi alimenter aujourd'hui le discours et la pensée d'une droite contemporaine.
08:50Victor Hugo, madame, Victor Hugo a été le génie d'un temps, et c'est-à-dire un génie qui marquera l'histoire de l'humanité.
08:57Il nous parle, il parle à l'époque, il prenait position et il nous parle encore aujourd'hui.
09:02Vous avez cité, Réjean, le fait qu'il a été le premier président de l'association contre la vivisection.
09:07Il a été le premier président pour la lutte pour la défense des femmes à la fin du siècle.
09:12Il a été le premier président du comité laïc du comité pour la défense des israélites.
09:20Quand il voyait les pogroms en Russie en 1882, il s'est insurgé contre ce qui se passait à l'époque.
09:25Il est mort avant l'affaire Dreyfus, mais peut-être qu'il aurait vécu.
09:29C'est un petit peu après, mais c'est l'homme des grands combats, c'est l'homme de l'humanité, c'est l'homme de la fraternité.
09:34C'est l'homme des prémices de la construction européenne, il a un grand discours sur bientôt les Etats-Unis d'Europe.
09:42Absolument.
09:43Vous voulez me brancher sur les Etats-Unis d'Europe ?
09:45Non, non, pas du tout, je vous ai coupé la parole.
09:47Les Etats-Unis d'Europe, vous savez, c'est les Etats-Unis du monde finalement.
09:52Victor Hugo avait une vision tellement positive de l'humanité qu'il était persuadé qu'un jour on arriverait à la paix éternelle, à la paix universelle.
09:58Par exemple, Jordan Bardella, dans ses deux livres, revendique Victor Hugo, cite Victor Hugo.
10:04Il ne le fait que parce que c'est le roman national, simplement, par la volonté de s'attribuer les symboles nationales, un peu du drapeau français ?
10:13Il vient piocher dans Victor Hugo et après il vient s'habiller où se paraît des plus beaux bijoux de la pensée universelle.
10:22Écoutez, libre à lui.
10:24Est-ce qu'il y a eu deux époques ? Régène Sénac ?
10:26Oui, moi je tiens quand même à préciser qu'il est pour moi un contresens de lire Hugo autrement que comme le fait de...
10:37Je reprends un petit extrait de l'homme qui rit.
10:41Je viens d'énoncer votre bonheur, votre tout se compose du mal des autres, du bien des autres.
10:49Ayez peur.
10:50Donc, il y a le père du privilège et le hasard, son fils et l'abus.
10:57Et donc, moi je crois que quand même, c'est très compliqué de se réapproprier Hugo autrement que comme justement cette porte ouverte aux plus vulnérables.
11:06Quand il dit en fait, le monde doit être, on doit travailler à ce que le monde devienne meilleur, ce qui est...
11:15Mais juste pour qu'on comprenne, c'est-à-dire que Hugo a été un grand républicain et donc il était pour que le peuple puisse être entendu et que le peuple puisse s'exprimer.
11:24Il n'était pas non plus pour une grande révolution sociale.
11:26Non, le chaos, les grandes turbulences, ces grands mouvements qui finalement commençaient par une grande cause, une noble cause, une bonne cause et qui parfois finissaient par un renversement, ça l'inquiétait pas mal.
11:41Il a forgé un terme pour définir ça.
11:44Il est allé ressusciter un terme qui appartenait à Polybe, notamment à l'Antiquité.
11:48Il parlait d'oclocratie.
11:51C'est-à-dire ?
11:51Par opposition, dans Les Misérables et dans d'autres textes encore, il porte très haut la démocratie, le pouvoir du peuple et il dénonce l'oclocratie qui est la puissance de la foule.
12:05Il évoque la plèbe, la foule, la masse en disant qu'il y a des mouvements qui deviennent browniens, incontrôlables et qui finalement sont traversés par tellement d'opinions qu'on ne sait plus comment les prendre et qu'ils font plus de mal que de bien.
12:17Voilà, donc Victor Hugo n'est pas un révolutionnaire.
12:19La commune, par exemple, Victor Hugo disait que c'était une bonne chose, mal faite.
12:23C'est-à-dire que ça partait d'une excellente chose et puis après que ça a dévié...
12:28Il a dénoncé aussi les crimes de la Révolution française.
12:31Oui, et puis il a dénoncé aussi les procès qui ont été faits contre les communards par la Troisième République, par le 18 de la Troisième République.
12:40C'était un grand homme fraternel.
12:42Et vous avez dit tout à l'heure qu'il était pris par tout le monde.
12:44Vous avez cité un texte de Hugo et si on a encore une fraction de seconde...
12:48Une fraction.
12:49Alors...
12:50Sébastien Spitzer.
12:51Une fraction de seconde, c'est pas possible, c'était juste un poème.
12:53L'amour d'une mère, amour que nul n'oublie, pain merveilleux qu'un dieu partage et multiplie.
12:59Et là où je veux en venir, c'est sur cette dernière phrase.
13:01Chacun en a sa part.
13:03Chacun, pardon.
13:04Amour d'une mère, amour que nul n'oublie, pain merveilleux qu'un dieu partage et multiplie.
13:08Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier.
13:11C'est ça Hugo, c'est-à-dire chacun en a sa part et tous le voudraient tout entier.
13:15Merci Sébastien Spitzer.
13:16Merci Réjeanne Sénac.
13:18Je voulais citer vos deux livres à chacun par effraction.
13:22C'est cet essai sur la condition animale, Réjeanne Sénac, que vous faites paraître chez Stock
13:26et que vous placez sous le haut patronage de Hugo.
13:29Et évidemment Sébastien Spitzer, c'est le dictionnaire amoureux de Victor Hugo.
13:32Merci à tous les deux.
13:32Merci à tous les deux.
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