00:0015h42, Benoît Peloual nous rejoint. Bonjour Benoît. Bonjour Guillaume.
00:03Directeur des investissements de Nantixis Wealth Management. On est ravi de vous retrouver.
00:07Vous allez rendre votre verdict face au marché. Ce verdict, l'assumez-vous ?
00:12Tout à fait. Alors on l'écoute.
00:14Eh bien en l'occurrence pour les marchés actions, l'exubérance est en train progressivement de se transformer en risque de bulle.
00:20Voilà.
00:23Après l'exubérance, la bulle, ça fait des années qu'on craint une bulle sur les marchés.
00:27Cette fois pour vous, on y est ?
00:30En tout cas, on commence à avoir les signes un peu constitutifs d'un appétit pour le risque excessif.
00:37Quand on regarde justement les niveaux d'indices, bien évidemment on est revenu sur les indices américains sur des sommets historiques.
00:43On commence à avoir des indicateurs techniques, de nouveau de surachat, d'appétit pour le risque actions très significatif.
00:51Et quand on regarde les valorisations, alors je suis déjà venu plusieurs fois sur ce plateau à évoquer les valorisations,
00:55on est sur des niveaux qui sont particulièrement tendus.
00:58On est revenu, on est en train de dépasser le pic de la fin de l'année dernière en termes de valorisation.
01:03Quand on fait une moyenne des multiples de valorisation, on est en train de rejoindre ce qu'on a vu durant les derniers moments de la bulle TMT.
01:09Et même à très long terme, quand on regarde les ratios courts sur bénéfices, mais ajustés du cycle, sur les bénéfices à 10 ans,
01:15on n'a jamais été aussi cher sur les marchés actions en dehors de la bulle TMT, en dehors des dernières semaines de la bulle TMT que depuis un siècle.
01:21Donc il y a vraiment un signal.
01:23Mais en tant que telle, les valorisations, ce n'est pas uniquement le problème, c'est qu'on a ces valorisations-là avec des taux d'intérêt qui sont encore relativement élevés
01:30et une économie qui se met à freiner.
01:32Et donc en termes d'allocations actives, ça pose un vrai problème, puisqu'on a une prime de risque négative,
01:37qui est maintenant négative pour les actions américaines.
01:39Ça veut dire quoi ?
01:40Ça veut dire que pour l'investisseur, le rendement théorique auquel il peut s'attendre en détenant les actions est inférieur au rendement qu'il obtient sur le 10 ans sans risque américain.
01:48Et ça, c'est un vrai problème.
01:49Oui, d'accord.
01:50Donc oui, effectivement, quand on regarde les choses sous ce prisme, on peut s'en inquiéter, mais on peut aussi se rassurer en disant que si Wall Street est si cher,
01:56c'est à cause de la tech, toujours la tech, le reste de la cote n'est pas si survalorisé que cela.
02:01C'est-à-dire que c'est une survalorisation en trompe-l'œil malgré tout ?
02:05C'est ça.
02:06Effectivement, le marché ne se résume pas uniquement à la tech.
02:08Et même quand on regarde la tech, on est maintenant en fortement dépendance des annonces.
02:12On voit bien que chaque annonce est saluée par un appétit pour le risque qui apparaît de plus en plus instinctif.
02:18Nous, ce qui nous pose problème fondamentalement, c'est que quand on regarde ce qui est derrière ces niveaux d'indices,
02:24et que si on essaye d'entrevoir comment retrouver un peu de potentiel sur ces indices,
02:29il faut de nouveau faire des hypothèses de plus en plus agressives.
02:32Et de moins en moins probables.
02:33Exactement.
02:35Si on regarde du côté des profits, il n'y a pas 36 possibilités pour aller plus haut sur les indices.
02:40Il faudrait que le scénario de profits, on ait des profits qui accélèrent significativement.
02:45Et quand je dis significativement, à niveau de taux constant, il faudrait qu'on ait à peu près une croissance de 25% des profits aujourd'hui aux Etats-Unis.
02:52La dernière saison des publications était sur un rythme à à peu près 14% de croissance en glissement annuel,
02:56ce qui était déjà une très bonne surprise.
02:57Et les analystes attendent en moyenne, à 12 mois, ils attendent à peu près 10% de croissance des profits.
03:02Loin des 25, on valorise la boue.
03:04Effectivement.
03:05Et donc l'autre voie qui se profile, c'est effectivement un appétit pour le risque significatif,
03:10c'est-à-dire une prime de risque qui irait beaucoup plus loin en territoire négatif,
03:13à l'image de ce qu'on a vu justement durant la bulle TMT.
03:16Aujourd'hui, on est à moins 0,5 en termes de prime de risque sur les actions américaines.
03:20On est allé jusqu'à moins de 2,5, moins 3% dans les moments les plus intenses de la bulle TMT.
03:26Mais est-ce que votre inquiétude n'est pas à taux directeur constant ?
03:29Parce qu'on voit une économie américaine qui certes ralentit,
03:32mais pas de récession en vue pour l'instant, pas à court terme.
03:36Et parallèlement, en revanche, des baisses de taux en vue à relativement court terme.
03:39C'est-à-dire que si la Fed continue de baisser ses taux,
03:41est-ce que quelque part entre cette croissance qui va se maintenir et les baisses de taux,
03:44on n'a pas là, malgré tout, les conditions effectivement d'une poursuite à la hausse ?
03:47Exactement.
03:48C'est justement ce qui nourrit, et c'est là où la voie d'un risque spéculatif est en train de s'ouvrir.
03:55C'est qu'aujourd'hui, on est dans une situation,
03:57et c'est ce qui fait la différence avec les points hauts en termes de valorisation précédente,
04:00c'est qu'aujourd'hui, dans le monde, on n'a jamais eu historiquement autant de banques centrales qui baissent les taux.
04:04Et la plus importante vient de commencer.
04:06Donc on a un environnement monétaire global qui redevient très accommodant.
04:11Et on a une liquidité qui devient extrêmement abondante
04:14et qui a besoin d'aller s'investir, peu importe, j'ai envie de dire, les fondamentaux.
04:17Et on aura de plus en plus de liquidités qui auront besoin de trouver où s'investir,
04:20et notamment en actions, parce que les fonds monétaires vont de moins en moins rapporter.
04:23C'est-à-dire qu'il va y avoir de plus en plus de poudre au sec pour nourrir les marchés actions.
04:26C'est pour ça que je vous dis, vous créez une bulle,
04:28en même temps il y aura de plus en plus d'argent pour nourrir les actions, les marchés actions.
04:32Exactement, et c'est le principe même d'une bulle.
04:34C'est-à-dire qu'on a une liquidité qui doit aller s'investir, peu importe les fondamentaux.
04:37Et si on regarde les fondamentaux, d'un point de vue macroéconomique,
04:40les profits ça va être difficile de les nourrir avec une réaccélération de l'économie américaine.
04:44Encore une fois, le scénario c'est un scénario de freinage qui est consensuel.
04:47Nos économistes attendent 1,6% de croissance cette année.
04:50On est assez loin des 3% qui seraient à peu près nécessaires
04:53pour générer les niveaux de croissance de profits que j'évoquais
04:56pour justifier les niveaux d'indices actuels.
04:58D'un point de vue microéconomique, c'est aussi très intéressant,
05:00mais on est dans une génération de profits absolument exceptionnelle,
05:03qui défie les standards historiques actuellement
05:05et qui pose la question de sa soutenabilité.
05:07Qu'est-ce qu'il y a derrière cette génération de profits ?
05:09Il y a une productivité qui défie les standards historiques aux Etats-Unis depuis très longtemps,
05:13donc qui a déformé la valeur ajoutée en faveur des profits,
05:16et on a une capacité à protéger les marges qui est absolument exceptionnelle.
05:20Quand on regarde les marges des entreprises américaines,
05:22elles deviennent complètement déconnectées du cycle économique.
05:24Et ça, au bout d'un moment, les fondamentaux rattraperont justement les valorisations.
05:29Ce n'est pas encore le cas.
05:30Tant qu'on a une liquidité extrêmement abondante,
05:32des banques centrales qui ont plutôt l'envie d'être un peu plus accommodantes,
05:35une économie qui ne freine pas tant que ça,
05:37et un appétit pour le risque.
05:38C'est le début d'une bulle qui se profile, pas l'éclatement.
05:41Exactement.
05:41Et alors, c'est bien ça le problème d'une bulle.
05:43Est-ce qu'il faut la jouer et comment la jouer ?
05:45C'est ça le sujet.
05:46Généralement, on sait malheureusement, en termes d'allocations stratégiques,
05:48qu'une bulle, ça se termine mal.
05:50On ne sait jamais quand ça éclate, mais ça se termine toujours mal.
05:54Et quand on regarde...
05:54C'est dommage de la rater en même temps.
05:56La bulle, c'est la hausse.
05:57C'est pour cette raison qu'en termes d'allocations stratégiques,
06:02quand on regarde les rendements à long terme sur ces niveaux de valorisation
06:05qui sont au début constitutifs d'une bulle,
06:09à long terme, ils sont généralement assez médiocres.
06:10On a des rendements de 10 ans qui suivent les niveaux de primes de risque actuels
06:14ou de PE, qui sont généralement même négatifs.
06:19Il faut être excessivement tactique, c'est-à-dire être globalement prudent,
06:21appuyer sur sa diversification.
06:23Et en tout cas, nous, ce qu'on considère,
06:24c'est qu'il faut beaucoup plus jouer des arbitrages en relatif
06:26qu'une prise de risque importante globale de son portefeuille.
06:29Si Bullia sur les marchés, a priori, c'est la plus grosse
06:32jamais en formation depuis le début du marché boursier.
06:36C'est absolument monstrueux.
06:38Parce que parallèlement, on a, et je le dis souvent,
06:41mais c'est vrai que c'est aussi un des ingrédients de tout ça,
06:43c'est qu'on a une masse monétaire M2 du côté des États-Unis
06:46qui n'en finit pas de gonfler, qui est sur des niveaux historiques.
06:48Donc, il y a une quantité d'argent phénoménale sur le marché.
06:51Malgré tout, le jour où ça pète, comment ça va se passer ?
06:56Parce qu'en plus, on a une concentration évidente
07:00des Max 7, de l'IA au sein des indices.
07:04Est-ce qu'on pourrait imaginer que cette bulle explose
07:06uniquement dans cette concentration
07:10et épargne un petit peu le reste ?
07:13C'est là où, sur la taille des bulles,
07:16en fait, elle est simplement constitutive
07:17de la masse de liquidité qu'on a aujourd'hui dans le monde,
07:19qui est beaucoup plus importante que les précédentes.
07:20Donc, mécaniquement, plus de liquidité,
07:22des bulles qui se forment de façon beaucoup plus importante.
07:26Maintenant, pour répondre à cette question,
07:27en réalité, il y a plusieurs scénarios
07:29et ça dépend de la durée de cette bulle.
07:31C'est-à-dire que je pense qu'on est à peine en train d'y entrer,
07:33en réalité, et c'est pour ça que la question de Guillaume
07:35était très importante.
07:36Jusqu'à présent, quand on regarde depuis les deux dernières années,
07:39la hausse des multiples, elle suit simplement
07:42la progression des profits.
07:43Donc, c'est-à-dire qu'il n'y a pas encore de distorsion significative,
07:45c'est juste qu'on a eu une génération de profits assez exceptionnelle,
07:47et donc la progression apparaît, de ce point de vue-là, assez rassurante.
07:50On entre, justement, dans ce territoire un peu spéculatif.
07:54Ensuite, la personne qui détient la réponse à cette question,
07:56c'est Jerome Powell, en réalité.
07:58Est-ce qu'il faut éviter la formation de cette bulle,
08:01et donc dans ces cas, la manière des taux d'intérêt
08:03qui restent relativement élevés,
08:05et c'est justement là où on va materniser un appétit
08:07pour le risque un peu trop important par rapport aux fondamentaux,
08:10ou est-ce qu'on alimente cette bulle, justement,
08:13en contribuant à baisser les taux
08:14et en alimentant la liquidité mondiale,
08:15qui est déjà très importante.
08:16Encore une fois, la fête démarre,
08:18mais les autres banques centrales ont déjà baissé les taux.
08:20La banque chinoise injecte beaucoup de liquidités
08:23à travers son programme de stimulus,
08:25et on a une liquidité globale
08:26qui continue à croître de façon très soutenue.
08:28Mais alors, pour prolonger la question d'Antoine,
08:30est-ce que si la bulle finissait par...
08:31si la bulle, d'abord, qui va se constituer, selon vous,
08:34finissait par éclater,
08:35et une bulle, à la fin, finit souvent par éclater,
08:37plus que se dégonfler, ça éclate souvent une bulle,
08:40est-ce que ça pourrait épargner certains pans du marché
08:42pas aussi chers que la tech ?
08:43Et est-ce que, par exemple, l'Europe pourrait être épargnée ?
08:45C'est une question qu'on pose aussi sur les réseaux sociaux
08:47à nos auditeurs et téléspectateurs, X et LinkedIn.
08:49Est-ce que, compte tenu que Wall Street est quand même relativement cher,
08:52vous privilégiez désormais l'Europe, oui ou non ?
08:54C'est la question du jour.
08:55Est-ce que, de votre point de vue,
08:56il faut privilégier désormais davantage l'Europe ?
08:58Oui, et on le fait déjà depuis un bon moment,
09:00et on continue de le faire aujourd'hui, justement.
09:02On n'a pas, justement, ces éléments constitutifs
09:07significatifs en Europe.
09:08Quand on regarde la prime de risque européenne,
09:10elle n'a absolument rien à voir avec la prime de risque action américaine.
09:13On a des valorisations qui sont beaucoup plus modestes.
09:16Alors, certes, un scénario de croissance
09:17qui est beaucoup moins sexy que ce qui se passe aux Etats-Unis,
09:21mais en l'occurrence, en termes de dynamique,
09:23en Europe, on a réalisé le freinage avec l'espoir de redémarrer,
09:26alors qu'aux Etats-Unis, on n'a toujours pas amorcé ce freinage
09:29avec des marchés qui sont aujourd'hui encore sur des plus hauts,
09:32des niveaux de valorisation extrêmement tendus.
09:34Donc, voilà pourquoi on insiste sur l'intérêt
09:36de prendre du risque en relatif
09:38et pourquoi on joue l'Europe en relatif.
09:39Alors, regardez, on est en bull market aux Etats-Unis,
09:42donc en marché haussier depuis presque trois ans.
09:45Dans deux semaines, ça fera trois ans.
09:47Ça fera 36 mois dans deux semaines
09:48que le bull market actuel a démarré.
09:50C'est long 36 mois, mais en moyenne,
09:52les bull markets aux Etats-Unis ne durent pas 36, mais 67 mois.
09:55Donc, il reste du temps.
09:56Le plus long bull market de l'histoire avait duré 148 mois.
10:00Il avait démarré en 87, celui-là.
10:02Et même en termes d'ampleur, au final,
10:03même si la hausse a l'air très importante,
10:04elle est finalement relativement normale
10:07par rapport au bull market qu'on a pu voir dans l'histoire.
10:09Certains sont allés beaucoup plus loin.
10:11Merci beaucoup, Benoît, d'être passé nous voir.
10:12Benoît Pelewell, directeur des investissements
10:14pour Natixis Wealth Management.