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  • il y a 6 jours
Nicolas Tenzer, spécialiste des questions internationales et de sécurité, auteur de “Notre Guerre. Le crime et l’oubli” (Editions de l’Observatoire, 2024).
Aurélie Trouvé, députée LFI de Seine-Saint-Denis, économiste.

Retrouvez « Le débat de la grande matinale » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00Et comme chaque matin pour ouvrir ce magazine, je vous propose la question qui fâche.
00:04Aujourd'hui, faut-il utiliser les avoirs russes gelés pour aider l'Ukraine ?
00:09210 milliards, 210 milliards, c'est la somme des actifs appartenant aux Russes gelés par l'Europe au début de la guerre en Ukraine.
00:16La Commission européenne a présenté un plan pour transformer ces actifs gelés en un prêt de réparation de 90 milliards d'euros à l'Ukraine.
00:23Un plan qui suscite d'intenses controverses. Un sommet européen crucial va en débattre aujourd'hui même à Bruxelles.
00:32Alors, sachant que l'Ukraine a urgentement besoin d'argent, pourquoi ne pas prendre l'argent là où il est, c'est-à-dire à disposition ?
00:39Ou bien, est-ce faire courir à l'Europe un risque financier et géopolitique ? C'est le débat du jour.
00:44France Inter, la grande matinale, Sonia Devillers.
00:50Et pour discuter de cette question brûlante, Nicolas Tenzer, bonjour.
00:54Bonjour.
00:54Vous êtes spécialiste de questions internationales et de sécurité, auteur de « Notre guerre, le crime et l'oubli » paru aux éditions de l'Observatoire.
01:02Et face à vous, Jean de Glynyasti, bonjour.
01:05Bonjour.
01:06Directeur de recherche à l'IRIS, ancien ambassadeur de France à Moscou jusqu'en 2013,
01:11et auteur de « Géopolitique de la Russie » paru chez Erol cette année.
01:16Alors, un mot d'abord pour que nous puissions faire comprendre à tous l'enjeu du débat du jour.
01:24Où se trouve précisément, qu'on comprenne, ces 210 milliards ?
01:28Ils ne sont pas dans la nature, l'un et l'autre.
01:30Est-ce que vous pouvez nous expliquer en ce moment qui a la main sur cet argent, Nicolas Tenzer ?
01:35Alors, il y a 210 milliards aujourd'hui qui sont gérés par Euroclear,
01:40qui est une société de droit belge, une sorte de grande chambre de compensation,
01:44qui reçoit un certain nombre de financements souverains, de fonds souverains,
01:48qui abritent des fonds souverains d'un très grand nombre d'États, essentiellement,
01:52pour un montant de 41,5 milliards d'euros.
01:5741 trillions d'euros.
01:58Donc, on est sur des sommes, évidemment, nettement supérieures par rapport aux Avoirs russes.
02:03Donc, il les abroïte, il les détient aujourd'hui.
02:06Cette société est située en Belgique.
02:08Il faut savoir que le reste de l'argent russe, mais des quantités beaucoup moindres,
02:12sont également détenus à Londres, aux États-Unis et au Japon.
02:16Jean de Glynyasti, mais techniquement, à qui appartient cet argent ?
02:21Techniquement, il appartient à la Russie, ce sont des fonds souverains de la banque centrale russe.
02:25Donc, c'est une chambre de compensation.
02:29Cet argent dort, en quelque sorte.
02:31Il ne dort pas parce qu'il rapporte des intérêts qui ont été pris.
02:37C'est une décision du G7.
02:39Les intérêts de ces sommes sont affectés à l'Ukraine.
02:42Elle vient toucher, je crois, un milliard hier ou avant-hier.
02:45Et alors, par ailleurs, on a changé de régime.
02:48C'est-à-dire que jusqu'à présent, il fallait renouveler tous les six mois la décision de geler les Avoirs russes.
02:53C'est ça ? Depuis quelques temps, maintenant, c'est illimité.
02:58C'est une décision illimitée dans le temps.
03:01Voilà, oui, c'est illimité.
03:02Ce qui donne, en fait, une marge manœuvre à l'Union européenne.
03:06Et ce qui lui évite d'avoir à négocier tous les six mois avec l'incertitude
03:10qui pèse, à ce moment-là, sur la continuation du gel, voire la confiscation de ces montants.
03:18Alors, venons-en au débat.
03:20Faut-il se servir de cet argent ? Faut-il le préempter ?
03:23Nicolas Tenzer, est-ce que vous êtes d'accord ?
03:26Les jours qui arrivent, là, les heures qui vont venir, sont cruciales pour cette question.
03:31Et il va falloir décider de manière claire, nette et précise.
03:34Alors, je pense qu'il y a trois sujets différents.
03:36Premier sujet, besoin, oui.
03:38135 milliards d'euros pour l'Ukraine sont absolument indispensables pour l'année 2026 et 2027.
03:45Parce que sinon, tout simplement, l'État ukrainien, c'est-à-dire, il faut payer des fonctionnaires,
03:50l'armée ukrainienne ne peut pas fonctionner.
03:51Ça, c'est le premier sujet.
03:52D'où vient ce montant, 135 milliards ?
03:54Alors ça, ce sont les estimations qui ont été faites par l'Union européenne,
03:57en liaison, bien sûr, avec l'Ukraine, sur des besoins de financement minimum,
04:00uniquement pour qu'il y ait cette continuité.
04:02Ça, c'est essentiel.
04:03Deuxièmement, donc concrètement, deuxième possibilité,
04:06soit on les finance par le biais de ces avoirs gelés,
04:10ou on les finance autrement.
04:11Alors, la solution qui a été trouvée par l'Europe,
04:14ce n'est pas de saisir directement ces avoirs et de les transférer à l'Ukraine,
04:18parce que certains émettaient, à mon avis, de manière complètement erronée,
04:22sur le plan juridique, un certain nombre d'objections,
04:25mais de fonder un prêt sur ces sommes-là, un prêt de l'Union européenne,
04:30sachant qu'après, l'Ukraine renverserait cette somme,
04:35à partir du moment où elle aura touché des réparations de la part de l'État russe.
04:40Réparations, je le précise, qui a été clairement actées par une décision du Conseil de l'Europe,
04:46donc l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
04:48et les chefs d'État et de gouvernement,
04:50il y a un 35 sur 42, 43, du Conseil de l'Europe,
04:53donc au-delà de l'Union européenne,
04:54dont l'Union européenne, en disant que le principe des réparations n'est pas quelque chose qui est discutable.
04:59de se permettre d'aller puiser dans ces sommes.
05:02Jean de Glynyassi, vous vous dites non, absolument pas.
05:05Moi, je pense qu'il ne faut pas le faire.
05:08D'ailleurs, la proposition américaine, le plan 28 points, était intéressante,
05:12puisque, en fait, les Américains jouaient coup triple avec cette affaire.
05:16D'une part, ils prenaient l'argent des Russes,
05:22tout en laissant la charge de la confiscation ou du gel aux Européens,
05:25et donc ils géraient en commun avec les Russes cet argent,
05:29tout en laissant, j'allais dire, le péché ou le risque de la confiscation.
05:33Expliquez-nous simplement, pourquoi est-ce qu'il ne faut pas le faire ?
05:35Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas se servir de cet argent, selon vous ?
05:38Ah ben, on peut toujours, on peut toujours.
05:40Alors, il y a un artifice de la Commission qui dit que ce n'est pas une confiscation,
05:45mais tout le monde sait que l'Ukraine ne remboursera jamais.
05:49En plus, il y a le principe des compensations,
05:51donc cet argent passera aux compensations dans le schéma européen.
05:54Donc, en fait, ce qui se passe, c'est que c'est le deuxième point,
05:58ça affaiblit complètement l'euro.
05:59Pourquoi ?
05:59Il faut se souvenir que l'euro représentait, dans les années 2000,
06:03à peu près 30% des réserves des pays du monde, 30%.
06:06Le rôle de l'euro, c'était de, au départ, l'ambition de l'euro,
06:10c'était de devenir une sorte d'alternative, de rival du dollar,
06:17dans les monnaies de réserve, une grande monnaie internationale.
06:19Actuellement, dans le monde, les réserves de l'euro,
06:22c'est à peu près, en euros, c'est à peu près 20%.
06:25Et ça décroît au fur et à mesure.
06:27Si on confisque les avoirs souverains de la Russie,
06:33on ne les confisque pas directement.
06:34Il y a un artifice juridique, mais ça revient à ça.
06:37Pour vous, ça revient à une confiscation ?
06:38Oui, puisqu'on sait bien que l'Ukraine ne remboursera pas
06:41et que ça servira aux compensations.
06:44Et donc, vous vous dites, en fait, on va décourager tout un tas de pays
06:47de venir, en réalité, investir en France
06:51et confier ses avoirs en Europe.
06:57Oui, investir en France, je ne pense pas,
06:58parce qu'en fait, ça va affaiblir l'euro.
07:01Donc, du coup, l'achat d'actifs en Europe sera plus facile.
07:04Nicolas Tenzer, pour vous, ce n'est pas du tout une confiscation ?
07:06Pour moi, ce n'est pas du tout le cas.
07:07Alors, d'abord, il faut quand même rappeler
07:08qu'il y a des précédents de gel, de confiscation
07:12et de paiement de réparation de guerre
07:15avec une partie d'argent confisqué à un État.
07:17Quel précédent, par exemple ?
07:18C'est le cas, effectivement, par exemple, de l'Irak
07:21qui, je dirais, après la guerre du Golfe, la première,
07:25c'est-à-dire quand il y a eu l'invasion du Koweït en 90-91,
07:29a dû payer, à partir d'ailleurs de l'argent
07:32qu'elle tirait de son pétrole, des réparations.
07:35C'est le cas de l'avion argelée également de l'Iran,
07:38de l'ex-Yougoslavie après Serbie-Monténégro
07:40jusqu'à ce qu'il y ait une reconnaissance des crimes de guerre
07:42qui ont été commis jusqu'en 2009.
07:45C'est intéressant parce que, Jean-Dougliensy,
07:47vous vous dites, ça n'a pas de précédent.
07:49Confiscation, non.
07:50En plus, là, on n'est pas dans une confiscation,
07:52mais encore une fois, c'est quelque chose qui a déjà eu lieu.
07:54Quand on dit que ce serait sans précédent, non, ça a déjà eu lieu.
07:57Deuxièmement, aujourd'hui, je dirais, quand même,
08:00je dirais, la Russie commet, je dirais,
08:03des crimes de guerre contre l'humanité, de génocide,
08:05à une échelle absolument invraisemblable.
08:07Il n'y a pas un seul autre État au monde
08:09qui en a commis à ce point.
08:11Donc là, on peut parfaitement dire à un certain nombre d'États
08:13qui vont dire, ah là là, c'est pas sûr d'être dans un jeu d'euro.
08:15Attendez, vous ne commettez pas quand même
08:16des crimes à cette échelle invraisemblable.
08:19Donc, pour vous, c'est un enjeu ?
08:20Il y a centaines de milliers de personnes.
08:21C'est comme ça, la réalité.
08:22Pour vous, c'est un enjeu moral ?
08:24Non, c'est un enjeu.
08:25C'est un enjeu moral, c'est un enjeu financier et de principe, bien sûr.
08:28Mais absolument, un, il n'y a pas de risque juridique.
08:30Deux, les risques qu'évoque Jean de Glignasti.
08:32Encore une fois, cet argent, où est-ce qu'il va aller ?
08:35L'argent, je dirais, des pays du Golfe, par exemple.
08:38L'argent, je dirais, d'un certain nombre de géants asiatiques.
08:41Où est-ce qu'il va aller ?
08:41Il ne va pas s'investir dans le yuan.
08:43Il y a très peu de chances, chinois.
08:44Il ne va pas aller, évidemment, vers l'euro.
08:45Il ne va pas aller vers l'euro-pi.
08:47Si, en plus, vous avez le Royaume-Uni et le Japon
08:49qui sont prêts à faire exactement la même chose que l'Union Européenne,
08:52et peut-être, d'ailleurs, demain, les États-Unis,
08:54c'est-à-dire à geler et à transférer, d'une manière ou d'une autre,
08:56cet argent-là à l'Ukraine,
08:58encore une fois, cet argent restera
09:00parce que, tout simplement, les gens comprendront
09:02que ce n'est pas, je dirais, dans leur intérêt de ne pas le faire.
09:06Tout simplement.
09:07En fait, personne ne conteste que cet argent
09:11puisse être consacré à la réhabilitation,
09:14de l'Ukraine.
09:15Paradoxalement, d'ailleurs, même, j'ai lu dans la presse russe
09:18que les Russes disaient,
09:19ben oui, après tout, on pourrait prendre un tiers pour le Donbass
09:21et deux tiers pour l'Ukraine.
09:23C'est une idée qui s'impose
09:25compte tenu des dévastations qu'a connues l'Ukraine.
09:28Mais, ça serait dans le cadre d'un accord de paix.
09:31C'est ce qu'a proposé, d'ailleurs, Trump.
09:34Mais, évidemment, il l'a proposé à son avantage
09:36puisque c'est lui qui devait gérer cet argent.
09:38C'est-à-dire que, pour vous, c'est inimaginable
09:40que cet argent soit utilisé en dehors d'un accord de paix,
09:43en dehors de négociations avec la Russie.
09:45Je crois que c'est très difficile.
09:46Ce sera très difficile parce que
09:48l'Union européenne, c'est d'une certaine façon
09:51suicidaire pour le rôle de l'euro.
09:54Ce n'est pas trop...
09:55Mais la Belgique est absolument contre.
09:57Elle a des intérêts particuliers
09:59à défendre parce que Euroclair est une entreprise
10:01belge
10:03et qu'elle, son crédit,
10:05son image, d'ailleurs, Fitch vient de la dégrader,
10:07l'agence Euroclair,
10:09aujourd'hui, là, ce matin.
10:11Donc, effectivement, elle tient à son image de crédit.
10:15C'est très important pour Euroclair.
10:17Nicolas ?
10:17Je comprends parfaitement.
10:18Je dirais que la Belgique et l'Euroclair
10:20demandent, effectivement, un certain nombre de garanties
10:22à l'ensemble des autres pays de l'Union européenne.
10:25Parce qu'il n'y a pas de raison que ce soit la Belgique
10:26qui soit, encore une fois...
10:28Mais là, Jean-Douglignac, il vous dit
10:29pourquoi pas utiliser cet argent
10:31mais dans le cadre de négociations avec la Russie,
10:34dans le cadre d'un accord de paix ?
10:35Soyons parfaitement clairs.
10:37C'est une des divergences que nous avons avec Jean-Douglignac.
10:39Il n'y aura pas d'accord de paix.
10:41Parce que, tout simplement,
10:42imaginer que l'on puisse faire la paix
10:44avec un régime aussi criminel
10:47dont le dirigeant, d'ailleurs, n'a pas caché
10:49qu'il voulait prendre l'ensemble de l'Ukraine,
10:53la soumettre complètement,
10:55qui a regardé les déclarations des chefs d'État-major,
10:57pas seulement français,
10:58qui a décidé, je dirais,
10:59de diviser et d'attaquer l'Europe.
11:01Je veux dire, on est, je dirais,
11:02sur une sorte de théâtre d'ombre.
11:04Quand on parle d'accord de paix avec la Russie,
11:06on prononce dans la même phrase
11:07deux mots qui sont incompatibles.
11:10C'est ça, la réalité.
11:11Donc, aujourd'hui, ce qu'il faut,
11:12c'est gagner la guerre
11:13et donner les moyens à l'Ukraine
11:15de combattre plus efficacement
11:16et d'ailleurs, nous ne faisons pas assez.
11:18Jean-Douglignac.
11:19Il y a un si majeur dans ce que dit Nicolas Tanzer,
11:22c'est gagner la guerre.
11:23Or, la plupart des experts militaires,
11:26les Américains, les autres,
11:27disent qu'on ne la gagnera pas.
11:29Il n'y aura pas de victoire.
11:31Et donc, à ce moment-là,
11:32parce que Nicolas Tanzer dit
11:33qu'il n'y aura jamais d'accord de paix
11:35et vous vous dites qu'il n'y aura jamais de victoire.
11:36Donc, en réalité...
11:37Donc, il faut tenter le coup
11:39et on peut au moins rendre grâce à Trump
11:42d'avoir essayé.
11:43C'est là où je pense que, de toute manière,
11:45quand je vois la manière
11:46dont les Ukrainiens se défendent
11:49et quand je vois la Russie aujourd'hui
11:50qui tombe sur le plan économique et militaire,
11:53je me dis que la perspective
11:54d'une victoire pour l'Ukraine
11:55est quelque chose qui,
11:56non seulement possible,
11:57mais vraisemblable.
11:58Jean de Glynyassi, c'est-à-dire,
12:00vous êtes d'accord,
12:00il faut aider l'Ukraine ?
12:01Vous êtes d'accord ?
12:02Bien sûr.
12:03Il faut consentir un prêt à l'Ukraine ?
12:06Oui, c'est l'autre option de la Commission
12:08à laquelle s'opposent, malheureusement,
12:10l'Allemagne et deux ou trois pays.
12:12Mais il serait beaucoup plus logique
12:13et surtout beaucoup...
12:15J'allais dire,
12:16ça ne nuirait pas aux intérêts de l'Union européenne
12:19de le faire par un emprunt séparé.
12:22Mais c'est là où il y a un problème,
12:23c'est que là, il faut l'unanimité
12:24dans les règles, effectivement, européennes.
12:26Et là, on craint effectivement un veto
12:28de la Hongrie et de la Slovaquie.
12:30C'est aussi un des grands problèmes,
12:32évidemment, qui devraient être réglés aujourd'hui.
12:34Alors, que vont devenir ces 210 milliards
12:36d'avoir Russes gelés par l'Union européenne ?
12:39Réponse aujourd'hui, peut-être.
12:41On a commencé à en discuter ce matin
12:43sur France Inter.
12:43Je vous remercie tous les deux.
12:45Jean de Glynyassi, Nicolas Tenzer.
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