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Retrouvez « Nouvelles têtes » présenté par Daphné Bürki sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes

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Transcription
00:00Daphné Burki et sa nouvelle tête.
00:02Oui, il est 9h50, nous sommes en direct dans la grande matinale de France Inter
00:05et ma nouvelle tête s'appelle Sonia Bichet.
00:08Alors je peux vous dire officiellement que le génie porte parfois des grandes bottes,
00:11un tablier et un couteau parfaitement aiguisé.
00:14Sonia Bichet est meilleure ouvrière de France, poissonnière et caillère.
00:18C'est la distinction la plus exigeante de l'artisanat français,
00:20décernée par l'État, une fois tous les quatre ans.
00:23Un concours où vous ne battez pas des concurrents, vous battez la perfection.
00:26Et si c'est pas parfait, c'est pas mof, comme on dit.
00:29Elle est aussi championne du monde des écaillés
00:31et depuis peu, une aventurière revenue du tour du monde.
00:3518 pays en 10 mois, caméra au point pour sa série 20 milieux sous les mers sur YouTube.
00:40Avec son grand sourire tellement communicatif,
00:43avant que les crustacés ne serrent les fesses en la voyant arriver,
00:46son histoire est complètement folle.
00:48C'était hyper mal parti parce qu'adolescente, elle détestait l'odeur du poisson.
00:52Sonia, ça vous faisait quoi ?
00:53Ah, ça me dégoûtait.
00:54Ça l'a dégoûté, je sais.
00:56Et pourtant, il y a eu un événement.
00:58Ça a donné répulsion, révélation, passion.
01:01Alors avant de lui demander d'ailleurs si elle porte jour et nuit son col bleu blanc rouge,
01:05mof, tellement mof,
01:07elle fait une escale par chez nous ce matin dans le studio de France Inter.
01:10Bonjour Sonia Bichet, bienvenue.
01:12Bonjour, merci beaucoup.
01:13Comment ça va aujourd'hui ?
01:14Ça va super, je suis ravie d'être avec vous.
01:16Elle est en léger jet lag parce qu'elle fait vraiment le tour du monde en ce moment.
01:19Mais on va faire un petit flashback.
01:20En 2023, vous vous présentez à la finale du concours le plus redouté de l'artisanat français.
01:24C'est 10 heures d'épreuve du sang froid, des poissons à élever au rang d'orfèvrerie,
01:29des découpes, des sashimis au millimètre, un plateau de fruits de mer à imaginer comme une scénographie.
01:34Et puis à la dernière épreuve, elle est très théâtrale.
01:37C'est le grand oral face au jury.
01:39Qu'est-ce qui s'est passé à ce moment-là et qui a fait que vous avez fait la différence ?
01:42C'est vrai qu'après 10 heures d'épreuve, on est fatigué.
01:44Mais il ne faut pas oublier qu'il y a 8 ans déjà où on s'entraîne et tous les matins, c'est notre rêve.
01:48Donc on arrive épuisé et puis on a cet oral qui comprend les noms latins, les tailles, la pêche, l'actualité, l'environnement, l'hygiène.
01:55Et là, on a une épreuve surprise à ce moment-là.
01:57Et là, le jury me dit qu'il faut ouvrir des huîtres tout en répondant aux questions.
02:01Et j'ai un petit sourire au coin quand même parce que du coup, comme j'ai gagné la Coupe du Monde,
02:05c'est vrai que c'est quelque chose que je maîtrise plutôt bien.
02:06Et je me souviendrai toujours, le jury qui m'a dit « Vous savez, mademoiselle, vous avez répondu aux questions, mais il faut ouvrir les huîtres. »
02:12Et j'aurais dit « Ça tombe bien, c'est déjà ouvert. »
02:14Ils n'avaient même pas remarqué.
02:16Ils n'avaient même pas vu qu'elle avait déjà tout fait.
02:19Sonia, vous venez de la vallée de Chevreuse.
02:22Et on entend ce son d'ailleurs qui vous réunit avec vos parents.
02:26Ce n'est pas ce son-là, c'est Sting, mais vous avez une mère prof de sport, un père informaticien.
02:33Vous avez votre bac S.
02:34Vous pouvez filer en fac de droit.
02:35Franchement, vous y allez tout droit.
02:36Mais il s'est passé quelque chose.
02:38Quelque chose d'hyper puissant.
02:41Peut-être plus puissant que d'être mof aujourd'hui, la meilleure ouvrière de France.
02:45Vous avez pris un petit job dans une poissonnerie.
02:47Oui, c'est ça.
02:48En face du lycée, il y avait une poissonnerie.
02:51À l'époque, c'était les marchés.
02:52Il fallait se lever tôt, mais ça payait bien.
02:54Comme j'étais une adolescente, comme tout le monde, j'aimais bien sortir.
02:56Mes parents m'ont dit « Ok, tu peux sortir, mais il faut commencer à gagner ses sous. »
02:59Donc j'ai travaillé à la poissonnerie en me passant le nez, en arrivant devant, mais en y allant pour gagner des sous.
03:06Et finalement, je n'ai jamais arrêté.
03:07Vous avez adoré.
03:08Ça a été un coup de foudre incroyable.
03:10Il y a autour de vous pas mal de gens qui ont voulu vous dissuader, qui vous ont dit carrément que de faire la poissonnerie, c'est rater votre vie.
03:16Oui, complètement.
03:18C'est vrai que je viens de la vallée de Chevreuse.
03:19Je voulais aller en fac de droit.
03:20J'ai un bac S et dire ça à mon entourage.
03:23Mes parents m'ont soutenu, mais ils m'ont dit « Tu passes ton bac. »
03:26C'était un peu une lubie.
03:27Ils m'ont dit « Dans un an, elle va reprendre les études. »
03:30Les profs, tout le monde disait « Tu vas rater ta vie poissonnière. Attention, Sonia. »
03:34Et je trouve que j'ai plutôt bien raté ma vie.
03:38Même quand vous sortiez entre jeunes, comme on dit, c'était pas génial.
03:42Quand on dit « Tu fais quoi tes poissonnières ? »
03:45C'est vrai que c'est dur quand on a 18 ans, qu'on arrive dans des bars pour dragouiller un peu.
03:50Et que finalement, les garçons disent « Tu fais quoi dans la vie ? Je suis poissonnière. »
03:52Et là, ils tournent le dos.
03:54C'est ça, c'est ça en ce moment.
03:57Mais vous, vous avez tenu bon.
03:58Vous avez tout passé.
03:59Vous êtes devenu meilleur apprenti de France.
04:01Vous êtes parti travailler partout en Suisse, à Monaco, dans des palaces.
04:04Les concours se sont enchaînés.
04:06Vous avez tout gagné en 2020.
04:07Vous devenez la première femme championne du monde des écaillés 2023.
04:10Et pourtant, quand vous avez décroché ce titre, après 8 années de travail,
04:14vous avez eu un petit coup de dépression quand même.
04:16Une dépression heureuse, vous dites.
04:18Oui, forcément, c'est une dépression heureuse.
04:20Je suis obligée de rajouter le mot « heureux » parce que c'était mon rêve.
04:24J'ai réalisé mon rêve.
04:25Mais c'est vrai que d'un seul coup, je me suis réveillée un matin et je me suis dit
04:27« Waouh ! Qu'est-ce qui se passe ? Je fais quoi ? »
04:31Tout s'arrête et d'un côté, tout va recommencer, mais avec un nouveau statut.
04:35Et donc oui, ça a été dur.
04:36Pendant un mois, je me suis beaucoup questionnée sur l'avenir.
04:40Mais j'étais heureuse parce que j'avais réalisé mon rêve.
04:44Il paraît que, pour parfaire votre légende, Sonia, selon votre mère, vous n'avez jamais aimé les desserts.
04:50Vous n'en avez jamais mangé.
04:51Vous, c'est l'iode.
04:53L'iode, scientifiquement, c'est un goût primitif, minéral, presque métallique.
04:57C'est un goût qui réveille, en fait.
04:59Est-ce que c'est votre métier qui a formé votre palais ?
05:02Ou est-ce que vous vous dites parfois, je ne sais pas si je suis un peu cinglée,
05:05mais que c'est une émotion peut-être plus ancienne, presque instinctive, peut-être d'une autre vie ?
05:10Non, je pense que c'est le métier.
05:12Moi, vraiment, je n'aimais pas le poisson, les fruits de mer, les huîtres.
05:15Les huîtres, ça me répugnait quand j'étais plus jeune.
05:17Et en fait, quand j'ai commencé à faire ce métier-là, on est parti un jour à Marraine de Léron.
05:21J'ai rencontré un austro-oculteur qui m'a ramené son huître,
05:23qui m'a expliqué que l'huître, ça faisait deux ans qu'elle était dans l'océan,
05:26qu'il allait en prendre soin, qu'elle a retourné, qu'il me l'a ouverte.
05:29J'ai vu son sourire et je me suis dit, je suis obligée de goûter.
05:31Et quand j'ai goûté, ce n'était pas bon.
05:33C'est juste que ça m'a amené une énergie et quelque chose d'assez fabuleux
05:37parce que j'ai compris qu'en fait, quand on mangeait une huître, il y avait quand même une vie.
05:40L'huître a une vie, ça fait vivre des gens aussi.
05:43Et donc voilà, au fur et à mesure, aller chercher l'histoire des produits,
05:45ça m'amène des goûts, ça m'amène des saveurs et c'est ça que j'apprécie.
05:50On vous a proposé des postes à peu près partout à l'étranger.
05:53Mais vous, vous vous êtes dit, quand on devient meilleure ouvrière de France,
05:57qu'on a une filière à défendre, de la pêche jusqu'aux assiettes,
06:00on doit s'engager.
06:01Alors vous êtes partie.
06:04Vous faites un tour du monde, c'est complètement dingue.
06:0618 pays.
06:07Elle habite nulle part.
06:08Elle n'a pas d'appartement en ce moment.
06:10Elle n'arrête pas de voyager.
06:11La pêche sur la glace au Canada, des femmes amas au Japon,
06:15les cuisines de Singapour, des ambassades, des marchés, des bateaux,
06:18presque sans dormir pendant un an.
06:20Qu'est-ce que vous cherchez dans ce voyage ?
06:21Est-ce que c'est un savoir ? Est-ce que c'est une légitimité ?
06:24Est-ce que c'est juste un endroit où...
06:25Elle cherche le rince-doigt.
06:26Je sais pas.
06:29C'est sûr, c'est peut-être ça.
06:31Est-ce que c'est ça, Charline Raison ?
06:34Qu'est-ce que vous cherchez ?
06:35Qu'est-ce que je cherche ?
06:36C'est vrai que quand on devient meilleure ouvrière de France,
06:37c'est un examen national.
06:39Donc on est proche de la perfection en termes de travail.
06:44Mais après, il y a tout un engagement derrière.
06:46Et je me suis vue répéter ce que mon patron à l'époque me disait.
06:49Et je me suis dit, non, c'est bon, il faut que j'ai ma propre voix.
06:51On a une filière qui a besoin d'engagement.
06:53Quand je parle de filière, ce n'est pas que la poissonnerie,
06:55mais c'est la pêche, la poissonnerie, les chefs, tout.
06:59Et donc voilà, je me suis dit, écoute, on me propose un poste à New York,
07:02on me propose un poste en Australie.
07:04Pourquoi pas ? Je vais faire un petit voyage.
07:05Au début, je pensais faire cinq pays.
07:07Et je vais aller voir ce qui s'y passe.
07:08Ça s'est transformé en 18 pays.
07:11Alors je ne sais pas ce que vous projetiez quand vous étiez adolescente
07:14et que vous écoutiez Mac Miller.
07:15Mais aujourd'hui, vous êtes suivie par une grosse communauté quand même sur YouTube
07:19qui regarde justement vos reportages.
07:21Il y a huit épisodes qui sont déjà en ligne.
07:24Ça s'appelle 20 milieux sur les mers.
07:27La saison 2 démarre à La Réunion et ça file vers les dom-toms.
07:30Est-ce que vous avez une dédicace ce matin en particulier ?
07:34Moi, j'aimerais juste faire une dédicace aux jeunes pour leur dire qu'on dit souvent
07:39les jeunes, ils ne travaillent plus, ils ne sont fainés, non, pas du tout.
07:42Juste écoutez-vous.
07:43Et il y a des fois, même en vous passant le nez quelque part, ça peut faire un super avenir
07:50et une super vie.
07:50Moi, je suis très heureuse.
07:52Donc écoutez-vous, n'écoutez pas les autres.
07:53Et on est une belle génération.
07:56Évidemment, c'est Sonia Bichet qui était au micro de France Interpouée la Suisse
07:59sur ses réseaux sociaux et encore une fois sur sa chaîne YouTube.
08:02C'est hyper bien foutu, ses reportages.
08:04Vraiment bravo.
08:05Merci d'avoir accepté l'invitation.
08:06Et aujourd'hui, vous avez un poisson adoré plus que tous les autres.
08:09Moi, j'ai envie de vous garder encore pendant deux heures.
08:11J'ai mille questions à vous poser.
08:13Le poisson chouchou aujourd'hui ?
08:15C'est le poisson de saison, le poisson pêché par nos pêcheurs en France, les petits bateaux.
08:20Et puis le poisson qui raconte la plus belle histoire.
08:22Elle est parfaite, notre meilleure ouvrière de France.
08:26Merci Sonia.
08:27Merci d'être venu.
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