00:00Il est 9h50, nous sommes en direct dans la grande matinale de France Inter.
00:03Ma nouvelle tête super bien faite, encore une fois, s'appelle Léa Moukanas.
00:08Elle est l'une des plus jeunes présidentes d'associations en Europe.
00:12A 15 ans, pendant que certains passaient leurs brevets et d'autres, comme moi, leurs nuits en club.
00:17Elle, l'adolescente, crée l'association Aïda.
00:22Léa est née à Beyrouth le 18 juin 1999 sous un soleil têtu, un peu comme elle.
00:29Et un prénom qui veut dire lumière.
00:31Je coupe le son !
00:33Mettez-moi la chanson qu'il aide à vivre, s'il vous plaît.
00:38Dix ans plus tard, Aïda, c'est une armée douce.
00:412000 bénévoles, 2200 patients accompagnés.
00:44D'où vient cette force ?
00:45Il paraît qu'à 7 ans, dans une voiture entre Beyrouth et Damas, au milieu des chars, des bombardements, des cadavres sur la route,
00:51Léa a demandé à sa cousine « Est-ce que tu crois que ça fait mal de mourir ? »
00:55Léa, elle ne pleure pas.
00:56Elle regarde, elle comprend, elle avance.
00:57Et sa mère, Joumana, dit « Il y avait une force incroyable dans ses yeux ».
01:02Aujourd'hui, Léa, elle a 25 ans ce matin, elle fête les 10 ans d'Aïda,
01:05l'association qui porte le prénom de sa grand-mère et l'énergie d'une génération entière.
01:09Salut Léa !
01:10Salut !
01:11Bienvenue !
01:11Merci !
01:12En vrai, vous avez quand même goûté au club ou pas ?
01:14Pas trop trop, en vrai.
01:16On remet le son.
01:17Plus tard.
01:18Allez, juste pour vous, on remet le son.
01:20Allez Léa !
01:22C'est jamais trop tard pour sortir.
01:24Après, on va être invité, mais l'hôpital, ça fait une bonne boîte de nuit aussi, parfois.
01:28C'est vrai.
01:29Parce qu'il y a de la joie aussi.
01:30Il y a beaucoup de joie.
01:31Quand on l'approche.
01:32Moi, je pense que ma première soirée, c'était à l'hôpital.
01:35Vous vous en souvenez ?
01:36Oui, c'était un vendredi soir.
01:38Première intervention qu'on fait à l'hôpital.
01:40On arrive, on a tous 14-15 ans, c'était dans une clinique dans le 16e.
01:44Et là, les jeunes mettent la musique à fond, on fait sortir les jeunes des chambres.
01:47Et il y a une soirée qui se passe comme si on était ailleurs que dans un hôpital.
01:5110 ans d'Aïda, ça se fête aussi.
01:53Votre mission, elle n'a jamais changé.
01:55De l'annonce de la maladie, chers auditeurs, jusqu'à 5 ans après la rémission,
01:59vous accompagnez des jeunes entre 12 et 25 ans,
02:01ce qui rencontre la maladie à un âge de passage entre l'enfance et la vie d'adulte.
02:05Parce qu'avant d'être un malade, un jeune doit rester un jeune.
02:09Quand on a créé une association à 15 ans et qu'on en a aujourd'hui 25,
02:13on regarde quoi ?
02:14Le chemin parcouru, ce qu'il reste à faire, on en est où ?
02:17On se dit qu'on a eu beaucoup de chance déjà.
02:19Moi, j'ai l'impression que j'ai grandi au prisme d'Aïda
02:23et que c'est une école de vie extraordinaire.
02:25Vous démarrez ça à 15 ans, moi j'étais très timide.
02:27Et en fait, ça vous apprend à vivre avec les autres,
02:32à découvrir des milieux que vous ne connaissez pas,
02:34à lever des fonds.
02:36Déjà, c'est une école extraordinaire.
02:37Et puis, vous prenez des claques en permanence
02:39parce qu'on passe nos journées à l'hôpital,
02:41on passe nos journées dans l'après-cancer aussi
02:43pour aider les jeunes à se reconstruire après.
02:45Donc, je considère que j'ai eu beaucoup de chance.
02:46La première fois que Léa a voulu s'engager,
02:50elle l'a fait de façon, disons, totalement illégale.
02:52Ça s'est passé la nuit, on raconte ?
02:54Qu'est-ce que vous...
02:55Il y a prescription maintenant.
02:56Vous avez réveillé votre mère ?
02:59J'ai réveillé ma mère en plein milieu de la nuit
03:01parce qu'en fait, pour créer une association
03:03à cette époque-là, il fallait avoir 16 ans minimum.
03:05Moi, je venais tout juste d'avoir 15 ans.
03:07Donc, j'ai réveillé ma mère en plein milieu de la nuit.
03:09Je lui ai fait croire qu'il fallait absolument
03:11qu'elle signe mon bulletin de notes
03:12sinon j'allais me faire virer le lendemain.
03:14Et en fait, à moitié réveillée,
03:16elle a signé les statuts qui actaient
03:18la création d'Aïda.
03:20Et je pense qu'elle n'a pas imaginé
03:22que 10 ans plus tard,
03:24ce serait ce que c'est aujourd'hui.
03:26Et pour la petite histoire,
03:26ma mère est avocate.
03:27Donc, on m'a appelée maître Moukanas
03:29pendant la première année d'existence d'Aïda.
03:32C'est tellement une bonne idée.
03:34Quand on vous observe,
03:35franchement, Léa,
03:36on se demande toujours
03:36d'où il vient cet engagement.
03:38Comment ça naît un engagement ?
03:39Et puis surtout, comment ça tient ?
03:41Et c'est souvent la perte ou la séparation,
03:43il paraît, qui amène de la lumière.
03:44Ce qui vous amène là,
03:45vous s'éteint d'œil.
03:46Celui de votre grand-mère,
03:47elle s'appelait donc Aïda.
03:48Et cette rencontre à l'hôpital
03:50avec Justine aussi,
03:51on peut raconter ?
03:52Oui.
03:53Moi, ma grand-mère tombe malade,
03:55elle a un cancer.
03:56Et c'est vrai que je me rends compte
03:57par son hospitalisation
03:58qu'il y a des jeunes de mon âge
03:59qui ont la même maladie qu'elle,
04:01que je vais rencontrer ensuite à l'hôpital.
04:03Et c'est vrai,
04:04tu vous l'avais dit,
04:05c'est un âge très particulier.
04:06C'est un âge de transition.
04:08Et le cancer,
04:09ce n'est pas juste une maladie,
04:10c'est aussi une rupture
04:11dans la vie de ces jeunes-là.
04:12Et quand j'ai rencontré Justine
04:14la première fois,
04:15elle refusait de voir des associations
04:18parce qu'elle ne voulait pas de pathos,
04:19elle ne voulait pas
04:19qu'on la prenne en victime
04:22ou qu'on la regarde différemment.
04:24Et quand elle s'est rendue compte
04:25qu'on avait son âge,
04:26il y a quelque chose
04:26qui s'est joué dans son regard
04:28et on a fini la soirée
04:30sur un quatre-mains au piano
04:31dans sa chambre.
04:32Et à la sortie de sa chambre d'hôpital,
04:33elle m'a regardée
04:34et elle m'a dit,
04:35merci parce que pour la première fois,
04:37je me suis sentie jeune
04:37et pas malade.
04:38Et ça, ça a vraiment été fondateur
04:40de ce qu'on fait avec Aïda
04:41et de ce qu'on a apporté
04:42avec les milliers de patients
04:43qu'on a soutenus
04:43ces dix dernières années.
04:45À 15 ans, franchement,
04:45on ne prend pas toujours au sérieux
04:46une adolescente,
04:47même avec les meilleures convictions du monde.
04:49Moi, à 15 ans,
04:50je croyais que quand on se regardait
04:51vraiment longtemps dans un miroir,
04:52on finissait par se connaître vraiment
04:53un peu comme dans Fréquence 1
04:54avec Laurent Boyer.
04:55Spoiler !
04:56Pas du tout !
04:58C'est juste en boissant !
05:00On a essayé de vous dissuader,
05:01notamment quand vous êtes allé frapper
05:03au port des hôpitaux.
05:04Il y a un médecin
05:04qui vous a carrément envoyé promener.
05:06Nous, la conviction qu'on a toujours eue,
05:11pouvait vraiment apporter un élan de fraîcheur
05:13dans les hôpitaux.
05:13Et c'est vrai que c'était quelque chose
05:14de très nouveau il y a dix ans.
05:16Et donc, on a fait,
05:17avant de signer notre première convention
05:18de partenariat avec un hôpital,
05:19on a fait le tour d'une quarantaine d'hôpitaux
05:21avant de réussir à avoir
05:22une convention de partenariat.
05:23Et c'est vrai qu'il y a un médecin
05:25qui m'a dit, écoute, fais médecine,
05:27reviens dans 15 ans,
05:29et puis quand tu reviendras,
05:30tu pourras soutenir et accompagner.
05:32Alors, il y a les personnes
05:34qui nous ont mis des barrières,
05:35mais il y a aussi toutes celles
05:35qui nous ont soutenues.
05:37Et les pros de santé
05:41sont d'Aïda aujourd'hui.
05:42On leur doit beaucoup.
05:43Mais c'est vrai qu'il y a eu
05:44cette petite histoire du début,
05:45mais qui, je crois,
05:46nous a donné la niac d'y aller quand même.
05:48Mais OK, il y a peut-être ça,
05:49Léa Moukanas,
05:50mais quand même, ça vient d'où,
05:51cette obstination ?
05:53Est-ce que ça vient justement du Liban ?
05:55Est-ce que c'est l'énergie du Liban ?
05:57Est-ce que c'est l'énergie de votre mère ?
05:59Est-ce que c'est l'énergie
06:00de votre grand-mère ?
06:01J'ai besoin de comprendre
06:02d'où ça vient ?
06:04Je crois que le Liban m'a transmis
06:06que quand quelque chose n'existait pas,
06:08il fallait le créer.
06:09Et je crois que le Liban,
06:11je l'ai gardé très, très fort en moi.
06:14Moi, je n'ai pas été déracinée
06:15comme ma mère
06:16ou comme mes grands-parents
06:18qui ont fui,
06:18qui ne savaient pas
06:19quand ils allaient revenir.
06:20Moi, j'ai été enracinée dans deux pays.
06:22J'ai été enracinée au Liban,
06:23j'ai été enracinée en France.
06:24Et le Liban m'a appris,
06:26parce que ce n'est pas un État social,
06:27parce que c'est un État...
06:28C'est Joe la débrouille.
06:29Moi, je suis Joe la débrouille
06:30du monde associatif.
06:31Mais le Liban m'a appris
06:33que quand ça n'existait pas,
06:34il fallait le créer.
06:34Et il y a dix ans,
06:35on a constaté
06:36qu'il n'y avait rien
06:36qui existait pour les jeunes
06:37qui avaient un cancer
06:38ou très peu de choses.
06:39Et donc,
06:40on a créé cette association
06:41pour pouvoir les accompagner
06:42pendant et après les traitements.
06:44Vous avez donné
06:45le prénom de votre grand-mère,
06:47encore une fois,
06:48à cette association,
06:49Aïda.
06:49Et pas pour l'opéra de Verdi.
06:51Même si, dans Aïda,
06:53je me suis rendu compte
06:54qu'il est aussi question
06:54d'amour,
06:56de loyauté,
06:57de sacrifice.
06:58Vos trois missions,
06:59je le rappelle,
06:59chers auditeurs,
07:00briser l'isolement
07:01des jeunes à l'hôpital,
07:02les accompagner
07:03à se projeter après les traitements
07:04et sensibiliser les jeunes
07:06à la santé physique et mentale.
07:08Ce nom, aujourd'hui,
07:08c'est quoi pour vous
07:09et qu'est-ce que vous êtes
07:10en train de faire
07:10et qui est vraiment
07:11une bonne nouvelle ?
07:12Oui, on a une bonne nouvelle
07:13ce matin
07:14puisqu'on va lancer
07:16un lieu physique
07:17fort de dix ans d'engagement
07:19avec Aïda
07:20pour permettre aux jeunes
07:21de se retrouver
07:21à la sortie des traitements.
07:23Donc, ça va être
07:23le premier tiers-lieu
07:24qui est 100% dédié
07:26à la santé des jeunes
07:26et à l'après-cancer
07:27chez les jeunes
07:28où un jeune
07:28qui vient de vivre
07:29un an, un an et demi,
07:30deux ans de traitement
07:31et sa famille
07:31vont pouvoir être accompagnés
07:33à la sortie des traitements
07:34et avoir ce SAS
07:35qui la permet
07:36de se projeter
07:37et de se reconstruire après.
07:38Si on veut s'engager,
07:39parce que je vous assure
07:40que c'est hyper simple
07:41de s'engager,
07:42même quelques heures,
07:42concrètement,
07:43on fait comment ?
07:44Vous êtes bien placée
07:45pour en parler aussi
07:45mais pour s'engager concrètement,
07:49alors nous,
07:49chez Aïda,
07:49c'est un engagement à la carte.
07:51Donc, soit on s'engage
07:52deux heures par an,
07:53soit on s'engage
07:54deux heures par semaine,
07:54soit on s'engage
07:55deux heures par mois
07:55mais on reçoit
07:57une formation au départ
07:58et ensuite des SMS
07:59avec les missions
08:00les plus proches de chez nous.
08:01Donc, c'est facile
08:01et honnêtement,
08:03ça fait du bien.
08:03Mais quel genre de mission,
08:04par exemple ?
08:05Alors, ça peut être
08:06rendre deux heures visite
08:08à un jeune qui est hospitalisé,
08:10ça peut être aller tenir
08:11un stand de sensibilisation
08:12dans un lycée,
08:13ça peut être faire
08:14une collecte de fonds
08:14en entreprise.
08:15Enfin voilà,
08:15les missions sont très variées.
08:16On n'est pas forcément
08:17obligés d'aller à l'hôpital
08:18pour s'engager
08:19si ça nous fait peur
08:20ou si on n'a pas forcément
08:21envie d'y aller tout de suite.
08:22Et puis, on est accompagnés.
08:23On n'est pas lâchés dans la nature.
08:25Il y a une formation chez nous.
08:26Il y a des psychologues aussi
08:27qui accompagnent les bénévoles.
08:28Donc, il y a vraiment
08:29tout un accompagnement
08:30qui est proposé
08:31et qui rend l'engagement
08:31à la fois facile et accessible
08:34et à la fois responsabilisant
08:35quand on est jeune.
08:36Puis, vous pouvez organiser
08:37des teufs aussi
08:38dans les hôpitaux.
08:39Franchement,
08:40vous pouvez mettre
08:40le son de son enfance.
08:42Par exemple, c'était
08:43J'en ai rien à faire.
08:44Je le passerai.
08:44C'était d'Aïda.
08:46Personne m'empêchera
08:47de prendre sa terre.
08:48Que les choses soient bien claires
08:49et qu'il y a une teuf à lancer.
08:50Non, mais allez-y !
08:51Je veux dire,
08:52cinq heures dans l'année,
08:53qu'est-ce que c'est
08:53de faire une fête
08:54dans un hôpital
08:55avec des jeunes ?
08:56Et Aïda,
08:57je vous en supplie,
08:57allez-y.
08:58On vous met les liens
08:58évidemment sur les réseaux sociaux
08:59de France Inter.
09:01Merci, Léa Moukanas.
09:02Bravo, moi,
09:03j'en ai apprécié.
09:03J'applaudis.
09:04Bravo pour ton engagement.
09:06Et bon anniversaire.
09:07Et bon anniversaire, Aïda.
09:10Merci à toutes les deux.
09:11Vous restez avec nous.