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La saga des Camondo, une famille de Juifs séfarades, a débuté sur les rives du Bosphore au début du XIXe siècle. En 1868, Abraham-Behor et Nissim Camondo décident de s'installer à Paris. A la génération suivante, les cousins Moïse et Isaac se passionnent plus pour l'art que pour la banque familiale et deviennent de grands collectionneurs. Après le décès de son fils lors de la Première Guerre mondiale, Moïse fait don de son impressionnante collection à la France. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les derniers descendants de la famille Camondo sont assassinés à Auschwitz-Birkenau. Aujourd'hui, il ne reste d'eux et et de leur aspiration à la France que des lieux et des objets.
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00:00:00...
00:00:00Au cœur de Paris, un jardin d'enfance.
00:00:30Le parc Monceau.
00:00:37Venir ici le dimanche depuis Barbès-Rochechoir, à quelques stations de là,
00:00:42c'était accéder à l'essence d'une vie française.
00:00:51Balançoires, silhouettes entrevues, allées rectilignes,
00:00:57mystérieux hôtels particuliers à la bordure du parc.
00:01:04L'une de ces maisons, souvent les volets clos, me faisaient rêver.
00:01:09Bien plus tard, j'ai appris que cette maison avait été la tienne.
00:01:15Ta maison, Moïse de Kamondo, natif d'Istanbul.
00:01:19...
00:01:29...
00:01:34...
00:01:49...
00:01:55Je marche dans tes pas, Moïse.
00:02:12Moïse de Kamondo.
00:02:14Dans ton palais des mille et une nuits devenu musée,
00:02:19où rien, strictement rien n'a changé depuis le jour de ta mort en 1935.
00:02:25Tu étais venu d'Orient, de l'Empire ottoman, avec ta famille, les Kamondo,
00:02:35eux qu'on appelait les Rothschilds de l'Est.
00:02:38À Istanbul, déjà, vous étiez puissant, riche à millions.
00:02:43Et à Paris, où vous avez choisi de venir vivre en 1870, vous l'êtes resté.
00:02:48Moïse, ton incroyable collection d'art du XVIIIe siècle, ton splendide hôtel particulier
00:02:56qui faisait l'admiration du Paris de la belle époque.
00:02:59Tout, tu as tout donné, légué à la France.
00:03:03Tu n'as posé qu'une seule condition.
00:03:07Ta maison devait demeurer en tout point identique à ce qu'elle était de ton vivant.
00:03:12Une maison belle au bois dormant.
00:03:15Tu voulais qu'elle soit un mausolée, où survive la mémoire de ton unique fils, Nissim.
00:03:30Mais c'est finalement ta famille entière qui a disparu, à des milliers de kilomètres du parc Monceau.
00:03:36Ton nom, Camondo, n'est plus porté par aucun vivant.
00:03:45Les Camondos ont disparu, Moïse. Pourquoi ?
00:03:51Seule ta maison et tes objets demeurent. Pourquoi ?
00:03:56Et moi, intimidée par tant d'opulence, moi qui pourrais être ta descendante imaginaire.
00:04:03Je sens ton âme et celle des tiens flotter derrière les tapisseries, les fauteuils, les porcelaines.
00:04:11Leur présence muette témoigne de ton espoir, Moïse.
00:04:16De ton orgueil, peut-être, à vouloir figer le cours du temps.
00:04:25Mais tout tressaille ici, de vos vies brisées, qui se mêlent à l'histoire de France.
00:04:30Cette folle saga des Camondos, qui vous mena d'Istanbul à Paris, du summum de la puissance et de la richesse, jusqu'à l'extinction totale de votre nom.
00:04:43Puisqu'aucun des tiens ne pourra plus jamais la raconter, en voici les traces ressurgies.
00:04:49La toute première fois où je suis venu dans cet endroit, je ne connaissais pas du tout, même pas de nom.
00:05:05Je ne savais rien.
00:05:07Comme je ne savais rien de cette famille, moi, au départ, pour moi, c'était des aristocrates italiens.
00:05:13Je n'en savais pas plus.
00:05:15Et puis, un soir, quelque chose s'est déclenché.
00:05:20Alors, j'étais venu sept ou huit fois déjà.
00:05:22Il y avait une grande réception.
00:05:24L'endroit était éclairé, donc, pour la nuit.
00:05:27C'était très beau, mais il était vide.
00:05:32Et puis, à un moment, j'ai voulu aller me laver les mains.
00:05:35Et je suis allé tout en haut.
00:05:36Et en haut, il y avait une petite salle qui avait été inaugurée peu avant.
00:05:41Et c'était une salle de souvenirs.
00:05:43Donc, avec des photos, des choses comme ça.
00:05:46Donc, je m'y suis attardé.
00:05:48Ça m'a beaucoup impressionné.
00:05:50Et ça se terminait par un arbre généalogique.
00:05:53Ce que je n'avais jamais vu.
00:05:55Et quand j'ai vu que cette arbre généalogique commençait à Venise et s'achevait à Auschwitz, j'ai été pris de quelque chose d'indéfinissable.
00:06:06Ce qu'on appelle la présence des morts.
00:06:17Et cette présence des morts, on la ressent dans des endroits qui demeurent habités.
00:06:23Et c'est pour ça que je dis toujours que ce n'est pas un musée, mais une maison.
00:06:26Car un musée n'est pas habité.
00:06:29Il est habité par des œuvres d'art.
00:06:31Mais une maison, elle est habité par des silhouettes, par des présences, des spectres, des fantômes.
00:06:39Et ici, il y en a plein pour qui c'est les voir.
00:06:46Je suis toujours aussi ébloui par la qualité de la lumière ici.
00:06:53Les ombres dans cette maison.
00:06:55C'est l'une des maisons les plus obscures où j'ai jamais été.
00:07:00Elle regorge d'espaces par lesquels vous pouvez passer d'un endroit à l'autre.
00:07:05Vous êtes comme aspiré.
00:07:09Là, nous nous dirigeons vers les cuisines.
00:07:13Quand je suis venu ici la première fois, j'avais 17 ans.
00:07:16Elle n'était pas restaurée, elle n'était même pas ouverte.
00:07:19Et aujourd'hui, c'est une suite de pièces extraordinaires.
00:07:26Tout ici, chaque détail, doit servir au fonctionnement parfait d'une grande maison.
00:07:34Quand on entre ici, là c'est pour la vaisselle, mais si on jette un œil dans la salle à manger des domestiques,
00:07:46on voit que tout est conçu avec une grande précision et un grand souci du détail.
00:07:52Cela donne une idée du niveau auquel Moïse de Camondo et sa famille aspiraient à vivre.
00:07:59On ressent vraiment que cette famille veut prouver qu'elle a sa place dans la bonne société parisienne.
00:08:07Ils sont devenus français à part entière.
00:08:12Ils veulent le prouver au monde entier.
00:08:15Et comment on fait cela ?
00:08:17Autour d'une table.
00:08:18Je les connais mieux que ma famille.
00:08:32Une famille de cœur.
00:08:35J'ai été embauchée en 80.
00:08:40C'était un musée endormie.
00:08:43Très, très calme.
00:08:48Et à côté du bureau de la conservatrice,
00:08:54il y avait donc l'ancienne garde-robe de Moïse.
00:08:59Il y avait donc sa salle de bain.
00:09:02Et dans la baignoire,
00:09:04il était entassé des cartons d'archives.
00:09:08C'est comme ça que tout d'un coup,
00:09:13j'ai découvert qui était le Camondo.
00:09:16Et effectivement, du coup,
00:09:18j'ai tiré le fil.
00:09:20Ça, c'est la traduction de ça,
00:09:39qui est l'acte mariage, la ketobah.
00:09:42Le vendredi 15-25-564,
00:09:46de l'ère de la création du monde.
00:09:49C'est-à-dire le 25 mai 1804,
00:09:52ici à Péripacha,
00:09:54près de Constantinople,
00:09:566 au bord de la Grande-Mère,
00:09:58voici comment le fiancé,
00:10:00l'excellent homme Abraham Camondo,
00:10:03que son rocher et son rédempteur le gardent,
00:10:06a dit à la fiancée,
00:10:08la Vierge Gazelle Gracieuse,
00:10:10beauté parfaite,
00:10:11la jeune Clara,
00:10:13« Sois mon épouse,
00:10:14selon la loi de Moïse et d'Israël,
00:10:17et moi,
00:10:18avec l'aide de Dieu,
00:10:19je travaillerai,
00:10:20je te respecterai,
00:10:21te nourrir,
00:10:23t'entretiens. »
00:10:24Moïse,
00:10:25c'est comme ça que se sont mariés tes arrières-grands-parents.
00:10:28Comme ça que l'on faisait,
00:10:30là-bas,
00:10:31à Istanbul.
00:10:32« Ils sont des séfarades,
00:10:37c'est-à-dire des Juifs venus d'Espagne,
00:10:40du Portugal.
00:10:41Ils semblent qu'ils aient toujours été dans la finance,
00:10:44proches de la cour ottomane.
00:10:46Les archives commencent à la fin du XVIIIe siècle par un drame.
00:10:52Il y a des bruits qui courent qui les accusent,
00:10:55et ils sont obligés de fuir.
00:10:58Ces 18 personnes de la famille s'embarquent nuitamment
00:11:02dans un bateau de fortune vers l'Italie.
00:11:06Et quinze ans plus tard, ils reviennent.
00:11:09« Les Kamondo s'installent comme financiers,
00:11:14en prêtant de l'argent, en devenant saraf,
00:11:16ces banquiers qui prêtaient à la cour ottomane. »
00:11:21« Ta terre natale, Moïse, votre royaume,
00:11:25le quartier de Galata,
00:11:27le cœur financier d'Istanbul.
00:11:29Ici, vous viviez en clans les uns à côté des autres.
00:11:34Votre banque, vos immeubles, vos maisons,
00:11:38c'était le Kamondo Land.
00:11:41Les affaires, c'était votre énergie, votre bonheur.
00:11:47Savaient-ils, les passants d'autrefois,
00:11:50que c'est au Kamondo qu'ils devaient le pavage des rues du quartier,
00:11:53leur éclairage, les premiers tramways,
00:11:56les premiers bateaux à vapeur sur le Bosphore ?
00:11:59Et les passants d'aujourd'hui ?
00:12:02Le savent-ils que ces escaliers,
00:12:04ce sont les Kamondo qui les ont fait construire ?
00:12:07Derrière leurs pas, j'imagine ceux de ton père,
00:12:13de ton oncle, de ton arrière-grand-père,
00:12:16quand ils descendaient et montaient, chaque matin, chaque soir,
00:12:19entre leur banque et leur maison.
00:12:22Et toi, Moïse, te souvenais-tu des escaliers de ton enfance ?
00:12:28Toi, l'arrière-petit-fils d'Abraham Salomon,
00:12:31le fondateur de la dynastie Kamondo.
00:12:34Abraham Salomon avait un fils, Raphaël,
00:12:40qui avait deux fils, Abraham Béor et Nisim, ton père.
00:12:50Ils ont chacun eu un fils, ton cousin Isaac, fils d'Abraham,
00:12:55et toi, Moïse, fils de Nisim.
00:13:00Les femmes ?
00:13:01Elles sont toujours au deuxième plan, évidemment.
00:13:04Clara, Esther, Régina, Élise et les autres,
00:13:07juste bonnes à faire de la figuration et des enfants.
00:13:10Avec ton cousin Isaac, un peu plus âgé que toi,
00:13:19vous partiez chaque année, vous et tout le clan Kamondo,
00:13:22vers vos somptueuses résidences d'été de Yéniqueuil,
00:13:25sur les rives du Bosphore.
00:13:33Il n'en reste plus rien que la description des richesses sauvées dans les archives,
00:13:37quinze rideaux de soie, quatre lustres en cristal et bronze,
00:13:44six pendules en marbre, vingt chaises dorées, dix sofas.
00:13:54Derrière les lignes des inventaires,
00:13:57je me demande quelles traces ça laisse dans la tête, dans le cœur,
00:14:01les sons, les odeurs, les reflets changeant de l'enfance.
00:14:05Te souvenais-tu des prières à la synagogue ?
00:14:11Des conversations en ladino, le judéo-espagnol, la langue de l'exil ?
00:14:16T'abritais-tu sous le châle de prières de ton père, Nissim,
00:14:19et de ton oncle, Abraham Béor ?
00:14:22Eux qui revendiquaient d'être des Juifs du nouveau siècle,
00:14:25des Juifs modernes.
00:14:27La Révolution française et l'émancipation des Juifs d'Europe
00:14:29étaient passée par là.
00:14:36Ton oncle, Abraham Béor, le philanthrope de la famille,
00:14:40avait fondé des écoles où l'on apprenait toutes les langues,
00:14:43l'hébreu, le turc, le français et l'italien.
00:14:46Le cosmopolitisme à portée de main.
00:14:50Tout un savoir comme l'espoir d'une existence émancipée,
00:14:54à la fois juive et européenne.
00:14:55Moïse, tu avais 10 ans quand tu as été soudainement arrachée aux eaux profondes du Bosphore.
00:15:06Ton oncle et ton père avaient pris leur décision,
00:15:09quitter Istanbul pour les Lumières de Paris.
00:15:12Paris, la capitale de la haute banque de la finance européenne.
00:15:17C'est là qu'il fallait être pour en être.
00:15:19Leurs affaires, leurs écoles d'Istanbul, ils s'en occuperaient depuis Paris.
00:15:25Ni une ni deux, on embarque les tapis, les femmes, les enfants
00:15:30et même l'arrière-grand-papa, Abraham Salomon.
00:15:33Mais avant de quitter sa somptueuse maison de la rue Camondo,
00:15:38ton arrière-grand-père écrit son testament,
00:15:41comme une conjuration contre l'exil.
00:15:43Je veux et je désire que l'on donne à mon arrière-petit-fils Isaac Camondo
00:15:53ma maison en pierre de Galata, rue Camondo numéro 6,
00:15:57avec son oratoire, son bain et son jardin d'hiver.
00:16:00Cette propriété ne devra jamais être vendue, car je désire en mon âme
00:16:08que la maison passe de génération en génération, à notre famille, pour l'éternité.
00:16:1363 rue de Montceau, 8e arrondissement, Paris.
00:16:26C'est ici que s'élevait la maison où tu as passé ta jeunesse, Moïse,
00:16:30après votre arrivée en 1870.
00:16:33Tu l'as fait détruire plus tard, à la mort de ta mère.
00:16:37Et c'est sur ces fondations que tu as fait rebâtir celles que je regarde aujourd'hui.
00:16:40Dans l'hôtel particulier mitoyen, au 61 rue de Montceau,
00:16:46la famille d'Abraham Béor, ton oncle.
00:16:50Au 63, tu vivais en famille, avec tes parents, ta grand-mère,
00:16:55avec ton arrière-grand-père de 90 ans aussi.
00:16:58Faisais-tu signe à ton cousin Isaac, de l'autre côté de la fenêtre ?
00:17:02C'était les années 1875, tu avais 15 ans.
00:17:04Tant de strates d'histoire et de pierres.
00:17:08Et c'est en vain que je cherche dans cette maison qui recouvre celle de ta jeunesse,
00:17:12les traces d'Istanbul ou de ton adolescence.
00:17:14J'ai lu des lettres où tu réclames de la poutargue, mais sinon rien, ou presque.
00:17:19Alors je me demande, Moïse, Momo, comme on te surnommait,
00:17:23est-ce que malgré tout, dans cette maison que tu avais créée comme un auto-engendrement,
00:17:26il t'arrivait de rêvasser et de te souvenir du temps des conquérants,
00:17:30quand ton oncle, Abraham Béor et ton père,
00:17:34n'est-ce que tu avais créé comme un auto-engendrement ?
00:17:37J'ai lu des lettres où tu réclames de la poutargue,
00:17:40mais sinon rien, ou presque.
00:17:43Alors je me demande, Moïse, Momo, comme on te surnommait,
00:17:47est-ce que malgré tout, dans cette maison que tu avais créée comme un auto-engendrement,
00:17:51il t'arrivait de rêvasser et de te souvenir du temps des conquérants,
00:17:54quand ton oncle, Abraham Béor et ton père, Nissim,
00:17:57étaient arrivés à l'assaut de Paris et s'étaient installés dans des maisons mitoyennes,
00:18:01comme à Galata, les uns à côté des autres,
00:18:06entre les deux, à peine une grille.
00:18:09J'ai un vrai lien familial ici, avec cette maison, avec la famille Camondo.
00:18:27Ma propre famille, la famille Éfroussi, également juive, vient d'Odessa.
00:18:35Les Camondos viennent de Constantinople, des Éfroussi d'Odessa,
00:18:40et ils arrivent ici exactement au même moment.
00:18:43Dans les années 1860, ils s'installent à Paris,
00:18:48ils achètent leur maison dans la rue de Monceau,
00:18:51et ils deviennent amis.
00:18:53Bien sûr qu'ils deviennent amis.
00:18:55Ils sont du même monde, ils vont à la même synagogue,
00:18:59ils ont beaucoup d'amis en commun, ils font le même métier.
00:19:03La rue de Monceau, le nouveau Paris des parvenus moque certains,
00:19:08des parvenus juifs grincent d'autres,
00:19:11mais ton père Nissim et ton oncle Abraham Beor sont à leur affaire,
00:19:15dans cette plaine Monceau,
00:19:17cœur battant de la haute finance, des arts et du capitalisme.
00:19:22Avec leurs titres de compte octroyés pour la contribution de votre famille
00:19:25à la réunification italienne,
00:19:27avec leurs hôtels particuliers, leurs banques,
00:19:30leurs banques, leurs ardeurs aux affaires, leurs loges à l'opéra,
00:19:35leurs collections d'art, leurs équipages luxueux,
00:19:38leurs fêtes aux fastes légendaires.
00:19:40Ils ont le don d'ubiquité,
00:19:43un pied dans le tout Paris, un pied dans la tradition.
00:19:49Tout leur semble possible en France,
00:19:52la nation de l'émancipation,
00:19:54qui vient juste de redevenir une république.
00:19:56Moïse, ton père insiste pour te faire donner des cours de religion,
00:20:02mais toi, tu deviens un vrai petit monsieur parisien.
00:20:06Tu n'as pas encore perdu ton œil droit à la chasse,
00:20:09tu fais tous les jours le chemin entre la rue de Monceau et le lycée Condorcet.
00:20:13Ton destin semble tout tracé,
00:20:15reprendre la banque familiale fondée par ton arrière-grand-père,
00:20:19Abraham Salomon.
00:20:20Le Figaro, 3 avril 1873.
00:20:37Monsieur le comte de Camondo,
00:20:40le chef et patriarche de la grande maison israélite de ce nom,
00:20:43vient de mourir dans sa 92e année.
00:20:45Dans la cour du bel hôtel du 63 rue de Monceau, un cercueil.
00:21:00Devant, les rabbins officiants, derrière toute la foule, tête couverte selon le rite.
00:21:08Conformément à ses vœux, Monsieur de Camondo sera inhumé en Turquie, sa terre natale, dans un somptueux mausolée de marbre.
00:21:18Le jour des funérailles d'Abraham Salomon, on dit que c'est tout Istanbul qui se mit en deuil.
00:21:27Mais si votre nom de Camondo est toujours entouré de ferveur à Istanbul, à Paris, c'est une autre histoire.
00:21:41Ton père et ton oncle sont la cible permanente d'un polémiste antisémite au succès grandissant, Edouard Drummond.
00:21:49Dans son best-seller « La France juive », il attaque votre famille comme d'autres familles juives de la finance.
00:21:56Camondo, ce gros juif qui ressemble à un chef de nuque abyssin qui aurait déteint, ce turcaret levantin à l'image côteleuse et blafarde.
00:22:09« Te voilà prévenu, Moïse. Tu auras beau sillonner la ville d'un délégant coupé, te sentir chez toi à Paris, où tu deviens un dandy et un banquier en vue,
00:22:19tu seras toujours, aux yeux de certains, un artisan de la trahison cosmopolite, un corrupteur de la France authentique.
00:22:30En parliez-vous, en famille, ou préfériez-vous garder le silence du dédain ? »
00:22:40Mais voilà que tes années à l'abri de ton père s'achèvent déjà.
00:22:43Nissim et Abraham Béor disparaissent à leur tour, à dix mois d'intervalle, frères jusque dans l'au-delà.
00:22:52« On est en 1889 et tu deviens, comme ton cousin Isaac, l'héritier d'une fortune, d'un nom, d'une histoire. »
00:23:05« La première chose que fait Moïse quand son père meurt, c'est de vendre toutes ses collections d'art.
00:23:11Il se débarrasse de tous les objets de culte juif. Il donne tout ça au musée de Cluny, je crois.
00:23:16Et aussi tous ces meubles bourgeois, trop clinquants, typiques du XIXe siècle, et les peintures académiques.
00:23:30Aux enchères, vendues immédiatement, pas de sentimentalisme. Il veut repartir à zéro.
00:23:36Donc en termes d'héritage, ce qu'il fait, c'est rompre très clairement avec la génération de ses parents.
00:23:44Faire table rase.
00:23:48Pourquoi ?
00:23:50Tout simplement parce qu'il estimait que le goût de ses parents était vulgaire.
00:23:55La grande maison qu'ils ont construite ici, il la trouvait exagérée, arriviste.
00:24:00C'était un peu de ceci, un peu de cela.
00:24:04Aucune de leurs collections n'avait vraiment de cohérence.
00:24:08Alors il recommence tout.
00:24:10Recommencer, cela veut dire reprendre avec Isaac les affaires de vos pères, mais sans enthousiasme.
00:24:26Très vite, vous vous débarrassez de la banque d'Istanbul,
00:24:30car vous êtes parisiens et libres désormais d'être ce qu'il vous plaît d'être.
00:24:33À ceci près, la transmission du nom.
00:24:45Le mariage, hors de question pour Isaac.
00:24:49C'est à toi, Moïse, que va incomber le devoir de perpétuer la dynastie.
00:24:53Au moment où Moïse de Camondo a compris qu'il devait fonder une famille,
00:25:01il l'a fait très sérieusement, il n'a pas été cherché très loin.
00:25:06L'un de ses amis, Louis Cahen d'Anvers, banquier, financier comme lui,
00:25:11et associé de Camondo, pas seulement ami mais associé,
00:25:14et qui est un de ceux à l'origine de la banque de Paris et des Pays-Bas,
00:25:21lui présente sa fille, Irène, qui est ravissante,
00:25:25qui est beaucoup plus jeune que le comte de Camondo,
00:25:28et qui est...
00:25:29Le mariage est organisé.
00:25:35Parce que ce n'est pas la même famille, mais c'est le même milieu,
00:25:38et là, on est sûr que le capital n'ira pas se projeter.
00:25:43Là, on ne voudrait pas qu'il finisse.
00:25:46Ce n'est pas vraiment un mariage d'amour.
00:25:50Ta future femme,
00:25:52mademoiselle Irène Cahen d'Anvers.
00:25:57Tel est le titre du portrait que Renoir a fait d'elle, il y a quelques années.
00:26:03Elle a posé, on le lui demandait.
00:26:07J'imagine qu'elle n'avait pas son mot à dire.
00:26:08Renoir était presque inconnu à l'époque.
00:26:13Il paraît que ses parents ne l'ont jamais aimé, ce portrait,
00:26:16et qu'ils l'ont relégué dans les communs de leur hôtel particulier, rue de Bassano.
00:26:22Je lis dans la chronique mondaine que le jour de votre mariage,
00:26:26Irène a troqué sa robe bleue pour une superbe tenue en satin blanc à Astragal de Point d'Alençon.
00:26:35Visiblement, votre mariage a été un événement
00:26:38où s'est pressé le beau monde israélite, comme on disait,
00:26:41mais plus généralement, le tout Paris.
00:26:43Elle a 19 ans, tu en as 31.
00:26:56Elle avance au bras de son père,
00:26:58à travers la grande synagogue de la Victoire dans le 9e arrondissement.
00:27:01Un an avant vous, c'est un certain Alfred Dreyfus qui s'y est marié.
00:27:12Le cœur mêle liturgie juive et prière pour la République.
00:27:15De ta demeure sainte, ô Seigneur,
00:27:20bénis et protège la République française et le peuple français.
00:27:29Irène arrive droit vers toi.
00:27:32Pour ce mariage non plus, elle n'a pas eu son mot à dire.
00:27:34« Et toi, Moïse, est-ce une femme ou une famille que tu épouses ? »
00:27:45Au château de Champs-sur-Marne, chez tes nouveaux beaux-parents,
00:27:48Louis et Louise Cahen d'Anvers,
00:27:50les parents d'Irène,
00:27:51tu es à bonne école.
00:27:53Ils viennent d'acquérir un château quasiment en ruine,
00:27:55dont ils achèvent juste la restauration totale
00:27:57dans le plus pur style du 18e siècle.
00:28:00Cette recherche du 18e,
00:28:04elle est présente dans toutes les familles
00:28:07de la haute aristocratie de l'époque,
00:28:09dans tout milieu.
00:28:11Mais dans un milieu comme celui de Camondo
00:28:14et de Cahen d'Anvers,
00:28:16ce goût, il obtient une valeur politique.
00:28:22Ce goût qui rentre dans la vie intime de ces familles
00:28:25en tant qu'affirmation d'une identité
00:28:28personnelle
00:28:31en tant que juif français,
00:28:35en tant que français surtout.
00:28:40Moïse,
00:28:41ton beau-père appartient comme toi
00:28:43à une famille arrivée en France
00:28:44il y a à peine une génération.
00:28:47Il t'associe à cette restauration,
00:28:50le lieu comme symbole et instrument
00:28:52d'un parcours d'intégration, d'assimilation.
00:28:55Tu t'en souviendras.
00:28:56Avec Irène,
00:29:10vous menez une vie élégante et mondaine.
00:29:13On se croirait dans Proust,
00:29:14qui est votre voisin d'ailleurs.
00:29:17Tu t'occupes de la banque, un peu.
00:29:20Mais l'essentiel, ce sont les voyages,
00:29:22les hôtels de luxe.
00:29:23Pour toi, les yachts,
00:29:25les automobiles, dernier cri.
00:29:27Pour Irène,
00:29:28les chevauchées au bois de boulogne,
00:29:31les robes et les bijoux.
00:29:34Une belle poupée, Irène.
00:29:36Comme on aime les femmes, alors.
00:29:38Vous avez quitté l'hôtel familial
00:29:42et cette avenue d'Iéna,
00:29:43qui, Irène, donne en 1892,
00:29:46naissance à votre fils, ton héritier.
00:29:49Il portera le nom de ton père,
00:29:52Nisim.
00:29:53En hébreu, cela veut dire miracle.
00:29:57Puis, deux ans plus tard,
00:29:58c'est une fille,
00:30:00Béatrice.
00:30:00Ta femme Irène et tes enfants
00:30:07sont français.
00:30:09Mais pas toi.
00:30:11Pas encore, Moïse.
00:30:16C'est curieux.
00:30:18Je ne trouve aucune photo,
00:30:20aucun portrait de vous deux,
00:30:21ou de vous quatre,
00:30:22posant tous ensemble.
00:30:23Ton cousin Isaac, lui,
00:30:27le mariage, il n'y croit pas.
00:30:30Moins convenable et sérieux que toi,
00:30:32il est toujours célibataire.
00:30:34Son énergie, c'est à la musique,
00:30:36à la danse, aux danseuses,
00:30:38et surtout à sa collection
00:30:39qu'il la consacre.
00:30:46Ce tableau était acheté
00:30:48par Isaac de Camondo en 1894.
00:30:51Ce n'était pas
00:30:52ni son premier tableau moderniste,
00:30:54ni son premier manet,
00:30:56mais c'est un tableau
00:30:58qui est devenu
00:30:58un peu symbole
00:30:59de sa collection,
00:31:00un peu symbole
00:31:01du musée d'Orsay aussi.
00:31:04Ce manet de Camondo,
00:31:05ça c'est le Camondo.
00:31:07Dans la collection d'Isaac,
00:31:08entre autres,
00:31:10dix manets,
00:31:11neuf Cézanne,
00:31:12cinq de la Croix,
00:31:13quatorze monnaies,
00:31:14trois Renoirs,
00:31:15et des Pissarro,
00:31:16et des Cicelais,
00:31:17et des Van Gogh,
00:31:18et encore 25 de Gat.
00:31:21Les danseuses toujours.
00:31:22Et l'Opéra.
00:31:23Ça c'est Camondo,
00:31:24et ça c'est Camondo aussi.
00:31:25Il est l'un des créateurs
00:31:26de la Société des Amis de l'Opéra,
00:31:28du musée du Louvre,
00:31:29et du musée du Luxembourg.
00:31:32Il fait du mécénat,
00:31:33d'un geste ponctuel,
00:31:34un geste perpétuel.
00:31:35On a oublié encore un Camondo.
00:31:37Très tôt, il a compris qu'il y a une énorme demande
00:31:44des collectionneurs allemands,
00:31:46russes, américains,
00:31:47et que les tableaux partent en énorme quantité
00:31:50à l'étranger.
00:31:52Donc, lui, il a eu cette idée
00:31:54de garder plus de chefs-d'œuvre possibles en France,
00:31:58constituer la vraie collection muséale.
00:32:01Chez lui, il accueillit beaucoup sa maison,
00:32:03sa collection, sa galerie.
00:32:05Elle était ouverte pour le public les dimanches.
00:32:07On pouvait appeler le dimanche
00:32:09et le recevait lui-même chez lui.
00:32:11Il avait le goût très prononcé,
00:32:13mais quand même,
00:32:15toutes ses idées,
00:32:16toute sa pensée,
00:32:17étaient vers universeles.
00:32:19Il pensait toujours musée.
00:32:22Il pensait toujours futur.
00:32:24Il pensait toujours
00:32:25qu'est-ce que ça va donner,
00:32:27et au public,
00:32:27à l'histoire de l'art.
00:32:29Progressivement,
00:32:34germe dans l'esprit d'Isaac
00:32:35l'idée que cette collection sera,
00:32:37après lui,
00:32:38destinée au plus beau,
00:32:40au plus grand musée de France,
00:32:42le Louvre.
00:32:44Il est vice-président
00:32:45de la société de ses amis,
00:32:47mais se voit contraint
00:32:48de refuser sa présidence,
00:32:49car, comme on le lui fait remarquer,
00:32:51il faut pour cela être
00:32:52de nationalité française.
00:32:54Mais il est toujours étranger.
00:32:55« Étranger »,
00:32:58écrit-il à la direction du Louvre.
00:33:00Le mot paraît étrange,
00:33:01au vu du programme
00:33:02auquel, quoi qu'étranger,
00:33:03je ne suis pas étranger
00:33:04d'enrichir le patrimoine du musée.
00:33:06Il n'avait pas ce complexe
00:33:10qu'il n'est pas français.
00:33:12C'est lui
00:33:12qu'il voulait imposer à la France
00:33:15d'être plus tolérante,
00:33:17d'accepter qu'il est italien,
00:33:19qu'il pense.
00:33:21Donc, dans sa tête,
00:33:22il ne posait pas les questions
00:33:23« si je suis français,
00:33:25si je suis juif ».
00:33:27Il était cosmopolite
00:33:28avant l'heure
00:33:29et il a su marier
00:33:32toutes ses identités
00:33:33et il voulait
00:33:34qu'on l'accepte
00:33:35telle qu'elle.
00:33:40Être accepté
00:33:41tel que l'on est,
00:33:43cette multitude
00:33:43que l'on est,
00:33:45rue de tâche.
00:33:48Deux gars
00:33:48auxquels Isaac
00:33:49achète tant de tableaux
00:33:50refusent de dîner
00:33:51avec un juif.
00:33:53Son antisémitisme
00:33:54se nourrit notamment
00:33:55au combustible
00:33:55venimeux d'un brûment.
00:33:58L'un et l'autre
00:33:58raillent le goût juif
00:34:00de briques et de brocs,
00:34:02ce goût sans goût
00:34:02de financiers véreux
00:34:04qui prétendent
00:34:04acheter la tradition française,
00:34:06qui se polient
00:34:07et emprisonnent
00:34:08les objets
00:34:09de la vraie France
00:34:10dans les prisons
00:34:11que sont leurs maisons juives.
00:34:18Cet antisémitisme
00:34:19qui ne demande
00:34:20qu'à flamber
00:34:20trouve son ultime carburant,
00:34:25l'affaire Dreyfus.
00:34:26Du nom d'Alfred Dreyfus,
00:34:29israélite français
00:34:29accusé de trahison.
00:34:37Je ne trouve
00:34:38aucune trace,
00:34:40Moïse,
00:34:41de la façon
00:34:41dont tu l'as vécu
00:34:42avec Isaac,
00:34:43cette affaire.
00:34:45Honte,
00:34:46colère,
00:34:48le père d'Irène
00:34:48soutient la cause
00:34:49Dreyfusarde.
00:34:51Même chose
00:34:51pour vos amis
00:34:52ni les Rénac.
00:34:54Vous,
00:34:56rien.
00:34:58Il y a pourtant
00:34:59ces émeutes,
00:35:01les bris de vitrine,
00:35:02les morts aux Juifs
00:35:03scandés,
00:35:03place de la Madeleine,
00:35:04boulevard Haussmann,
00:35:06littéralement
00:35:07sous tes fenêtres.
00:35:10Les youtres
00:35:11sont des cochons.
00:35:14Ces cris,
00:35:16préfères-tu
00:35:17ne pas les entendre ?
00:35:18Moïse,
00:35:37peut-être que tu as
00:35:38la tête ailleurs.
00:35:40Peut-être que c'est
00:35:41autre chose
00:35:41qui t'absorbe.
00:35:42Irène est partie.
00:35:48Elle rêvait
00:35:48d'amour,
00:35:49elle.
00:35:50Pas d'une alliance
00:35:50de raisons.
00:35:52Et la voici séduite
00:35:53par un aristocrate italien,
00:35:55le comte Sampieri,
00:35:57celui-là même
00:35:57qui dirige
00:35:58votre écurie.
00:36:02Elle ose te quitter,
00:36:05divorcer
00:36:05et se convertir
00:36:06au catholicisme.
00:36:08Ces choses-là,
00:36:09dans ton milieu,
00:36:10ça ne se fait pas.
00:36:12Tu l'as fait mettre
00:36:12au banc
00:36:13de ces deux familles,
00:36:14les Caen d'Anvers,
00:36:15les Camondos.
00:36:18C'est une déflagration
00:36:19et une humiliation
00:36:20pour toi,
00:36:20Moïse.
00:36:22Jamais tu ne te remarieras.
00:36:32Nissim et Béatrice
00:36:33sont désormais
00:36:33des enfants
00:36:34de divorcés.
00:36:36Pas facile
00:36:36en 1903.
00:36:39Ne voir leur mère
00:36:40que trop rarement,
00:36:41ça leur fait quoi ?
00:36:42Être élevé
00:36:44par toi seul,
00:36:45un père trahi
00:36:46et abandonné
00:36:47qui veut faire payer
00:36:47la pécheresse,
00:36:49ça leur fait quoi ?
00:36:51Et cette demi-sœur,
00:36:52Claude Sampieri,
00:36:54né de ce nouveau mariage
00:36:55si choyé par Irène,
00:36:57qu'en pensent-ils ?
00:36:59Le leur demandes-tu
00:37:00parfois ?
00:37:01Garder la face,
00:37:05dissimuler sa honte
00:37:06et tâcher d'oublier.
00:37:07Moïse,
00:37:10après le divorce,
00:37:11tu quittes tous
00:37:12les clubs mondains
00:37:12auxquels tu appartenais,
00:37:14le polo,
00:37:15le cercle de Deauville,
00:37:16etc.
00:37:21Tu automobilises
00:37:22dans ces nouveaux engins
00:37:23où tu as la passion.
00:37:23Surtout,
00:37:32tu acquières vers Chantilly,
00:37:33non loin de chez les Rothschild,
00:37:35une demeure entourée de bois.
00:37:36Cette maison,
00:37:51tu lui donnes le nom
00:37:51de Villa Béatrice.
00:38:03Ici,
00:38:04dans ce coin du Valois,
00:38:06dont je comprends si bien
00:38:07qu'il soit pour toi
00:38:08comme l'image parfaite
00:38:09d'un rêve de France,
00:38:11tu inventes le lieu
00:38:12de votre belle époque.
00:38:21J'imagine
00:38:22qu'il ne vous manque
00:38:23qu'une absente.
00:38:28Sur ces photos de famille,
00:38:29il n'y a pas non plus
00:38:30votre cousin Isaac,
00:38:31le collectionneur d'art,
00:38:33ton cousin Moïse.
00:38:36n'est-ce pas le brassard
00:38:38de son deuil
00:38:39que portent Nissim
00:38:40et Béatrice ?
00:38:41Isaac est mort brutalement
00:38:44en 1911,
00:38:46à peine âgé de 60 ans.
00:38:50Il a légué au musée du Louvre
00:38:51l'intégralité
00:38:52de sa somptueuse collection,
00:38:54soit 850 œuvres.
00:38:57Art d'extrême-orient,
00:38:59sculpture de primitif italien,
00:39:01faïence française,
00:39:02mobilier français du 18e siècle
00:39:04et 62 tableaux impressionnistes.
00:39:08Il a imposé l'entrée
00:39:09de peintre contemporain
00:39:10au Louvre,
00:39:11qui devient grâce à lui,
00:39:13selon le mot d'Apollinaire,
00:39:14le premier musée
00:39:15d'art moderne de Paris.
00:39:16Le laigue d'Isaac,
00:39:24tu t'en souviendras aussi, Moïse.
00:39:29Mais pour l'heure,
00:39:30tu as une autre corde
00:39:31à ton arc
00:39:32pour parfaire
00:39:32ta panoplie de gentilhommes.
00:39:35La chasse à cours.
00:39:38Tu trouves un équipage
00:39:39qui accepte les Juifs,
00:39:40ce qui n'est pas courant.
00:39:43Il s'appelle
00:39:44Parmont et Vallon.
00:39:49Et vous voilà,
00:39:50avec tes enfants,
00:39:51à l'affût
00:39:51dans les bois
00:39:52de votre domaine.
00:39:53?
00:39:58Sous-titrage Société Radio-Canada
00:56:13Moïse
00:58:39D'une certaine manière, vous mettez les objets à la place des gens.
00:58:47Vous remplacez les gens par des objets.
00:58:52Et c'est clairement ce qui se passe ici.
00:58:56C'est une manifestation de la perte et du deuil.
00:59:01Vous croyez aux fantômes ?
00:59:04Oh, tout à fait.
00:59:05Mais je veux dire, je pense que je crois plus que fantôme n'est pas le bon mot.
00:59:17Je crois qu'il est possible d'être en lien avec des gens à travers les objets.
00:59:27Donc oui, c'est toute ma vie.
00:59:38Ramasser des objets, essayer de comprendre ce qu'ils signifient, qui les a fabriqués, qui les a tenus, ce qu'ils ont traversé.
00:59:46Peut-être qu'il ne s'agit pas tant de fantômes que de témoins.
00:59:53Pour moi, cette maison est dans toute sa complexité un témoin en soi.
01:00:01Moïse, il ne te reste plus que Béatrice.
01:00:12Une fille, certes.
01:00:15Y penses-tu à elle ?
01:00:17À sa peine ?
01:00:19Elle aussi, c'est un frère adoré qu'elle a perdu.
01:00:21Est-ce la tristesse au cœur ?
01:00:35Par souci des conventions, ou parce que tu as hâte de la caser,
01:00:39qu'elle se marie une fois la paix revenue, avec un jeune homme de son milieu qu'elle connaît depuis longtemps ?
01:00:44Il s'appelle Léon Rénac.
01:00:48Il est compositeur de musique et vient d'une famille très fortunée,
01:00:52mais beaucoup plus intellectuelle et engagée que toi.
01:00:57Le père de Léon, Théodore,
01:00:59Dreyfusard de la première heure,
01:01:01est à la fois archéologue, professeur au Collège de France et député de Savoie.
01:01:06Humaniste aussi.
01:01:08Sa passion, c'est la Grèce ancienne.
01:01:11Et de même que tu as bâti ton rêve dix-huitième,
01:01:13Théodore, lui, a fait construire sur la côte d'Azur,
01:01:16une incroyable villa grecque.
01:01:19La villa Kérilos,
01:01:20tout droit sortie de l'Antiquité.
01:01:25Il est surtout le promoteur de ce franco-judaïsme dont,
01:01:29dit-il,
01:01:29le but est d'abattre toutes les barrières
01:01:31qui pourraient encore séparer l'Israélite éclairée
01:01:33et le français patriote du XXe siècle.
01:01:36Voilà Béatrice et Léon coincés dans les rêveries de leurs pères respectifs,
01:01:46transformés en maison.
01:01:50Jeunes mariés,
01:01:51ils s'installent auprès de toi,
01:01:53aux 63 rue de Monceau.
01:01:56À l'occasion de leur mariage,
01:01:58la grand-mère de Béatrice,
01:02:00Louise Cahen d'Anvers,
01:02:01lui avait fait don du portrait de la petite Irène.
01:02:03« A-t-elle osé l'accrocher dans sa chambre,
01:02:07aux côtés de celui que tu avais fait faire d'elle dans son enfance ? »
01:02:16C'est dans ta maison que naissent tes petits-enfants,
01:02:19Fanny et Bertrand.
01:02:21Le deuxième prénom de Bertrand, c'est Nissim.
01:02:25Et le patriarche désormais,
01:02:28c'est toi.
01:02:28Béatrice qui a grandi au milieu de tes objets,
01:02:36trouve ton obsession collectionneuse assommante.
01:02:40Ce que vous partagez,
01:02:41c'est l'amour des bolides,
01:02:42des chevaux surtout.
01:02:45Ses proches la décrivent comme une femme timide,
01:02:48secrète.
01:02:50Est-ce due à sa surdité partielle,
01:02:52à la relation que tu as brisée avec sa mère,
01:02:54ou encore au culte que tu voues à ton Nissim adoré ?
01:02:57« As-tu vraiment essayé de la retenir
01:03:01quand, au milieu des années 20,
01:03:03elle part s'installer avec sa famille à Neuilly,
01:03:05loin des ombres de ta maison musée ? »
01:03:08« C'est ici que l'on conservait l'argenterie.
01:03:14On a vraiment l'impression
01:03:17qu'on pourrait sonner une cloche
01:03:19et qu'il se passerait quelque chose.
01:03:23J'imagine que j'arrive 90 ans trop tard.
01:03:25Tu restes seule,
01:03:34souvent cloîtrée même,
01:03:36dans tes pièces que seuls les objets habitent.
01:03:40Mais la vie de grande maison continue,
01:03:43dans les coulisses de ce balai de luxe
01:03:45à la mécanique bien huilée,
01:03:47un jardinier,
01:03:47un concierge,
01:03:48un mécanicien,
01:03:49un argentier,
01:03:50un maître d'hôtel,
01:03:51des valets de pied,
01:03:52des femmes de chambre.
01:03:53Tu reçois peu,
01:03:59mais excellemment,
01:04:00comme il s'y est à l'homme du monde parfait
01:04:02que tu es devenu.
01:04:08À ta table,
01:04:10le plus souvent,
01:04:11ce sont des conservateurs de musées
01:04:13qui te conseillent pour tes achats.
01:04:14Tu es désormais une personnalité importante
01:04:17dans le monde de l'art.
01:04:18Il y a le déjeuner Louvre,
01:04:27le déjeuner Marsan,
01:04:28des arts décoratifs,
01:04:29et aussi le dîner du Club des Sangs,
01:04:32un club de gourmets très sélect
01:04:33et exclusivement masculin.
01:04:37C'est à l'un de ces dîners filmés
01:04:38du Club des Sangs
01:04:39que je dois de t'apercevoir,
01:04:41même fugitivement,
01:04:43silhouettes fragiles en mouvement.
01:04:44Enfin, mon cher Corneille,
01:05:06vous qui avez servi dix ans
01:05:07chez le Comte de Vaudoua.
01:05:08Pardon, douze ans ?
01:05:09J'y serai encore si M. le Comte
01:05:10n'avait pas été ruiné
01:05:11dans les produits alimentaires.
01:05:12Bon, eh bien, est-ce que la comtesse...
01:05:13J'ai remis, la comtesse
01:05:14n'avait pas d'amandre.
01:05:15Oh, bah, évidemment,
01:05:17elle avait 85 ans
01:05:18et on l'a traînée
01:05:19dans une petite voiture.
01:05:21Vous allez tout de même
01:05:22pas la comparer à madame, non ?
01:05:23Le Comte de Vaudoua
01:05:24n'était pas à Métèque.
01:05:26Qu'est-ce que ça veut dire encore ça ?
01:05:27Simplement que la mère de Lachenay
01:05:29avait un père qui s'appelait Rosenthal
01:05:30et qui arrivait tout droit de Francfort.
01:05:31C'est tout.
01:05:32Je suis sûr d'ailleurs
01:05:33que ton mari est de mon avis.
01:05:37N'est-ce pas, fou ma chère ?
01:05:38Je ne sais pas de quoi tu parles, j'arrive.
01:05:40Je ne peux pas savoir.
01:05:41Eh, à propos juif,
01:05:43avant de venir ici,
01:05:44j'étais chez le baron d'Épinay.
01:05:46Je vous garantis que là,
01:05:47il n'y en a pas.
01:05:48Mais je vous garantis aussi
01:05:49qu'ils bouffaient comme des cochons.
01:05:51C'est d'ailleurs pour ça
01:05:52que je les ai quittés.
01:05:53Ça n'a pas longtemps, Lisette ?
01:05:55Je ne sais pas,
01:05:56madame a encore besoin de moi.
01:05:57Lachenay, tout m'était qu'il est.
01:05:59Il m'a fait appeler l'autre jour
01:06:00pour m'engueuler
01:06:01pour une salade de pommes de terre.
01:06:03Vous savez, ou plutôt,
01:06:04vous ne savez pas
01:06:04que pour que cette salade soit mangeable,
01:06:07il faut verser le vin blanc
01:06:08sur les pommes de terre
01:06:09lorsque celles-ci sont encore
01:06:10absolument bouillantes.
01:06:12Ce que Célestin n'avait pas fait
01:06:13parce qu'il n'aime pas
01:06:13se brûler les doigts.
01:06:15Eh bien, lui, patron,
01:06:16il a reniflé ça tout de suite.
01:06:19Vous me direz ce que vous voudrez,
01:06:20mais ça, c'est un homme du monde.
01:06:23Ça n'en finit jamais.
01:06:26Le métèque, toujours,
01:06:27qui risque de pointer
01:06:28sous l'homme du monde.
01:06:30À moins que ce ne soient justement
01:06:31les métèques
01:06:32qui parviennent à perpétuer
01:06:33l'idéal de la salade de pommes de terre.
01:06:39Désormais,
01:06:42tu suis ta règle du jeu
01:06:44à toi, Moïse.
01:06:46Collectionner, toujours,
01:06:47être auprès de ta famille,
01:06:48Béatrice,
01:06:49son mari Léon,
01:06:50et leurs enfants,
01:06:51Fanny et Bertrand.
01:06:54Fanny est comme sa mère,
01:06:56folle des chevaux.
01:06:58On dit que le petit Bertrand
01:06:59voudrait être ébéniste.
01:07:01Est-ce chez toi
01:07:02qu'il a eu cette idée ?
01:07:03Dans les allées du bois de Boulogne,
01:07:11près desquelles Béatrice habite,
01:07:13à Haumont,
01:07:15le temps semble circulaire,
01:07:17à peine troublé
01:07:17par les enfants qui grandissent.
01:07:29Haumont,
01:07:30le même perron,
01:07:31les mêmes chevaux,
01:07:35les mêmes chiens,
01:07:37les mêmes bois,
01:07:40les mêmes chasses.
01:07:44Dans cette atmosphère
01:07:45à laquelle trop de privilèges,
01:07:47trop de sens de la sécurité
01:07:48donnent la grande illusion
01:07:50de la permanence,
01:07:51pourquoi prêterais-tu l'oreille,
01:07:53toi qui es devenu presque sourd,
01:07:55aux clameurs nouvelles
01:07:56et inquiétantes,
01:07:57celles des années 1930 ?
01:08:00La rue de Monceau
01:08:03et son parc
01:08:04n'ont-ils pas toujours
01:08:04été une forteresse ?
01:08:07Et que vaut le bruit du monde
01:08:13face à ce qui est devenu
01:08:14ton grand,
01:08:15ton immense projet,
01:08:17ce don qui pourra combler
01:08:18la perte
01:08:19et figer le cours du temps ?
01:08:21Désirant perpétuer la mémoire
01:08:27de mon père,
01:08:28le comte Nissim de Camondo
01:08:29et celle de mon malheureux fils,
01:08:31le lieutenant Nissim de Camondo,
01:08:33tombé en combat aérien
01:08:34le 5 septembre 1917,
01:08:37je lègue au musée
01:08:38des arts décoratifs
01:08:39mon hôtel 6 à Paris,
01:08:4163 rue de Monceau,
01:08:43tel qu'il se composera
01:08:44au moment de mon décès.
01:08:45Il sera donné à mon hôtel
01:08:48le nom de musée
01:08:49Nissim de Camondo,
01:08:51nom de mon fils,
01:08:53auquel cet hôtel
01:08:54et ses collections
01:08:54étaient destinés.
01:08:57L'aménagement intérieur
01:08:58de l'hôtel
01:08:59devra être maintenu
01:09:00tel qu'il sera
01:09:01à mon décès.
01:09:03Aucun objet ne pourra
01:09:04être distrait de ma collection
01:09:05ni être rajouté.
01:09:10Par ce lègue,
01:09:12comme avant toi
01:09:12ton cousin Isaac,
01:09:14comme la famille
01:09:15Cahen d'Anvers
01:09:16qui donne également
01:09:16à l'État
01:09:17le château de Champs-sur-Marne
01:09:18en 1934,
01:09:20comme Théodore Rénac,
01:09:21le père de Léon,
01:09:23qui a fait don
01:09:23de sa villa Kérillos
01:09:24à l'Institut de France
01:09:25en 1928,
01:09:27tu réponds peut-être
01:09:28à ceux qui,
01:09:29comme Drummond,
01:09:29t'accusaient de spolier
01:09:30à ton profit
01:09:31les trésors nationaux
01:09:32et tu inscris à jamais,
01:09:34penses-tu,
01:09:34ta trajectoire
01:09:36et celle de ta famille
01:09:37dans celle de ton pays aimé,
01:09:39la France.
01:09:51Tu es mort
01:09:52le 4 novembre 1935.
01:09:55Ton leg devient réalité.
01:09:59Qui étais-tu
01:10:00en ces derniers instants,
01:10:02Moïse ?
01:10:02L'héritier fantasmé
01:10:05des aristocrates français
01:10:06du XVIIIe siècle
01:10:07ou l'arrière-petit-fils
01:10:10bien réel
01:10:10d'Abraham Salomon de Galata ?
01:10:13Les deux, peut-être ?
01:10:16Est-on obligé
01:10:17de choisir ?
01:10:19Sauf dans le regard
01:10:20des autres ?
01:10:21Ta fille a veillé
01:10:33au strict respect
01:10:34de ta volonté
01:10:34et elle inaugure
01:10:36le musée en 1936,
01:10:38aux côtés du ministre
01:10:38de l'Éducation nationale,
01:10:40Jean Zey.
01:10:40Elle salue les anciens domestiques
01:10:56dont certains deviennent
01:10:57les gardiens du nouveau musée.
01:10:59Béatrice t'a perdu,
01:11:11mais il lui reste sa mère,
01:11:13Irène,
01:11:14qu'elle entretient matériellement.
01:11:17Leurs relations ont l'air
01:11:19pourtant lointaines,
01:11:20compliquées.
01:11:20Aucune photo
01:11:24où elles figurent ensemble,
01:11:25sauf celle-ci
01:11:26qui date des années 30,
01:11:28où j'aperçois Béatrice
01:11:29derrière sa mère,
01:11:30puis à côté de sa demi-sœur,
01:11:32Claude Sampierry.
01:11:35Claude s'est marié
01:11:36puis a vite divorcé
01:11:37du roi de l'apéritif,
01:11:38André Dubonnet.
01:11:41Fanny,
01:11:42la fille de Béatrice,
01:11:43elle,
01:11:44monte toujours.
01:11:461937.
01:11:491938.
01:11:501939.
01:11:561940.
01:12:08En 1940,
01:12:11Béatrice,
01:12:11avec Fanny et Bertrand,
01:12:13reviennent juste d'Aumont,
01:12:14où ils ont accueilli
01:12:15à la Villa Béatrice
01:12:16une cinquantaine d'enfants
01:12:18évacués pendant la drôle de guerre.
01:12:20à Paris.
01:12:26Le musée Nissim de Camondo
01:12:28est fermé
01:12:28sur ordre du commandant allemand
01:12:30du Grosse Paris.
01:12:31Béatrice habite toujours en famille
01:12:39dans son appartement de Neuilly,
01:12:41lui aussi rempli d'œuvres d'art.
01:12:45Son mari, Léon,
01:12:46en a confié les plus précieuses
01:12:48et notamment le portrait
01:12:49de la petite Irène
01:12:50aux musées nationaux
01:12:51pour qu'ils les mettent à l'abri
01:12:52au château de Chambord.
01:12:53Y ont-ils cru
01:13:03quand on les recense
01:13:05comme juifs
01:13:05à l'automne 1940
01:13:06et qu'en quelques mois plus tard
01:13:08on arianise leurs comptes,
01:13:09on se polie leurs biens ?
01:13:11Et Léon,
01:13:14qu'espérait-il en écrivant
01:13:15aux musées nationaux
01:13:16pour se plaindre
01:13:17de la disparition
01:13:18du portrait
01:13:18de la petite Irène
01:13:19saisie,
01:13:20volée
01:13:20par les Allemands ?
01:13:22En l'occurrence,
01:13:23Hermann Göring.
01:13:24Je vous prie
01:13:28de bien vouloir transmettre
01:13:29la présente protestation
01:13:30aux autorités d'occupation
01:13:32et leur faire remarquer
01:13:33que ma famille
01:13:34et celle de ma femme,
01:13:35fixée depuis longtemps
01:13:36en France,
01:13:37ont enrichi
01:13:38le patrimoine artistique
01:13:39de leur pays d'adoption.
01:13:41Particulièrement
01:13:41par les legs suivants.
01:13:43En 1911,
01:13:44le comte Isaac de Camondo.
01:13:46En 1928,
01:13:47mon père Théodore Renac.
01:13:49Enfin et surtout,
01:13:50en 1935,
01:13:52mon beau-père,
01:13:52le comte Moïse de Camondo.
01:13:55Peut-être,
01:13:56la commission allemande
01:13:57chargée de la saisie
01:13:57des biens israélites
01:13:58estimera-t-elle équitable
01:14:00de laisser aux descendants
01:14:01de ces généreux donateurs
01:14:02un portrait de famille
01:14:04dont la place au foyer
01:14:05a une signification particulière,
01:14:07tout à fait indépendante
01:14:08de sa valeur artistique
01:14:09ou marchande.
01:14:13Le temps n'est plus
01:14:14aux protestations
01:14:15ni à l'équité.
01:14:17Léon l'a-t-il
01:14:18finalement compris
01:14:19qu'en quelques mois plus tard,
01:14:21il décide de quitter Paris
01:14:22pour la zone libre
01:14:22avec Bertrand.
01:14:24« Ta fille
01:14:26et ta petite-fille
01:14:27Moïse
01:14:28choisissent de rester
01:14:29à Paris. »
01:14:32Nous parlons ici,
01:14:33dans cette incroyable bibliothèque,
01:14:38d'être pris au piège.
01:14:43Vous savez,
01:14:45il y a toutes sortes
01:14:46de pièges.
01:14:46Il y a ce piège psychologique
01:14:49où on se dit
01:14:50« Je suis trop riche,
01:14:51je suis trop important,
01:14:52je suis trop intégré
01:14:53dans la société
01:14:54pour qu'il m'arrive
01:14:55quoi que ce soit. »
01:14:56C'est un piège.
01:14:57Rien ne peut m'arriver
01:14:59parce que je ne suis pas
01:15:00un juif errant.
01:15:03Je suis ici,
01:15:03dans cette immense maison,
01:15:05rue de Montceau
01:15:06ou ailleurs.
01:15:07Sous-titrage
01:15:09Cette vie qui continue,
01:15:37est-ce du déni ?
01:15:41La certitude
01:15:43d'être à jamais protégée
01:15:44en dépit de tout ?
01:15:47Pourquoi sont-elles restées ?
01:15:57Est-ce trop demandé
01:16:01que le pays
01:16:04que vous adoptez
01:16:04et qui vous adopte
01:16:06ne vous déporte pas
01:16:11et n'assassine pas
01:16:13votre famille ?
01:16:15Est-ce que
01:16:16c'est trop demandé ?
01:16:18Je veux dire,
01:16:20il est très facile
01:16:20d'avoir un regard
01:16:21rétrospectif sur l'histoire,
01:16:23de dire
01:16:25« Vous n'avez pas fait
01:16:25ceci ou cela. »
01:16:27de dire
01:16:28« Vous vous êtes trompé. »
01:16:36Peut-être faut-il avoir
01:16:40la décence
01:16:41de se souvenir
01:16:41« Vous savez ce que ça fait
01:16:46de penser avoir
01:16:46une capacité d'agir
01:16:48sur le monde
01:16:48et de se voir dépouiller
01:16:50jour après jour,
01:16:51heure après heure,
01:16:53de tout ce pouvoir,
01:16:54de toute sa capacité
01:16:54à faire des choix
01:16:55et de voir tout cela
01:16:57s'évanouir
01:16:58sans jamais faire
01:16:58le moindre geste
01:16:59pour s'échapper. »
01:17:02Béatrice et Fanny
01:17:04ont-elles su
01:17:05que c'est dans
01:17:05l'ancien hôtel
01:17:06de ton oncle,
01:17:07Abraham Béor,
01:17:08aux 61 rues de Montceau,
01:17:10que René Bousquet,
01:17:11secrétaire général
01:17:12de la police de Vichy,
01:17:13a installé ses bureaux ?
01:17:14C'est là qu'il a conçu
01:17:17et organisé
01:17:18avec les occupants allemands
01:17:19la rafle du Veldiv
01:17:21en juillet 1942.
01:17:32Tant de questions
01:17:33sans réponses.
01:17:35Pourquoi Béatrice
01:17:36s'est-elle convertie
01:17:37au catholicisme
01:17:38ce même été 1942 ?
01:17:39Instinct de survie
01:17:41ou foi authentique ?
01:17:42Pourquoi divorce-t-elle
01:17:45d'Avec Léon
01:17:45à l'automne
01:17:46de cette même année ?
01:17:50Pourquoi avec Fanny
01:18:06sont-elles finalement arrêtées
01:18:07un soir de décembre 1942
01:18:08sous les yeux
01:18:09d'Irène Anspach,
01:18:10la cousine de Béatrice ?
01:18:12Faut-il croire
01:18:15au motif officiel
01:18:16ne portait pas l'étoile
01:18:17ou à une dénonciation ?
01:18:22Leur appartement
01:18:23qui regorge d'œuvres d'art
01:18:24suscite les convoitises.
01:18:27Comment savoir ?
01:18:29elles sont emmenées à Drancy.
01:18:49Quelques semaines plus tard
01:18:57elles voient arriver
01:18:59Léon et Bertrand.
01:19:01Ils ont été arrêtés
01:19:02alors qu'ils tentaient
01:19:03de passer en Espagne.
01:19:09Béatrice a 48 ans,
01:19:11Léon 49,
01:19:12Fanny 22 ans
01:19:14et Bertrand 19.
01:19:19Je me demande
01:19:20comment s'est passée
01:19:20leur découverte
01:19:21des autres juifs.
01:19:23Les étrangers,
01:19:24les pauvres,
01:19:26ceux qui parlent le français
01:19:27avec un accent
01:19:27ou seulement le yiddish,
01:19:30ceux qui viennent de Belleville,
01:19:31de la Goutte d'Or,
01:19:33de la rue Saint-Mort.
01:19:34Mais eux,
01:19:38les Camondos,
01:19:39les Rénac,
01:19:40ces Juifs français,
01:19:41ces notables,
01:19:43rien,
01:19:44personne pour les aider,
01:19:45nul recours.
01:19:48Irène,
01:19:48la mère de Béatrice,
01:19:50vit cachée,
01:19:51protégée par son ex-gendre
01:19:52André Dubonnet,
01:19:54un collaborateur notoire.
01:19:56Avec son aide,
01:19:57elle a tenté
01:19:58mais sans succès
01:19:58de sauver sa sœur
01:19:59Elisabeth Cahen d'Anvers,
01:20:01âgée de 70 ans,
01:20:02qui arrive aussi à Drancy.
01:20:04Je ne retrouve
01:20:06aucune trace
01:20:07de démarche
01:20:08qu'Irène aurait faite
01:20:09pour sa propre fille,
01:20:10Béatrice,
01:20:11ou ses petits-enfants.
01:20:13Tes petits-enfants,
01:20:14Moïse.
01:20:17On dit qu'au camp,
01:20:19Béatrice s'est dévouée
01:20:20à sa tâche d'infirmière.
01:20:25On dit aussi
01:20:26que Léon et Bertrand
01:20:27auraient participé
01:20:28au creusement d'un tunnel
01:20:29avec d'autres internés
01:20:30pour s'enfuir.
01:20:32Le tunnel est découvert.
01:20:34Léon,
01:20:35Bertrand et Fanny
01:20:36sont immédiatement
01:20:37déportés pour Auschwitz
01:20:38le 20 novembre 1943.
01:20:44Béatrice est restée seule
01:20:45au camp de Drancy
01:20:46sans ses enfants
01:20:47pendant plusieurs mois.
01:20:51Je n'imagine plus.
01:20:54Le 4 mars 1944,
01:20:57elle est à son tour déportée.
01:20:581945.
01:21:10Des annonces paraissent
01:21:11dans les journaux.
01:21:13Irène Sampieri,
01:21:14Kaine d'envers,
01:21:16s'enquière du sort
01:21:17de sa sœur.
01:21:19Irène en SPAC
01:21:20de celui de Béatrice.
01:21:21Je sous-signais
01:21:25Mme Irène en SPAC
01:21:26avoir eu l'occasion
01:21:27d'entendre plusieurs témoignages
01:21:29concernant Mme de Camondo,
01:21:30Béatrice,
01:21:31et ses enfants,
01:21:33Fanny et Bertrand Rénac.
01:21:35Ils concordent pour indiquer
01:21:36que Fanny Rénac
01:21:37serait décédée
01:21:38fin décembre 1943
01:21:39à Auschwitz,
01:21:40du Tiffus,
01:21:41que son frère Bertrand
01:21:42serait mort d'épuisement
01:21:43à Pirqueneau
01:21:44en mars ou en avril 1944.
01:21:46Leur père,
01:21:48Léon Rénac,
01:21:49est mort d'épuisement
01:21:50aux alentours
01:21:50du 12 mai 1944
01:21:52dans le bloc 8
01:21:53du camp de Pirqueneau.
01:21:55Mme de Camondo
01:21:56aurait péri
01:21:56le 4 janvier 1945
01:21:58au cours d'une sélection
01:22:00de 800 personnes
01:22:01au moment
01:22:01de l'avance russe.
01:22:10Un autre témoignage
01:22:12indique que Béatrice
01:22:14est morte
01:22:14sachant
01:22:15que ses enfants
01:22:16avaient déjà péri.
01:22:25Irène hérite
01:22:26de la fortune
01:22:26de sa fille
01:22:27et de ses petits-enfants.
01:22:30La fortune
01:22:31des Camondos.
01:22:34Avec son autre fille,
01:22:36Claude Sampiri,
01:22:37la demi-sœur
01:22:37de Béatrice,
01:22:38elle la dilapideront
01:22:39en quelques années
01:22:40dans les casinos
01:22:41de la Côte d'Azur.
01:22:46C'est à elles deux
01:22:47que revient également
01:22:48le tableau
01:22:48de la petite Irène
01:22:49qui avait été volée
01:22:50par Göring,
01:22:52revendue par lui
01:22:53à Émile Burl,
01:22:54un Suisse
01:22:55qui fournissait
01:22:55les nazis en armes.
01:22:57Le tableau est retrouvé
01:22:59et restitué
01:23:00immédiatement
01:23:00après la guerre.
01:23:02Irène et Claude Sampiri
01:23:04le revendent
01:23:05à un galeriste
01:23:05qui le revend
01:23:06tout de suite
01:23:07à Émile Burl.
01:23:08Il est toujours visible
01:23:09à Zurich
01:23:10dans sa collection.
01:23:13L'appartement
01:23:14de Béatrice et Léon
01:23:15a été vidé.
01:23:17De ce qu'il contenait,
01:23:18seul un piano
01:23:19et quelques meubles
01:23:20ont été retrouvés
01:23:20et restitués.
01:23:22Quant au portrait
01:23:23de Béatrice
01:23:24par Boldini,
01:23:26je ne sais
01:23:26par quel mystérieux
01:23:27circuit il est passé,
01:23:29mais il s'est retrouvé
01:23:30après-guerre
01:23:30dans la collection
01:23:31d'un particulier.
01:23:32Le musée
01:23:43Nissim
01:23:44de Camondo
01:23:44réouvre ses portes
01:23:47en 1945.
01:23:50Intacte.
01:23:59Mais ce que tu avais conçu
01:24:01comme le mausolée
01:24:01de ton fils
01:24:02est devenu celui
01:24:04de ta famille
01:24:04tout entière.
01:24:08Au moins,
01:24:09auras-tu réussi
01:24:10à sauver le nom
01:24:11des Camondos.
01:24:14Pour l'éternité ?
01:24:17Cette même éternité
01:24:21à laquelle aspirait
01:24:23déjà ton arrière-grand-père,
01:24:25Abraham,
01:24:25Salomon
01:24:26de Camondo,
01:24:28qui repose toujours
01:24:29à Istanbul.
01:24:31qui saurait prétendre
01:24:51maîtriser ce que le temps
01:24:52fait aux larmes des choses ?
01:24:54à l'éternité.
01:24:55Il faut s'envoyer
01:24:56de la mort,
01:24:57de la mort.
01:24:57Il est bien
01:24:59d'un côté
01:24:59d'un côté
01:25:00d'un côté
01:25:01d'un côté
01:25:01d'un côté
01:25:01d'un côté
01:25:02de la mort.
01:25:03Il faut que la mort
01:25:03de la mort
01:25:04des choses
01:25:04des choses
01:25:04qui s'envoyent.
01:25:05Il faut enlever
01:25:05d'un côté
01:25:07d'un côté
01:25:07de la mort.
01:25:08Sous-titrage MFP.
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