00:07Vous êtes bien dans le 18-19 avec mon invité Jacques Delarozière,
00:15ancien directeur général du FMI, ancien directeur du Trésor,
00:18ancien gouverneur de la Banque de France
00:20et aussi ancien président de la BERD, la Banque Européenne de Reconstruction.
00:25Bonsoir Jacques Delarozière.
00:26Bonsoir.
00:27Merci d'être avec nous.
00:28Vous êtes, je le disais, la mémoire vivante des finances publiques de la France,
00:34de l'Europe et puis un peu du monde parce que vous avez été donc au FMI.
00:38Beaucoup de questions à vous poser sur la situation française.
00:41D'abord un mot sur les Etats-Unis, le shutdown, la paralysie budgétaire,
00:47une première depuis 2018.
00:50Il y a toujours le jeu de dupes à chaque fois.
00:52On se disait ils ne vont pas y arriver et puis ils y arrivaient.
00:54Là, ils n'y arrivent pas.
00:56Qu'est-ce que ça vous inspire ?
00:58Et surtout, si on regarde en miroir,
01:01qu'est-ce qui peut se passer en France avec le budget introuvable ?
01:05Oui.
01:07Aux Etats-Unis, ça ne m'inquiète en rien parce que c'est une fantasmagorie qui le répète de temps en temps et qui se résout toujours.
01:15On ne ferme pas définitivement l'administration américaine.
01:19Donc c'est un non-problème.
01:21En ce qui concerne la France, nous ne sommes pas sujets au shutdown parce qu'il n'y a pas de règle qui dit que le budget doit être bouclé pour que ça continue l'administration.
01:36Donc d'un certain point de vue, nous sommes un peu désarmés du point de vue du shutdown.
01:43Alors en France, ça ne marche pas bien du tout parce que nous continuerons à nous endetter, nous continuerons à accroître la dépense publique alors qu'il faudrait réduire la dépense publique et commencer à plafonner l'endettement.
01:57Alors, je vais vous donner l'équation existentielle.
02:03L'équation du docteur Larousière.
02:06Parce que vous avez écrit un livre, j'en profite pour vous faire un peu de pub.
02:10La France, le déclin est-il irréversible ?
02:14Visiblement, il est réversible à condition que ?
02:17Voilà. Alors, l'équation que j'appelle existentielle parce que d'elle dépend l'existence même du pays, la vie du pays, est la suivante.
02:29Vous avez une économie qui croît autour de 0,7% par an. 0,8%.
02:36Mettons, parce que nous sommes grands seigneurs ce soir, mettons qu'elle croît de 1% en termes réels.
02:44Allons-y.
02:44Ce qui est supérieur à la vérité.
02:47Alors, en face de ce gain de production de 1% ou de 0,7%, qu'est-ce qu'il faut faire ?
02:57Il faut que nous payions à peu près 7% de points de PIB de surcroît de dépenses publiques par rapport à la moyenne de l'Europe.
03:12Donc, ces 7% ne sont pas justifiés, puisque les pays voisins ne les ont pas.
03:20Alors, donc, on a 7 points de PIB de dépenses excessives.
03:26Plus, bientôt, 3%, 3 points de PIB, rien que pour l'intérêt de la dette.
03:357 et 3, ça fait 10.
03:38Vous demandez à une économie qui croît de 1%, avec l'inflation, disons qu'elle croît de 2% en nominale,
03:46vous demandez à une économie qui croît de 2% en nominale de payer, de trouver 10%.
03:55Alors, est-ce que c'est possible ?
03:58La réponse, c'est non.
04:00Ce n'est pas possible.
04:02Et qu'est-ce qu'on fait ?
04:04La réponse, c'est rien.
04:06C'est-à-dire qu'on s'endette de plus en plus pour payer cette folie.
04:12Alors, j'appelle ça l'équation existentielle.
04:15Elle est soluble, ma chère Edwige.
04:19Elle est soluble.
04:20Et elle est soluble sans qu'on touche le patrimoine social des Français.
04:26Sans qu'on touche à la retraite ?
04:27Je l'ai démontré dans un livre qui a eu beaucoup de succès,
04:33parce que c'était la première fois qu'on le démontrait.
04:36J'ai démontré que si vous vous intéressez au non social exclusivement,
04:41que vous laissez le social tel qu'il est,
04:45vous arrivez à résoudre le problème de ces 10 points de PIB
04:51qui sont excessifs.
04:54Et comment vous le faites ?
04:56Vous le faites à peu près en réduisant la dépense publique
05:00d'un point pendant 10 ans.
05:02Un point pendant 10 ans, ça fait 10 points de PIB.
05:05Et avec 10 points de PIB, vous avez déjà résolu le problème de l'excès de la dépense publique.
05:0910 ans, on n'a pas 10 ans devant nous.
05:12On n'a pas 10 ans devant nous,
05:13parce qu'on s'est engagé vis-à-vis de l'Europe.
05:17Et vous-même, vous venez de publier un livre,
05:19enfin de faire la préface, sur l'Europe en danger,
05:21l'euro en danger.
05:23Donc c'est un peu contradictoire, si je puis me permettre.
05:25D'accord, mais là vous êtes ultra demandeuse.
05:29Moi je suis plus, je dirais, je suis plus tolérant.
05:33Je pense qu'en 10 ans, parce qu'il y a un phénomène d'amélioration,
05:39si vous voulez, dynamique.
05:41C'est-à-dire que si vous faites un an de ce que je dis,
05:44deux ans de ce que je dis,
05:46vous commencez à créer un cercle vertueux
05:48qui fait que ça sera fait avant les 10 ans.
05:52Mais il faut le faire sur 10 ans.
05:55Et ce que je propose, c'est que pendant 10 ans,
05:57on fasse à peu près un point de PIB
06:00de réduction de la dépense publique par an.
06:04C'est faisable.
06:06Sans toucher le sacro-saint social.
06:10C'est faisable à condition...
06:12Mais comment, parce que, pardonnez-moi,
06:14comment, parce que lorsqu'on voit que déjà là,
06:16quand on essaye de tenir notre trajectoire budgétaire
06:20pour arriver à 3% en 2029,
06:24on voit bien que tout le monde descend dans la rue.
06:26– Oui, mais ça, c'est parce que
06:28la trajectoire fixée par le ministère des Finances
06:33est une trajectoire mortelle.
06:36– Ah, c'est vous qui dites ça,
06:38qui avez été directeur du Trésor, d'accord.
06:39– Elle prévoit une augmentation de la dépense publique
06:43de 1,6% par an.
06:45Moi, je prévois une diminution de la dépense publique.
06:49Donc, on n'est pas dans le même secteur.
06:53Eux, ils croient que la dépense va continuer à augmenter.
06:57Moi, je pense qu'elle doit diminuer.
06:59Donc, c'est une trajectoire de folie,
07:04de maintien de notre excès de dépense publique.
07:09Et je pense que le ministère des Finances
07:13devrait revoir sa stratégie et changer de signe.
07:19Au lieu d'augmenter la dépense publique,
07:21il faut la diminuer.
07:22Mon jardinier, qui n'est pas le ministre des Finances,
07:26qui a beaucoup moins d'examens,
07:29il me dit qu'il faut réduire la dépense publique.
07:32Le ministère des Finances, il dit qu'il faut maintenir
07:35la dépense publique.
07:36Alors, il y en a un qui se trompe,
07:38et ce n'est pas le jardinier.
07:40Alors, moi, je dis, faites cet effort.
07:44Évidemment, jusqu'à présent,
07:49avec Barnier et Bayrou, on n'a pas réussi.
07:52– Ok, non, ça c'est sûr.
07:53Mais regardez, ça a coûté son siège à Michel Barnier,
07:57ça a coûté son siège aussi à François Bayrou,
07:58et puis on verra ce qui se passe pour Sébastien Lecornu.
08:02Comment faites-vous pour réduire cette dépense
08:05sans toucher au social ?
08:06Donc, on ne touche pas aux retraites, d'accord ?
08:08– Je vais vous dire.
08:09– Les fonctionnaires, il y en a quoi ?
08:11C'est 120 000 qui partent à la retraite ?
08:13Qui vont partir à la retraite ?
08:15Vous ne recrutez que 70 000 ?
08:17– Oui, mais il ne faut pas les remplacer tous.
08:20– Oui, un sur deux.
08:22Il faut savoir que la France
08:25a 15 millions d'habitants de moins que l'Allemagne,
08:29mais un million de fonctionnaires de plus que l'Allemagne.
08:32Alors, c'est une vérité qu'on n'aime pas rappeler en France
08:37parce qu'elle est désagréable,
08:38mais c'est la base du problème.
08:41Et je pense que si on ne remplaçait que,
08:46disons, la moitié ou le tiers de ceux qui partent tous les ans,
08:51on ferait une économie considérable.
08:54L'économie reste échiffrée.
08:56C'est une économie de 5 milliards d'euros par an
09:00si on fait la moitié.
09:02Et si vous faites 5 milliards,
09:04alors vous me dites, oui, mais ce n'est pas vos 20 milliards.
09:08Je dis, oui, ce n'est pas les 20 milliards,
09:09il y a une différence de 15 milliards.
09:12Mais cette différence, elle est jouable,
09:15elle est résoluble.
09:17Parce que, je vais vous donner un exemple.
09:20L'effort français pour former professionnellement les Français
09:28coûte à peu près 20 milliards.
09:30C'est notre politique de formation professionnelle.
09:37J'ai regardé en Allemagne.
09:39En Allemagne, ils sont plus nombreux.
09:42Il y a un million et demi d'apprentis,
09:44alors que nous, nous avons un million.
09:47Et en Allemagne, ça coûte moitié moins cher.
09:49Autrement dit, ça coûte, au lieu de coûter 20 milliards,
09:52ce qui est le prix en France, ça coûte 10 milliards.
09:55Ça fait 10 milliards d'économies.
09:57Il faut le faire.
09:59Parce que c'est un scandale que d'avoir cru
10:02qu'on faisait de la formation professionnelle
10:07en changeant la définition des élèves,
10:12des jeunes qui sont éligibles à ces aides de l'apprentissage.
10:17C'est comme ça qu'on a réussi à passer de 500 000 à 1 million.
10:21On a ouvert les vannes de l'apprentissage
10:25aux étudiants de 30 ans qui font leur...
10:30Et aux études supérieures.
10:31Aux études supérieures et leur rapport final.
10:37Alors, ça c'est...
10:40Vous gagnez 10 milliards.
10:42Ce n'est pas antisocial, c'est prosocial.
10:45Parce que vous améliorez la formation professionnelle
10:47en la confiant davantage au secteur privé
10:50qu'au secteur public.
10:51Alors, Jacques Delarozère,
10:53j'ai quand même deux, trois questions
10:55sur ce que vous venez de dire.
10:58Un, est-ce que le niveau d'endettement de la France...
11:03Là, on est passé...
11:04Le dernier chiffre de l'INIC à 3 416 milliards.
11:08Donc, encore progressé par rapport aux autres,
11:11par rapport à nos voisins européens.
11:12Est-ce que ce niveau est alarmant ?
11:17Enfin, alarmant, oui.
11:18Est-ce qu'il est vital, existentiel,
11:22pour reprendre votre expression ?
11:24Oui, il est existentiel, parce qu'il augmente.
11:28Et lorsque votre endettement,
11:31comme le nôtre, autour de 120% du produit intérieur brut,
11:36il sera de 123%, puis de 126%, puis de 130%, etc.
11:40Quand il atteint ces niveaux-là,
11:45il se produit quelque chose,
11:46qui est que les taux d'intérêt coûtent plus cher.
11:49Un enfant de 6 ans comprendrait
11:51qu'avec une surface d'endettement double,
11:54on paye deux fois plus d'intérêt.
11:55On voit les courbes.
11:57Mais je vous assure que tout le monde ne le comprend pas.
12:01Bercy, peut-être.
12:02Non.
12:03Je n'en sais rien.
12:04Je n'en suis pas sûr.
12:05Toujours est-il que la charge des taux d'intérêt
12:09devient terriblement préniante.
12:13Et lorsqu'elle est trop élevée, cette charge,
12:18qu'est-ce qu'il se passe ?
12:18Il se passe deux choses.
12:20Il se passe que votre budget est encore plus déséquilibré,
12:23parce que vous avez plus d'intérêt à payer.
12:25Et il se passe que les marchés commencent à devenir inquiets.
12:28Et qu'est-ce qu'ils font, les marchés ?
12:29Ils se réduisent et ils demandent plus de taux d'intérêt.
12:32Donc le système s'affole.
12:36Alors, c'est très grave d'entrer dans cette zone-là.
12:39Nous n'y sommes pas tout à fait.
12:42Parce que nous avons une bonne signature.
12:44La France a toujours payé sa dette publique avec méticulosité.
12:49Y a-t-il, pardonnez-moi, parce que le temps passe,
12:52est-ce qu'il y a un risque ?
12:56La France fait courir un risque à l'euro, à la zone euro.
13:00C'est-à-dire que nous sommes protégés jusqu'à présent
13:04par un euro qui renforce une monnaie
13:07qui, sans l'euro, serait sans doute déstabilisée et dévaluée.
13:15Nous sommes donc protégés par l'euro.
13:17Mais en étant protégés par l'euro,
13:19nous gardons une monnaie très surévaluée,
13:23qui nuit à nos comptes extérieurs et à nos exportations.
13:26Donc, c'est double.
13:30Et ce qui m'inquiète dans la situation actuelle,
13:34c'est que le corps politique français
13:38ne s'inquiète pas de ce que nous sommes en train de discuter.
13:43C'est-à-dire, qu'est-ce qui se passe
13:45quand la dette passe de 123 à 126, à 129, à 130, etc.
13:51Qu'est-ce qui se passe ?
13:53Il y a un moment où il se passe le drame.
13:55C'est-à-dire qu'on ne peut plus accéder à la dette
13:58parce qu'elle devient trop chère.
13:59Et à ce moment-là, vous ne pouvez plus régler
14:01vos problèmes budgétaires en disant la phrase gouvernementale
14:05« Il n'y a qu'à s'endetter ».
14:06Vous ne pouvez plus le faire.
14:08Et donc...
14:09On n'en est plus là, heureusement.
14:11Oui, je suis inquiet du fait que
14:13nos hommes politiques et nos femmes politiques
14:17ne soient pas plus conscients du problème très grave.
14:21Jacques Delarozère, est-ce que...
14:23Tiens, deux questions là-dessus.
14:25Est-ce qu'il y a un risque ?
14:27Un peu banal, ma question.
14:29Mais est-ce que vous voyez le FMI se pencher
14:32un peu plus sérieusement sur le cas français ?
14:35Le FMI se penche déjà sur le cas français.
14:39Il le fait dans le cas de tous ses examens.
14:42Oui, mais plus.
14:43Il le fait.
14:45Et il dit exactement ce que je dis.
14:47Alors, est-ce qu'on risque à un certain moment
14:52d'avoir à répondre aux objurgations d'une institution internationale ?
14:58Je n'en sais rien.
14:59Mais ce n'est pas ça qui serait grave.
15:02Ce qui serait grave, ça serait la gravité de la potion
15:06qu'il faudrait prendre.
15:07Bien sûr.
15:08Est-ce que vous diriez, il y a une petite polémique là
15:10entre François Bérot qui dit que la France est au bord du gouffre ?
15:14Emmanuel Macron vient lui répondre en lui disant
15:16non, la France n'est pas au bord du gouffre.
15:19C'est quoi la réponse de Jacques Delarozère ?
15:21Non, ce n'est pas du tout ma réponse.
15:23Je pense que nous sommes au bord du gouffre,
15:26que c'est un gouffre très dangereux
15:28et que nous profitons du fait
15:31que notre spread, c'est-à-dire l'écart
15:33que nous payons en termes de taux d'intérêt
15:36par rapport à la meilleure signature européenne
15:38qui est celle de l'Allemagne,
15:40cet écart reste de 85 points de base,
15:43c'est-à-dire un peu moins d'un pour cent.
15:45Et on se satisfait de cela
15:47pour dire qu'on n'est pas au bord du gouffre.
15:50Mais c'est un peu naïf si vous voulez penser ça
15:54parce que quand vous êtes au bord du gouffre
15:57et que vous êtes à 85 points d'écart,
16:01mais qu'un jour, vous passez à 1 ou à 1,5
16:05ou à 2% d'écart, vous êtes dans le gouffre.
16:08Donc on est dans le gouffre ?
16:10On est tout près.
16:12On est tout près.
16:14Alors je ne sais pas combien de temps
16:16on peut encore continuer à s'endetter
16:19à 85 points de base, je ne le sais pas.
16:23Mais ça ne durera pas toujours.
16:25– Oui, donc quand même une grande inquiétude.
16:29Une toute petite question, il nous reste zéro seconde.
16:33Est-ce qu'il est vrai,
16:35on m'a sorti cet argument hier,
16:36quelqu'un, un député socialiste,
16:38que la taxe Zuckman
16:40a été auscultée, réfléchie,
16:45moulinée par le FMI ?
16:47– Je n'en sais rien.
16:48– Vous ne savez pas, d'accord.
16:49Ce n'était pas en tous les cas de votre temps ?
16:51– Non.
16:52– En tout cas, ce n'est pas l'arme essentielle
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