00:00La Masterclass, quand le monde s'affole.
00:03On se retrouve avec Mathieu Jolivet pour la Masterclass.
00:07On va parler géopolitique.
00:08Je dois vous dire, je dois vous confier quelque chose.
00:10J'ai eu d'excellents retours de notre dernière chronique.
00:13C'était vraiment très très bon.
00:14On va parler bien sûr Etats-Unis.
00:16Et je crois que vous vouliez évoquer un sujet sur la Fed aujourd'hui.
00:18Oui, exactement.
00:19Sur pourquoi est-ce que Donald Trump déjà met une telle pression sur la Fed
00:23et puis va peut-être apporter une petite perspective historique.
00:25Déjà, il faut comprendre d'où on part.
00:27S'il met une telle pression sur la Fed,
00:30c'est parce que des taux bas, ça allège le fardeau de la dette américaine.
00:33Et ça, c'est quand même hyper important de rappeler que cette dette américaine,
00:36c'est plus de 37 000 milliards de dollars.
00:38La charge d'intérêt de la dette, c'est 1 000 milliards de dollars.
00:41Et pourquoi Donald Trump met une telle pression sur J.Polosi ?
00:44C'est qu'il a besoin des taux bas pour soutenir ses grands projets d'investissement et de relance.
00:50Ce qu'il a dans les tuyaux en ce moment, Donald Trump, c'est son projet Stargate.
00:53C'est 500 milliards d'investissement public et privé
00:56pour monter en puissance sur l'IA.
00:58Ce qu'il a dans les tuyaux aussi, Donald Trump, c'est son choc budgétaire,
01:02le One Big Beautiful Bill, avec des baisses d'impôts
01:04qui vont lui coûter 3 400 milliards de dollars.
01:08Ce qu'il a dans les tuyaux, Donald Trump, c'est 150 milliards de dollars
01:12qui sont dédiés aux dépenses militaires et à ses programmes d'expulsion.
01:15Donc on comprend qu'aujourd'hui, Donald Trump,
01:17il a besoin de naviguer dans un environnement de taux bas
01:21pour pouvoir dérouler plutôt sereinement son programme de politique économique.
01:25Oui, et vous nous disiez, on en parlait précédemment,
01:28vous nous disiez finalement, historiquement, on a déjà vu ça,
01:31parce qu'on a un peu l'impression, et c'est vrai,
01:33honnêtement, depuis que Trump est arrivé au pouvoir,
01:35on a toujours ce sentiment ou cette analyse, c'est une rupture.
01:37Tout est une rupture avec Trump.
01:38C'est ça.
01:39Et finalement, c'est aussi plutôt une continuation.
01:41Ce qui est amusant, vous avez raison, c'est qu'on est sidéré
01:43quand on voit ce qui se passe avec Trump et la Fed aujourd'hui,
01:45alors qu'en fait, la pression politique de la Maison Blanche sur la Fed,
01:48c'est juste inhérent à son histoire.
01:50Et je vais vous raconter une anecdote qui est assez hallucinante.
01:53Le point de départ, c'était le 22 mai 1964.
01:57À l'époque, le président Lyndon Johnson fait campagne
02:01sur son grand projet de relance. Écoutez-le.
02:02Nous avons l'opportunité d'aller non seulement vers une société riche et puissante,
02:10mais aussi d'être tirés vers le haut, vers la grande société.
02:14La grande société repose sur l'abondance et la liberté pour tous.
02:19Vous vous rappelez peut-être ?
02:20À l'époque, Johnson se fait élire.
02:23Là, il était à une convention démocrate.
02:25Il s'est fait élire après sur son projet de Great Society.
02:29Sauf que ça ne va pas se passer comme prévu,
02:30parce qu'un an plus tard,
02:31alors qu'il a besoin d'énormément d'argent
02:34pour financer son plan de relance,
02:37mais aussi pour financer la guerre au Vietnam,
02:41le président de la Fed à l'époque,
02:43William Martin, va aller à l'encontre de ce que réclame Johnson
02:46et il va relever ses taux.
02:48Ça va provoquer la fureur de Johnson.
02:51Il va convoquer le président de la Fed dans son ranch au Texas
02:56et les témoins de l'époque vont raconter
02:58que Johnson l'a traité de traître à la nation.
03:02Il va l'empoigner et le plaquer contre le mur.
03:05Donc, on est dans un exemple de violence physique
03:08d'un président des États-Unis d'Amérique
03:10sur un président de la Fed.
03:11Ça permet de relativiser avec ce qu'on a vu avec Powell et Trump.
03:13Johnson, il mesurait 1,93 m.
03:15Donc, si vous voulez, les postes de Donald Trump
03:20sur le pouce social peuvent paraître assez doux.
03:23Une autre anecdote, c'était en 1971.
03:25À l'époque, je crois que vous aimez beaucoup l'histoire de Nixon.
03:27Ah oui, je suis passionné par Nixon.
03:29Il enchaîne les pressions politiques
03:31sur le président de la Fed de l'époque
03:34qui s'appelle Arthur Burns.
03:36À l'époque, on est dans un contexte d'inflation galopante,
03:39de croissance qui est ralentie.
03:40Il y a Nixon qui craint plus que tout une remontée du chômage
03:43à quelques mois de la campagne pour sa réélection.
03:47Et sa pression, elle va marcher.
03:49Comment on le sait ?
03:49Parce que, et ça, c'est passionnant,
03:51vous avez 1 500 heures d'enregistrement
03:54qui ont été rendues publiques par la Maison-Blanche.
03:57Ce sont les Nixon tapes.
03:58Et si vous allez, par exemple,
03:59sur le site de la réserve fédérale de Chicago,
04:02vous pouvez lire les transcriptions
04:05d'enregistrement téléphonique
04:06entre le président de la Fed et Nixon.
04:08Et là, vous vous rendez compte qu'un jour,
04:09vous avez Arthur Burns qui appelle Nixon
04:12et qui le prévient à l'avance
04:14qu'il a finalement décidé de baisser les taux
04:18et qu'il va l'annoncer quelques heures plus tard.
04:20Or, on est dans une époque
04:21où la grille d'analyse de la Fed
04:23plaide plutôt pour une hausse des taux.
04:25Donc, on est dans un exemple typique
04:26de pression politique qui a marché.
04:28Burns est d'ailleurs considéré
04:29parmi les banquiers centraux comme le pire
04:31parce qu'il faisait le contraire de ce qu'il fallait faire,
04:33mais il vous éclairait avec cette pression politique
04:34qui l'a forcée finalement.
04:35Exactement, exactement.
04:37Et vous avez aussi dans ces transcriptions
04:40un autre exemple
04:41où ils discutent ensemble avec Arthur Burns
04:43et vous avez Nixon qui lui dit
04:45avec une petite ironie
04:47qu'il aurait plutôt intérêt
04:50à donner un petit coup de pied
04:52aux fesses des membres de la Fed
04:54et qui commençaient à perdre patience.
04:57On est sur du Nixon.
04:58J'ai lu plusieurs biographies,
05:00c'est typiquement le personnage.
05:02Et par la suite, ça ne s'améliore pas finalement.
05:03Alors, on a eu cette tentative effectivement
05:05au début des années 80
05:07où là, on a compris
05:08quand on a de l'inflation,
05:09il faut augmenter les taux
05:11de récession au début des années 80.
05:14Mais finalement, tôt ou tard,
05:15finalement, vous mettez en avant
05:16qu'il y a une coordination.
05:18En fait, vous avez tout à fait raison.
05:20Et en fait, l'histoire de la relation
05:22entre la Fed et la Maison Blanche,
05:24ça montre qu'il y a toujours eu des coups de pression,
05:27il y a toujours eu une porosité.
05:29Mais au final, vous avez globalement
05:31une Fed qui a accompagné
05:33les politiques économiques de la Maison Blanche.
05:36Je vais vous donner un exemple
05:37qui était assez marquant
05:38dans l'histoire contemporaine des Etats-Unis.
05:39C'est le 2 juillet 1932.
05:41À l'époque, Roosevelt annonce son grand plan de relance.
05:45Écoutez-le.
05:45Je vous le dis aujourd'hui,
05:51le 18e amendement est voué à l'échec.
05:53Je m'engage à un New Deal pour le peuple américain.
06:00C'était la première fois qu'il évoquait le New Deal.
06:03Et ce qui est fascinant,
06:04c'est que peu importe la couleur politique,
06:07c'est-à-dire aussi bien démocrate, républicain,
06:09il considère que la Fed doit être aux ordres
06:11de la Maison Blanche et du Trésor.
06:12Oui, parce que ça va dans l'intérêt supérieur
06:14des Etats-Unis.
06:15Et ce New Deal de l'époque,
06:16il n'aurait pas pu se dérouler
06:19sans l'aide de la Fed,
06:20qui va bien sûr financer,
06:22avec des baisses de taux répétées,
06:24les grands travaux,
06:24les projets sociaux des années 30.
06:27Après, il y a quand même un tournant
06:28dans l'histoire de la Fed qu'il faut noter.
06:30C'était sous Truman en 1951.
06:33Ça, c'était un gros clash.
06:34Truman va exiger que la Fed
06:36maintienne des taux bas
06:38et les baisse encore plus
06:39pour financer la guerre de Corée.
06:41À l'époque, le président de la Fed,
06:43Thomas McCabe,
06:44il va résister
06:45et il ne va pas répondre
06:47aux injonctions de Truman.
06:49Et en fait, ça va déboucher
06:50sur l'accord Trésor-Fed
06:52du 3 mars 1951.
06:54Et là, ils vont vraiment inscrire
06:56dans la loi
06:57l'indépendance de la Fed.
06:59Donc, à partir du 3 mars 1951,
07:03officiellement,
07:04la Fed est une institution indépendante,
07:06même si on voit bien
07:07qu'il y a une relation
07:08qui reste très poreuse
07:09avec la Maison Blanche.
07:09Complètement.
07:10Et on le voit encore aujourd'hui.
07:11Il y a un sujet
07:12qu'on met souvent en avant,
07:13c'est cette baisse du dollar.
07:15Et souvent, on dit
07:15la baisse du dollar,
07:16c'est les craintes de protectionnisme,
07:17etc.
07:18Mais en fait,
07:18c'est un peu plus complexe.
07:20Si on regarde aujourd'hui,
07:20il y a une action coordonnée
07:21entre la Réserve fédérale
07:22et le Trésor américain
07:24pour assécher, grosso modo,
07:26la demande en dollars
07:27sur le marché financier.
07:28Ce qui fait que vous avez
07:29plutôt un dollar
07:29qui est aujourd'hui
07:30dans une phase un peu baissière
07:31avec toutes les inquiétudes,
07:32bien sûr, protectionnistes.
07:33Donc, la coordination,
07:34finalement,
07:35elle est là
07:36et elle subsistera,
07:37d'ailleurs,
07:37peu importe l'évolution politique
07:39des États-Unis.
07:40Complètement.
07:40Elle est naturelle,
07:41elle est pragmatique
07:42et ce qui est intéressant,
07:43c'est de comparer,
07:44en fait,
07:45la Fed avec la BCE
07:47parce que là,
07:48vous avez,
07:49en fait,
07:49deux institutions
07:50qui ont une culture
07:51totalement opposée,
07:53différente
07:53et ça,
07:54ça s'explique vraiment
07:55par le mandat
07:56et le contexte politique
07:58dans lequel
07:58les deux institutions
07:59sont nées.
08:00Il faut bien avoir en tête
08:01qu'à l'origine,
08:02la Fed,
08:03elle est née en 1913
08:04en réponse à la panique bancaire,
08:06il fallait stabiliser
08:07un système financier
08:08et elle avait un mandat
08:08qui était un mandat fédéral,
08:11un mandat politique
08:12avec ses trois critères,
08:14soutien à la croissance,
08:15emploi et stabilité des prix.
08:17Mais ça a été quelque chose
08:18qui a été pensé
08:19par les États-Unis d'Amérique,
08:23donc c'était
08:24une action politique.
08:25A l'inverse,
08:26la BCE,
08:26elle,
08:27elle est née
08:27en 1998
08:29d'une union monétaire
08:31non fédérale
08:32avec un mandat
08:33strict inflationniste.
08:35Et finalement,
08:36c'est le même débat
08:36qu'on a aujourd'hui
08:37au moment où on dit
08:38comment faire
08:39pour qu'on ait une Europe
08:40forte face à la Chine
08:41et aux États-Unis
08:42alors que l'Europe
08:43est née d'une union monétaire
08:44et qui manque
08:44le côté fédéral
08:45ou politique.
08:46C'est la même histoire
08:47qui explique
08:48cette culture différente
08:49et qui fait qu'on a
08:49une BCE
08:50qui navigue
08:51et qui affiche
08:53en tout cas
08:53une indépendance
08:54beaucoup plus forte,
08:55une orthodoxie
08:56beaucoup plus stricte
08:57que la Fed.
08:57Complètement,
08:58on est vraiment
08:58sur ce scénario
08:59et on le voit,
09:00la BCE joue
09:01le route de pompier,
09:02on l'a vu encore
09:02pour la France
09:03lorsqu'il y a eu
09:03la dissolution
09:05et le renversement
09:06du précédent gouvernement
09:07en décembre.
09:08Mais la réalité,
09:09c'est vrai que
09:09tous les politiques
09:10essayent d'exercer
09:10l'influence,
09:11notamment les Français
09:11bien sûr,
09:12sur la BCE,
09:13mais ça ne fonctionne jamais.
09:15Donc,
09:15il y a une vraie indépendance
09:16qui est le marqueur
09:17finalement
09:17de cette BCE.
09:19Exactement,
09:19et qui est vraiment
09:21une différence culturelle
09:23flagrante
09:24avec la Fed.
09:26Après,
09:26ce qu'il faut
09:27peut-être quand même
09:28noter,
09:29c'est que là,
09:30il y a quand même
09:31une situation
09:31qui est inédite.
09:32Et vous en parliez
09:33tout à l'heure
09:33avec Christian Saint-Édienne,
09:36la situation inédite,
09:37c'est que
09:38ce Stephen Mirren
09:39qui vient d'arriver
09:40à la Fed,
09:41qui a été imposé
09:42par Donald Trump,
09:43est quelqu'un
09:43qui porte une doctrine
09:45qui est totalement
09:46iconoclaste,
09:47à contre-courant
09:48et surtout
09:49qui,
09:49à l'inverse
09:50des grands débats
09:50économiques
09:51qui a agité la Fed
09:52et ses relations
09:53avec la Maison-Blanche,
09:54il est totalement isolé.
09:55Il ne trouve aucun écho
09:57dans les milieux académiques.
09:59La majorité
10:00ou le consensus
10:01des économistes
10:02estiment que
10:03la guerre tarifaire
10:04qui a été pensée
10:04par Stephen Mirren,
10:06c'est quelque chose
10:07de perdant-perdant.
10:08C'est un soutien
10:09à la croissance
10:10par la fermeture.
10:11C'est une sorte
10:12de non-sens.
10:12Et donc,
10:13cette petite musique
10:14que craignent
10:15beaucoup d'économistes,
10:17et ça,
10:18vous êtes peut-être
10:18mieux placé
10:19que quiconque
10:20pour le savoir,
10:20c'est le principal
10:22actif
10:22d'une banque centrale,
10:24c'est sa crédibilité,
10:25sa confiance.
10:27Et quelle confiance
10:27on peut porter
10:28à la Fed
10:28si elle a à la tête
10:30quelqu'un
10:31qui réagit
10:31aux ordres
10:32de Donald Trump
10:33avec une politique
10:33économique
10:34que personne ne comprend,
10:35que personne ne soutient.
10:36Et cette petite musique
10:37qui monte
10:38et qui fait craindre
10:38que craignent
10:39de plus en plus
10:40économistes,
10:41c'est que si
10:42on en arrive
10:42à ce scénario
10:43qui serait totalement inédit,
10:44ça pourrait provoquer
10:45une véritable crise
10:47et de la dette
10:48et du dollar.
10:49Je vous avoue,
10:50être dans ceux
10:50qui sont confiants,
10:52on verra comment
10:53Miran,
10:54il a voté
10:54pour 50 points de base
10:55au lieu de 25
10:56de baisse
10:57cette semaine,
10:58mais force est de constater
10:59que ce sera un sujet
11:00à regarder de près.
11:01Vous le rencontrez
11:01à la fin du mois,
11:02j'ai cru comprendre.
11:02Oui, à Bruxelles.
11:03On a un petit comité,
11:05je vous dirais.
11:05On va vous faire passer
11:06des questions
11:06pour le FN Business.
11:09Avant qu'il était nommé,
11:10il a accepté un événement
11:11à Bruxelles
11:11au fin d'année.
11:13On en reparlera
11:14à ce moment-là.
11:15Merci beaucoup Mathieu.
11:16C'est vraiment un plaisir
11:17de vous retrouver
11:17chaque semaine
11:18pour cette séquence.
11:19Sous-titrage Société Radio-Canada