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Il y a plus de 20 ans, entrait en vigueur la loi interdisant le port de signes religieux ostensibles à l'école, au collège et au lycée. Le texte est aujourd'hui plus communément connu sous le nom de loi sur le voile. Il a été l'aboutissement d'une réflexion menée pendant 6 mois par la commission Stasi, à la suite d'une décennie de flou juridique et de polémiques.

Quel était alors l'objectif de cette interdiction ? La loi est-elle aujourd'hui correctement appliquée ? Fait-elle encore débat ? Avec le sénateur François-Noël Buffet et le politologue Patrick Weil, en allant à la rencontre de jeunes, de proviseurs et d'enseignants, l'émission Droit de suite, présentée par Wendy Bouchard, fait le bilan de cette loi. L'occasion, plus largement, de s'interroger sur la façon dont la laïcité s'applique dans nos établissements scolaires.

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00:00Bonjour à tous, soyez les bienvenus dans le droit de suite, notre émission qui regarde comment nos
00:23grandes lois évoluent avec leur temps et avec notre société. Aujourd'hui, c'est une loi votée
00:28sous Jacques Chirac en 2004 qui nous intéresse. Une loi communément appelée loi sur le voile et qui
00:34interdit le port de signes religieux ostensibles à l'école, au collège et au lycée. Vingt ans après
00:41son adoption, cette loi est-elle suffisamment précise pour être comprise et respectée dans tous les
00:46établissements scolaires ? On va faire le point dans cette émission, mais regardez d'abord comment ce
00:51texte s'est appliqué dans un lycée de Marseille, lycée Marcel Pagnol. C'est un reportage pour
00:56Droite Suite de Jérôme Ravier. Quand on entre au lycée Marcel Pagnol, établissement populaire de
01:07Marseille, ceux qui portent des tenues manifestant leur religion les retirent. Pour Jean-Marie
01:13Kennec, le proviseur, la règle est claire, connue de tous et parfaitement impliquée.
01:18Ils le savent, il y a des surveillants lorsque le portail est ouvert. C'est très rare d'avoir à
01:24faire une remarque. La loi est intégrée dans les habitudes et donc les élèves se
01:29conforment à la loi avant de passer le premier portail et rentrent ensuite dans l'établissement.
01:35Certains tentent tout de même de se couvrir davantage, jouant avec des accessoires qui
01:40peuvent cacher les cheveux, le cou. Mais pour le proviseur, en échangeant avec les élèves,
01:45ces tentatives sont facilement déjouées. Il y a plutôt une autre idée qui est la
01:49récurrence de la tenue. Et à ce moment-là, ce qu'on peut obtenir, demander et qu'on obtient,
01:55c'est qu'il y ait une variation de la tenue. Par exemple, le port de tel ou tel accessoire
02:00vestimentaire dans les cheveux, etc. ne soit pas systématique. Et à partir du moment où il y a
02:05acceptation comme ça de faire varier les accessoires, qu'ils ne soient pas toujours les
02:11mêmes, on peut considérer qu'il n'y a pas de volonté de manifester ostensiblement
02:15l'appartenance religieuse. Une seule fois depuis sa prise de poste ici en 2023, le proviseur a dû
02:21sévir avec des étudiantes majeures et dans une situation particulière. C'est-à-dire des étudiants
02:28de BTS en sortie scolaire. Les professeurs leur disent clairement, la loi s'applique. Les élèves
02:35arrivent en portant un signe qui manifeste ostensiblement l'appartenance religieuse aux yeux de tous.
02:39Les professeurs leur disent, ce n'est pas possible. Les étudiants en question ont refusé,
02:44ont quitté la sortie scolaire. À ce moment-là, comme elles avaient été prévenues, qu'elles ont
02:50refusé de se soumettre et compte tenu de leur âge, je considérais que j'avais eu tort et donc j'ai
02:57transformé la journée de sortie scolaire en exclusion temporaire. De façon à avoir une discussion avec
03:02elles et leur dire, c'est vous qui êtes partis, mais en réalité, de toute façon, vous ne pouviez pas.
03:06Vous êtes exclu de cette sortie scolaire pour ce motif-là. Au demeurant, ces étudiantes
03:10n'ont plus jamais posé de problème. À la disposition des proviseurs comme de tous les
03:15personnels et usagers de l'éducation, les textes de référence et le vademecum de la laïcité
03:20permettent de trancher les situations litigieuses. Et quand l'article L141-5-1 du code de l'éducation
03:29s'applique-t-il dans toutes les activités placées sous la responsabilité des écoles ou des établissements
03:34ou des enseignants, y compris celles qui se déroulent en dehors de l'enseignement scolaire ? Voilà, on a la réponse.
03:38Pour Jean-Marie Kennec, faire appliquer la loi n'est pas forcément compliqué, mais il faut pour cela ne pas
03:45oublier la seconde phrase de cette loi. Elle prévoit qu'en cas d'infraction, une phase de dialogue s'enclenche.
03:51Pour lui, cela suffit à régler l'immense majorité des cas. François-Noël Buffet, bonjour monsieur.
03:58Bonjour. Vous avez été ministre et vous êtes le récent co-auteur d'un rapport sur l'école de la
04:04République attaquée. Je voudrais que vous réagissiez avec nous directement à ce que vous venez de voir,
04:08cette application de la loi à Marseille avec un chef d'établissement convaincu. Je crois que ce qui est
04:14important, c'est un texte clair. Le texte de 2004 était parfaitement clair et c'est la conviction qu'ont les
04:19proviseurs notamment de prendre en compte ce texte et de l'expliquer et d'appliquer le texte à chaque
04:25situation et d'avoir finalement un très gros travail à la fois de fermeté, de détermination,
04:30mais aussi un très gros travail de pédagogie. Et je trouve que c'est vraiment un exemple à suivre.
04:35Cette loi a plus de 20 ans, mais vous le disiez entre les lignes, monsieur le sénateur, il fallait
04:40dans le code de l'éducation apporter une sécurité juridique justement au chef d'établissement comme
04:44celui qu'on vient de voir pour l'appliquer. Si on se reporte à l'époque 2004,
04:49le débat est assez vif sur notamment la différenciation vestimentaire avec le fait,
04:55non pas simplement de se différencier, mais d'afficher un engagement religieux. Il était
05:00nécessaire dans le débat public de remettre les choses au clair dans le cadre de la loi sur
05:05la laïcité. La laïcité, c'est une loi qui protège. Le texte sur la laïcité est la loi de 1905. Il
05:11protège la liberté de religion, naturellement, mais il protège aussi l'État et l'action publique,
05:16au sens large, d'être à distance de la religion. On s'intéresse avec vous, monsieur le sénateur,
05:21à l'application de la loi. Est-ce qu'elle s'adapte justement aux évolutions du temps de notre société ?
05:26Tout n'est pas parfait. C'est pour ça aussi que nous en parlons. En février 2024, le proviseur du
05:31lycée Maurice Ravel à Paris est menacé de mort sur les réseaux sociaux. Pourquoi ? Parce qu'il a demandé à
05:37une élève de BTS qui réussit d'enlever son voile de l'ôter. Je voudrais que vous écoutiez avec
05:41nous l'avocat de cet ancien proviseur qui réagit dans le droit de suite. Il voit sur les réseaux
05:46sociaux le message suivant. Il faut le brûler vive ce chien en parlant du chef d'établissement.
05:53Comment voulez-vous réagir par rapport à cette situation ? Il faut que la loi durcisse
06:00précisément ses dispositions pour protéger les chefs d'établissement par rapport à ces menaces sur les
06:07réseaux sociaux parce qu'elles perdurent et elles sont reprises à travers de multiples réseaux.
06:14C'est parfois suivi par un million de personnes et donc par conséquent le danger est réel.
06:19Et je vous rappelle tout de même que l'homme qui a proféré ces menaces de mort a été condamné à
06:23600 euros d'amende, un stage de citoyenneté de cinq jours, 3000 euros de dommages et intérêts à
06:28verser aux proviseurs. C'est un jugement indigne, dit ce même avocat qui banalise pour lui les discours
06:34de haine. François-Noël Buffet, peut-être une réaction à ce que dit cette
06:37homme de loi justement qui s'inquiète bien des contours encore un peu minces lorsque des
06:43menaces sont ainsi propagées sur les réseaux sociaux qui n'existaient pas en 2004.
06:47Ce que nous avons vu évoluer depuis 2004 c'est à la fois une action prosélite de plus en plus forte de
06:54l'islam radical notamment et en même temps l'arrivée des réseaux sociaux qui démultiplie à une vitesse
07:00grandiose l'information qui met de la distance entre celui qui utilise cette information en tous les cas ce
07:07dispositif par rapport à la personne qui le concerne. Donc cette distance là elle est un peu un élément de protection ce qui fait que les gens se lâchent et vont jusqu'à dire ce qui a été dit.
07:17Donc c'est un sujet extrêmement important d'ailleurs. Les signalements sont de plus en plus nombreux sur les différentes plateformes qui sont mises à disposition par l'État.
07:26Les poursuites pénales sont importantes mais sans doute insuffisantes et quant à la sanction on aurait pu imaginer qu'elle soit plus dissuasive.
07:34Alors comment remettre de la raison, de la règle, de l'intelligence d'esprit dans tout cela peut-être en mettant aussi en valeur ce qui se fait ici dans ce lycée technique
07:43autrement appelé l'école du Vert, le lycée Lucas de Nehoux où les élèves travaillent, on le voit autour de nous en ce moment, à des œuvres magnifiques autour des 120 ans de la loi de 1905 sur la laïcité.
07:55Alors c'est tout l'intérêt effectivement de cette maison, à savoir qu'on raisonne souvent aux sanctions pénales poursuites mais on raisonne peu pédagogie.
08:02Et en réalité il y a un travail pédagogique qui est considérable et qui doit être mené à tous les niveaux.
08:07Ici dans ce lycée il est à travers l'art de la verrée et on voit autour de nous ces exemples-là.
08:13Parce que si nous sommes nous convaincus de cela, encore faut-il convaincre les jeunes générations qui n'ont pas forcément le même regard et la même appréhension à l'égard de la laïcité.
08:22Et avant de parler des jeunes générations, on va revenir un peu en arrière, revoir cette histoire ensemble, monsieur le sénateur.
08:27Cette loi de 2004 qui s'est ancrée dans un contexte à l'époque de flou juridique, de polémique aussi depuis les foulards de la Discord, de l'affaire de Creil en 1989.
08:36Les premiers débats qui éclatent et qui se diffusent partout en France.
08:39L'Iran qui va même jusqu'à dénoncer l'intolérance de l'école laïque française.
08:44C'est le débat du moment.
08:45Le législateur donc s'empare du problème.
08:48Le port du voile à l'école est une polémique ancienne.
08:51Dès 1989, le sujet arrive dans le débat public quand trois collégènes de Creil dans l'Oise viennent en cours voilées.
08:59Il ne veut pas qu'on mette le foulard.
09:01Alors nous, s'il nous accède de mettre le foulard, on y va à l'école.
09:04Et puis s'il ne veut pas qu'on mette le foulard, on n'y peut rien, il nous a renvoyé.
09:08L'affaire de Creil déclenche les passions et embarrasse au plus haut niveau jusqu'au ministre de l'éducation de l'époque.
09:15Il ne faut pas afficher à l'école les signes des différences religieuses.
09:19Donc pas de foulard par exemple.
09:21Ça voudrait dire ça, mais je mets au-dessus de ça un autre principe, qui est que l'école en France doit accueillir tous les enfants.
09:29Le Conseil d'État tranche le port du voile à l'école, n'est pas en soi une atteinte à la laïcité, mais il peut l'être selon les situations, laissant les chefs d'établissement appréciés.
09:39Les cas problématiques se multiplient jusqu'au début des années 2000, poussant le président Chirac à lancer un grand travail sur le sujet.
09:48J'ai estimé nécessaire qu'une réflexion impartiale, approfondie, sereine, soit conduite par une commission de sages pour rechercher le plus large accord sur des propositions.
10:02Il confie cette mission à Bernard Stasi et à Vinçage, qui doivent proposer des pistes aux chefs de l'État.
10:09Depuis le Sénat, il multiplie les auditions pour tenter de redéfinir la laïcité à la française avec des avis bien différents.
10:18Je suis pour la circulaire plutôt que pour la loi.
10:22Je suis réservé sur le principe d'une nouvelle loi sur la laïcité.
10:26Mais ça ne m'empêche pas d'être opposé au port d'un signe religieux à l'école.
10:29La loi s'impose. Lorsque la laïcité est bafouée, la République défigurée, c'est manifestement le cas aujourd'hui.
10:38En décembre 2003, le rapport est adopté et Jacques Chirac en reprend la principale mesure.
10:45J'estime que le port de tenue ou de signe qui manifeste ostensiblement l'appartenance religieuse
10:54doit être proscrit dans les écoles, les collèges et les lycées publics.
11:00Les débats à l'Assemblée comme au Sénat seront mouvementés, mais la loi très largement adoptée,
11:05même si des votes contre ont été exprimés dans tous les camps politiques.
11:09Patrick Veil nous a rejoint, politologue et directeur de recherche sémérite au CNRS.
11:15Bonjour M. Veil.
11:16Vous qui avez été au cœur du réacteur de la commission Stasi,
11:21est-ce que vous pouvez quand même revenir, c'est un point très important,
11:24sur la motivation de cette loi, ce qui fut à l'origine réelle,
11:28alors que beaucoup de détracteurs disent aujourd'hui que c'était, au fond,
11:31pensé comme une loi d'exception contre les musulmans ?
11:33On a été réunis par Jacques Chirac, on était une vingtaine, chacun avait son expérience.
11:39Moi-même, j'étais un spécialiste des questions d'immigration, d'intégration, de nationalité,
11:44et on a fait des auditions.
11:46Et les auditions montraient qu'il y avait, dans les cours de récréation, dans les classes,
11:52des pressions.
11:54Le port du voile était autorisé.
11:55Oui.
11:56Et du coup, dans les cours de récréation, vous aviez certaines jeunes filles
12:00qui étaient perçues comme musulmanes, qui ne portaient le voile,
12:03mais la plupart d'entre elles ne le portaient pas.
12:05Et vous aviez des groupes de garçons qui s'attaquaient à ces jeunes filles
12:10qui ne portaient pas le voile en leur disant,
12:12vous avez fait le choix, puisque vous avez le droit de le porter,
12:16de ne pas le porter,
12:18si vous ne le portez pas, si vous ne changez pas d'avis,
12:22on va s'occuper de vous.
12:23Donc, il y avait des pressions, des menaces, des violences.
12:27Or, la loi de 1905,
12:30elle a un article 1 qui prévoit
12:31la liberté de conscience absolue
12:34et le libre exercice d'étude,
12:35qui veut dire aussi le droit de porter des signes.
12:38Sans pression, parce que l'article 1,
12:41il est connecté à un article, l'article 31,
12:43qui dit que si on exerce une pression sur quelqu'un
12:45pour le contraindre à porter un signe,
12:48ou en empêcher d'ailleurs,
12:50on peut aller en prison.
12:50Donc, la loi de 1905 est une loi qui punit la pression.
12:55Eh bien, la loi de 2004, c'est une loi anti-pression,
12:59mais adaptée à un espace où il y a des enfants mineurs.
13:02Bon, donc, on a dit, on va prendre une règle générale
13:05qui n'interdit pas,
13:07attention, ce n'est pas l'interdiction de montrer sa religion.
13:10Vous pouvez porter des signes discrets
13:11qui montrent que votre foi,
13:14le signe discret, est autorisé par la loi.
13:15Mais les signes ostensibles qui font partie le voile
13:19ont été interdits pour supprimer une cause de pression.
13:24Est-ce que vous diriez, 20 ans plus tard, qu'elle est perfectible ?
13:27Moi, ce que je trouve qu'il faut améliorer,
13:28c'est la lutte contre l'ignorance.
13:30Vous voyez, parce que la loi de 1907,
13:32quand on la relit, elle est vraiment géniale,
13:34elle a prévu beaucoup de choses,
13:37mais on ne la lit pas jusqu'au bout
13:38et on ne la comprend pas toujours complètement.
13:39Quand vous expliquez à des élèves que, par exemple,
13:44la loi de 1905 prévoit la neutralité de l'État,
13:48que les professeurs, même s'ils croient en Dieu,
13:51ne peuvent pas le montrer à leurs élèves,
13:53ça fait qu'ils ne font pas pression sur leurs élèves,
13:55même de façon symbolique.
13:57Intéressant, quand je posais la question à Patrick Veil
13:58sur les limites de cette loi qui nous parle de l'ignorance,
14:02et de la lutte contre l'ignorance fonctionnelle,
14:03ça fait partie de vos combats aussi
14:05sur la bonne application de cette loi dans ce cadre, 1905.
14:08Bien sûr, je crois que ce texte a eu un avantage considérable.
14:12C'est d'abord qu'il a été bien préparé.
14:15Et lorsque vous avez le temps,
14:17au sein d'une commission,
14:18je crois que c'était de l'ordre de six mois,
14:20d'approfondir le sujet,
14:22on est en capacité à ce moment-là
14:24de sortir un texte qui soit un beau texte.
14:27Ça a donné aussi aux enseignants un cadre précis,
14:31une capacité à pouvoir gérer les situations
14:33de façon très précise, s'adapter,
14:36mais toujours rester dans ce cadre-là.
14:37François-Noël Buffet, vous vous préconisez dans votre rapport
14:40de revoir la formation initiale et la formation continue
14:42des enseignants en matière de laïcité.
14:45Comment on pourrait s'y prendre ?
14:46On était surpris, toujours surpris,
14:49de l'ignorance souvent d'un grand nombre de personnes
14:53sur ce qu'était la laïcité, sur la façon de la gérer.
14:55Et donc, il est impératif
14:57que les enseignants au sens large du terme
15:00et les dirigeants des écoles soient formés
15:02pour pouvoir appréhender sérieusement les situations.
15:04Vous le constatez aussi, c'est très veilleux.
15:06Je le constate aussi.
15:07Je vais vous donner un exemple
15:08qui me frappe à chaque fois.
15:10Souvent, par exemple, dans des classes de terminale,
15:13les jeunes et parfois leurs professeurs
15:15découvrent que le mariage civil a lieu
15:18avant le mariage religieux.
15:19Il y a tout ce travail-là d'inclusion
15:22de l'histoire de la laïcité
15:23dans les enseignements de base
15:25de l'école publique
15:27qui n'est pas encore tout à fait au point.
15:29Eh bien, relisez de la laïcité en France
15:32votre œuvre et votre ouvrage.
15:35Patrick Veil, merci beaucoup de votre présence.
15:37Pourquoi, c'est-à-dire quoi de 2004,
15:38a-t-elle tendance à devenir ou redevenir polémique
15:41en fonction des générations ?
15:43À quelle fracture générationnelle ?
15:44Assiste-t-on justement lorsqu'on parle
15:46de l'application du texte ?
15:47Regardez.
15:47À la sortie des établissements scolaires,
15:52l'interdiction du port de tenue
15:54manifestant ostensiblement la religion divise.
15:57Et ce ne sont pas forcément les plus concernés
16:00qui réclament un retour en arrière.
16:02Je pense qu'arrivés au lycée,
16:03les jeunes pourraient avoir le choix
16:05de la porter ou pas le porter
16:07sans que ça pose problème.
16:09On vient ici pour étudier, pour travailler
16:11et non pour montrer sa religion.
16:13On est dans un établissement public.
16:15Voilà, on n'a pas le droit quand même.
16:18On ne doit pas mettre de Halbaya ou de Jibbeb.
16:20Tout ça, c'est interdit.
16:22On s'habille normalement.
16:23Une étudie phob publiée en 2023
16:25confirme ses sentiments.
16:28Si 77% des sondés sont favorables
16:30à cette interdiction,
16:31chez les 18-24 ans,
16:33ce chiffre plonge à 54%.
16:35Une évolution récente pour Yanis Rodeur,
16:39membre du Conseil des sages de la laïcité,
16:42enseignant en Seine-Saint-Denis
16:43et auteur d'ouvrages sur le sujet.
16:45Les jeunes étant plutôt favorables
16:48à une tolérance à l'anglo-saxonne
16:50pour une partie seulement d'entre eux,
16:52je tiens à le dire,
16:53les personnes de plus de 40 ans
16:55étant très largement favorables
16:57au principe français de laïcité.
16:59Donc ce sont deux visions des choses
17:01qui ne s'opposent pas,
17:03mais qui se font face, je dirais,
17:08avec un problème que l'on constate
17:10en réalité dans les classes
17:11et auprès des étudiants parfois.
17:13C'est une mauvaise connaissance
17:15du principe de laïcité
17:16vu comme un principe plutôt coercitif.
17:19Une loi vue comme une interdiction religieuse
17:22alors qu'ailleurs dans le monde
17:23et notamment dans le modèle anglo-saxon,
17:25les élèves peuvent afficher leur conviction.
17:28Un exemple à suivre pour certains.
17:30En Angleterre, moi je sais
17:32que les femmes qui portent le voile le peuvent.
17:36On devrait accepter par exemple
17:37aux juifs de porte-là qui passent
17:39s'ils le souhaitent,
17:40aux chrétiens si...
17:41Bref, chacun doit pouvoir s'habiller
17:43comme il le souhaite.
17:44Mais pour Yanis Rodeur,
17:45le modèle français de la laïcité,
17:47créé en 1905 et adapté en 2004,
17:51est plus que jamais nécessaire.
17:52Je crois quand même dans une certaine illusion
17:54quant aux sociétés anglo-saxonnes
17:56qui se porteraient très bien
17:58et où les questions communautaires
18:00n'existeraient pas.
18:01Bon, il faut peut-être aller en Angleterre,
18:02voir ce qui se passe aujourd'hui
18:03et voir que...
18:04Et c'est extrêmement tendu, vraiment.
18:06L'histoire a montré que
18:07plus on sépare les gens
18:09par la croyance,
18:11par des tenues particulières, etc.,
18:13plus ils se polarisent
18:15et plus on arrive à des affrontements.
18:18La laïcité à la française
18:19qui consacre la liberté de conscience
18:21mais limite son affichage
18:23dans certains secteurs
18:24comme l'école publique
18:25est un modèle pas toujours compris
18:27de nos voisins étrangers
18:28et désormais remis en question
18:30par une partie de la jeunesse
18:32qui aspire à davantage
18:33de liberté individuelle
18:35sur le sujet.
18:37Dans Droit de suite,
18:38nous poursuivons notre réflexion
18:3920 ans après l'adoption
18:40de cette loi de 2004
18:42sur le port ostensible
18:44des signes religieux interdits
18:46à l'école, au collège
18:47et au lycée.
18:48Monsieur le sénateur,
18:49je vous présente
18:49Marion-Maurice Jasseron
18:51qui est enseignante.
18:52Vous êtes prof d'histoire-géo
18:54au collège
18:54et co-secrétaire du syndicat
18:55Sud Éducation.
18:57Cette loi,
18:57vous la contestez,
18:59on va en parler plus largement,
19:00mais est-ce au nom justement
19:01de la liberté revendiquée
19:02à l'instant
19:03par ces jeunes ?
19:05Oui, alors nous,
19:06on revendique pour être
19:07tout à fait clair
19:07la brogation de cette loi
19:08parce qu'elle est en contradiction
19:10avec la loi 1905
19:11puisque la loi 1905,
19:12elle promeut la neutralité
19:14et l'impartialité
19:15du service public
19:15et en fait,
19:16la loi de 2004,
19:17elle transforme en fait
19:18cette laïcité
19:19en une injonction
19:21et en fait,
19:21un contrôle sur les enfants.
19:22On est aussi
19:23pour la brogation de cette loi
19:24parce que c'est une loi
19:25qui institutionnalise
19:26à l'école une discrimination,
19:28une discrimination raciste
19:29et une discrimination sexiste.
19:30La plupart des contrôles
19:32qui sont faits
19:33liés à cette loi de 2004,
19:34elles sont faits
19:35sur des jeunes filles
19:36et des jeunes filles musulmanes
19:37ou supposées être musulmanes.
19:39Donc en fait,
19:39il y a vraiment
19:39l'institutionnalisation
19:41d'un problème musulman
19:42au sein de l'école
19:44qui serait porté
19:44par un certain nombre
19:45de personnes,
19:46des jeunes filles,
19:47des enfants
19:47qu'on verrait
19:48comme de potentiels problèmes
19:50et puis des personnes
19:51qui porteraient attente
19:51à la laïcité,
19:52ce qui pour nous
19:53n'est pas le cas
19:53parce que les enfants
19:54ne sont pas dangereux.
19:55Il y a une lecture divergente
19:56de l'esprit de la loi,
19:57très clairement,
19:58on l'évoquait
19:58avec Patrick Veil à l'instant.
19:59Je vous laisse peut-être
19:59en débattre l'un et l'autre.
20:01On a une divergence de fond,
20:03naturellement,
20:04et une appréhension
20:04qui n'est pas du tout
20:05la même de la situation.
20:07On peut comprendre
20:08que ces jeunes,
20:09d'ailleurs,
20:09en s'exprimant
20:10souhaitent une forme
20:11de liberté,
20:12ou au nom de la liberté,
20:13en tous les cas,
20:14demandent à être distingués,
20:16finalement,
20:17parce qu'on en revient à ça.
20:18Or, tout l'enjeu
20:19de la loi de 1905,
20:21il faut le redire,
20:22c'est la liberté
20:22de penser,
20:24de croire
20:24en ce que l'on veut,
20:25en ce que l'on veut
20:26et en qui on veut.
20:28C'est en revanche
20:29le fait que
20:29ces croyances-là
20:30doivent rester
20:31dans le domaine privé,
20:33ne pas rentrer
20:33dans le domaine public
20:34et l'État
20:34doit rester laïque
20:35et la nation publique
20:36qui est la nôtre
20:36doit rester laïque,
20:38c'est-à-dire en dehors
20:39des religions.
20:40La loi de 2004,
20:40elle est venue
20:41traduire une situation
20:43qui était liée
20:44à ces trois jeunes filles
20:45qui étaient venues
20:46voiler à l'école,
20:47il y a eu des débats
20:48très forts.
20:49La commission Stasi,
20:50puis le texte
20:51qui a été voté
20:51est venue mettre
20:52une limite,
20:53en tous les cas,
20:54une organisation,
20:55non pas pour viser
20:56telle ou telle religion,
20:58en réalité,
20:58il faut des choses
20:59telles qu'elles sont,
21:00mais elle vise
21:01toutes les religions
21:02et tous les signes
21:03distinctifs.
21:03Est-ce que vous demandez
21:04l'abrogation de cette loi
21:06aussi avec le syndicat
21:07Sud-éducation
21:08comme co-secrétaire
21:09parce qu'il est difficile
21:10pour les enseignants
21:11aujourd'hui de l'appliquer ?
21:13Est-ce que ça fait partie
21:13aussi des réalités
21:14que vous affrontez ?
21:15La liberté qui est revendiquée
21:16par ses enfants
21:17et qui est revendiquée
21:18par notre syndical,
21:18c'est une liberté
21:19qui est inscrite dans la loi.
21:20C'est quand même
21:21la liberté de conscience
21:22et qui est quand même
21:24aussi quelque chose
21:25qui est partie
21:25de la loi de 1905.
21:26Ce n'est pas une liberté
21:27fantasque et qui viendrait
21:28d'une volonté
21:30de sortir du cadre,
21:31en fait.
21:31C'est vraiment une volonté
21:32de revenir à l'esprit
21:33de la loi de 1905.
21:34Est-ce que la loi de 2004
21:35a créé des tensions
21:36au sein de l'école ?
21:37C'est une réalité.
21:38La loi de 2004,
21:39et c'est souvent quelque chose
21:40qui est dit
21:40par les défenseurs de la loi,
21:42on l'a fait pour apaiser l'école.
21:44En fait, ça fait 20 ans,
21:46maintenant 21 ans,
21:47bientôt,
21:47que la loi existe
21:48et depuis cette loi,
21:49il y a tout un tas
21:50d'autres décrets,
21:54de nouvelles normes
21:56qui émanent du ministère,
21:59des hiérarchies
22:00autour de la manière
22:02de contrôler,
22:03la manière dont les enfants
22:04vont s'habiller
22:06et comment ils pourraient
22:07avoir des intentions religieuses
22:08autour de leur habillement,
22:10de leurs propos,
22:10de leur langage.
22:11Cette loi de 2004,
22:12elle s'inscrit dans un continuum,
22:14dans un continuum d'exclusion
22:15des femmes voilées
22:16en France,
22:18dans tous les espaces
22:19de leur vie.
22:19Et on voit maintenant,
22:21même c'est revendiqué
22:22par certains politiques,
22:23que l'espace public
22:24devient un espace
22:24où les femmes
22:25n'auraient pas le droit
22:26de porter le voile.
22:27Et on sait, en fait,
22:28cette loi,
22:28elle a été écrite
22:29pour parler de l'ensemble
22:30des religions,
22:31mais elle a été pensée
22:32dans un cadre spécifique.
22:33elle a été faite
22:34pour légiférer
22:35et contrôler
22:36les habits,
22:37parce qu'on parle quand même
22:38d'habits,
22:39de jeunes filles musulmanes.
22:41Je vais vous rappeler
22:42deux choses.
22:43La loi de 1905,
22:44elle a protégé
22:45et elle protège
22:46contre toute pression
22:47d'où qu'elle vienne,
22:49faite sur des personnes
22:50pour qu'elles appliquent
22:52des règles
22:52que l'on veut leur imposer.
22:54Et la loi de 1905
22:54protège là-dessus.
22:56Elle n'impose pas,
22:56elle protège.
22:57Deuxième chose,
22:57vous parliez
22:58de liberté de conscience
22:59tout à l'heure.
22:59Vous avez raison,
23:00mais la loi n'interdit pas
23:02de croire
23:02ou de ne pas croire
23:03dans telle ou telle religion.
23:05Elle dit simplement
23:05que l'école
23:06et la république
23:07est laïque.
23:09Et cette laïcité,
23:10elle impose,
23:11c'est une loi de protection
23:12des religions,
23:13certes,
23:14mais elle impose
23:14le fait que dans
23:15l'espace public,
23:16en tous les cas,
23:16à l'école et au collège,
23:17on n'a pas
23:18de vêtements
23:20ou de signes
23:21ostentatoires
23:21en matière religieuse.
23:23Le professeur,
23:24le principal,
23:25pardon,
23:25du lycée Marcel Pagnol
23:26à Marseille,
23:27puisqu'on l'a vu tout à l'heure,
23:29applique parfaitement
23:29la loi
23:30et ça ne pose
23:30aucune difficulté
23:31et il dit très clairement
23:32que les choses
23:32se passent très bien,
23:34mais dans un délai
23:34beaucoup plus proche.
23:36Lorsque le ministre
23:36de l'Éducation nationale,
23:37à l'époque,
23:38c'était M. Attal,
23:39dit que la baïa
23:41est interdite
23:41et donc elle ne peut pas
23:43être portée à l'école,
23:44que se passe-t-il en vrai ?
23:46Il se passe que les professeurs
23:47se sont tous sentis soutenus,
23:49les proviseurs également,
23:50et les choses
23:50se sont extrêmement bien passées.
23:52Ça veut dire que
23:53quand la République
23:53a un message clair,
23:56précis,
23:57tout le monde est capable
23:58de se conformer
23:58au respect des règles.
23:59Sinon, vous rentrez
24:00au nom de cette liberté
24:02que vous revendiquez
24:03dans un système communautaire
24:05dont chacun sait
24:06qu'il nous amènera
24:07un moment ou un autre
24:08dans des difficultés.
24:09Le système à l'anglo-saxonne
24:10qui a été souligné
24:10d'ailleurs par un des témoins,
24:13c'est ce que vous revendiquez
24:14au fond ?
24:15Non, on ne revendique pas
24:15le système à l'anglo-saxonne.
24:17Encore une fois,
24:17on revendique le respect
24:19de la loi de 1905.
24:20La neutralité,
24:20vous savez,
24:21monsieur le sénateur,
24:22c'est quand même
24:22les agents du service public,
24:24cette neutralité-là
24:24qui demandait.
24:25Oui, mais du coup,
24:26les élèves ne sont pas
24:27des agents du service public.
24:28C'est là la fracture générationnelle
24:30que vous évoquiez tout à l'heure.
24:31Oui, il y a une apprehension
24:32de la laïcité
24:33qui est différente
24:34selon les générations.
24:36On avait écrit d'ailleurs
24:37dans ce rapport
24:37que les professeurs
24:39les plus anciens,
24:39pour dire que
24:40plus d'expérience,
24:41étaient très attachés
24:42aux principes classiques
24:43de la laïcité,
24:44alors que les professeurs,
24:45certains plus jeunes,
24:46étaient plus ouverts
24:47à cette notion de laïcité.
24:50Il y a aujourd'hui
24:50d'autres problèmes,
24:51des contestations parfois
24:52d'enseignement de fond,
24:53dans l'histoire,
24:55parfois même en sciences naturelles
24:56ou en matière culturelle.
24:57Ça, ça a été dit,
24:58ça m'a été dit, moi,
24:59directement par les professeurs.
25:01Alors que les offensives
25:02sont importantes,
25:03politiquement parlant,
25:04rapport du Sénat
25:06qui met en avant
25:07un certain nombre
25:07de propositions
25:08sur l'encadrement
25:10notamment des accompagnatrices,
25:11de sorties scolaires.
25:13C'est des débats
25:14qui découlent encore une fois
25:15de la loi de 2004,
25:16puisque la loi de 2004,
25:18elle est quand même à...
25:18Enfin, voilà,
25:19c'est un tournant
25:20dans la manière
25:21dont on considère la laïcité.
25:23C'est un tournant aussi
25:23dans sa définition.
25:24Comme je l'ai dit tout à l'heure,
25:25on passe d'un impératif
25:27de neutralité,
25:28d'impercialité
25:28à un impératif de contrôle.
25:31Et cette vision du contrôle,
25:34en fait,
25:35elle va se déployer
25:37sur l'ensemble des personnes
25:38qui peuvent participer
25:40à l'école
25:40ou qui peuvent participer
25:41à des activités
25:42liées de près ou loin
25:43à l'école.
25:44Alors encore une fois,
25:45les mères
25:45qui accompagnent
25:47des sorties scolaires
25:48sont des usagères.
25:49Et en tant qu'usagères,
25:50en fait,
25:50elles ont le droit
25:51de porter un voile
25:53sans aucun souci.
25:54Mais ce qui, moi,
25:55me paraît important,
25:57c'est que si ce principe
25:58de neutralité,
25:59comme vous dites,
26:00était parfaitement respecté
26:02depuis longtemps,
26:03on n'aurait sans doute
26:04pas eu besoin
26:05de légiférer en 2004.
26:07C'est bien parce que
26:08cette situation-là
26:09est intervenue
26:10qu'il a fallu légiférer
26:11pour rappeler
26:12les raids
26:13de la loi de 1905.
26:15Et moi,
26:16ce qui, aujourd'hui,
26:17m'interroge le plus,
26:19c'est les comportements
26:20au sein des collèges
26:21et des lycées,
26:21qu'ils soient publics
26:22ou privés, d'ailleurs.
26:23Il n'y a pas
26:23de distinction à faire,
26:25de contestation,
26:26des contenus
26:27qui sont enseignés,
26:28d'une volonté,
26:29parfois même,
26:30de censure.
26:31Donc, on a un climat
26:31de tension
26:32qui est réel,
26:34me semble-t-il.
26:35Merci à tous les deux.
26:36Merci,
26:37monsieur le sénateur.
26:38Merci,
26:39chers téléspectateurs,
26:39d'avoir suivi
26:40ce nouveau droit de suite
26:42sur l'application
26:43de la loi de 2004,
26:4520 ans après son adoption.
26:47Je vous retrouve
26:47pour un nouveau rendez-vous.
26:49On continuera
26:49à regarder
26:50comment nos lois évoluent
26:51et comment elles changent aussi
26:53le quotidien des Français.
26:54À bientôt.
27:04Sous-titrage Société Radio-Canada
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