00:00Bonjour à tous, je suis Stéphane Dugas, l'auteur et le réalisateur de ce vieux film qui a pratiquement 20 ans.
00:19Je pense qu'on peut applaudir très fort, il est là, juste dans la salle, Stéphane Victor, qui est ici présent.
00:30Mon cher Stéphane, tu ne changes pas, tu rajeunis même. Je vais inviter, plutôt que de vous parler de ce film, on va essayer de rebondir sur la mémoire.
00:41Je vous disais que ce film avait 20 ans, c'était une époque où il n'y avait pas de drone, une époque où il n'y avait pas de caméra embarquée comme on a maintenant,
00:49une époque où tous les moyens n'étaient pas les mêmes, mais néanmoins on avait ramené ces images et ce témoignage.
00:55Et puis je pense que nos invités seront aussi à même de nous répondre sur ce que deviennent nos amis les Inuits.
01:01J'y étais encore au mois de juin, au mois de juillet, donc je me ferai aussi un plaisir de vous raconter.
01:05Je vais vous demander d'applaudir car elles vont me rejoindre. Je vais être avec des drôles de dames et ô combien intéressants.
01:12Je vais vous demander d'abord d'applaudir évidemment Daphné Victor, fille de, mais pas que, biographe, amie de longue date,
01:25parce qu'elle me supporte depuis une vingtaine d'années, et présidente du fonds de dotation de Paul-Émile Victor.
01:29Et quelque part, on lui posera des questions en tant que gardienne de la mémoire.
01:34Je vais vous demander ensuite d'accueillir Joël Robert Lamblin, directrice de recherche honoraire au CNRS,
01:46grande spécialiste des Inuits qu'on appelait alors les Esquimaux, et Joël qui a mêlé sa vie, son destin,
01:53et à Paul-Émile Victor, et à son ami et compagnon Robert Gessin et ses autres compagnons.
01:59Et enfin, je vais vous demander des applaudissements nourris aussi pour Nathalie Talec.
02:08Et Nathalie a la particularité d'être une artiste plasticienne, très fortement influencée,
02:15mais elle nous le dira sur le polaire et sur Paul-Émile Victor.
02:20Et il y a un rapport avec aussi Clotilde qui est ici, puisqu'il y a un traîneau très particulier à Sèvres,
02:26mais on en parlera tout à l'heure.
02:28Alors, je vais d'abord me tourner vers toi, Daphné, je me permets, on va se tutoyer,
02:33parce que si on se vouvoie, ça va être un petit peu à côté de la plaque.
02:37Donc, Daphné qui m'a supporté, quand j'ai eu cette idée de vouloir marcher dans les pas de Paul-Émile Victor,
02:44Stéphane qui m'a aussi supporté, puisque vous imaginez bien qu'un film, ça ne se fait pas comme ça.
02:49Et là, vous aviez la version du film qui avait été diffusée au Palais de la Découverte, à Paris,
02:53qui avait fait une grande exposition sur le polaire, et on avait réussi à glisser à une époque
02:59où la mémoire, les explorateurs n'étaient pas fondamentalement à la mode,
03:03à l'idée de faire un focus sur Paul-Émile Victor.
03:07Daphné, je connais la réponse, mais je te présentais comme la gardienne du temple.
03:11Comment ça t'est tombé dessus ? Et puis, comment tu gères ça ?
03:15Parce que ce n'est pas depuis un an, deux ans, cinq ans, c'est depuis le décès de Paul-Émile, depuis 30 ans.
03:23Oui, c'est ça.
03:25En fait, je ne sais pas si vous savez, mais Paul-Émile a été immergé au large de Bora Bora.
03:32Immergé, c'est-à-dire qu'on n'a pas jeté ses cendres dans la mer, on a jeté son corps dans la mer,
03:38comme ça se faisait dans la marine de guerre.
03:41Et au lendemain de cette immersion, oui, foncez les sourcils, mais c'était une belle cérémonie.
03:47Au lendemain de cette immersion, notre belle-mère Colette a posé sur une grande table des piles de dessins comme ça.
03:55Je connaissais bien sûr pas mal l'œuvre de papa, mais assez peu ces dessins.
03:59Et là, je me suis dit, mais c'est vraiment super, il faut vraiment faire connaître ce bonhomme à tout le monde.
04:07Et je vous raconte ça parce que c'est vraiment le jour où j'ai reçu ce qu'on appelle le devoir de mémoire.
04:12Et c'est franchement un cadeau quelquefois empoisonné, mais c'est un truc qui vous tombe dessus.
04:17Et après, comme on est de la génération où quand on avait des devoirs à faire, il fallait les faire.
04:21Donc j'ai commencé comme ça d'abord pour la famille.
04:25Et ensuite, avec mes frères Jean-Christophe, Stéphane et Théva, on a créé le fonds de dotation Paul-Émile Victor en 2013,
04:34qui a commencé vraiment à exister à partir de 2017, 18, 19, au moment de la création de l'espace polaire Paul-Émile Victor dans le Jura.
04:43Et depuis, effectivement, ce fonds de dotation, il n'y a pas que les Victor au conseil d'administration.
04:50Il y a Stéphane, entre autres. Il y en a beaucoup d'autres. Enfin, on est une petite dizaine.
04:56Claude Bachelard, ici présent, on a fait partie au tout début. Encore merci à lui, ex-médecin d'étaf et qui avait connu évidemment Paul-Émile.
05:05Mais on a rajeuni un petit peu les cadres. Excuse-moi, Claude.
05:08On a fait rentrer des trentenaires qui ont des idées, qui bougent, etc. Tout le monde est évidemment bénévole.
05:16Et dans ce cadre-là, personnellement, j'ai créé il y a six ans maintenant le prix Paul-Émile Victor pour le prix de l'aventure du cœur et d'ailleurs,
05:29qui est un prix littéraire. Et les jeunos qui sont rentrés récemment ont créé une bourse de l'exploration.
05:36Une de plus, mais qui est vraiment ouverte sur les valeurs de Paul-Émile. Alors évidemment, il y a du polaire, il y a le voyage, il y a la découverte,
05:47mais il y a aussi beaucoup l'environnement et la défense de la planète parce que ça a été vraiment le dernier combat de Paul-Émile.
05:52Et il faut évidemment le perpétuer. Donc c'est faire partie de sa mémoire que de créer cette bourse de l'exploration.
06:00Côté mémoire aussi, écoute, Stéphane, tu es bien placé pour savoir que toi et moi, nous avons co-écrit deux biographies de Paul-Émile.
06:09L'une aux éditions Robert Laffont, qui est sortie ensuite en poche, qui s'appelle Paul-Émile Victor, j'ai toujours vécu demain.
06:16C'est une phrase de Paul-Émile. Ça ne vous étonnera pas, je crois.
06:19Et l'autre, qui s'appelle Le rêve et l'action, qui est paru aux éditions Paul-Seine, qui est plus illustré.
06:30Voilà. Puis sur la mémoire, il y a bien sûr tout ce qu'un certain nombre de gens comme toi, Stéphane, mais d'autres, bien sûr, font dans les festivals, chez les scolaires.
06:39Et puis on n'est pas tout seul au fond de dotation. Il y a des gens encore qui parlent de Paul-Émile, mais de moins en moins.
06:43Voilà. Ça fait partie. Si vous faites un micro-trottoir auprès de gens comme ça, vous serez très étonné de voir à quel point il est oublié.
06:53Les plus vieux se souviennent d'un vieux sioux explorateur qui vivait sur une île déserte à la fin de sa vie, mais savoir ce qu'il avait fait et pourquoi, ils sont incapables d'en parler.
07:04Donc nous, on continue le combat. Et puis merci d'être là et d'éventuellement porter aussi sa parole et sa mémoire. Merci à vous.
07:20Je me tourne vers vous, Joël. Moi, je voudrais peut-être qu'on resitue ces ethnologues. J'allais dire ethnologues entrepreneurs.
07:30Oui, parce que dans les années 30, aller au Groenland, ce n'était pas une mince affaire. Il y avait Charcot comme mentor.
07:36Et surtout, il y avait aussi toute cette école de l'ethnologie dite amoureuse ou humaine.
07:41Peut-être nous resituer cette ethnologie française, puisqu'on est dans un pays où on a toujours tendance à se flageller, à dire qu'on est les plus mauvais et qu'on est les plus pessimistes.
07:50Mais parlons de mémoire et parlons de cette école de l'ethnologie formidable du musée d'ethnographie dont vous avez perpétué évidemment le message.
07:58Oui, j'ai connu Paul-Émile Victor dans les années 60. J'étais alors étudiante vacataire au Musée de l'Homme auprès de Robert Gessin et commençant à m'initier sur l'intérêt pour le Groenland.
08:14Paul-Émile Victor. Et maintenant, avec le recul, je vois le bilan ethnologique exceptionnel de ce qu'il a rapporté, Paul-Émile Victor, dans les années 30,
08:27au cours de deux hivernages et d'une mission plus courte après la traversée du Groenland en traîneau à Chien.
08:36Il était élève de Marcel Mauss et Marcel Mauss, c'était l'Institut d'ethnologie de Paris.
08:44Et Marcel Mauss était une autorité internationale, mais qui ne faisait pas de terrain, qui se faisait parvenir des notations du monde entier d'ethnologues de terrain.
09:01Alors, Paul-Émile Victor a été manifestement très proche de Marcel Mauss. Il allait chez lui et il en a tiré une méthodologie de terrain tout à fait exceptionnelle.
09:16Comment, justement, mener une enquête ethnologique, ethnographique sur un terrain qui, on ne peut pas dire qu'Amas Salik n'ait pas été étudié avant,
09:30parce qu'il y avait Tal Bidzer dans les années 1905-1906, Knoud Rasmussen était passé aussi.
09:35Mais le bilan de Peve est incroyable. Il a observé, ses notes de terrain sont absolument exceptionnelles. Lévi-Strauss l'a remarqué et l'a félicité quand elles ont été publiées.
09:54Il notait tout avec un système complet de notation, de dessin, de nom vernaculaire. C'était donc ses observations sur tous les domaines.
10:08L'habitat, le vêtement, le transport, la chasse, bien sûr, la chasse au phoque, la chasse à l'ours, la chasse au narval, au morse.
10:18Toutes ces chasses ont des techniques d'approche différentes, ont des techniques de partage de la nourriture différente.
10:27Tout ça est incroyable comme recueil et ce serait impossible de faire un tel bilan de nos jours.
10:34Il n'a pas négligé non plus les croyances, les coutumes et aussi le chamanisme qui ne se pratiquait plus dans les années 30,
10:46mais dont il restait beaucoup de traces et notamment les personnes les plus âgées avaient connu la période où les chamanes vraiment étaient les médecins de la société
10:57et les médecins physiques et les médecins de l'âme et les médecins de la communauté sociale puisque c'était eux qui pouvaient intervenir auprès des grandes forces de l'univers
11:09lorsqu'il y avait un drame comme des tempêtes qui empêchaient de sortir, une banquise trop épaisse qui ne permettait pas aux chasseurs d'acquérir leurs proies.
11:26À cela s'ajoutaient les journaux de terrain.
11:28Alors les journaux de terrain, au jour le jour, il écrivait toutes les anecdotes, tout ce qui passait avec un style qui est absolument merveilleux
11:36et tout le monde connaît Banquise et Boréal, qu'il a publié très vite après son retour en France.
11:43Il y a des dessins, des photographies, il a cartographié parce qu'il explorait des régions d'arrière-pays qui étaient complètement inconnues à l'époque
11:54avec son ami Christian, Eskimo, Inuit.
12:02Et puis bien sûr les objets rapportés au musée de l'homme et il en sera en question je crois dans la journée.
12:094000 objets alors collectés avec Robert Gessin et Michel Pérez et donc déposés au musée d'ethnographie de l'époque qui est devenu le musée de l'homme après.
12:20Oui. Alors comment, donc je l'ai connu dans les années 60, il l'a vu quand j'ai commencé à, lui était complètement à ce moment-là tourné vers l'Antarctique
12:32mais quand il savait qu'il a su que j'allais à Amasalik en 67, c'était ma première mission, c'est-à-dire 30 ans après sa dernière mission,
12:40il m'a demandé des nouvelles des uns des autres, il avait tout en tête et il était resté très très très attaché à cette région.
12:49Et il se trouve que, donc les années passant, il avait égaré ses notes et lorsqu'il les a retrouvées, c'était en 1986,
13:07donc assez longtemps et il habitait Bora Bora et il était à ce moment-là assez désespéré, à la fois heureux mais désespéré de les retrouver si tard.
13:20Il avait assez peu publié de vraies publications scientifiques et toutes les notes étaient là tout à coup dans des cartons.
13:31Donc il m'a appelé, personnellement moi j'avais suivi la population d'Amasalik depuis 1967 jusqu'à 2007 sur 40 ans
13:42pour voir justement l'évolution vers la vie, le contact avec le monde occidental
13:49et je pouvais voir effectivement la disparition du kayak en pôle et la disparition de l'habitat traditionnel.
13:57Donc j'avais fait un suivi moi sur cette évolution.
14:02Et en 1986, il m'a appelé en me disant voilà j'ai enfin mes notes de terrain.
14:09Il y avait plusieurs cartons, je crois 40 kilos de notes.
14:15Est-ce que vous pouvez m'aider ?
14:17Alors j'ai dit écoutez, d'abord je vais voir ce qu'il y a là-dedans.
14:21Et puis parce qu'il m'a dit je voudrais les publier avec vous, je vous donne complètement carte blanche.
14:26Donc j'ai exploré ça et j'ai découvert vraiment ces trésors.
14:32Et alors j'ai suggéré un plan et tout n'était pas là, il en manquera encore à moins qu'on les retrouve un jour.
14:40Donc j'ai suggéré un plan et puis après on a pu publier ensemble La civilisation du Fox.
14:48La première édition c'était en deux volumes et puis ça a été réédité plus récemment en un seul volume
14:54en contractant un peu les textes et en ajoutant des nouveaux chapitres.
15:01Et c'était, alors c'est très difficile de publier des notes brutes, même si bonnes soient-elles,
15:11parce que le public ne peut pas le comprendre.
15:14Donc mon rôle a été donc de donner le contexte historique déjà des années 30
15:19et puis après ça le contexte disons scientifique de chaque rubrique traitée avec ces notes de terrain.
15:31Donc je faisais les introductions de chaque chapitre et puis je donnais aussi un aperçu sur ce qu'étaient devenus
15:40ces Inuits Tamasalik jusqu'à la fin de mes missions de terrain.
15:46Voilà, et c'était, alors c'était très compliqué parce qu'il habitait Bora Bora,
15:50il n'avait ni internet, ni téléphone portable, ni rien du tout.
15:55Et il voulait absolument que ça aille très vite et que, évidemment, il voulait voir sortir ses archives et ses publications de son vivant.
16:05Donc, mais quand je lui ai posé une question, l'aller et retour du courrier m'était trois semaines.
16:10C'était assez compliqué, mais ça a marché et moi je suis très fière et très heureuse d'avoir pu contribuer à cette oeuvre
16:21qui a été remarquée par les collègues, évidemment, et du Musée de l'Homme et bien au-delà du Canada.
16:30Malheureusement, c'est une version française, donc les Canadiens ont pu vraiment en profiter.
16:35Mais, et puis, ceux qui lisent le français, bien sûr, voilà.
16:40Est-ce que je peux ajouter quelque chose ? Parce que dans le film, on dit que Paul-Emile a trouvé,
16:46a baptisé cette civilisation, la civilisation du phoque.
16:50Moi, je m'attache à la vérité historique, à la transparence et à la clarté.
16:54Je voudrais vous dire que c'est une expression de Joël Robert Lamblin, ici présente,
16:58et non pas de papa qui s'est donné beaucoup de mal pour construire sa légende.
17:02Oui, non, non, non, non, non. C'est aussi avec Raymond Chabot, l'éditeur,
17:07qui voulait comparer à la civilisation du Rennes, de le roi Goran.
17:12Donc, autour d'un animal, comment est-ce qu'on peut vivre pratiquement d'un seul animal ?
17:17Parce qu'à Massalik, des années 30, il n'y avait plus que le phoque.
17:21Il n'y avait plus de baleines.
17:22Les baleiniers avaient exterminé les baleines dans cette région.
17:28Et la population vivait du phoque, comme il a été dit dans le film, là,
17:34pour se nourrir, pour se vêtir, pour fabriquer des instruments de chasse.
17:40Et donc, les études d'un médecin nutritionniste de ces années-là donnaient l'alimentation à 95% carné,
17:56ce qui a donné beaucoup de... a soulevé beaucoup de points d'interrogation chez les médecins.
18:03Comment se fait-il qu'il n'avait pas de cholestérol ? Parce que c'est une viande très grasse.
18:07Enfin, ça, c'est un autre chapitre.
18:09Je vous propose, Joël, de revenir sur ce que sont devenus les Inuits,
18:15parce que vous y étiez cet été, vous étiez sur la côte occidentale.
18:18Je vais me tourner vers Nathalie.
18:21La question est très facile.
18:22On a parlé des Esquimaux, des Inuits.
18:24On vient de parler de leur société, on vient de parler du phoque.
18:26On a vu les traîneaux, on a vu ces passerelles entre passé, présent et futur.
18:32On a convoqué, grâce à Joël, les forces chamaniques, les esprits, les forces de l'univers.
18:38Forcément, quand on est une artiste plasticienne, on a forcément lu Apoutziak, Petit flocon de neige, qui est le best-seller de Paul-Émile Victor.
18:48Comment on tombe, Daphné a cette expression, comment on tombe dans la marmite de Paul-Émile ?
18:53Oui, j'ajouterai quelque chose, parce que quand j'ai commencé à aller régulièrement à ma salique, sur la côte est du Groenland,
19:03les gens se souvenaient tout à fait bien de Paul-Émile Victor.
19:06Il avait laissé vraiment un très bon souvenir de quelqu'un de très compétent à la chasse en kayak,
19:16et puis parlant extrêmement bien la langue.
19:19Et ses connaissances linguistiques lui ont permis, justement, d'approfondir vraiment toute son enquête sur tous les domaines que j'ai cités tout à l'heure.
19:29C'était vraiment quelqu'un d'extrêmement doué.
19:32Par ailleurs, il parlait danois, il parlait anglais, il parlait allemand, il parlait pas mal de langues.
19:37Donc, ces talents, pour un ethnologue, c'est important.
19:41Voilà. Et avant de laisser la parole à Nathalie, j'annonce qu'on parlera aussi des défauts de Paul-Émile Victor avec Daphné après.
19:47Merci.
19:48Merci.